Christine Kelly et Marc Menant reviennent sur les personnages célèbres qui ont fait l’histoire dans #LesGrandsDestins
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00:00 Bonjour à tous, ravie de vous retrouver pour un nouvel épisode de cette émission "Les grands destins",
00:05 cette émission qui revient sur ceux qui ont fait l'histoire.
00:08 Aujourd'hui, avec Marc Menand, nous allons nous arrêter sur la vie et le grand destin de Jean-Baptiste Pauclin,
00:15 autrement dit Molière, le plus célèbre des comédiens et dramaturges de la langue française.
00:20 Des écrits pour plaire, pour égratigner, pour faire rire, pour sourire, pour faire réfléchir.
00:26 Tartuffe, l'école des femmes, le malade imaginaire, Lavar, Donjon, le bourgeois gentilhomme, ou encore les précieuses ridicules.
00:33 Nous connaissons tous ces œuvres, mais qui est vraiment Molière ?
00:38 C'est ce que nous allons voir avec vous. Bonjour Marc.
00:41 Alors si on décrit le français comme étant la langue de Molière,
00:46 ça veut dire que l'empreinte qu'il a laissée pour nous en France est une empreinte puissante de culture. Pourquoi Molière ?
00:52 Alors déjà, la langue commence à se fixer depuis peu de temps.
00:56 N'oubliez pas, l'académie française est créée sous Louis XIII et par conséquent c'est Richelieu.
01:03 Et de son vivant, on est sous Louis XIII, on est sous Richelieu.
01:07 Et très tôt, il développe ce goût d'une langue qui pétille, d'une langue qui révèle, je dirais, toutes les capacités de l'esprit à s'épanouir,
01:18 que ce soit, dans l'ironie, vous l'avez dit, le rire le plus total, mais aussi la philosophie.
01:24 Et grâce à tout ça, c'est la liberté qui s'offre à l'être humain.
01:28 Mais vivre en convivialité, vivre en amitié, vivre en amour, et tout ça dans le déchirement, je dirais, dans les éclats du rire, il n'y a pas plus beau, non ?
01:40 Il n'y a pas plus beau. Et on va commencer par une anecdote, j'aime bien.
01:44 Commencez par une anecdote pour planter un peu le décor, pour savoir qui est Molière.
01:49 Allez, une anecdote pour savoir un peu qui était Molière.
01:57 Louis XIV a beaucoup guéroyé et là il a remporté, on est en 1670, il a remporté une victoire décisive sur les Espagnols, c'était aux Pays-Bas.
02:06 Et maintenant il voudrait avoir de bons échanges avec le Grand Turc.
02:12 Et il y a un ambassadeur dont on lui parle qui représente ce Grand Turc qui est à Paris.
02:17 Il fait concevoir de très beaux vêtements, tout rituel, avec des pierres scintillantes.
02:21 Arrivez là, le personnage se présente à lui en habit tout à fait parisien.
02:27 Ça le fait rire et il se dit qu'il y a une pièce à écrire à partir de cela.
02:32 Il convoque Molière, il lui dit "faites-moi un ballet où on aurait un côté ridicule par rapport à ce Moyen-Orient".
02:40 Et Molière s'enferme avec l'interprète qui est un chevalier d'Arvieux, avec Lully pour la musique.
02:48 Et ensemble ils vont à sa maison d'Auteuil et là il compose "Le Bourgeois Gentilhomme".
02:56 Et à Chambord, quelques mois plus tard, ils vont se présenter.
03:01 Quand je dis quelques mois, c'est quelques semaines plus tard.
03:03 Il se présente et attaque avec Lully qui est là, qui joue le grand mufti.
03:11 Et puis Molière, M. Jourdain, ils se laissent aller.
03:15 Ils ont l'impression d'être extrêmement brillants, bien qu'apparemment le parterre, c'est-à-dire le roi, n'ait pas beaucoup de réaction.
03:22 Et quand il termine, effectivement pas le moindre applaudissement.
03:26 Il est effondré, le roi se retire.
03:29 En général, il a toujours un mot et il s'enferme dans sa chambre.
03:33 Il appelle Baron, l'un de ses comédiens, il dit "il faut savoir ce qu'ils ont dit, ce qu'ils ont dit, ce qu'ils ont dit".
03:38 Et quand Baron lui rapporte, apparemment oui, les échos ne sont pas très favorables.
03:42 Il est désespéré et cinq jours après, il y a une nouvelle représentation.
03:46 Imaginez l'angoisse, reparaître devant le roi alors qu'il propose la même pièce.
03:52 Bien sûr, il a retaillé quelques petites répliques, mais bon, il a l'angoisse, Lully aussi.
03:58 Et puis de nouveau, la musique, Lully en grand muti.
04:03 Et puis donc, notre Molière en Monsieur Jourdain.
04:06 Et à la fin, le roi qui applaudit, le soulagement.
04:12 Et le roi qui lui dit "mon cher Molière, jamais vous ne m'avez fait autant rire, cette pièce est une merveille".
04:20 Et voilà comment Molière, bien qu'égratignant les grands, et même parfois le roi, a toujours besoin de plaire.
04:28 On verra justement dans son enfance comment et pourquoi il a eu peut-être ce besoin de plaire.
04:34 C'est parti pour l'enfance de Molière.
04:36 Est-ce qu'on a vraiment des documents déjà pour savoir un peu, avoir des informations sur sa naissance ?
04:47 C'est difficile. C'est difficile. Alors oui, fils du tapissier du roi.
04:51 Attention, c'est pas n'importe quoi, tapissier du roi.
04:54 Vous faites partie d'un entourage qui, le matin, assiste au lever.
05:00 Son père, ici.
05:01 Oui, son père. Et vous avez deux valets de pieds qui sont là au pied du lit
05:06 et qui s'occupent de remettre les couvertures qu'au pied du lit.
05:09 Également, quand le roi, tout à l'heure, j'évoquais Chambord, mais s'il va à Fontainebleau,
05:13 d'un lieu à l'autre, on a tous les rideaux, toutes les tapisseries qui cheminent dans de grandes charrettes.
05:22 Et c'est à eux de réinstaller le décor. Ils sont huit au total et ils fonctionnent par trimestre.
05:29 Voilà donc la profession du père qui a un très bel atelier du côté des Halles.
05:34 Et on ne sait pas grand-chose de ce gamin.
05:37 Ce qui perle, c'est qu'entre autres, quand il est à l'adolescence,
05:41 il a perdu sa maman quand il avait dix ans.
05:44 Et celui qui s'intéresse à notre bonhomme, c'est le grand-père.
05:48 Et il l'emmène dans ces rues de Paris qui sont un véritable cloaque.
