Christine Kelly et Marc Menant reviennent sur les personnages célèbres qui ont fait l’histoire dans #LesGrandsDestins
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00:00 Bonjour à tous, ravie de vous accueillir dans ce nouvel épisode "Les grands destins",
00:05 l'émission qui entre dans la vie d'un des personnages qui ont fait l'histoire.
00:10 Aujourd'hui, nous allons nous arrêter sur le grand destin de Voltaire,
00:15 celui qu'on appelle aussi François-Marie Arouet,
00:18 on le connaît moins sous ce nom.
00:20 Impertinence, liberté, philosophie,
00:22 celui qui se bat contre l'injustice et l'intolérance, le prince des mots.
00:27 Bonjour mon cher Marc, pourquoi Voltaire ?
00:30 Parce que à la fois, il m'orripile.
00:34 Ah oui, oui, oui.
00:35 Ah non, je ne m'attendais pas à ça.
00:36 Mais si.
00:37 Il vous ressemble beaucoup.
00:38 Mais oui, c'est pour ça qu'il m'orripile.
00:42 Et puis, il m'enthousiasme, il m'enchante. Pourquoi ?
00:45 Alors, il a un caractère attrabilaire, il est très susceptible,
00:50 une plume venimeuse, une plume qui se montre également justicière,
00:56 une plume scandaleuse.
00:58 Et alors, il refuse tous les carcans.
01:01 C'est véritablement l'homme de l'incandescence de l'esprit,
01:04 la fécondité de l'esprit, le cœur en flamboyant.
01:08 Ça, c'est étonnant.
01:09 On ne le retient pas et pourtant, vous serez surpris dans cette émission.
01:13 Mais aussi, c'est l'homme que l'on appelle l'amant de neige,
01:17 qui déçoit beaucoup les dames à qui il offre ses bras.
01:22 Pourquoi Voltaire ?
01:23 Mais c'est intéressant puisque c'est quand même l'homme.
01:25 Vous ne me l'avez pas dit et ça, je ne m'attendais pas à ça.
01:28 C'est l'homme des lumières.
01:29 Et c'est l'homme qui incarne la liberté.
01:32 C'est le roi de la liberté.
01:33 Ah, ça, ça ressemble à Marc Menand.
01:36 Et ça, je sais que c'est pour ça aussi que ce personnage vous plaît.
01:39 Et vous déplaît, comme vous l'avez dit.
01:40 C'est parti, l'apothéose.
01:43 Marc, pour bien définir le personnage, une anecdote.
01:52 Plantez-nous le décor.
01:54 On le cueille, ce n'est plus qu'un squelette.
01:57 Il a 83 ans, 28 ans qu'il a quitté Paris.
02:03 28 ans qu'il n'a pas vu la capitale.
02:06 Il est là, dans son carrosse.
02:08 Un carrosse, capitainé de velours, étoilé d'or.
02:14 Il est majestueusement installé, sa perruque de 1720.
02:19 Il la peigne tous les matins, lui, oui.
02:22 Et là, soudain, il entend la foule.
02:25 La foule en incandescence qui crie "Voltaire, qui crie Voltaire".
02:29 Et vers où se dirige-t-il ?
02:31 Dans ce carrosse, vers l'académie.
02:35 Et quand il se présente, l'académie, à l'époque, ce n'est pas la coupole.
02:38 C'est au Louvre qu'elle se niche.
02:40 Il y a les confrères qui l'attendent.
02:44 Ils descendent et lui font une haie d'honneur.
02:47 Sauf, bien sûr, ceux qui sont prêts là.
02:51 Point de curé pour l'accueillir.
02:52 En revanche, le fauteuil de directeur, on lui tend.
02:58 Et il s'assied.
02:59 En majesté, lui le malingre.
03:02 Et il entend d'Alembert, qui tient un discours de boileau.
03:06 C'est flamboyant.
03:08 Il a les larmes à l'œil.
03:10 Il écoute, il remercie.
03:13 C'est le début d'une journée mémorable.
03:16 De là, il remonte dans ce carrosse.
03:20 La foule est encore plus nombreuse.
03:22 Les uns et les autres se jettent sur les ressorts, sur les roues.
03:26 C'est à qui apercevra le roi de la liberté.
03:29 Et les femmes qui essaient de prendre à grandes poignées les poils de la police.
03:35 Et les voilà, c'est pas très loin, à la comédie française.
03:39 Il entre et on le place dans la loge des gentilhommes.
03:46 La foule qui lui offre l'une de ses oraisons, je dirais.
03:52 On crépite, on crie "la couronne, la couronne, la couronne".
03:57 Il ne comprend pas ce qui se passe.
03:59 Et la porte de la loge qui s'ouvre,
04:01 Blizzard, le grand acteur, qui se présente
04:05 et qui lui place la couronne d'Earl O'Reay sur le crâne.
04:09 Il n'en revient pas.
04:10 Et la foule en dessous, qui exulte encore plus fortement,
04:15 il en pleure.
04:16 Le rideau tombe et on joue quoi ?
04:19 Son dernier écrit, Irène.
04:22 Personne ne fait attention à ce beau texte.
04:25 On ne regarde que Voltaire.
04:26 Le spectacle, c'est la loge.
04:29 Et à la fin, quand le rideau tombe,
04:32 les comédiens se précipitent,
04:35 et en particulier Mademoiselle de la Chassagne.
04:40 On a un buste de Voltaire sur un socle
04:44 et on place des guirlandes de fleurs.
04:48 Et à nouveau, le tumulte.
04:50 Bravo, bravo, bravo, l'ouvarie totale.
04:54 Et notre Voltaire qui baisse la tête.
04:57 Jamais il n'aurait pu imaginer d'être ainsi sacralisé.
05:03 Il descend, une aide femme qui baisse la tête,
05:09 la révérence.
05:11 Il regagne son carrosse.
05:14 Il est en pleurs.
05:16 Il voit à peine dans ce brouillard de larmes,
05:19 cette foule qui continue à crier Voltaire, Voltaire.
05:24 La porte se referme.
05:26 Il s'effondre dans le carrosse.
05:30 Il goûte l'instant.
05:32 Jamais il n'aurait pensé être ainsi,
05:35 eh bien, le roi de Paris, le roi de l'Europe,
05:39 le roi du monde, le roi de la liberté.
05:43 J'y fais un peu de bien, c'est mon meilleur ouvrage.
05:46 Un instant fort que vous racontez à 83 ans
05:50 en revenant de l'exil.
05:51 Soif de reconnaissance, mais dès le plus jeune âge.
05:54 On va vers son enfance.
05:56 Marc Menand, lorsque naît Voltaire,
06:06 nous sommes à la fin du règne de Louis XIV.
