Jour J pour l'interview du chef de l'État, une prise de parole très attendue après le sauvetage in extremis de son gouvernement. Comment peut-il sauver la fin de son quinquennat ? Qu'a-t-il en tête ? Quels sont ses secrets ? Corinne Lhaïk, auteure de deux livres références sur Emmanuel Macron, est l'invitée de Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL du 22 mars 2023 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez.
00:09 Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin notre consoeur journaliste Corinne Leïc.
00:13 Bonjour Corinne Leïc.
00:14 Bonjour.
00:14 Et bienvenue sur RTL. On va, si vous le voulez bien, essayer donc de se mettre dans la tête d'Emmanuel Macron.
00:19 Vous êtes journaliste à l'Opinion et je le disais, vous êtes l'une des journalistes qui connaît le mieux le président
00:24 pour lui avoir consacré deux livres, "Président cambrioleur" et puis "La nuit tombe", deux fois, deux ouvrages publiés chez Fayard,
00:30 le dernier d'ailleurs, sort la semaine prochaine en édition de poche.
00:34 A priori, sauf coup de théâtre, Emmanuel Macron ne devrait pas annoncer tout à l'heure à 13h le retrait de cette réforme,
00:39 pas de remaniement non plus, ni d'issolution.
00:42 Et hier soir, devant les parlementaires de la majorité qu'il recevait à l'Elysée, il a expliqué vouloir apaiser la colère
00:48 tout en déclarant ceci, "La foule n'a pas de légitimité face au peuple qui s'exprime à travers les élus".
00:59 Voilà la phrase exacte.
01:01 Ça vous surprend, cette phrase du président, ou c'est du Macron tout craché ?
01:05 C'est du Macron tout craché. C'est-à-dire qu'il est évidemment droit dans ses bottes, assis sur ses convictions.
01:10 En même temps, je crois que ça fait référence à des propos de Victor Hugo qui distinguait le peuple et la foule.
01:16 Le premier étant légitime, la foule étant aveugle et donc ne l'étant pas.
01:21 Mais c'est surtout quelqu'un qui ne veut pas céder face à la rue.
01:24 Quand il a des convictions, il les affirme, il les affiche, quitte à paraître arrogant auprès de ceux qui sont en désaccord avec lui.
01:31 Et c'est ce qui se passe actuellement. Il veut faire cette réforme des retraites.
01:35 Elle est au cœur de sa vérité à lui, parce qu'il pense que sur le plan économique, elle est absolument nécessaire.
01:40 Je fais référence à ce que vient de dire François Langlais, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait plus de travail en France
01:45 pour arriver à augmenter le potentiel de croissance. La réforme des retraites est une des manières d'y parvenir.
01:50 Il n'a pas réussi à convaincre les Français, ni l'opinion, ni la rue, ni les syndicats.
01:55 Mais comme il pense que c'est sa vérité, il veut qu'elle s'applique.
01:58 - Cette réforme, vous dites, c'est un gros coup de projecteur sur les contradictions et les fragilités d'un homme, d'une méthode.
02:04 C'est quoi les contradictions d'Emmanuel Macron ?
02:06 - Les contradictions, c'est qu'il veut à la fois avoir imposé sa réforme, il veut qu'elle s'applique.
02:13 Et en même temps, il dit qu'il veut pratiquer une nouvelle méthode.
02:15 Et c'est là où il y a maldonne, parce que pendant sa campagne, il pense avoir été relativement clair
02:20 en disant qu'il allait réformer avec les Français, il crée le Conseil National de la Refondation
02:25 pour traiter les sujets école, santé, écologie, etc.
02:28 Mais la retraite, il y a une petite astérisque dans le contrat, ne fait pas partie du Conseil National de la Refondation.
02:34 Il pense que c'est une réforme nécessaire et urgente, il veut aller vite.
02:37 Et là, ça témoigne de son impatience, qui est une de ses caractéristiques, et de son souci de l'efficacité.
02:43 Il sait qu'il n'arrivera pas à négocier quelque chose qui tienne la route avec les syndicats,
02:47 donc il y va par ses propres moyens, il fonce jusqu'à arriver au 49-3.
02:51 - Il veut concilier les contraires, provoquer, mais écoutez, bousculer, sont brutalisés, écrivez-vous.