05:53 Quand il pleut, la boue, les excréments, tout ça se mélange.
05:56 C'est pestilentiel. Mais il y a les bonimenteurs, les gens de foire.
06:02 Il adore traverser les ponts où là, vous avez sur des traiteaux,
06:06 des énergumènes qui sont en train de mimer le quotidien.
06:09 Ça l'amuse. Et il se dit peut-être qu'un jour,
06:12 il serait lui aussi des hommes sur les planches.
06:16 Mais pas comme ceux-là. Comme ceux de l'hôtel de Bourgogne.
06:19 C'est-à-dire, quand avec le grand-père, on se rend dans ce lieu
06:24 où c'est le roi qui a les finances et qui patronne les comédiens.
06:30 Et là, on sort de la farce. Rien de grotesque.
06:33 C'est avant tout corneille que l'on joue.
06:37 C'est-à-dire, ces mots qu'il chante,
06:41 il chante tellement qu'on dit d'ailleurs "faire ronfler le verre".
06:44 Et ça, ça le lagasse. Il trouve qu'ils en font un peu trop.
06:47 Après, on le voit, c'est au collège de Clermont.
06:52 Il fait son entrée parmi les bourgeois. On côtoie les aristocrates.
06:57 - Le collège qui est aujourd'hui le Collège Louis-Le Grand.
06:59 - Voilà, tout à fait. Les aristocrates viennent avec leurs domestiques.
07:04 Nous, il n'y en a pas. Et vous avez une sorte de barrière
07:07 qui, dans les classes, fait la scission entre les bourgeois et les aristocrates.
07:14 Mais sinon, on est là, on se laisse aller, le latin, le grec.
07:18 Et il y a aussi des cours de théâtre.
07:20 Et forcément, tout ça l'attise dans ce goût de mimer les scènes de l'existence.
07:28 Et on ne sait pas comment ils se rendent compte.
07:30 Toujours est-il que du côté des Halles, il y a une famille.
07:32 Une famille originale, les Béjars.
07:35 Le père n'est pas très constant dans ses emplois. Il déménage souvent.
07:40 Grâce à maman, on arrive à avoir une vie plutôt décente.
07:44 Et il y a Madeleine. Madeleine Larousse. Elle est belle.
07:48 Elle a 4 ans de plus que lui. Et ils entrent en connivence.
07:51 Madeleine, elle a déjà une petite fille.
07:54 Et puis, il y a une petite dernière qui est née, Armande.
07:57 C'est ce qu'on dit, tout du moins.
07:59 Ça paraît bizarre, parce qu'Armande, toute petite, alors que maman serait si âgée.
08:03 Bon, on s'arrête là.
08:05 Et on entre en sympathie. Et ensemble, on parle théâtre.
08:09 Et puis, il y a les frères, les sœurs.
08:11 Et on se dit, et si on montait un théâtre ?
08:14 Et c'est comme ça qu'ils créent une sorte d'association.
08:18 Ils prennent l'engagement d'avoir les responsabilités tous ensemble.
08:21 Et puis aussi de partager les parts, si on a du public, de façon totalement égale.
08:27 Et on va jouer quoi ? On va jouer du lermite.
08:30 On va jouer du corneil. Il faut un théâtre.
08:33 Mais la nécessité de l'argent.
08:36 Maman est morte bien des années avant, il y a 10 ans maintenant.
08:41 Il est l'âge de pouvoir réaliser l'héritage.
08:45 Il demande à son père.
08:46 Son père, il fulmine de savoir que son fils, alors qu'il pense qu'il le suivra en tapissier,
08:53 eh bien qu'il s'intéresse à ce métier de saletin-banque, ça ne le réjouit pas.
08:57 Mais bon, c'est un brave homme.
08:59 - Un métier, rappelons-le, très mal vu à l'époque. On est hors la loi.
09:02 - Oui, alors néanmoins, c'est vrai, mais avec une amélioration depuis Richelieu.
09:06 On est sortis de la farce.
09:08 Alors bon, notre homme Olière, ensemble, il crée l'illustre théâtre.
09:12 On achète un théâtre et alors là, on essaie de faire en sorte que ce soit bien.
09:17 Je vous ai dit tout à l'heure, Paris, c'est un véritable cloaque.
09:20 S'il pleut un peu, c'est de la boue.
09:22 Alors il faudrait que ces dames qui se rendraient au théâtre
09:24 puissent ne pas avoir à souiller leur soulier.
09:28 Et on s'est carrément pavé le devant du théâtre.
09:32 On engage deux violonistes, un rabatteur qui est là, qui aile la foule.
09:37 Et à 2 heures de l'après-midi, on donne les premières séances.
09:41 Ça se passe plutôt bien, mais rapidement, je dirais que les affaires ne sont pas assez éclatantes.
09:48 On s'endette, on s'endette, on changera de théâtre.
09:50 Toujours est-il qu'à la fin, c'est la faillite et malheureusement trop de dettes.
09:54 Ce qui fait que notre homme Olière est carrément placé en prison.
09:57 Et son père doit intervenir pour l'en sortir.
10:00 Adieu Paris.
10:01 Parce que si on veut continuer, on a compris que l'expérience ne pouvait se faire qu'ailleurs.
10:06 Et c'est là qu'il rencontre un dénommé Dufresne, qui a sa propre troupe, qui joue en province,
10:12 et qui a pour mécène le duc d'Epernon.
10:16 Et c'est dans le sud de la France, en particulier dans Languedoc, et les voilà qui partent.
10:21 Alors juste avant de les suivre pour la province, c'est intéressant de voir comment finalement,
10:26 c'est très difficile de se faire un nom à Paris.
10:29 Et que les finances, il faut toujours trouver un mécène.
10:32 Et on va revenir sur cette histoire.
10:34 Rappelons qu'il est né le 15 janvier 1622, vraiment dans une France assez particulière.
10:39 Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.
10:44 Ça c'est une phrase, une citation de Molière.
10:47 On va partir avec lui en province, le suivre tel un saltimbanque.
10:51 Le voilà tel un saltimbanque, il quitte Paris pour la province du coup.
11:00 Alors attention au mot saltimbanque, vous savez, on voit tout de suite ceux qui vont dans les foires,
11:07 dans les villes, une fois par an, l'effervescence, et puis ceux qui interpellent la foule.
11:13 Et hop, on est sur les traiteaux.
11:15 Oh que nenni ! On est là avec une troupe qui a un mécène, le duc d'Epernon.
11:21 C'est grâce à monsieur Dufresne, qui est le leader de cette troupe, le chef.
11:25 Il a rencontré Molière, il a tout de suite senti la passion de ces gens
11:30 qui ont connu l'échec à Paris, mais qui ont du talent.