06:09 On est dans un contexte d'austérité morale.
06:12 C'est important quand même.
06:14 On plantait aussi le décor du temps.
06:17 C'est Madame de Maintenon qui règne
06:19 et le roi n'est plus du tout en train de danser.
06:22 C'est la sinistrose, si je puis utiliser ce mot,
06:27 qui est un anachronisme,
06:29 mais c'est la sinistrose à Versailles et sur la France.
06:33 Alors notre petit bonhomme, il apparaît.
06:34 Quand je dis petit bonhomme, c'est un avorton.
06:37 21 mai 1694.
06:39 Il ne crie même pas.
06:41 On se dit c'est un mornet.
06:43 D'ailleurs, il dira "je suis né tué".
06:46 Et ça, c'est son leitmotiv.
06:48 Il ne cessera de le répéter toute son existence.
06:52 Mais pour autant, lorsque il se ragaillardit,
06:55 qu'il s'ouvre à la vie, il étonne son monde.
06:58 Quelle précocité, quel malicieux.
07:01 Et quand il entre chez les Jésuites, à Louis le Grand,
07:04 oh là là, on n'a jamais vu un tel phénomène.
07:07 Les farces les plus dutueuses,
07:10 les mots qui jaillissent,
07:12 et puis le sens de la mimique.
07:15 Il se moque des professeurs, oh là là.
07:18 Et alors là, forcément, ce sont les verges, le dressage.
07:21 Il peste et néanmoins, il les adore.
07:25 Pourquoi ? Parce que grâce à eux,
07:27 c'est l'incandescence de l'esprit.
07:29 Et à la récréation, le iode allait courir avec les camarades.
07:32 On le voit, non pas en faillon, non, non, non.
07:36 En enfant, qui veut simplement goûter le verbe,
07:40 et avec eux, il entame les conversations.
07:44 L'autre personnage qui compte dans son enfance,
07:47 c'est son parrain.
07:49 Un abbé.
07:50 L'abbé de Châteauneuf.
07:51 Alors vous allez dire, oh, le voisin sous l'égide de la morale.
07:55 Oui, c'est une morale un peu dissidente.
07:57 - Parce que c'est quand même un abbé libertin.
08:01 - Voilà.
08:01 - Décrit comme tel, c'est-à-dire ?
08:02 - Libertin, ça veut dire qu'il est typiquement
08:06 de ce temps où, éventuellement, on est dans la foi de Dieu.
08:10 Mais en revanche, on ne veut plus reconnaître l'Église,
08:13 ses carcans, cette Église qui empêche de pouvoir s'ouvrir
08:18 à l'amplitude de l'esprit.
08:20 Il n'y a que des interdits.
08:22 On ne peut pas s'intéresser à l'anatomie,
08:23 on ne peut pas s'intéresser au ciel.
08:25 Bref, on est enfermé.
08:27 Alors il faut briser tout cela.
08:29 Il lui fera découvrir le temple et son enclos.
08:32 C'est le dernier refuge à Paris où, effectivement,
08:36 on peut se laisser aller en oubliant tous les interdits.
08:40 Alors là, forcément, la poésie, l'éloquence,
08:45 et puis aussi, oui, la fantaisie d'essence.
08:49 Et notre gamin, il y a 12 ans, il regarde,
08:52 il est étonné, il est émerveillé.
08:54 La seule chose qui le chagrine, il dit pourquoi une telle ivresse
08:58 de l'esprit et après ça, on mange, on boit que de l'hibation,
09:03 que nenni !
09:04 Moins manger, moins boire,
09:07 mais se laisser entourlouper par les mots.
09:09 Voilà ce qu'il est.
09:10 Et alors, la force qui est la sienne,
09:13 ça, il a 12 ans, un an plus tôt, il s'est distingué déjà.
09:17 Il a rencontré à la sortie de Louis-Grand,
09:21 un personnage, un invalide, un de ces pauvres bougres
09:25 qui avait été brisé par les guerres de Louis XIV.
09:29 Il erre, il n'a rien.
09:31 Il écrit un poème au dauphin, le successeur,
09:34 celui qui sera sur le trône.
09:36 Un tellement beau poème qu'il obtient de ce prince
09:41 une bourse d'or pour l'invalide.
09:44 À tout jamais, il s'intéressera aux plus démunis.
09:47 Ça, on ne le dit pas.
09:50 Mais il y a aussi forcément cet esprit chagrin
09:54 et lorsque son père, qui est notaire,
09:58 qui voudra un garçon bien sous tout rapport,
10:00 comme l'aîné Armand, qui est curé,
10:01 voilà, voilà comment on doit se comporter dans la famille.
10:04 Ben non, lui, il ne nous fait que des scandales.
10:07 Et puis, il y en a un qui va bientôt se tresser,
10:09 ça sera quand il écrira le Bourbier.
10:11 Dans ce Bourbier, c'est bien le mot,
10:13 il fait tromper tous les personnages un peu connus
10:17 qui pour lui sont irrespectables.
10:19 Et puis, plutôt que d'aller bien suivre les cours de droit,
10:23 il entourloupe les duchesses
10:25 et il y en a une à qui il donne des cours de versification.
10:29 Elle est tellement enthousiasmée
10:32 qu'elle lui offre une superbe bourse de 1000 livres.
10:36 Alors là, oh notre Gaillard, 15 ans,
10:39 il se précipite, il achète le chapeau,
10:42 il achète les habits les plus rutilants,
10:44 il loue un carrosse, les laquais, deux chevaux
10:48 et le voilà dans Paris en parade.
10:50 Il s'arrête là où il y a du monde,
10:51 qu'on l'admire, qu'on le mire, il est salu, eh oui !
10:56 - Monsieur reconnaît ça, c'est intéressant.
10:59 - Il est déjà au-dessus de la cour.
11:01 Il voudrait être des intimes du roi.
11:05 Ça quand même, lorsqu'il rentre le soir,
11:08 les chevaux ne sont pas habitués peut-être à un si bon traitement,
11:12 ils sont à côté des chevaux du notaire,
11:15 voilà les bestiaux qui s'agrippent les uns les autres
11:18 et on ne peut pas.
11:19 Avec le bourbier, ce type de situation,
11:22 allez mon garçon, tu vas aller te dresser,
11:24 l'abbé, il a son frère qui est en Hollande,
11:28 tu vas aux Pays-Bas et tu viendras en étant fréquentable.
11:32 Ah ben tu parles !
11:34 Le voilà que là-bas, il rencontre une jeune fille,
11:36 ah ah ah !
11:39 La petite Pompignata.
11:42 Cette dame, sa mère voudrait qu'elle puisse convoquer...
11:46 - Pimpette ?
11:47 - Oui, Pimpette.
