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Vendredi 18 avril 2025, retrouvez Sophie Cras (Maîtresse de conférences, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) dans ART & MARCHÉ, une émission présentée par Sibylle Aoudjhane.

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Transcription
00:00Générique
00:00Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:13Et je suis ravie de recevoir aujourd'hui Sophie Kras, qui est maîtresse de conférence à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
00:19spécialiste de l'art contemporain et co-autrice de Vendre son art de la Renaissance à nos jours,
00:24co-écrit avec Charlotte Guichard, paru aux éditions du Seuil.
00:27L'ouvrage retrace les marchés de l'art du point de vue de l'artiste,
00:31où contraintes économiques et innovations artistiques peuvent aller de pair.
00:34Plus de détails tout de suite dans Art et Marché.
00:41Vendre son art de la Renaissance à nos jours aux éditions du Seuil,
00:44c'est le titre de l'ouvrage de Charlotte Guichard et Sophie Kras qui est avec nous.
00:48Vous êtes maîtresse de conférence à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l'art contemporain.
00:53Et ce titre marque bien l'axe que vous souhaitez prendre dans votre réflexion,
00:58celui du marché de l'art du point de vue des artistes.
01:00Merci beaucoup d'être avec nous pour en parler.
01:03Est-ce que tout d'abord vous pouvez nous expliquer en fait,
01:06qu'est-ce que ça change de considérer le marché de l'art du point de vue des artistes ?
01:09Qu'est-ce qu'on regarde différemment ?
01:11Oui, c'est vrai que c'est l'originalité de ce livre, je crois que de faire l'histoire du marché de l'art
01:17du point de vue vraiment des artistes et pas des marchands, des collectionneurs,
01:22des commissaires-priseurs comme on en a l'habitude en général.
01:27Et l'idée c'est de penser le marché comme quelque chose qui appartient aussi à l'univers de l'artiste
01:32et qui est pour lui un horizon, pour elle, un horizon, une contrainte créative,
01:37quelque chose qui va apporter en fait une dimension supplémentaire à l'acte créatif lui-même
01:42et donc à notre compréhension des oeuvres et de la vie des artistes.
01:47Est-ce qu'il y a une dimension aussi qu'on appréhende moins dans tout ce qui est études, etc.
01:53C'est la dimension du premier marché.
01:54C'est vrai que souvent on analyse tous les chiffres, les prix, etc.
01:58Et là c'est vrai que c'est un regard qui est particulièrement différent.
02:01Oui, tout à fait. C'est-à-dire que regarder le marché de l'art du point de vue des artistes,
02:05c'est se pencher sur ce qu'on appelle le premier marché.
02:07Donc le premier marché c'est en fait la transaction inaugurale, on va dire,
02:12dans la vie marchande d'une œuvre d'art.
02:14C'est le moment où elle quitte l'atelier pour se vendre pour la toute première fois.
02:18Et ce premier marché, par opposition à toutes les reventes successives
02:23dont l'oeuvre pourra faire l'objet, qu'on appelle le second marché,
02:26ce premier marché c'est le seul qui concerne au premier chef l'artiste
02:30c'est le seul qui constitue la rémunération de l'artiste
02:34et sur lequel l'artiste a une sorte de prise en fait, une capacité d'action.
02:38Et c'est ça qui nous intéressait je crois, c'était d'essayer de réfléchir
02:41à la capacité des actions des artistes sur le marché.
02:45Et vous faites commencer votre livre au 15e siècle.
02:47Est-ce que c'est une rupture par rapport à l'identité artistique
02:51et justement à cette prise de position de l'artiste ?
02:54Oui tout à fait, le terme de rupture n'est peut-être pas le plus juste
02:59parce que c'est un glissement qui est en fait très lent, très progressif
03:01mais ce qu'on observe progressivement à la Renaissance
03:05c'est le passage d'un système où c'est le travail de l'artiste qui a un prix
03:11à un système où c'est bien l'oeuvre, l'objet d'art qui a un prix.
03:15C'est-à-dire que dans l'économie des corporations artisanales du Moyen-Âge
03:20ce qu'on achète c'est un temps de travail de l'artiste
03:24tandis que dans le nouveau système dans lequel on glisse progressivement
03:27ce qu'on achète c'est bien un objet, c'est bien l'oeuvre d'art.
03:29Oui et puis les deux premiers chapitres concernent vraiment ce prix apposé à une oeuvre d'art
03:34et vous déjouez certaines idées comme quoi le prix est quelque chose d'arbitraire
03:38qui n'a aucun fond et je pense que c'est d'autant plus vrai sur ce premier marché
03:42où on a plus de recul et de mainmise.
03:45Est-ce que vous pouvez nous expliquer sur quoi repose ce prix ?
03:47Oui tout à fait, alors justement ce qui est intéressant c'est que dans la fabrique du prix
03:51on voit perdurer l'ancien système, le système traditionnel finalement assez artisanal
03:56de fonctionnement du marché de l'art ou des artistes.