11:34 Alors il les engage et rapidement, Molière devient le chef de la troupe.
11:40 Non pas qu'il soit, vous savez, celui qui s'impose en arriviste,
11:45 non mais dans ses façons d'être, il a le charisme, il a le sens de l'organisation.
11:50 Quand il y a un petit problème, tout de suite, il a la solution, un enthousiasme.
11:55 Jamais la moindre crispation.
11:57 Alors galvanisant les uns et les autres, on le suit.
12:02 On le suit comment ?
12:04 Alors vous avez les décors, les costumes, là encore,
12:08 c'est pas les petits fracs de ces comédiens, ces saltimbans.
12:13 Là vous avez vraiment une troupe avec des voituriers qui sont engagés
12:18 et eux, ils cheminent soit en carrosse quand on caote sur les routes
12:22 ou alors carrément, on prend les coches d'eau.
12:25 Et d'une ville à l'autre, deux, trois jours, on reste là,
12:29 on s'amuse, toujours l'esprit de fête.
12:33 Et quand on peut, on gratouille pour avoir quelques verres.
12:36 Ils ne sont pas encore auteurs.
12:38 Pour le moment, ils jouent les pièces des autres,
12:41 que ce soit l'ermite, que ce soit Corneille, tous les gens du temps.
12:45 Mais ça suce, parce que forcément, il n'y a pas énormément de pièces
12:50 qui sont à disposition des comédiens.
12:52 Une fois par an, c'est à Paris, au Palais de Justice,
12:55 qu'il y a une sorte de grande réunion,
12:57 où là, les uns et les autres passent d'un stand et achètent une pièce.
13:01 Et on les joue après en province.
13:03 Tant et si bien qu'à un moment donné, ils ont l'impression
13:06 qu'ils ne vont plus pouvoir briller dans les châteaux où ils sont accueillis.
13:10 Il y a aussi chaque province qui a ses états.
13:13 Alors les états, c'est là où on prend les grandes décisions pour la province.
13:16 Et pendant huit jours, tous les nobles se retrouvent.
13:20 C'est l'effervescence, et il faut une belle troupe
13:23 pour couronner ce type de manifestation.
13:27 Molière est les siens.
13:29 Et la première pièce qu'il écrit, c'est "Les tourdis",
13:32 la première fois qu'il crée quelque chose.
13:35 Alors il s'imprègne de ce qu'il butine dans les situations de rue,
13:40 dans les situations d'aristocrate.
13:42 Il commence à se moquer des uns et des autres.
13:45 Il joue l'imitateur aussi.
13:47 - Est-ce qu'il s'appelait déjà Molière à cette époque ?
13:49 - C'est une bonne question !
13:51 Alors, on commence à avoir une habitude qui naît chez les comédiens.
13:56 Comme s'ils voulaient se nobiliser,
13:59 ils ajoutent à leur nom un lieu dit,
14:03 quelque chose comme, alors je sais pas moi, c'est...
14:06 "Baptiston de Lière".
14:08 Et lui, il prend...
14:09 - Christine Kelly de Paris.
14:11 - Ah oui, carrément de Paris !
14:15 Et lui, il prend Molière.
14:17 La Molière, c'est une pierre.
14:19 Il y a des carrières de Molière.
14:21 Donc voilà, il prend Molière.
14:23 Et puis, ça, ça le touche beaucoup.
14:26 Quand il était au collège de Clermont,
14:28 il a eu Gassandi, quelques relations comme ça, vous savez,
14:31 ces philosophes libertins.
14:33 Et on a parlé de qui ?
14:35 Entre autres, d'un personnage qui s'appelle Molière d'Essertine.
14:40 Il est mort à 24 ans, assassiné.
14:42 C'était un impi.
14:44 C'était un garçon qui avait beaucoup de talent.
14:46 - C'est lugubre.
14:47 - Oui, mais simplement, c'est lui rendre hommage.
14:50 C'est presque prolonger sa plume.
14:53 Et c'est comme ça qu'un jour, on se retrouve avec Poclain-Molière.
14:57 Le Poclain disparaîtra, restera Molière.
15:01 Alors, ils vont de ville en ville dans ces états qui s'organisent.
15:05 On les voit passer en Avignon.
15:07 On les voit passer dans tout le Languedoc.
15:10 Ils montent à Lyon, ils vont à Pézenas.
15:12 Et le duc d'Épernon finit par se détourner d'eux.
15:17 Mais grâce à l'abbé de Connac,
15:19 on a la chance d'entrer en relation avec un personnage incroyable.
15:25 Le prince de Conti, le frère du grand condé.
15:29 Là, on est directement dans la famille royale,
15:31 même si ces gens vont entrer en dissidence
15:34 et être ceux qui mèneront la fronde.
15:37 Mais c'est la splendeur, c'est la richesse.
15:40 On ne manque plus de rien.
15:42 C'est extraordinaire.
15:44 Ils ne me pouvaient pas rêver mieux.
15:46 Et il y a des rencontres qui les marquent.
15:49 Avignon.
15:50 On a Pierre Mignard, qui est un peintre.
15:55 Tout de suite, la sympathie qu'il se dégage.
15:58 Il faut dire que quand on a terminé le soir,
16:01 on aime se rendre dans les tavernes,
16:03 prendre le verre,
16:05 se laisser aller à toutes les humeurs les plus joyeuses.
16:08 Et il y a ces rencontres comme cela,
16:11 avec des personnages qui sont dignes
16:14 d'accompagner ces instants d'enthousiasme.
16:17 Et Mignard est de cela.
16:19 Il peindra le premier portrait de Molière,
16:22 l'un des rares que l'on ait.
16:24 Et la femme de Mignard leur offre carrément
16:26 le jeu de paume qu'elle possède
16:28 pour le transformer en théâtre.
16:31 La fronde s'arrête.
16:33 On n'a pas le temps de tout...
16:35 On a compris l'état d'esprit qui est le leur
16:37 durant ces 13 années.
16:38 - C'est intéressant, parce que ces 13 années,
16:40 ça a duré, il se forge un certain professionnalisme.
16:43 - Oui, c'est-à-dire qu'ils affinent leur talent.
16:47 Et surtout leur manière de jouer.
16:49 Ils reprochent aux grands comédiens de Paris,
16:53 ceux qui sont considérés comme étant les exemples,
16:58 de faire ronfler les verres.
17:01 Vous savez, on déclame.
17:03 Et eux, ils dépouillent cela.
17:05 On entre dans quelque chose de plus naturel,
17:07 dans le ton de conversation.
17:09 Ce qui vient très rapidement déplaire à qui ?
17:12 À Corneille.
17:13 Parce que je vous l'ai dit, c'est la fin de la fronde.
