Dans ses interviews, Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, se met dans la peau des patrons...
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00:00Bonjour Julien Tuféry, et la société Tuféry, du même nom.
00:04Exactement.
00:05Très heureuse de vous accueillir à Patron en question,
00:07parce que vous êtes à la fois à la tête d'une entreprise qui fabrique un vêtement mythique,
00:13et on ignore l'histoire de ce vêtement.
00:16Racontez-nous un peu.
00:17Oui, alors très difficile en quelques minutes de raconter 132 ans d'histoire.
00:21Mon arrière-grand-père, donc Célestin Tuféry,
00:24faisait partie de ces tailleurs dans les Cévennes,
00:25qui mettent au point ce fameux pantalon en toile de nîme,
00:28teint au bleu de gêne, qui était l'indigo,
00:30et ce qui deviendra évidemment le denim, le blue jeans,
00:33donc ce vêtement emblématique qui est quasiment le plus échangé aujourd'hui à l'échelle de la planète.
00:37Extraordinaire.
00:37Et ces denimes, c'est pour ça que ça s'appelle du denim ?
00:40Exactement, c'était la fameuse toile de nîme, la serge de nîme,
00:43et nous, évidemment, on est en plein cœur des Cévennes,
00:45donc mon arrière-grand-père allait chercher cette toile à tout faire,
00:48cette fameuse toile de nîme.
00:49Formidable. Et la couleur vient d'où ?
00:51C'est fait comment la couleur, l'indigo ?
00:52Alors la couleur, c'est l'indigo, depuis des millénaires,
00:54c'est un indigo, enfin l'Inde est le producteur mondial emblématique de l'indigo,
00:58et c'est pour ça que cet indigo arrivait en bateau à l'Europe,
01:01dès la fin du 18e siècle,
01:03et c'est pour ça qu'on a rapidement appelé ça le bleu de gêne,
01:05parce qu'il est arrivé au port de gêne.
01:08C'est formidable.
01:09C'était la toile de nîme teint au bleu de gêne,
01:11d'où le fait que toile de nîme, c'est devenu le denim,
01:13et bleu de gêne, blue de génova, blue jeans.
01:16C'est formidable ça.
01:17Alors ça, je ne comprends pas pourquoi on n'est pas leader dans le monde.
01:20Parce que vous, vous avez remonté cette société,
01:22maintenant ça marche bien, le savoir-faire français,
01:26vous avez même vos moutons.
01:28Exactement.
01:28On est très impliqués sur les filières,
01:30mais vous savez, on l'était en fait.
01:32La France d'après-guerre, la France du textile d'après-guerre,
01:35c'est des millions d'emplois aux quatre coins du territoire.
01:37Vous prenez l'Est, c'était le linge de maison,
01:39vous prenez Cholet, c'était la chaussure,
01:41le nord évidemment Roubaix, la ville aux mille cheminées.
01:43Il y avait une production textile en bas de chacune.
01:47Les Cévennes, énormément de textiles autour de la soie.
01:49Enfin bref, il y en avait partout.
01:50Puis évidemment, je ne vous l'apprends pas Madame de Menton,
01:53c'est que le textile a subi les affres horribles de la mondialisation,
01:58tout simplement, parce que derrière un jean,
02:0070% de la valeur d'un jean, c'est de la main-d'oeuvre.
02:02Eh oui, eh oui.
02:04Alors c'est très intéressant ce que vous dites en ce moment,
02:06parce qu'effectivement, vous, vous avez une main-d'oeuvre française,
02:10que vous formez, il faut la former.
02:12Et comment, c'est amusant,
02:13parce que finalement la mondialisation en ce moment
02:16est réfutée par les libéraux eux-mêmes.
02:19Comment vous vivez la période d'aujourd'hui ?
02:21Ça vous fait quoi ?
02:22Alors ça fait quoi ?
02:23Alors j'ai deux sentiments.
02:24Évidemment, le premier, c'est mon sentiment de citoyen.
02:26C'est qu'elle est dure, cette période.
02:29Qu'elle est dure, cette période d'incertitude,
02:31de marasme, de morosité,
02:34de tension, clairement.
02:36Et puis après, j'essaie d'avoir toujours ma casquette
02:38de super patron optimiste.
02:40Je pense que c'est encore une énième crise que l'on vit,
02:43qui va, j'espère, planter des petites graines dans les esprits,
02:46et surtout dans les méthodes et dans les process,
02:48pour nous dire qu'il faudrait peut-être
02:50qu'on s'affranchisse un tout petit peu
02:52de cette ultra-mondialisation.
02:53Parce qu'aujourd'hui, fabriquer en France,
02:55on en est la preuve vivante,
02:56fabriquer un jean, on peut le faire en France.
02:58Oui, mais alors là, on tombe dans le trumpisme.
03:01Enfin, j'exagère, mais c'est compliqué,
03:03parce que la mondialisation, c'est grâce à ça
03:05que vous avez eu la couleur qui venait du bout du monde.
03:09Et là, actuellement, on est en retrait complet
03:12par rapport à cette mondialisation.
03:13Oui, mais c'est comme tout,
03:15tout est question d'équilibre, en fait.