04:01C'est-à-dire que lorsqu'on fabrique le prix, la question du temps de travail des artistes
04:07en fait a un rôle très important et vient objectiver en quelque sorte ce prix sur le premier marché.
04:12Alors ça peut se faire de différentes manières.
04:14A la Renaissance on peut calculer vraiment le nombre de journées de travail passées à l'ouvrage.
04:20C'est le cas par exemple d'un artiste comme Adrien van der Werff dans les années 1710-1720.
04:25Il va vraiment compter le nombre de journées qu'il a passées pour fabriquer un tableau
04:29et il compte 25 florins la journée et ça lui donne un prix de base pour son tableau.
04:33Si on pense à quelqu'un comme Artemisia Gentileschi par exemple au 17ème siècle.
04:37Oui, il y a une exposition en ce moment.
04:38Exactement. Elle de son côté c'est plutôt le nombre de figures humaines dans le tableau
04:43qui va servir à comptabiliser comme ça le temps de travail et elle compte 100 écus par figure.
04:48Mais ce qui est important c'est que cette base objective n'est jamais le prix final.
04:53C'est-à-dire que c'est une base de négociation.
04:54A partir de là, l'enjeu c'est de négocier et Gentileschi par exemple, elle est très très forte pour ça.
05:01C'est-à-dire qu'elle ne va pas fixer le prix de vente par contrat mais elle le négocie dans la correspondance.
05:06Donc ça lui permet de revenir à la charge, de déployer toute son éloquence.
05:11Elle a une très très belle langue comme ça pour convaincre le client d'acheter au prix fort le tableau terminé.
05:16On a quand même l'impression que le temps passant, l'artiste a de moins en moins la main mise sur le prix
05:22et que c'est quand même des acteurs extérieurs qui en donnent la valeur.
05:26Oui, tout à fait.
05:27Ça c'est quelque chose qui nous a beaucoup frappé quand on a fait le livre.
05:31C'était de s'apercevoir quand même d'une perte de savoir-faire on pourrait dire dans la fixation du prix
05:37entre justement l'époque de Gentileschi et la période actuelle
05:41où les artistes ont été très largement désaisis de cette compétence de fixer leur prix
05:48puisque ce sont désormais plutôt les marchands, les galeristes qui s'en chargent.
05:52Selon des méthodes qui d'ailleurs ne sont pas complètement éloignées de celles qui préexissaient
05:57puisque la question par exemple des dimensions de l'oeuvre reste très importante
06:01pour définir le prix de l'oeuvre sur le premier marché, ajouter un facteur lié à la réputation de l'artiste.
06:06Mais c'est vrai que justement être capable de donner une quantité, un chiffre
06:14appartient désormais davantage aux galeristes, aux marchands qu'aux artistes.
06:18Mais du coup est-ce qu'on peut analyser qu'il y a moins de porosité qu'avant
06:22entre le monde de la création des artistes qui peuvent se présenter plutôt dans une posture
06:26d'artiste dans sa tour d'ivoire ou en tout cas de la pureté de l'acte
06:32et un monde avec tous ces marchands, etc. Est-ce que ce sont des mondes qui se sont vraiment séparés aujourd'hui ?
06:40On pourrait peut-être croire l'inverse mais c'est vrai qu'en lisant ce livre on a plus l'impression
06:43que maintenant il y a ces deux mondes séparés et qu'il y a plus une notion de pureté.
06:47C'est une question très intéressante. Il est vrai que la manière dont les marchands d'art
06:54puis les galeristes se sont saisis de ces questions de prix, de négociations
06:57en laissant un petit peu les artistes de deux côtés, c'est un phénomène historique
07:03qui intervient vraiment en même temps que la notion par exemple de l'art pour l'art,
07:09cette figure de l'artiste bohème un petit peu détachée des questions économiques.
07:13Néanmoins, ce qu'on essaie de mettre en avant c'est qu'il y a le mythe et puis il y a la réalité
07:18qui fait que les artistes restent aujourd'hui encore vraiment en prise avec les questions économiques
07:23qui les concernent et continuent à penser des formes économiques parfois alternatives,
07:33des formes économiques qui soient compatibles avec leurs ambitions créatives.
07:37Ce qui pourrait rester en tout cas assez mystérieux, c'est peut-être plus le concept de cote.
07:41Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est et comment est-ce qu'on arrive à trouver un chiffre,
07:47à tomber sur quelque chose d'un petit peu tangible ?
07:49Oui, alors ce qui est très compliqué en fait avec la cote, c'est qu'on emploie ce terme
07:54pour parler de choses qui peuvent être en fait assez différentes.
07:57Il y a la cote sur le second marché, c'est celle qu'on connaît le mieux je pense.
08:01Et ça c'est tout simple, c'est en fait une moyenne des prix atteints en vente aux enchères
08:06pour un artiste donné sur un type d'oeuvre donné.
08:10Donc ça nous donne un petit peu un prix moyen pour des ventes passées
08:14qui donnent éventuellement une idée, une évaluation pour les ventes futures.
08:18Et puis il y a la cote sur le premier marché, là c'est un petit peu différent.