17:15 On se dit, il serait peut-être bien
17:16 de remonter du côté de la capitale.
17:18 Peut-être qu'on peut tenter de nouveau notre chance.
17:21 Et le mieux, c'est de passer par Rouen.
17:23 Rouen, c'est la plaque tournante.
17:25 Les grandes foires.
17:26 Il y a plusieurs théâtres.
17:28 Et c'est là que vit Corneille et son frère, le jeune Thomas.
17:32 Les grandes références du théâtre.
17:34 On toque à sa porte.
17:36 On tente d'entrer en amitié.
17:38 Ils ne sont pas très bien vus.
17:40 Justement pourquoi ?
17:41 Parce que Corneille, quand il les voit jouer,
17:43 il trouve que ça ne correspond pas à cette distinction
17:47 que les comédiens prennent,
17:49 qui est de la prêter.
17:51 Vous voyez ?
17:52 Et eux, ce qu'ils font,
17:54 c'est quelque chose de plus tac au tac.
17:58 De plus vivant, donc de plus poignant.
18:00 - Spontané, réactif, poigné.
18:01 - Voilà.
18:02 - Très admirable.
18:03 La différence de...
18:04 - Voilà.
18:05 Et Madeleine, elle se dit, on ne va pas rester à Rouen.
18:07 Elle monte à Paris.
18:08 Elle négocie pour acheter un théâtre du côté du Marais.
18:11 On engage le peu d'argent que l'on a.
18:13 Mais néanmoins, à force d'avoir côtoyé
18:15 de château en château les grands nobles,
18:17 on a maintenant un petit magot.
18:19 Et l'abbé de Connac,
18:21 qui leur avait permis de rencontrer le prince de Conti,
18:25 de nouveau joue un grand rôle
18:27 parce que cet abbé est devenu le confesseur de monsieur.
18:31 Monsieur.
18:32 Le frère de roi.
18:34 - Le prince de Conti.
18:35 - Le frère de roi.
18:36 - Incroyable.
18:37 Incroyable.
18:38 Le mot des petits mesclas.
18:39 Voilà qui va ouvrir la belle voie justement du mécénat,
18:42 puisqu'on ne peut rien faire sans le sou.
18:44 Le frère du roi comme mécène.
18:46 [Musique]
18:52 En quoi cette rencontre est-elle déterminante pour Molière ?
18:56 Parce que vous vous rendez compte,
18:57 le frère du roi, frère unique,
18:59 il pourra mettre sur les affiches
19:01 "Compagnie du frère du roi".
19:03 C'est un cadeau en or.
19:05 La rencontre se fait donc grâce à l'abbé.
19:08 Il faut savoir que Mazarin a décidé
19:11 d'installer le jeune prince en splendeur.
19:14 Donc il faut trouver un palais, un château.
19:17 C'est à Saint-Cloud.
19:19 Le lieu est merveilleux.
19:20 Et puis donc, afin d'organiser de grandes parades,
19:24 des fêtes qui marquent les esprits,
19:27 il faut une compagnie de théâtre.
19:29 Et là, en voyant Molière avec Madeleine Béjar,
19:34 elle est splendide, Madeleine.
19:36 La routine, elle a un charme.
19:38 Et puis il y a Marquise également,
19:40 la femme du gros René.
19:42 Marquise, c'est la splendeur des splendeurs.
19:44 Partout quand on la voit, les hommes sont amoureux.
19:47 D'ailleurs, on en parlera tout à l'heure,
19:49 il semblerait bien que quelques coquineries aient agité.
19:53 - On fera un petit chapitre cœur et amitié.
19:56 Pas coquinerie.
19:58 - Et toujours est-il que donc,
20:02 Madeleine Béjar permet de gagner Monsieur.
20:08 Et en les voyant jouer, il décide d'organiser une soirée pour le roi.
20:15 Mon frère, regardez, moi aussi j'ai mon théâtre.
20:19 La soirée se prépare et Molière,
20:23 en tant que chef de troupe, a estimé qu'il fallait,
20:27 c'est quand même étonnant étant donné les rapports
20:29 que nous avons évoqués il y a quelques secondes
20:31 entre lui et Corneille,
20:33 et pour autant il choisit une pièce de Corneille.
20:36 C'est lui qui va imposer l'humour.
20:38 C'est-à-dire, soit l'humour est gras
20:40 et ce sont les saletins banques de traiteaux,
20:43 soit au contraire, on est dans le drame,
20:47 on est dans ces grandes tragédies
20:49 et c'est donc Corneille la référence.
20:51 Alors là, on joue nicomède.
20:55 On se laisse aller.
20:57 Vous savez, les comédiens, ils ont une sorte d'intuition.
21:02 La sensation que le roi ne fait pas très attention,
21:06 qu'il est presque dissipé.
21:08 Et effectivement, quand le rideau tombe,
21:12 il n'y a pas le moindre applaudissement.
21:15 On a même l'impression, certains le diront,
21:18 que le roi a baillé.
21:19 Donc tout le monde regarde.
21:21 Louis XIV se voit à ses réactions.
21:23 Voilà. Ah bah oui.
21:25 Et si le roi ne bouge pas, forcément,
21:27 il ne se passe rien.
21:28 Et alors là, il retourne en commis,
21:30 il est pleuré.
21:31 Et il y a Madeleine qui dit "retourne, retourne,
21:33 il faut le gagner, il faut le gagner à notre cause,
21:35 sinon tu imagines".
21:36 Alors là, il réapparaît.
21:38 Il dit "sir, que votre majesté nous permette
21:41 de jouer l'un de ces petits accommodements
21:44 qui nous ont valu quelques rayonnements en province".
21:47 Et là, le roi baisse la tête.
21:50 Il accepte de subir de nouveau
21:54 l'un des passages de la troupe
21:57 et il joue le docteur amoureux.
22:00 Alors là, ce sont les rires.
22:03 Parce que c'est lui, c'est sa plume.
22:05 Et il sait tellement bien la servir.
22:07 Et les autres aussi.
22:08 Et ça s'escafe à la fin.
22:10 Le roi, ruti, lui dit "quelle soirée, quelle soirée".
22:14 Et voilà comment il va plus loin que ça.
22:17 Non seulement son frère est le mécène,
22:19 mais lui accorde le petit bourbon
22:23 donc à un théâtre qui dépend du roi lui-même.
22:28 - Exceptionnel.
22:29 Moralité, il va mieux faire confiance à sa propre plume.
22:33 - Il ne va cesser de le faire.
22:37 - On verra ça dans la deuxième partie.
22:39 Comment le roi, donc Louis XIV,
22:41 ne tarde pas à faire de Jean-Baptiste Pauclin
22:43 son nouveau maître des cérémonies, des fêtes royales.