11:48 Elle voudrait qu'on vole avec un aristocrate
11:52 et c'est ce bouc qui s'est dressé.
11:54 On les sépare, il hurle qu'il se suicidera,
11:57 qu'il ne peut pas vivre sans cet amour.
12:00 Mais, reconduit à Paris, rapidement,
12:04 il oublie la Pimpette et le voilà tout pimpant.
12:10 - C'est vrai que là, on est dans un contexte
12:11 où on est à la mort de Louis XIV,
12:14 on va passer du lugubre à la lumière des libertins.
12:18 Juste avant, pour signaler aussi que c'est un homme
12:21 dans son enfance qui a perdu sa mère à l'âge de 6 ans,
12:24 qui est aussi...
12:25 C'est pour ça aussi, je pense, qu'il se met vite
12:28 sous la coupe de cet abbé qui cherche souvent...
12:30 Non ? Qui cherche souvent des...
12:32 - Il y a quelque chose de viscéral chez lui,
12:35 il ne supporte pas...
12:36 - Il rejette un peu son père.
12:36 - Complètement, mais ça va plus loin que ça.
12:38 - Et oui !
12:38 - Il écrira...
12:39 - Il rejette ses origines, il ne se sent pas assez noble.
12:42 - Il dira "Ma mère était en réalité aldultérine
12:45 et je ne suis pas le fils du notaire,
12:48 je suis le fils de monsieur de Rochebrune".
12:50 - Il est dur avec sa propre famille,
12:52 il s'invente un père.
12:53 - Il s'invente un père, il veut...
12:56 C'est la célébrité d'ailleurs, les jésuites diront,
12:58 cet enfant mourra de vouloir chercher ainsi la célébrité.
13:03 - C'est en fait un véritable impertinent.
13:14 - Nous sommes en 1715, Louis XIV vient de mourir
13:18 et le régent, l'homme de toutes les débauches,
13:22 de toutes les libertés, c'est lui qui règne,
13:26 mais Voltaire ose le mettre en cause.
13:29 - Oui, alors le régent, le duc d'Orléans,
13:31 un jour on fera une émission sur le duc d'Orléans,
13:34 ce personnage veut qu'effectivement les êtres soient
13:39 dans la prospérité de l'intelligence
13:42 et pour lui, fini les censures.
13:44 Alors les libelles se multiplient, les pamphlets,
13:46 il est écorné et ça l'amuse.
13:49 Le soir, dans les grands excès qui sont les siens,
13:54 ne nous éternisons pas sur le sujet,
13:58 il est le premier à lire ce qui a été écrit sur lui un jour.
14:02 Malheureusement, il découvre ce que ce bougre de bonhomme
14:06 vient de rédiger sur son Altesse.
14:10 Là, il lui va quand même un peu loin,
14:11 car il suggère que ce grand prince
14:14 aurait quelques relations incespeuses avec sa fille.
14:18 Il le convoque, il lui dit "écoutez, cher ami, non,
14:23 ça m'a amusé, mais maintenant, je vous pardonne, on arrête là".
14:27 Vous savez ce qu'il fait ?
14:28 - Voltaire, que fait-il ?
14:30 - Il reprend sa plume et hop, il taquine de nouveau le régent.
14:34 Est-ce qu'il sera capable de supporter ça, le grand prince ?
14:38 Là, on ne rigole plus, c'est la Bastille.
14:41 Et le voilà dans un cachot, enfermé.
14:44 - Il a 22 ans.
14:45 - Il a 22 ans.
14:46 - 11 mois de prison.
14:47 - 11 mois de prison et dans des conditions extrêmement rigoureuses.
14:50 Parce qu'à la Bastille, il y a ceux qui, éventuellement,
14:53 ont le bénéfice d'un régime de faveur,
14:56 ils peuvent avoir à leur côté leur domestique.
15:00 Non, non, non, c'est tout seul.
15:02 - Vous me pardonnerez si je dis qu'à la Bastille,
15:04 quand même, lorsqu'on était emprisonné,
15:05 c'était quand même bien vu d'être emprisonné ?
15:08 - Non, mais c'est ce que je vous dis.
15:09 Il y a ceux qui sont bien vus,
15:10 mais lui, il est plutôt dans le mauvais traitement.
15:12 - Très bien.
15:13 - La meilleure preuve, on lui laisse seulement deux livres.
15:16 Oui, mais il appelle ça, j'adore ça,
15:19 voilà l'esprit de Voltaire, les dieux philosophiques.
15:23 Et qui sont ces dieux philosophiques ?
15:25 Eh bien, c'est Homère et Virgile.
15:28 Il a réussi à garder un bout de crayon.
15:32 Et dans les marges de ces dieux philosophiques,
15:35 ils rédigent la Ligue, qui est une ode à Henri IV.
15:41 Ça sera l'Henriette plus tard.
15:44 Voilà comment cet homme enfermé connaît la liberté la plus totale,
15:50 celle de l'intelligence, celle de l'effervescence,
15:54 celle de la créativité, à tout jamais libre, même enfermé.
15:59 C'est M. de Voltaire.
16:00 - La puissance des forces, ça va transformer un emprisonnement
16:04 en liberté, liberté intellectuelle.
16:06 Mais la punition ne s'arrête pas là.
16:08 - Ah non, parce que quand vous avez été à la Bastille,
16:10 ça se termine, il finit par obtenir,
16:13 grâce à une intervention d'un personnage
16:16 qu'il côtoyait dans les salons, M. de Breteuil.
16:19 On s'arrêtera tout à l'heure sur M. de Breteuil.
16:22 Le voilà donc dehors, mais pas question de rester dans la capitale.
16:26 Pas question de tenter de pénétrer la cour.
16:29 Non, non, non, non, non, non, mon Gaillard.
16:31 Allez hop, direction la province.
16:34 Bon, d'abord dans la famille, dans un château, ça passe, ça passe.
16:38 C'est long pour un ambitieux,
16:40 pour quelqu'un qui rêve de la célébrité.
16:42 Et il finira par gagner l'Angleterre.
16:45 Ah, et là, c'est un véritable coup de cœur.
16:49 L'Angleterre, c'est le monde qui a brisé la rigidité de la royauté.
16:57 C'est le libéralisme qui est en train de naître.
16:59 - Mais c'est avant les États-Unis.
17:00 - C'est avant les États-Unis.
17:02 C'est-à-dire que celui qui a de l'audace peut devenir plus riche que le noble.
17:06 Et quand on est riche, eh bien, on a toutes les libertés.
17:11 Et puis, il y a Newton.
17:14 Newton qui vient de créer sa théorie de la gravitation et il s'en imprègne.
17:20 Au bout de trois ans, quand il revient, il ne pense qu'à l'Angleterre.