08:21La cote sur le premier marché, elle représente justement ce coefficient de réputation
08:26qu'on va ensuite appliquer aux oeuvres en fonction de leur dimension et de leur médium.
08:31Donc typiquement les tableaux, les huiles sur toile vont être plus chères que les dessins,
08:36les sculptures vont être cotées à part.
08:38Et cette cote-là sur le premier marché, cette réputation, c'est là effectivement
08:41que se cristallise un petit peu le mystère s'il y en a.
08:45Bon, en fait dans la pratique c'est pas si mystérieux, elle s'établit par comparaison.
08:49C'est-à-dire qu'on va aller regarder des artistes un petit peu de la même génération,
08:53qui sont à peu près au même niveau de leur carrière,
08:55qui font peut-être des oeuvres un peu comparables.
08:57Et puis on va s'aligner.
08:58Et ensuite c'est des ajustements progressifs en fonction des ventes,
09:02en fonction d'expositions dans des musées.
09:06Mais vous dites qu'on pourrait croire que le second marché aurait un impact assez fort
09:10et des versances sur le premier marché, mais pas tant que ça finalement,
09:14et que c'est pas forcément très lié les deux.
09:16Ouais, c'est très difficile à déterminer à vrai dire.
09:19Alors c'est vrai qu'il existe des instruments qui nous prouvent
09:22que depuis très longtemps les acteurs du premier marché,
09:26en particulier les marchands d'art, mais même les artistes d'ailleurs,
09:30s'intéressent à ce qui se passe sur le second marché.
09:33Donc typiquement les annuaires de cote,
09:35aujourd'hui les bases de données qui réunissent tous les prix atteints en vente aux enchères,
09:40tout ça est évidemment consulté par les marchands sur le premier marché et par les artistes.
09:44Mais néanmoins, la répercussion en fait des prix sur le second marché,
09:50sur la cote du premier marché, elle est beaucoup moins automatique que ce qu'on pourrait croire.
09:55Elle est plus lente et il y a parfois une déconnexion en fait assez fort entre premier et second marché.
10:01Et après dans les chapitres centraux du livre, on parle plus de l'artiste comme acteur justement.
10:07Est-ce que l'artiste fait le choix d'être acteur ou pas dans sa présence dans les réseaux
10:15et acteur ou pas sur sa cote finalement ?
10:18Ouais, je pense que vendre son art, dans la grande majorité des cas,
10:23c'est un processus qui s'inscrit dans le temps, dans le temps long.
10:26En fait c'est le temps de diffuser son image, d'asseoir sa réputation et de nouer des relations.
10:32Et on insiste beaucoup dans le livre sur ce qu'on appelle l'économie de l'attachement.
10:37C'est une manière pour les artistes en fait de créer des liens avec des personnes
10:41qui peuvent leur apporter un soutien financier, un capital, une forme d'exposition médiatique aussi.
10:49En contrepartie, les artistes sont obligés de céder un petit peu de leur liberté.
10:52Et donc c'est toujours cette négociation en fait avec leurs attachements.
10:57Mais le pari, c'est que sur le long terme, ça va les aider à vraiment en profiter.
11:03Et pour terminer cette interview, je me demandais si les réseaux sociaux justement
11:07chamboulaient un petit peu cette notion d'attachement parce que finalement,
11:11on peut être lié autrement par Internet, etc. et les applications.
11:15Mais finalement, peut-être qu'on se réapproprie, en tout cas l'artiste se réapproprie une image
11:19et il n'est pas forcément obligé de passer par ses intermédiaires.
11:22Oui, alors ce qui est intéressant, c'est que là-dessus, on peut avoir un peu deux visions contradictoires.
11:27C'est-à-dire que d'un côté, les études, en particulier des sociologues,
11:30montrent qu'en dépit de l'existence des réseaux sociaux
11:33et de la possibilité de s'adresser directement à un public
11:36et voire de vendre directement grâce aux plateformes en ligne,
11:39eh bien le rôle des galeries comme prescripteurs reste très important
11:44et difficilement contournable si on veut faire carrière.
11:46En revanche, moi ce que je dirais aussi, c'est que les deux ne sont pas incompatibles.
11:51C'est-à-dire que probablement, les artistes ont besoin des deux.
11:53C'est-à-dire à la fois de faire appel au public le plus large
11:55et notamment à travers l'image qu'on peut diffuser par les réseaux sociaux
11:59et en même temps, compter sur des alliés,
12:04tels que sont les marchands, les galeries,
12:06pour réussir à placer ses œuvres et à construire sa carrière.
12:10Merci beaucoup Sophie Krasse.
12:11Je rappelle que vous êtes maîtresse de conférence à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
12:15spécialiste de l'art contemporain
12:17et co-autrice de Vendre son art de la Renaissance à nos jours aux éditions du Seuil.
12:22Merci beaucoup d'avoir été avec nous
12:23et merci à vous toutes et tous de nous avoir suivis.
12:25C'était Arrémarché.
12:26Sous-titrage Société Radio-Canada

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