03:16Vous savez que sur l'année dernière,
03:18sur l'entièreté des vêtements vendus en France,
03:20donc on parle de plusieurs dizaines de milliards,
03:22il y en a seulement moins de 3% qui sont fabriqués en France.
03:25Alors, je ne vous dis pas de faire 100% français,
03:27mais il y a quand même des choses que l'on peut faire.
03:28Alors, qu'est-ce qui nous manque ?
03:29Pourquoi on ne fabrique pas plus en France ?
03:30Qu'est-ce qui nous manque ?
03:31Il nous manque de l'éducation à la consommation.
03:34C'est-à-dire qu'on le veuille ou non,
03:3570% du coût de revient d'un jean, c'est de la main-d'œuvre.
03:38Je ne vous fais pas le calcul
03:39entre le prix de la main-d'œuvre en France dans mon atelier
03:41versus celle d'un atelier fin fonds du Bangladesh.
03:44Donc, dans tous les cas,
03:45le jean fabriqué en France coûtera plus cher.
03:48Donc, partons du principe, peut-être,
03:50de changer un peu nos modes de consommation.
03:51Est-ce bien raisonnable d'en acheter plusieurs dans l'année ?
03:54Peut-être achetons-en un qui va tenir.
03:56Ça ne marche pas vraiment parce qu'il fallait consommer moins,
04:02on le sait, ne serait-ce qu'à cause du CO2, etc.
04:04Mais je ne pense pas que ce soit ce qui motive le plus les gens.
04:08Et puis moi, ce qui m'inquiète beaucoup,
04:12ce serait plutôt le fait qu'on n'ait pas assez de gens pour fabriquer
04:15parce qu'on ne les paie pas assez cher.
04:17Vous êtes obligés de faire fabriquer,
04:19je dis vous, mais vos confrères sont obligés de faire fabriquer
04:22dans des pays où la main-d'œuvre n'est pas chère.
04:24Pourquoi ? Parce que nous n'arrivons pas à payer mieux nos salariés.
04:28Mais non, mais j'y reviens.
04:29En tout cas, l'exemple, je vous invite à venir voir
04:32ce qui se passe dans les C20, dans notre manufacture,
04:34et même à tous les téléspectateurs.
04:36Venez voir.
04:37Aujourd'hui, il n'y a pas de secret.
04:38Si on veut fabriquer des jeans...
04:38On va venir voir, elle est où ?
04:39Mais avec plaisir, nous sommes à Florac,
04:41un merveilleux département de la Lozère.
04:43En Lozère.
04:43Dans le sud de la Lozère.
04:44Si on veut fabriquer des jeans, dans tous les cas,
04:46il faut asseoir des gens derrière une machine à coudre
04:488 heures par jour.
04:48Donc c'est clair qu'aujourd'hui, il ne faut pas fantasmer.
04:50C'est-à-dire que si les gens veulent rester et veulent venir,
04:53il faut que les conditions de travail soient chouettes.
04:55Il faut qu'il y ait du sens.
04:56Il faut qu'ils soient hyper bien rémunérés.
04:58Et surtout, il faut apporter des perspectives.
05:00La mode est le deuxième ou le troisième plus gros pollueur mondial,
05:03Madame de Venton.
05:04Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a peut-être
05:05une espèce d'eldorado de pratique à mieux faire ?
05:09Et vous considérez que vous êtes, dans l'eldorado,
05:13des bonnes pratiques ?
05:14En tout cas, c'est ma raison de me coucher tous les soirs
05:18et de me lever tous les matins en disant
05:19est-ce qu'on est au top de nos pratiques
05:21humaines, écologiques, commerciales ?
05:23Aujourd'hui, avec un peu de pragmatisme et beaucoup d'utilité,
05:26je pense que oui.
05:27Par contre, il y a un gros bémol à ça,
05:28c'est qu'on ne peut pas produire demain, comme ça,
05:313 millions de pantalons.
05:32Donc les choses vont prendre énormément de temps.
05:34Je sais qu'il y a un grand fantasme autour de la réindustrialisation
05:36de la France du textile.
05:38Évidemment que j'y crois dur comme fer.
05:40Il faudra juste accepter quelque chose.
05:42C'est un peu un gros mot quand je vous dis ça aujourd'hui.
05:43C'est le temps long.
05:44Ça prendra du temps.
05:46Ça prendra beaucoup de temps
05:47à recréer des manufactures modernes, humaines, indulgentes,
05:51tournées vers l'avenir.
05:52Mais pourrons-nous encore faire venir
05:55des containers entiers, remplis de fringues
05:57de l'autre bout de la planète ?
05:59Je vous pose cette question.
06:00Moi, en tout cas, le citoyen que je suis,
06:02je pense qu'on est sur un modèle fini.
06:04C'est le mot de la fin.
06:06Sachant que de toute façon, les montres basculent
06:08et qu'on voit très bien que les fabricants chinois,
06:11avec la hausse des droits de douane,
06:13qui nous inondaient de produits comme ça,
06:16vont peut-être être un peu freinés.
06:18Un tout petit réclif.
06:19Écoutez, on attend avec impatience
06:20et on vous souhaite de développer
06:22les magnifiques denins.
06:23Merci beaucoup.
06:24Et venez dans les Cévennes à vous balader.
06:26Merci.
06:26Merci beaucoup.
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