17:25 Une terre qui mériterait d'être en quelque sorte l'exemple
17:30 pour tout homme civilisé à tout jamais.
17:34 Il se place en rupture, mais en ayant.
17:36 Parce qu'il ne faudrait pas garder ce principe de l'obsession d'un enrichissement.
17:45 Il y a à la fois cela, parce qu'il a compris que l'argent…
17:47 - Mais c'est ça, il revient avec le sens des affaires
17:49 ou bien la volonté de l'enrichissement personnel ?
17:51 - Les deux !
17:53 Mais pas pour l'enrichissement.
17:56 Pour pouvoir être un homme libre,
17:58 pour pouvoir être un homme qui sera consacré par le théâtre,
18:02 un homme qui aura sa plume en vigueur au quotidien,
18:06 mais qui ne sera pas en attente de ses succès pour vivoter.
18:12 Il lui faut donc réussir à trouver le moyen de gagner le gros lot.
18:19 - Alors, c'est un homme qui était dans tous les salons,
18:22 M. Aimé, justement, participait à tous les salons.
18:26 Qui dit salon dit femme.
18:27 Quel était son rapport aux femmes ?
18:30 - Ce sont plutôt les femmes qui ont un rapport à lui.
18:33 Ce maigre-lait est tellement entourloupant quand on l'entend,
18:38 qu'on oublie…
18:39 D'abord quand même, quand il est jeune,
18:41 il a beau être maigre-lait, il a une majesté.
18:43 Et puis ses deux voix, sa pétille,
18:46 il n'y a pas une seule réplique qui lui échappe
18:51 et dans l'improvisation, la plus totale, sa volte !
18:55 C'est un véritable épéiste des mots !
18:59 Alors ça, les femmes, vous pouvez être moches,
19:02 elles vous le disent, en plus, vous n'êtes pas moches !
19:03 Regardez les petites poses de garçons !
19:05 - Maigre-lame, regardez, vous êtes énorme !
19:07 - Alors les actrices en particulier,
19:09 quand elles savent qu'il écrit des pièces de théâtre,
19:12 c'est l'opportunité d'obtenir un beau rôle.
19:15 Il est l'amoureux de Adrienne Lecouvreur,
19:19 la grande dame de l'époque !
19:21 - Oh, la grande comédienne !
19:22 - Oui, il y a Suzanne Delivry, une pauvreté,
19:26 qui n'a aucun talent, mais il s'en tiche d'elle et elle de lui.
19:29 Il fera tout pour qu'elle éclate sur les scènes.
19:33 Malheureusement, il n'y parviendra pas.
19:36 En revanche, cette Adrienne Lecouvreur,
19:40 lorsque leurs amours se sont arrêtés,
19:43 ont resté en amitié.
19:46 Et un jour, il décide de lui rendre visite à la comédie française.
19:51 Il la regarde, elle l'applaudit, il n'a aucune discrétion.
19:54 Quand il est quelque part, il faut qu'on le remarque !
19:59 Et hop, il gagne les coulisses, entre dans la loge.
20:03 Mademoiselle Lecouvreur est en conversation avec l'un des grands princes,
20:08 le chevalier Rohan Chabot.
20:13 Mais quand elle l'aperçoit, elle se détourne de cet homme
20:17 qui appartient aux plus grandes familles.
20:19 Elle se précipite vers son Voltaire.
20:23 L'autre est furieux.
20:25 Mais quel affront !
20:26 Alors il toise Voltaire et lui dit
20:30 « Euh, monsieur Arouette, monsieur Voltaire,
20:36 quel est votre nom ? »
20:39 « Monsieur, je commence mon nom, vous finissez le vôtre. »
20:44 « Oh ! Il sort l'épée, il voudrait l'embrocher ! »
20:47 Heureusement, l'excellente Adrienne joue le malaise, elle s'effondre.
20:53 Et tout le monde se précipite sur elle.
20:56 On a évité le pire.
20:59 Voilà comment Voltaire, qui n'est pas spécialement courageux,
21:05 aurait pu mal terminer.
21:06 – Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
21:07 – Non !
21:08 – Il veut se venger.
21:09 – Oui, c'est incroyable !
21:11 Ce gringalet qui n'a aucune force, qui n'a rien du tout,
21:14 eh bien le voilà, qui quitte les salons, il est si bien accueilli,
21:17 et on le voit dans les bouges.
21:19 Il n'a plus aucune tenue, il veut rencontrer la rognure de la délinquance
21:24 que l'un de ces gaillards-là lui enseigne quoi ?
21:27 Les mauvais coups de l'épée pour embrocher !
21:30 Mais un soir, quand il regagne les salons,
21:33 parce que comme il est couard, il finit par se décourager,
21:36 il est chez monsieur Dessouly,
21:38 on lui dit qu'il y a un message qui l'attend à la porte,
21:42 il descend, il y a un carrosse, se précipite à la porte, et là !
21:47 Eh bien c'est un guet-apens, dans la voiture on entend monsieur Derand
21:53 qui dit "pas si fort, pas si fort et surtout pas, la tête elle peut encore servir",
21:59 il se prend une recette de dix gaillards qui sont sur lui,
22:03 quand il retourne, espérant que les aristocrates le défendront,
22:07 tous baissent la tête, il n'a pas le droit de vexer un prince,
22:12 et il se retrouve de nouveau à la Bastille.
22:15 Mais là, en revanche, on trouve qu'on a trop loin
22:18 et il finit par obtenir au bout de quelques jours la libération.
22:21 Incroyable ! Déjà emprisonné, la force des mots, l'impertinence,
22:25 les conséquences de l'impertinence,
22:27 il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent,
22:32 une des belles phrases de Voltaire,
22:34 Voltaire qui se retrouve encore en exil.
22:37 Et dans la deuxième partie, on verra ces derniers jours,
22:41 et on verra également, vous avez un peu évoqué ça il y a quelques instants,
22:46 qu'il frise avec l'escroquerie pour avoir la puissance de l'argent
22:49 qui le place au-dessus des nobles.
22:52 On se retrouve dans un instant pour la deuxième partie.
22:54 Retour sur le grand destin de Voltaire.
23:00 On a vu dans la première partie comment à 22 ans il était en prison,
23:04 il a été en Bastille à deux reprises,
23:07 tout ça à cause de son impertinence et de la puissance de son verbe.
23:10 On parlera dans cette deuxième partie de ces derniers jours dans un instant,
23:14 mais on verra également comment Voltaire frise avec l'escroquerie.
23:19 Marc Menand, il rentre de l'Angleterre,
23:28 l'Angleterre qui lui a donné l'idée que tout était permis.
23:32 Il veut l'aisance, il veut l'argent, il veut tout.