22:46 On en parle dans un instant.
22:47 Comment Molière, l'homme aimé des femmes,
22:49 l'homme de l'amitié, fidèle en amitié, on en parlera.
22:52 Et puis le malade imaginaire, bien évidemment.
22:55 Et comment Molière se meurt dans la deuxième partie.
22:58 A tout de suite.
22:59 - Retour sur le grand destin de Molière.
23:02 On verra dans la deuxième partie,
23:04 Molière et le malade imaginaire, évidemment.
23:06 Comment Molière s'éteint, bien sûr.
23:08 On verra l'homme aimé des femmes, l'homme fidèle en amitié.
23:13 Et on verra aussi comment Jean-Baptiste Pauclin
23:15 a finalement été le nouveau maître des cérémonies,
23:19 des fêtes royales.
23:20 On voit ça tout de suite.
23:22 D'abord, Molière, étoile de la grande fête de Fouquet.
23:25 Le voilà donc repéré par les tout-puissants.
23:33 - Et Fouquet, vous l'avez dit,
23:35 quelques mois avant, s'est éteint Mazarin.
23:38 Celui qui était le parrain du jeune roi Louis XIV.
23:43 N'oublions pas, il n'a que 22 ans.
23:45 Et enfin, il s'est imposé.
23:47 Et les ministres se disent, les places se redistribuent.
23:52 Et celui qui pense devenir le premier ministre,
23:55 c'est Fouquet, le bras droit de Mazarin.
24:00 Et il organise une énorme fête à Vaulevicomte
24:06 pour, je dirais, montrer qu'il est vraiment le courtisan,
24:11 l'homme qui sait traiter le roi dans sa splendeur.
24:15 Il a fait construire un château exceptionnel.
24:18 Et là, il veut que la fête soit la plus grande fête
24:21 qui n'ait jamais eu cours.
24:23 - Tout c'est dit à leur roi.
24:25 - Oui, mais sauf que le roi ne va pas prendre ça
24:28 comme étant un hommage.
24:29 Il va prendre de l'ombre.
24:31 Mais assistons à ce spectacle.
24:34 Alors, il va y avoir 6000 invitations.
24:38 Et il a repéré la troupe de Molière.
24:42 Il a interpellé Molière.
24:44 Il lui a dit, trois semaines auparavant,
24:47 il me faut une pièce.
24:49 Il me faut un spectacle digne du roi.
24:52 Vous vous rendez compte ?
24:54 Le temps pour écrire, avec un théâtre éphémère
24:58 qui se tiendra dans les jardins du grand parc de Vaulevicomte.
25:04 Les installations de machinerie,
25:07 parce qu'il faut qu'il n'y ait pas uniquement un spectacle,
25:11 mais quelque chose d'unique, du jamais vu,
25:14 avec des machines, des décors qui s'ouvrent, qui se ferment.
25:18 Les 6000 invitations, donc,
25:22 lorsqu'on se présente,
25:24 chacun, il y a une loterie,
25:26 et chacun repart avec des cadeaux.
25:29 Les femmes, des diamants,
25:31 les hommes, des pierres,
25:33 éventuellement un pur sang.
25:36 Voilà comment Fouquet reçoit les uns et les autres.
25:39 Il y en a un qui souffre, c'est Notre Molière,
25:42 parce que la veille de la grande fête,
25:45 il n'a pas terminé son texte.
25:47 Le troisième acte, entre autres,
25:50 il n'a que les esquisses.
25:52 Eh bien, il faudra improviser.
25:55 Et là, voilà, alors, je vous passe
25:58 tout ce qui s'est déroulé l'après-midi.
26:01 Et enfin, c'est l'heure du théâtre le soir.
26:05 C'est à l'extérieur que l'événement se déroule.
26:10 Et alors qu'on s'attend à voir apparaître
26:12 un Molière en habit,
26:14 il est en costume de ville,
26:16 il interpelle le roi et dit "Majesté,
26:19 malheureusement, les comédiens sont malades
26:23 et nous ne pourrons pas vous proposer
26:26 notre spectacle, à moins,
26:28 à moins que les dieux n'interviennent".
26:31 Et là, la musique de Lully résonne
26:35 et dans le décor, sur le lac,
26:38 un rocher s'ouvre et de ce rocher,
26:41 jaillit au milieu de vingt jets d'eau,
26:44 Madeleine, déjà.
26:46 Et là, ensuite, les scènes se succèdent.
26:51 Ce sont les fâcheux.
26:54 Le roi est émerveillé.
26:56 Ça se termine à deux heures du matin
26:59 et c'est bien le seul qui obtiendra
27:01 des félicitations de sa majesté
27:05 qui est vexé d'avoir assisté
27:08 à de telles journées,
27:10 dignes de lui et non pas de son Premier ministre.
27:14 Il a déjà décidé de le faire arrêter
27:16 sous la pression, en plus, de Colbert.
27:19 En revanche, quand il félicite Molière,
27:21 il lui dit "Dites donc, vos fâcheux étaient extraordinaires,
27:24 mais il en manquait un, un fâcheux.
27:27 C'est le chasseur, le chasseur, il faut savoir."
27:30 Et là, le voilà qui lui donne des indications
27:33 pour composer un nouveau personnage.
27:36 Il lui dit "Il faudra venir me proposer
27:39 votre pièce ainsi modifiée
27:42 dans quelques semaines."
27:45 Notre fouquet est arrêté le 2 septembre
27:48 et le 23 septembre, à Fontainebleau,
27:51 Molière, sa troupe, joue les fâcheux,
27:54 je dirais co-signés par Louis XIV.
27:57 Il y aura plusieurs...
28:00 - Quel destin. - Quel destin.
28:02 - Et arriver comme ça à saigner le roi Louis XIV.
28:05 Justement, on va voir comment Molière devient
28:08 une pièce maîtresse des fêtes du roi Louis XIV.
28:11 Triomphe à la fête des plaisirs enchantés.
28:20 (Rires)
28:22 - Notons que la connivence...
28:24 Alors, sur les autres fêtes,
28:26 il est devenu le successeur de son père,
28:29 car il avait abandonné la charge,
28:32 la potentialité de la charge de valet de chambre,
28:36 donc de celui, valet tapissier,
28:39 à son jeune frère,
28:42 qui malheureusement est décédé.
28:45 Et il accepte de prendre la succession
28:48 de son propre frère.
28:50 Il sait que de temps en temps,
28:52 il est dans la connivence du roi.
28:54 Et le roi suit forcément tous les succès
28:57 qui sont les siens sur les scènes parisiennes,
29:00 parce que maintenant, il est devenu pratiquement
29:03 l'homme de la troupe du roi avec l'hôtel de Bourgogne.