02:57 Et vous dites même qu'il est en cohabitation avec lui-même.
02:59 Il a par exemple deux bureaux, un bureau officiel, un bureau officieux.
03:03 Non mais c'est amusant, ça dit beaucoup de choses.
03:05 - Oui, ça dit beaucoup, parce que c'est l'homme dû en même temps.
03:08 C'est quelqu'un qui est très soucieux de la délibération, c'est vrai qu'on a de la réflexion.
03:14 Ne pas oublier son passé d'assistant de Ricœur, qui est ouvert à la réflexion philosophique,
03:21 mais qui en même temps a le souci de l'efficacité et de la rapidité.
03:25 Et donc il se trouve en permanence en contradiction avec lui-même,
03:28 ce qu'il essaye de résoudre avec sa fameuse formule du "en même temps".
03:31 Mais autant le "en même temps" peut se concevoir sur certains sujets,
03:35 c'est la politique, par exemple l'écologie, il faut faire la fin du mois, la fin du monde.
03:39 Sur d'autres sujets comme le régalien, c'est ce dont nous traitons avec Eric Mandonnet
03:43 dans le livre qui sort en poche, on ne peut pas faire le "en même temps".
03:47 Il faut choisir sa voie, et ça, il a du mal.
03:50 - Quand on entend hier plusieurs parlementaires de la majorité,
03:54 alors ils disent ça en off, c'est-à-dire hors micro, pas devant les caméras,
03:57 qu'il faut que les choses bougent, que ça ne peut pas durer comme ça.
03:59 Et en même temps, je reprends le mot, Elisabeth Born qui dit
04:02 "on a le droit d'employer le mot victoire".
04:05 Quel est vraiment l'état d'esprit du président ?
04:08 Il fait semblant de ne pas voir ce qui se passe dans la rue,
04:11 il a conscience de ce qui se passe dans la rue, mais il se dit "ça va se passer".
04:14 Vous dites par exemple que c'est un éternel optimiste ?
04:16 - Oui, c'est un éternel optimiste. La rue évidemment, il voit ce qui se passe,
04:19 il pense que ça ne va pas durer, il pense que c'est une crispation,
04:23 et que donc il suffit de serrer les rangs pour passer l'orage
04:27 et reprendre le cours normal des affaires.
04:29 - Et c'est la déconnexion, du mépris ?
04:31 - Je pense que ce n'est ni de la déconnexion ni du mépris,
04:34 c'est à la fois la volonté de faire aboutir ce qu'il veut,
04:38 parce qu'il pense, et c'est tout le problème des politiques,
04:41 il veut faire le bonheur des gens malgré eux,
04:43 et il pense qu'une fois que la réforme sera appliquée, tout le monde sera content.
04:46 Et puis je pense aussi que c'est le souci de ne pas donner le sentiment
04:51 de s'affaiblir face à la rue, de montrer qu'il a de l'autorité.
04:54 Donc c'est tout ça qui fait qu'il réaffirme les choses de manière très ferme,
04:59 quitte à paraître complètement hermétique à ce qui se passe dans la rue.
05:03 Il n'a pas trouvé, à mon avis, de même qu'Elisabeth Borne,
05:06 le bon chemin entre l'affirmation de l'autorité
05:09 et la capacité d'écoute de ce que dit la population.
05:12 - Ce qui est assez étonnant, parce que quand on le voyait notamment dans les grands débats,
05:16 ces heures et ces heures de débats qu'il a faits après l'épisode des Gilets jaunes,
05:20 c'est quelqu'un qui est à l'écoute,
05:22 et en même temps on a l'impression qu'il n'écoute pas.
05:25 Il entend mais il n'écoute pas.
05:27 - Il écoute énormément.
05:29 Comparé par exemple à Nicolas Sarkozy,
05:31 quand il recevait des invités, Nicolas Sarkozy, au bout de trois minutes,
05:34 il prenait la parole et il disait lui ce qu'il pensait.
05:37 Ce n'est pas du tout le cas d'Emmanuel Macron.
05:39 Il est capable de rester silencieux, d'écouter, de prendre des notes,
05:42 et il ne dit rien de ce qu'il pense.
05:44 Mais je pense qu'il écoute parce qu'il veut se conforter dans ses convictions.