23:35 Non, parce que sans argent, malheureusement, on est sous la coupe des nobles.
23:41 Vous êtes invité, mais il y a eu cet incident avec Rohan,
23:44 que dis-je, cet incident, ce véritable drame pour un homme d'une fierté comme Voltaire.
23:49 C'est quelque chose d'intolérable.
23:50 Et comment échapper à ça ?
23:52 Grâce à l'argent.
23:53 En revanche, avoir une fortune qui le place au-dessus de ceux qui côtoient la cour,
23:59 ce n'est pas évident.
24:00 Il rencontre dans une soirée la contamine, grand mathématicien.
24:05 Et il y a le ministre des Finances de Louis XV,
24:08 puisque maintenant c'est Louis XV qui a succédé au duc d'Orléans,
24:12 qui, pour essayer de redresser les finances, lance une sorte de loterie.
24:19 Je n'ai pas le temps de raconter l'histoire dans ces arcanes.
24:23 On ne peut pas tout dire, on donne envie.
24:24 Voilà, voilà.
24:25 Non mais bon, sauf qu'il comprend avec Contamine qu'il y a un coup à tenter.
24:30 C'est d'acheter l'ensemble des transactions
24:34 qui permettent d'acquérir les billets de la loterie.
24:38 Et grâce à cela, eh bien, oui, on aura les 500 000 livres du jackpot.
24:45 Plus l'enrichissement qui est lié aux transactions.
24:48 C'est quelque chose de fabuleux.
24:49 Et sur deux ans avant d'être repéré,
24:52 ils vont gagner presque 120 millions de dollars.
24:57 Je dis en dollars pour avoir une sorte de…
24:59 Ce n'est pas rien.
24:59 Mais c'est une fortune colossale.
25:01 Alors, il n'y en a que la moitié qui ira dans leur poche.
25:06 L'autre moitié, c'est à ceux qui ont servi à mener la machinerie
25:13 sans qu'ils sachent qu'effectivement, il y avait une escroquerie.
25:18 Et toujours est-il, à tout jamais, il est libre.
25:20 Et puis, allez, on continue dans les salons, on va, on vient.
25:24 Il s'enferme pour monter une autre opération
25:28 dans une petite maison d'un bel quartier de Paris.
25:31 Carrosse s'arrête à la porte en descendant des amis,
25:34 dont une jeune fille qu'il n'a pas vue depuis des années maintenant,
25:39 qui s'appelle Gabrielle-Émilie de Breteuil,
25:44 qui est la fille de monsieur de Breteuil qui l'avait fait sortir de prison.
25:48 Il l'a connue quand elle était toute mignonnette, la petite bonne femme.
25:51 Maintenant, elle est là, elle a 27 ans.
25:54 - Et lui, 38, 39. - Ah oui, 39.
25:57 Ah ben, ils oublient le couple qui était avec eux,
26:01 ils ne cessent de se regarder,
26:03 ils ont compris que la communion passait par l'esprit,
26:07 et rapidement, eh ben, voilà !
26:09 Ils sont inséparables.
26:11 Reste que, elle ne s'appelle plus Breteuil,
26:15 mais elle est la marquise du Châtelet.
26:18 C'est-à-dire qu'elle est mariée à un marquis,
26:20 qui est un monsieur qui guéroie ici et là,
26:24 qui est rarement chez lui, qui n'est pas très riche,
26:26 mais néanmoins, elle est en épousailles.
26:30 [Rires]
26:32 Alors théoriquement, c'est impossible.
26:34 Eh bien, ils se moqueront de tous les codes.
26:36 Dans cette société où c'est intolérable d'être avec celle qui, justement…
26:41 Alors, on peut avoir éventuellement une relation,
26:44 ça oui, c'est permis dans les cercles libertins.
26:47 Et là, c'est carrément se placer en concubinage.
26:51 Ils vont se diriger vers Cirès,
26:55 parce que la situation, là encore,
26:57 est plutôt tendue de par les plumes venimeuses qui sont les siennes,
27:02 à savoir les pamphlets,
27:04 ils vont être à la campagne,
27:06 et les voilà dans le château du marquis.
27:09 Ils transforment littéralement, grâce à sa fortune,
27:13 ce château qui tombait en délabrement,
27:15 ça devient un palais de princes,
27:18 avec des salles de bain les plus merveilleuses du royaume.
27:23 Et l'Europe entière se précipitera en cet endroit.
27:27 Alors, ils s'en tichent tous les deux.
27:29 Il y a la littérature, il y a le théâtre,
27:33 ils vont créer leur petit théâtre.
27:35 Elle, elle joue au clavecin, elle chante merveilleusement bien.
27:38 Elle est brillante.
27:39 Mais elle est brillante alors.
27:41 Le matin, on se lève à 5 heures, mais on reste au lit.
27:45 Chacun dans son appartement.
27:47 Lui, il travaille plutôt côté littéraire,
27:50 néanmoins en ayant un œil sur la science,
27:52 car il crée un laboratoire de physique.
27:55 Et puis, il y a ses travaux de Newton,
27:57 auxquels il s'est extrêmement attaché.
28:00 Et elle, qui veut aussi rendre Newton accessible à tout, à chacun.
28:07 Ça, c'est cette incandescence de l'esprit.
28:10 Ceux qui vont, qui viennent.
28:12 De temps en temps, il y a une petite sortie.
28:14 Alors elle, elle s'offre une grande galopade.
28:16 Lui, c'est la chasse.
28:18 La chasse en calèche, avec une carabine.
28:21 Vous imaginez, eh bien, les années qu'ils vont passer ensemble.
28:26 17 ans.
28:26 Pas une seule fois, il n'attendra un chevreuil.
28:29 Ça fait rien.
28:30 C'est son petit délassement.
28:34 Et alors, tout le monde vit à l'heure des cloches.
28:36 Alors, la cloche le matin pour se réveiller à 5 heures.
28:38 À 10 heures, la cloche pour le café.
28:41 Mais les gens sont là en hôte.
28:43 Reste que le luxe, ce sont les parties communes
28:45 et les appartements de M. de Voltaire
28:49 et les appartements de Mme la marquise.
28:52 Pour les autres, on est dans les sous-pentes.
28:54 Et là, les travaux laissent les courants d'air s'infiltrer relativement facilement.
28:59 On est frigorifiés.
29:01 Et de temps en temps, on re-visite aussi,
29:05 à quelques encablures de là, à quelques kilomètres,
29:08 un petit coup de carrosse, au roi Stanislas de Pologne.
29:14 Et un jour, parmi ceux qui sont à ses côtés,
29:18 il y a un jeune chevalier, François de Saint-Lambert.
29:22 Oh qu'il est beau !