29:07 De temps en temps, il lui donne son avis
29:11 et il lui demandera aussi de réaliser les spectacles
29:16 pour ces trois journées
29:20 de l'île des plaisirs enchantés.
29:23 Il veut que ce soit de la splendeur
29:26 qui fasse oublier Fouquet,
29:29 Fouquet qui est resté dans les mémoires
29:32 et qui là, attend son procès,
29:34 ça fait trois ans maintenant
29:36 que l'on ne cesse d'avoir des pièces à charge.
29:40 Il sera condamné à la prison à vie
29:43 et il faut oublier tout ça.
29:45 Et c'est pour qui ?
29:46 C'est grande fête.
29:48 C'est pour un coup de cœur.
29:49 Louise de la Vallière.
29:51 Il s'est marié le roi avec Marie-Thérèse d'Autriche.
29:55 Mais Marie-Thérèse d'Autriche,
29:56 non seulement elle n'est pas jolie,
29:58 elle ne fait qu'aucun effort pour parler le français.
30:02 Lui qui adore notre langue,
30:04 lui qui danse, qui virevolte,
30:06 elle n'a aucune élégance.
30:08 Et par conséquent, c'est en hommage à Louise de la Vallière.
30:12 Vous imaginez la situation ?
30:14 Vous avez la reine-mère, Anne d'Autriche,
30:16 vous avez la petite reine qui est dans l'ombre
30:20 et lui qui ne pense qu'à une chose,
30:22 émerveillée, Louise.
30:24 Et pour ce faire,
30:26 il fera même offrir par la reine-mère
30:29 une sorte d'épée tout en scintillement
30:32 avec des diamants devant tout le monde.
30:35 Et puis, il y a les pièces écrites par Molière.
30:39 La première, la princesse d'Élysée.
30:42 Alors, il faut savoir que le roi a engagé Vigarani
30:47 qui fait des décors en plus incroyables.
30:50 Vous savez, digne aujourd'hui des magiciens
30:53 qui sont capables de vous faire disparaître une pyramide.
30:57 Eh bien là, on est dans ces illusions-là.
31:00 C'est incroyable.
31:02 Et puis, Lully qui a réalisé lui aussi les musiques.
31:06 Première pièce.
31:07 Deuxième pièce, Tartuffe.
31:10 Tartuffe qui est un véritable succès,
31:12 qui fait rire le roi aux éclats.
31:15 C'est incroyable quand on connaît le sort de cette pièce
31:19 dans les semaines qui vont suivre.
31:21 Et puis, voilà, le dernier, c'est le mariage forcé
31:25 où il s'amuse de ces mariages
31:27 entre des personnes d'un certain âge
31:30 et des jeunes filles.
31:32 Ça pourrait le concerner directement
31:35 car lui vient de se marier avec Armande.
31:39 Ils ont eu un petit garçon, Louis,
31:41 et ils avaient même demandé au roi d'être le parrain.
31:44 Vous vous rendez compte ?
31:45 Vous allez me raconter ça.
31:47 Sur le chœur, justement, et ces petites histoires de chœur,
31:49 ça nous intéresse.
31:50 Vous allez nous raconter.
31:51 Parce qu'il y a Armande, voilà, tout n'est pas très net.
31:54 C'est vrai qu'en lisant ces pièces et en écoutant ces pièces,
31:56 c'est extraordinaire.
31:57 Et alors, le Tartuffe ?
31:58 Oui.
31:59 Succès ! Le roi heureux,
32:01 il demandera même plusieurs fois à ce qu'il soit rejoué,
32:03 mais sauf que les dévots.
32:05 Et la reine Anne d'Autriche trouve que c'est intolérable.
32:08 Comment ça on fait des dévots des hypocrites ?
32:10 Des personnages sans aucune morale ?
32:13 Des personnages capables ?
32:15 Des pertupertudes ?
32:16 Indignes du Seigneur ?
32:18 Il faut interdire ça, il faut interdire ça.
32:21 Et oui, la pièce, il est obligé de concéder,
32:24 bien que tendance à toute puissance,
32:26 le roi Louis XIV, il est obligé de concéder,
32:29 eh bien, une mise, je dirais, à l'écart de ce spectacle.
32:34 Néanmoins, cinq ans plus tard,
32:36 il accordera de nouveau à Molière le plaisir de le jouer,
32:40 ce spectacle.
32:42 En tout cas, cette grande fête de Nea Versailles,
32:46 c'était du 7 au 13 mai 1664,
32:49 juste pour dire un peu qu'il avait 42 ans,
32:51 il était encore dans la fleur de l'âge,
32:53 et tout allait bien pour lui.
32:55 On va parler justement de ces histoires d'amour
32:57 et sa fidélité.
33:04 Et sa fidélité en amitié, parce que c'est...
33:07 Voilà, le côté, ces histoires de cœur,
33:10 mais aussi, c'est un homme vraiment qui avait le sens de l'amitié.
33:13 Oui, mais vous savez, il est libertin.
33:16 La fidélité en amour, il faut se rappeler,
33:21 c'est d'ailleurs ce qu'il met en scène dans ces pièces.
33:25 Vous voulez un petit extrait ?
33:26 Oui.
33:27 "Pour être dévot, je n'en suis pas moins homme,
33:30 et lorsqu'on vient avoir vos célestes appâts,
33:34 un cœur se laisse prendre, ne raisonne pas,
33:36 et considérez en regardant votre cœur
33:40 que l'on est aveugle et qu'un homme est de chair."
33:45 Voilà, la chair parle, c'est-à-dire que de temps en temps,
33:48 il y a un petit frisson.
33:49 Dans toutes les escapades qu'ont été les leurs en province,
33:53 on se côtoie au quotidien, et de temps en temps,
33:56 forcément, il y a un émoi qui peut naître,
33:58 ou disons une tentation, et c'est tellement libérateur
34:01 de se relaisser râler, mais après, on reprend le quotidien,
34:05 et c'est comme ça que Madeleine est l'inséparable.
34:08 Ce qu'il faut savoir, c'est que Madeleine Béjar,
34:11 quand il l'a rencontrée, elle a quatre ans de plus que lui,
34:14 et elle a eu une première fille, Françoise,
34:18 et la petite sœur, celle que l'on disait être
34:23 la dernière de la famille Béjar-Armand,
34:27 en réalité, c'est la fille de Madeleine.
34:30 Elle connaît le comte de Modène, c'est une grande histoire d'amour,
34:34 et c'est lui qui a eu ses deux enfants avec elle.
34:37 Et quand ils partent pour monter cette troupe de théâtre,
34:40 on est dans une sorte d'amitié.