05:47 C'est-à-dire qu'il veut voir si jamais il ne loupe pas quelque chose d'important.
05:50 C'est pour ça qu'il a beaucoup le souci de consulter énormément de personnes.
05:54 Il est en contact avec des tas d'invités du soir, ça se passe sur Telegram,
05:59 pour voir s'il ne loupe pas quelque chose.
06:01 Mais il a besoin plus d'être conforté dans ses opinions
06:04 plutôt que de savoir s'il faut prendre un chemin différent.
06:06 - Vous expliquez qu'il aime d'ailleurs faire le contraire de ce qu'on lui dit de faire.
06:09 - Il a un côté bravache.
06:11 Oui, il ne veut pas obéir aux injonctions qui viennent de l'extérieur.
06:14 - Par exemple, Jean Castex, vous racontez, à l'été 2020, pardon, je vous coupe,
06:18 mais il envisage de nommer Jean Castex.
06:20 Celui-ci lui dit "Vous prenez un risque considérable, c'est déraisonnable".
06:23 Ce genre d'argument, écrivez-vous, justement, ça pousse Emmanuel Macron à agir.
06:27 Donc quand on lui dit "Je ne sais pas, ne parlez pas", il va parler inversement ?
06:31 - Oui, il n'aime pas le temps subi.
06:34 C'est-à-dire qu'il n'aime pas que le calendrier lui soit imposé par les circonstances extérieures
06:40 ou par les gens de l'extérieur.
06:43 Il aime bien choisir, c'est pour ça qu'il maintient en fonction des personnes
06:46 qu'il ne devrait pas maintenir. Il résiste à la pression.
06:50 - Sur la forme, en choisissant de prendre la parole à 13h,
06:53 l'Elysée indique avoir fait le choix des territoires.
06:55 Est-ce que ce n'est pas justement ce qui lui manque à Emmanuel Macron ?
06:58 Ce lien avec les territoires ?
07:00 Avant d'être président de la République, il n'a jamais été élu.
07:03 On a eu des présidents qui avaient des mandats électoraux, des mandats locaux.
07:07 Ça leur a toujours été utile, ça ?
07:09 - Oui, Emmanuel Macron est quelqu'un qui n'a pas ce qu'il appelle lui-même
07:12 le cursus honorum classique des hommes politiques.
07:14 On commence conseiller municipal, on finit président de la République.
07:17 Donc il n'a pas cette habitude de l'élu local
07:20 qui est imprégné des soucis et des préoccupations quotidiennes
07:24 de ses concitoyens.
07:26 C'est quelque chose qui lui manque.
07:28 En même temps, il connaît parfaitement la carte électorale.
07:30 Il connaît par cœur, il peut vous réciter qui a gagné, qui a perdu
07:33 les dernières élections départementales un peu partout en France.
07:36 Mais c'est une connaissance livresque qui n'est peut-être pas assez charnelle.
07:40 Et c'est ce que les gens ressentent et lui reprochent.
07:42 - C'est ça ce fossé entre les Français de la rue et lui ?
07:45 - Je pense que ça va plus loin.
07:47 C'est un fossé assez classique entre le peuple et les élites
07:50 qui ne cessent de se creuser dans notre pays depuis des années
07:52 et dont lui est peut-être un peu la quintessence de par son parcours personnel.
07:56 - D'un mot, vous qui l'observez depuis des années,
07:58 est-ce qu'il va falloir surveiller tout à l'heure à 13h des gestes, des mots ?
08:02 - Je crains qu'on n'ait pas beaucoup de surprises.
08:06 Alors là, je m'avance beaucoup.
08:08 Mais il peut toujours faire de ses petites phrases dont il était coutumier.
08:14 Mais il a nettement ralenti le rythme des petites phrases.
08:17 Mais je pense qu'il va dire des choses assez classiques, assez attendues
08:21 et que la plupart des journaux répercutent ce matin.
08:23 - Merci beaucoup en tout cas Corinne Leïc.
08:25 Et je rappelle donc votre livre "La nuit tombe"
08:28 deux fois publié chez Fayard et qui sort la semaine prochaine en édition de Poche.
08:32 Le premier livre c'était prévu.
08:33 ces dépris.
08:33 [SILENCE]