29:24 Ça fait longtemps qu'on est, depuis maintenant, je vous l'ai dit, 17 ans ensemble.
29:30 On était revenus faire quelques tentatives de pénétration de la cour à Paris.
29:36 Mais le roi n'aime pas, il n'aime pas du tout Voltaire,
29:40 même s'il lui confie la tâche d'historiographe,
29:43 ce qui lui fait une petite pension.
29:45 Et si vous permettez, à propos du château de Thierry qu'on a vu
29:47 et que vous avez si bien décrit,
29:49 juste pour souligner quand même qu'il abrita finalement la plus grande,
29:52 on dit, la plus grande histoire amoureuse et intellectuelle du XVIIIe siècle.
29:56 Oui, parce que c'est extraordinaire.
29:59 C'est qu'il y a, alors, forcément, deux êtres comme ça avec une forte personnalité,
30:04 il y a les instants d'une tendresse démesurée.
30:08 C'est-à-dire que là, vous êtes dans l'apothéose du grand sentiment.
30:12 Et puis alors, il y a les moments où on se fâche.
30:15 Et dans ces instants-là, il n'est plus question de s'exprimer en français.
30:19 Il ne faut pas que les domestiques comprennent ce qui se dit.
30:22 Et là, c'est en anglais que l'on se laisse aller à la vitupération.
30:27 Et puis ensuite, pof, en quelques secondes, à nouveau, on est dans les amours.
30:33 Côté ladri, la martise, elle s'impose.
30:37 Lui, il se nourrit avant tout de panade.
30:39 Il est souvent fiévreux.
30:40 Alors également, ça lui permet, ces incommodements de santé,
30:46 de fuir le monde et d'en rajouter.
30:48 Quand il estime que c'est insupportable de côtoyer tous les autres qui sont dans la maison,
30:53 il crie "je me meurs, je me meurs, il faut que je regagne ma chambre,
30:56 je me meurs, je vais mourir, je vais mourir".
30:58 Il était végétarien aussi.
30:59 Oui, alors il mange des panades, il boit de l'eau.
31:05 C'est intéressant, à l'époque, parce qu'il ne voulait pas toucher aux animaux
31:09 qui ressemblaient trop à l'homme.
31:10 Voilà, voilà.
31:11 Et alors, la martise, elle, elle festoie, mais en ladre.
31:15 Alors les menus sont plutôt chiches et elle sert une piquette
31:19 qui s'appelle le vin de surène.
31:21 Mais qu'importe, les gens sont là pour le théâtre.
31:23 Alors, il y a le lundi, le mardi, on répète le théâtre l'après-midi.
31:27 Le jeudi et le vendredi, on joue.
31:30 Et Voltaire est sur scène, la marquise est sur scène.
31:34 Et on sent diable.
31:35 Revenons à François de Saint-Lambert.
31:39 Notre petit roi.
31:40 Non, notre petit bonhomme qui est au service du roi Stanislas.
31:46 Quand il voit la marquise, il y a quelque chose qui se déclenche.
31:49 Toujours, là encore, l'intelligence, parce que cette dame,
31:53 à son âge, près de 40 ans, elle n'a plus l'éclat de la jeunesse,
31:57 il n'en reste pas moins, qu'il s'embrase.
32:00 Et un jour, Voltaire pénètre l'appartement et il les surprend
32:05 dans un tête-à-tête qui n'a rien à voir ni avec les sciences,
32:09 ni avec la poésie.
32:10 Disons que voilà, on a changé de versification.
32:13 Alors là, une tempête, c'est intolérable.
32:16 Il hurle, il brise les éléments qui sont autour de lui.
32:19 Et puis, les deux amants sont là, se pelotonnent,
32:24 et ils pleurent, ils demandent pardon.
32:26 Et lui, il est tellement touché, il pleure aussi.
32:30 Et les voilà, tous les trois, qui retrouvent la complicité.
32:35 Il tolérera qu'il soit amant quelques mois.
32:38 Malheureusement, ils s'aperçoivent que la marquise est enceinte.
32:42 Oh là là, le drame.
32:43 Alors déjà, on est avec du concubinage, ce qui est intolérable.
32:46 Et maintenant, tout le monde sait que ça ne peut pas être Voltaire.
32:50 Alors, que peut-il faire ?
32:52 On convoque le marquis, on lui dit "mais on serait très heureux,
32:55 ça fait longtemps que vous n'êtes pas venu au château".
32:57 Le marquis se présente, elle est là, elle a mis cette plus belle perde,
33:00 elle est fardée comme il n'est pas inimaginable.
33:04 Elle est comme une gourgandine.
33:09 Et le pauvre militaire ne se tient plus.
33:12 Et yap, il s'en laisse aller.
33:14 Quelques jours plus tard, il dit "bravo monsieur le marquis,
33:16 madame la marquise est enceinte".
33:21 Et lui, il y croit.
33:23 Et une petite fille naît au mois de septembre.
33:28 Malheureusement, la marquise, qui a plutôt bien vécu la naissance,
33:35 demande à ce qu'on lui serve, six jours après,
33:38 un verre d'orgeat avec de la glace.
33:41 On ne sait comment la physiologie supporte ça, toujours est-il
33:45 qu'elle connaît les fièvres et elle meurt.
33:48 Alors là, c'est l'effondrement pour Voltaire.
33:51 C'est intolérable.
33:53 Et il apostrophe Saint-Lambert, il dit "eh monsieur,
33:56 mais quelle idée vous a pris de lui faire un enfant ?"
34:00 Et il pleure, il pleure, il est inconsolable.
34:02 Et pour autant, il faudra bien rebondir.
34:06 17 ans d'un amour qui l'habitera toute son existence.
34:12 Mais les lois de la vie, c'est de toujours pouvoir se placer
34:18 dans l'enthousiasme et la grande force.
34:22 C'est que quand on est un créateur, il travaille 14 heures par jour,
34:25 elle travaillait 14 heures par jour.
34:26 Il n'y a pas un seul instant où on se laisse aller,
34:30 à part ce que je vous ai dit de temps en temps, un peu la chasse, etc.
34:34 Il faut toujours être dans la création et grâce à sa plume,
34:38 il surmontera ce sinistre événement.
34:42 Voltaire inconsolable, mais il ne peut pas rester dans les pleurs
34:46 et Voltaire ressuscite toujours.
34:49 Que se passe-t-il après ?
34:50 Eh bien après, déjà, il y a un personnage qui depuis des années,
34:55 il l'a courtisé, il a d'ailleurs fait un court séjour chez lui,
34:59 c'est Frédéric II de Prusse.
35:01 Le prince qui se veut philosophe et pour lui, l'idole, c'est Voltaire.