34:42 Molière, lui, dans sa jeunesse, il est émerveillé par cette femme
34:47 qui finit par se laisser séduire parce que le comte,
34:50 avec les intrigues politiques, est mis à l'écart de la vie de Madeleine.
34:55 Mais néanmoins, jusqu'au bout, il l'accompagnera.
34:58 - Comment on en vient à Armand ?
35:00 - Armand, c'est donc cette petite fille qui est née,
35:03 que l'on a présentée comme étant la dernière de maman Béjar,
35:06 qui est en réalité la fille de Madeleine.
35:09 Elle est élevée, alors on ne sait pas si c'est avec des sœurs
35:15 ou dans une famille riche, toujours est-il qu'elle n'est pas au quotidien
35:19 avec la troupe quand celle-ci se déplace,
35:22 mais de temps en temps elle apparaît.
35:24 Et c'est comme ça que quand elle a 10 ans, elle apparaît à Lyon.
35:27 Et qui sont les parrains et la marraine ?
35:30 Eh bien, le parrain, c'est le comte de Modène,
35:32 et la marraine, c'est Madeleine.
35:34 Vous voyez, c'est une officialisation de leur paternité à tous les deux.
35:41 Voilà l'histoire en tant que telle.
35:43 C'est-à-dire que Madeleine a eu un grand amour.
35:46 Elle s'est laissée détourner parce que les circonstances étaient là
35:50 et que Molière était un séducteur.
35:53 Ils auront une fidélité indéfectible jusqu'à la mort de Madeleine.
36:00 Et pour autant, lorsque Armande rejaillit dans la troupe quand elle a 19 ans,
36:06 eh bien elle, elle ne voit qu'à Molière aussi.
36:09 Et elle séduit Molière, et c'est elle qui veut se marier avec lui.
36:14 Et ce qui est formidable, c'est que sa mère ne vit pas ça en jalousie.
36:18 La meilleure preuve, elle lui donne une dot de 100 000 livres.
36:21 C'est énorme !
36:23 C'est intéressant de se pencher là-dessus parce que ça a été beaucoup reproché à Molière.
36:26 Et même lorsqu'on l'interrogeait, il disait parler de tout,
36:29 mais justement pas de ce côté-là.
36:30 Il en a beaucoup souffert parce qu'il était très jugé aussi.
36:33 Oui, voilà, mais parce que bon, comme tout homme,
36:36 vous êtes sensible aux poisons qui sont distillés...
36:41 Contre la médisance, il n'y a point de rempart.
36:44 Voilà, contre la médisance, il n'y a point de rempart.
36:47 Et puis je vous ai dit, il y a ces amours furtives.
36:52 Arrive un jour dans la troupe marquise qui deviendra la femme du gros René.
36:56 Ah le gros René, il n'y a pas plus moche que lui !
36:59 Mais alors, quel gouaille, quel comédien !
37:02 Et ça, ça emporte marquise qui, partout où elle va, n'a que des soupirants.
37:07 Et un jour, ils se laissent aller, Molière et marquise.
37:11 Mais ce n'est pas grave, la vie de la troupe continue de la même façon.
37:15 Il y a la debris, petite jeunette aussi.
37:17 Et Molière, là encore, est entourloupé quelque temps.
37:21 Mais c'est une façon d'être en dehors des codes,
37:25 de cette rigueur qui est celle d'une morale
37:28 où l'on oublie que les êtres ne sont pas dans une rigidité
37:34 et que de temps en temps, il est mieux de se laisser aller
37:37 à quelques caprices de la chair que…
37:41 Non mais… et on oublie ensuite que ça gomme toutes les dissensions.
37:48 Vous voyez ce que je veux dire ?
37:49 "Tout le plaisir de l'amour est dans le changement", disait-il.
37:52 Ça aussi, c'est Molière.
37:53 Voilà. Et alors après, il y a l'amitié en tant que telle.
37:57 C'est-à-dire qu'il y a les copains comédiens, il y a ceux qu'on rencontre.
38:01 Il y a Claude Chapelle qu'il a connus au collège de Clermont.
38:04 Et ces gens-là sont capables de se laisser aller.
38:08 Comment ? Eh bien le soir, oui, on fait bonbance.
38:11 Et puis toujours, toujours, cette culture, le verbe,
38:15 le verbe qui jaillit. Et ça, ça vous entourloupe.
38:18 Ce sont des instants d'extase et de fidélité.
38:22 Jamais, jamais, il n'y aura quoi que ce soit comme dissension.
38:26 La Fontaine sera aussi parmi ceux
38:29 qui, de temps en autre, viennent rencontrer Molière La Fontaine,
38:33 qui avait eu pour mécène Fouquet, qui jusqu'au bout a voulu soutenir Fouquet.
38:37 Molière n'a pas eu ce courage-là,
38:39 mais il faut dire qu'il n'avait connu très peu le surintendant.
38:44 Et pour autant, eh bien ces gens, à chaque fois qu'ils le peuvent, se retrouvent.
38:49 Et c'est comme ça qu'un lieu va devenir le temple de l'amitié.
38:52 C'est ce qu'on va voir, justement, la maison de l'amitié à Hauteuil.
38:57 (Générique)
39:01 - Alors, en quoi ça consistait, justement, ce temple de l'amitié ?
39:05 - C'est-à-dire qu'habituellement, on allait au Petit Mort,
39:08 on allait à l'eau d'argent, on allait à la fosse fleur d'hélice,
39:14 c'est-à-dire les cabarets.
39:16 - Faire bonbons et en même temps, bonbons avec les mots.
39:19 - Oui, oui, oui. Mais bon, en particulier, il y a Chapelle, il aime bien,
39:22 vous voyez, on lève le coude.
39:24 Il a quelques tendances, comme ça, à se laisser râler.
39:27 Et puis, l'air pestilentiel de Paris fait qu'il serait bon d'avoir un refuge.
39:34 Il achète, enfin, il loue une maison à Hauteuil.
39:37 D'autant que son médecin estime qu'à force de ces agapes qui corrompent le corps,
39:44 il serait bien qu'il se mette au régime.
39:47 Il lui dit du lait, du lait, que du lait.
39:50 Alors, il se retire à Hauteuil, dans sa maison, avec une cuisinière,
39:55 une servante et les amis qui vont, qui viennent.
39:59 Et la plume, forcément, qui s'agite.
40:01 Et il y a les grandes promenades, on descend jusqu'au bord de Seine,
40:06 on se laisse aller à toutes les vivacités.
40:09 Ça lui rappelle aussi le temps du grand-père, qui avait, lui, une maison à Saint-Ouen.
40:14 C'est une manière de renouer avec ce qu'il a connu en province.
40:19 Vous voyez ?