35:07 Il lui avait envoyé un premier courrier avec sa propre poésie,
35:13 une canne et un pommeau en or qui était la tête de Socrate.
35:18 Il l'appelle Socrate, il le supplie de venir à la cour.
35:22 Le roi Louis XV acceptera qu'il rejoigne Potsdam,
35:26 le château du sans-souci pour jouer les espions
35:29 et pour autant, il y aura la guerre.
35:31 Il a quitté le prince Frédéric II, le roi Frédéric II,
35:37 et maintenant, eh bien de nouveau, comme celui-ci insiste,
35:41 il passera trois ans avec lui, d'autres scientifiques français,
35:46 car cet homme-là s'en tiche de tous les intellectuels.
35:54 Il veut que ce soit la cour des philosophes.
35:57 Malheureusement, Voltaire, c'est plus fort que lui.
36:00 Il y a une opération financière qui est montée
36:02 et qui n'est réservée qu'à une partie du peuple prussien
36:05 et lui s'immisce là-dedans.
36:07 Il escroque en quelque sorte, il a tenté d'escroquer Frédéric II,
36:10 qui se fâche, il est obligé de nouveau de cavaler.
36:14 Et là, pas question de revenir à la cour de France,
36:17 pas question, eh bien il se retrouve avec sa nièce,
36:20 Madame Denis, qui est veuve.
36:22 Il se retrouve à rôder du côté de Genève.
36:27 Au bout de quelques temps, comme on ne peut pas jouer au théâtre à Genève,
36:30 il s'installe dans une propriété qui s'appelle les Délices,
36:34 et puis il achète la terre de Ferney et la terre de Theret.
36:43 Et là, il s'installe, il devient un presque roi.
36:47 C'est son royaume qu'il place dans une situation de prospérité incroyable
36:54 pour le bien de toutes les populations.
36:56 -Ferney, un royaume.
36:58 -C'est incroyable.
37:00 Et alors là, véritablement, ça va durer 18 ans.
37:03 Avec Madame Denis, qui est devenue sa maîtresse,
37:06 n'ayons pas peur des mots, la grosse Denis.
37:08 Elle se targue d'être intellectuelle, elle est un peu balourde, mais qu'importe.
37:12 Il fait tout pour lui faire plaisir.
37:14 Il lui laisse même l'illusion qu'elle a des dons pour le théâtre.
37:18 Alors il est crié le soir, parce que forcément,
37:20 dans ce palais, il y a un théâtre.
37:23 Le lieu devient encore plus invraisemblable de luxe que Cyrènes.
37:30 Et puis, viennent là toutes les aristocraties de l'Europe,
37:38 tous les intellectuels, mais également ceux qui, malheureusement,
37:42 sont les exclus de la société.
37:44 Par exemple, les jésuites sont chassés.
37:46 Eh bien, certains se réfugient chez lui, lui, il impie.
37:49 Et entre autres, il y a le père Adam.
37:51 Ah, le père Adam, il se toque d'amitié pour lui.
37:54 Il faut dire que le père Adam adore jouer aux échecs.
37:57 Et ça, jouer aux échecs.
37:59 Ah, Voltaire, il adore.
38:00 Alors, ils se retrouvent ensemble, et le père Adam, il joue très, très bien.
38:04 Tellement bien qu'il a tendance à battre trop souvent Voltaire, ça l'agace.
38:09 Alors, le voilà qui…
38:11 Là, le père Adam comprend qu'il vaut mieux qu'il perde.
38:14 [Rires]
38:16 Sinon, il devra subir une colère de notre attrabilaire Voltaire.
38:22 Et pour autant, il y a aussi cette action par rapport aux Autochtones.
38:30 À Genève, les horlogers connaissent une crise.
38:33 Ils récupèrent les employés qui ont été chassés de leur emploi.
38:38 Ils créent des mondes grâce à eux, une véritable entreprise.
38:44 Il appellera ça les montres philosophiques.
38:46 Mais il ne suffit pas de les fabriquer.
38:48 Elles sont magnifiques.
38:49 Ce sont de beaux bijoux avec des petits portraits, vous savez, qui sont en cache.
38:55 Il en envoie un, une à la pompadour, qui s'émerveille, la pompadour, la maîtresse du roi.
39:03 Il en envoie une au cardinal de Bernice.
39:06 Ah, le cardinal de Bernice qui est à Rome dans les petits papiers du pape.
39:12 Et il veut que ce cardinal de Bernice fasse en sorte que tous les cardinaux aient envie de porter une montre philosophique.
39:21 C'est extraordinaire et ça marche.
39:25 N'oublions pas que grâce au pape, il lui avait envoyé Mahomet.
39:31 Mahomet qui créait un scandale quand il l'a écrit.
39:36 Et comme il était constamment refusé à l'académie, il demande au pape,
39:40 lui qui ne cesse de critiquer l'infâme, l'infâme c'est l'Église, c'est pas Dieu, c'est l'Église.
39:46 Eh bien, il obtient du pape une aide qui lui permettra de gagner l'académie.
39:51 Et avec les paysans, il est là et il les traite, mais d'une façon incroyable, les paysans.
39:58 Il n'a plus de civet.
39:59 Il dit "Eh mon ami, n'y aurait-il plus de migration de lièvres par ces temps entre mes deux domaines ?"
40:08 Le sauveur des pauvres.
40:09 Le sauveur des pauvres et puis surtout, également, le sauveur des victimes de la société.
40:15 L'affaire Calas, il en entend parler, c'est-à-dire que cet homme qui a été accusé d'avoir tué son fils
40:22 parce qu'il ne voulait pas, il n'aurait pas voulu qu'il se convertisse au catholicisme,
40:29 il est pendu, enfin oui, il est exécuté.
40:32 Eh bien, Voltaire se bat pour lui, pour sa réhabilitation.
40:36 Il accueille sa veuve chez lui et il remporte ce succès.
40:39 Le jeune chevalier de la barre, 20 ans, qui se promenait avec les comptes philosophiques dans sa poche
40:47 et qui aurait blasphémé, il est exécuté.
40:51 Voltaire veut le défendre.
40:53 Voilà cet homme et c'est là où il est dans la splendeur,
40:57 où il est plus extraordinaire que quiconque,
41:00 où il est vraiment ce prince, ce roi de la liberté et des plus démunis.
41:07 Il déteste l'injustice, il déteste l'intolérance.
41:12 On va arriver vers la fin de la vie de cet homme.
41:16 La boucle sera bouclée puisqu'on a commencé par la fin de celle-ci.
41:20 Une mort indigne.
41:21 Après 18 ans dans son domaine, 18 ans à faire né.
41:29 De règne.
41:30 De règne, oui.
41:31 Qu'est-ce qui se passe concrètement ?