40:20 Et surtout, de pouvoir ancrer ces instants où on n'a pas les tentations avec ses dames,
40:28 où on est simplement entre hommes pour égayer les esprits
40:34 et surtout, avoir la capacité de dynamiser les forces créatrices.
40:41 Lully fait partie, Lully, avant qu'il ne se fâche un peu,
40:45 je crois qu'on en a raconté un peu trop, sur le fait que Lully finisse par obtenir
40:50 l'exclusivité d'avoir la musique des opéras.
40:53 Il reste une paritie de musique dans les balets, où Molière n'a pas besoin de Lully.
40:59 C'est pour ça qu'il demandera à Charpentier de venir son complice.
41:02 Néanmoins, ils arrêteront, après neuf comédies-balets écrites ensemble,
41:07 ils arrêteront de travailler.
41:09 Et il prêtera, lors de l'un de ses séjours à Hauteuil,
41:14 à Lully, une belle somme d'argent pour que celui-ci puisse s'installer
41:19 et ait sa propre demeure.
41:21 - On a vu cette force de l'amitié d'où jaillissent aussi l'effervescence,
41:25 on va dire, comme vous aimez dire, l'effervescence des mots.
41:28 Un malade pas si imaginaire que cela, ça c'est très important
41:32 dans la vie de Molière et on va voir pourquoi.
41:40 - Un homme plein d'énergie, avec une santé rayonnante,
41:43 qui se moque de la médecine et pourtant, il écrit,
41:46 "le malade imaginaire, personne ne peut imaginer à quel point
41:50 "cette pièce est capitale".
41:52 - Oui, alors c'est une pièce qui lui permet, encore,
41:55 de se moquer des tout-puissants et en particulier de la médecine.
42:00 Dans les répliques qui sont les siennes, à un moment donné,
42:04 Argan est interpellé en lui disant "Monsieur, vous allez payer
42:08 "car vous avez refusé d'obéir à votre médecin, vous vous rendez compte,
42:13 "vous devez l'obéissance à votre médecin".
42:16 Et cette pièce, quand on la lit aujourd'hui,
42:19 a une modernité incroyable avec ce que nous avons vécu
42:22 en particulier ces trois dernières années.
42:25 Et la pièce, donc, il va la jouer en étant Argan.
42:30 Le 17 février, il sera sur scène.
42:35 Il y a eu déjà une première, une deuxième,
42:39 et depuis quelque temps, il a un flux de poitrine.
42:42 Vous voyez, il tousse beaucoup.
42:44 - On est en 1673, il a 51 ans.
42:47 - Il a 51 ans, et cette pièce, pour lui,
42:50 s'affirme tout de suite comme étant l'un des plus grands succès.
42:54 C'est-à-dire que les gens, oui, c'est cet effet miroir,
42:58 ils comprennent bien qu'il y a des enseignements à tirer.
43:03 C'est ça, le rire, la provocation, la dérision,
43:07 derrière ce qui vous attrape et, je dirais, provoque la boyonnade
43:13 ou le boyottage, comme je ne sais pas quel néologisme utilisé,
43:17 toujours est-il derrière ce jaillissement de gaieté,
43:20 on sent bien qu'il y a un enseignement à avoir.
43:23 Et le 17 février, c'est intéressant parce qu'un an auparavant,
43:29 qui s'est éteinte ?
43:31 Madeleine.
43:33 Je ne sais pas s'il pense à elle, mais immanquablement,
43:36 il monte sur scène en toussant, en toussant, en toussant,
43:40 et il y a ces instants où, sur la scène,
43:45 il a le médecin qui le maudit, qui lui dit
43:48 "Vous allez tomber de la dipepsie, de la trompepsie",
43:51 c'est-à-dire qu'il le condamne à mourir.
43:54 Et il termine très difficilement la pièce, il étouffe.
43:59 Et là, Baron, d'après ce qu'il écrira des années plus tard,
44:03 se précipite à la fin, au moment des applaudissements,
44:07 fait venir une chaise de porteur, la maison n'est pas très loin,
44:11 et hop, on allonge Molière dans sa chambre au premier étage.
44:15 Et Molière se sent tellement mal, il crache le sang.
44:19 Et là, il demande à ce qu'un prêtre vienne.
44:23 Alors, on envoie une servante qui court à Saint-Eustache,
44:28 aucun prêtre ne veut se déranger, un premier, un deuxième, il ne vient pas.
44:32 Et au moment où le troisième se présente, malheureusement,
44:36 eh bien, Molière a rendu son dernier souffle.
44:40 Armande n'était pas très loin, elle l'a vue partir, s'en aller.
44:46 Et le 21 février, eh bien, il sera conduit.
44:51 Néanmoins, comme il n'a pas eu le temps de se confesser,
44:55 n'a pas eu le temps de se rappeler à Dieu,
44:59 pour autant, il obtient d'avoir le droit d'être,
45:03 non pas enterré comme un chien, tel les comédiens,
45:06 mais d'être conduit au cimetière.
45:09 Et c'est le soir, à 9 heures, qu'une cérémonie est organisée,
45:14 sans annonce, et pour autant, il y aura 800 personnes,
45:18 8 prêtres qui l'accompagnent, et Molière disparaît dans la dignité.
45:24 Je ne sais s'il fait rire ce jour-là, mais aujourd'hui encore,
45:28 grâce à lui, on oublie bien des emmerdes du quotidien,
45:31 un quotidien qui ressemble beaucoup à celui qui était le sien.
45:35 La France de Molière et la langue de Molière, le français de Molière.
45:39 Merci beaucoup, Marc Benham.
45:41 On va essayer de résumer ce que vous avez raconté.
45:44 Fils de tapissier, valet du roi, passionné de théâtre,
45:47 il crée avec Madeleine Béjar l'illustre théâtre,
45:50 condamné à une longue tournée de 13 ans en province,
45:54 devenu à son tour tapissier du roi,
45:56 Molière devient le comédien favori de Louis XIV,
46:00 et puis fauché par la mort à 51 ans après avoir joué
46:04 le malade imaginaire. Un livre à conseiller.
46:07 Il y a une biographie qu'on considère comme la référence des Forestiers,
46:12 mais moi je l'ai préférée parce qu'il y a une plume joyeuse
46:15 qui nous met en connivence avec Molière,
46:17 c'est Christophe Mori, Molière, chef au Lyo.
46:20 Voilà un beau petit livre.
46:22 Formidable. Je rappelle que vous avez lu au moins 4 ou 5 livres
46:26 pour préparer l'émission. Merci infiniment.
46:29 Faut butiner les informations.
46:31 Merci de nous avoir transportés dans le pays de Molière,
46:34 dans la langue de Molière, avec la langue de Molière.
46:36 Excellent suite de programme sur CNews.