41:33 La fausse mère de Nys, la nièce, déjà elle l'a escroquée,
41:37 elle a shippé ses écrits qu'elle a vendus à des éditeurs,
41:41 à ça elle l'a fâchée.
41:42 Elle est conduite à un an d'exil.
41:46 Mais ça la satisfaisait parce qu'elle sortait de ce monde
41:49 qui était un peu trop recroquevillé pour elle.
41:52 Néanmoins, elle revient, sans lui, elle n'existe pas.
41:55 Et puis elle le pousse, il faut monter à la capitale, il faut monter à la capitale.
41:58 Il décide en 1778, à 83 ans, de regagner ce pari qu'il n'a pas vu depuis 28 ans.
42:07 Vous vous rendez compte ?
42:09 Et le voilà, le diffévillier qui pénètre avec le carrosse,
42:13 il se rende chez M. De Villette, en son hôtel particulier,
42:19 qui les reçoit, il est accueilli dans sa malle.
42:23 Il y a Irène, sa dernière pièce.
42:25 Il la propose à la comédie française.
42:27 Que les comédiens lui offrent la jouissance de cet instant.
42:33 Il assiste aux répétitions de temps en temps, il va mal, il se couche,
42:36 il va tellement mal qu'il finit par appeler un curé,
42:39 car il ne voudrait pas crever comme un chien, finir à la fausse.
42:44 Alors…
42:45 Voltaire appelle un curé ?
42:46 Voltaire, le curé de Saint-Augustin.
42:49 L'homme qui s'est battu contre l'Église de Thiers ?
42:50 Contre l'Église, qu'il appelait l'infâme.
42:53 Sauf que…
42:54 L'homme des Lumières.
42:55 L'homme des Lumières, mais sauf que si,
42:57 il ne fait pas amende honorable,
42:59 il n'aura pas la bénédiction,
43:01 il ne pourra pas gagner le cimetière.
43:03 Et le voilà, qui murmure au curé.
43:08 Je meurs en admirant Dieu.
43:12 Je meurs en admirant Dieu.
43:14 En aimant mes amis,
43:16 en n'haïssant pas mes ennemis
43:20 et en méprisant la superstition.
43:25 Je me sens qu'il y a un peu une petite écorchure à la religion.
43:28 Mais ce n'est pas dire, en tant que tel.
43:29 Reste que quand le curé de Saint-Sulpice apprend ça,
43:32 il dit "ce n'est pas possible, c'est de l'imposture".
43:35 Et il ne peut pas admettre qu'il est revenu dans la religion.
43:39 Et puis il y a la scène, comme il va mieux,
43:41 il y a la scène que l'on a décrite tout à l'heure,
43:44 à savoir l'accueil à l'Académie,
43:46 le triomphe total,
43:48 plus que s'il était véritablement roi à la comédie française.
43:53 Reste que ceux qui ne sont pas présents,
43:56 c'est le roi Louis XVI et Marie-Antoinette,
43:59 qui le boudent à tout jamais.
44:01 Et quand il revient, il court Paris, tout va bien, il est guilliré.
44:05 Mais à nouveau, la maladie est là.
44:07 Eh bien, l'infâme Dame Denis le met dans une maisonnette au fond
44:13 du parc de l'hôtel de Villette.
44:17 Il est sous la garde de deux harpies.
44:19 La Bardi, qui est cuisinière.
44:22 La Robert, qui est une garde malade.
44:25 Elles sont là, friponnent, elles se laissent aller,
44:28 égriardent le pauvre qui est dans les souffrances.
44:30 Lui, si élégant, lui qui faisait attention à prendre un bain tous les jours.
44:35 Il est souillé, on ne lui change pas ses linges, rien.
44:39 Il est là, il meurt en entendant ces abominables femmes
44:45 qui s'égosillent et qui font venir des êtres douteux à ses côtés.
44:49 De temps en temps, on voit Tronchin qui se présente.
44:52 Tronchin, c'est son médecin qui le suit depuis des années.
44:55 Il lui dit "eh monsieur, ne me laissez pas mourir".
44:57 Il lui dit "monsieur, il est temps de mourir".
45:02 Et malheureusement, un soir, le 30 mai, à 23h,
45:06 alors qu'il ne cessait de crier l'après-midi,
45:08 "il est là, je le vois, c'est le diable, il veut me prendre".
45:12 Et un dernier cri, un cri terrible.
45:15 Il s'effondre.
45:17 "Monsieur de Voltaire, est-ce que c'est le diable qui l'accueille ?
45:20 Toujours est-il qu'il gît sur son lit.
45:23 L'abbé Mignot, qui est son neveu, est tout de suite appelé.
45:26 Et il le fera habiller après que son crâne avait été enlevé,
45:32 placé dans un pot de confiture, on le perdra le crâne,
45:36 le cœur, placé dans une boîte, et lui,
45:39 en majesté à côté d'un laquet dans un carrosse,
45:42 pour aller à côté de Troyes, à l'abbaye de Seillères,
45:45 afin de pouvoir, grâce à l'abbé Mignot,
45:48 être enterré en dignité après une messe
45:51 et placé dans le cœur de l'Église."
45:54 Il est mort le 30 mai 1778.
45:57 Il entre au Panthéon le 11 juillet 1791,
46:01 moment fort, on ne peut pas tout dire,
46:03 mais formidable vie de Voltaire, ce qu'il faut retenir.
46:06 Une longue vie pour un mort-né.
46:09 L'impertinence viscérale.
46:11 Infréquentable pour la cour, il passe une grande partie de sa vie en exil.
46:16 Son grand amour, Émilie du Châtelet,
46:18 a tout jamais le roi de la liberté.
46:22 Deux livres à conseiller sur le grand destin de Voltaire.
46:26 Voltaire, de Jean Haurieux.
46:28 Et vous avez choisi aussi le fanatisme,
46:30 "Mohammed le prophète", pièce de théâtre de Voltaire.
46:32 Pourquoi ?
46:32 Eh bien déjà, parce que c'est une pièce merveilleuse,
46:35 d'une grande modernité,
46:37 et c'est ce qui lui permet d'obtenir la bénédiction du pape.
46:43 Ainsi va le grand destin de François-Marie Arouet,
46:47 ou plutôt Voltaire.
46:49 Merci à la bibliothèque de Genève pour sa complicité,
46:53 qui nous a permis d'avoir de belles illustrations.
46:55 Et puis, Voltaire, pour passer un moment avec lui,
46:59 vous avez sa demeure des délices toujours à Genève.
47:02 Et quand vous êtes là-bas, forcément,
47:03 à une encablure, le domaine de Ferney, en France.
47:07 Bonne visite et à la semaine prochaine.