Mardi 25 février 2025, retrouvez Nathalie Obadia (Galeriste, Nathalie Obadia) dans ART & MARCHÉ, une émission présentée par Sibylle Aoudjhane.
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00:00Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire
00:12consacrée au marché de l'art.
00:13Pour cette émission, j'ai le plaisir de recevoir la galeriste Nathalie Obadia qui
00:17a publié aux éditions Le Cavalier Bleu, figure de l'art contemporain des esprits
00:21conquérants.
00:22Un livre qui met en avant les personnages mythiques de ce monde et surtout son interdépendance.
00:28Plus de détails tout de suite dans Art et Marché.
00:34La galeriste Nathalie Obadia vient de publier un nouvel ouvrage avec son analyse pointue
00:39du monde de l'art contemporain, figure de l'art contemporain des esprits conquérants
00:44aux éditions Le Cavalier Bleu.
00:46Voilà sur ça, un monde interconnecté au sein duquel se trouvent 24 figures majeures.
00:52Merci beaucoup d'être avec nous.
00:53Bonjour et merci.
00:55Ce livre commence plutôt dans les années 60, vous parlez d'une rupture dans les années
00:5960 dans le monde de l'art contemporain.
01:00Est-ce que tout d'abord vous pouvez nous expliquer pourquoi commencer par les années
01:0360, qu'est-ce qui s'est passé dans ces années-là comme changement majeur dans le
01:07monde de l'art contemporain ?
01:08Je dirais qu'il y a eu un changement majeur visible, très visible, qui s'est concrétisé
01:17avec la pratique beaucoup plus généralisée d'art conceptuel, de l'art minimal, c'est-à-dire
01:23qu'il y a eu un éclatement total par rapport à la peinture, par rapport à la sculpture.
01:28Bien entendu, on peut revenir à Marcel Duchamp qui a commencé beaucoup plus tôt en 1917
01:32mais avec évidemment du riz noir et des œuvres emblématiques.
01:35Mais là, il s'agit d'une organisation de cette nouvelle approche plastique avec notamment
01:42des curateurs, l'entrée dans ce monde de l'art contemporain, de nouveaux métiers.
01:47On va plus loin que le conservateur qui est chargé de conserver des œuvres classiques
01:53dans un musée.
01:54Il s'agit de jeunes chercheurs ou de conservateurs qui vont vers les avant-gardes pour inventer
01:59des nouvelles manières de montrer un art qui n'est plus simplement une manière d'accrocher
02:04un tableau au mur.
02:05Et donc notamment la grande exposition « Les attitudes deviennent forme » en 1969 au musée
02:11de Berne à l'époque est montée par un conservateur qui deviendra le symbole du grand curateur
02:16qui est Harald Zeeman et justement un marqueur très important.
02:19Et justement vous avez choisi 24 figures.
02:22Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous avez choisi ces 24 figures ?
02:27Donc effectivement il y a plusieurs artistes, curateurs et d'autres personnages qui sont
02:32collectionneurs, marchandards, galeristes.
02:33Comment est-ce que vous avez choisi ces 24 figures ?
02:37Alors il s'est… 50 ans après, j'ai voulu faire le portrait de destinées qui ont marqué
02:46justement ce monde de l'art contemporain au sens large, économique, culturel, géopolitique
02:53et qui sont restés influents ou qui restent influents.
02:55Encore aujourd'hui malgré leur décès ?
02:57Malgré leur décès ou le fait qu'ils soient très âgés pour certains.
03:01Pour revenir à Harald Zeeman, voilà c'est la figure symbolique du rôle de curateur
03:07qui a marqué d'autres personnalités comme Ocuwe Nvesior, premier afro-descendant à
03:13avoir justement été à la tête de grandes expositions ou de personnalités beaucoup
03:20plus jeunes.
03:21Pour les artistes c'est aussi bien Gerhard Richter, le peintre allemand qui aujourd'hui
03:25a 90 ans mais qui pour des raisons historiques, aussi le fait que justement dans un monde
03:30où la peinture était regardée d'une manière plus marginale, lui a réussi à imposer la
03:36figure d'un artiste allemand après 1945 avec justement une pratique de la peinture
03:42et qui va au-delà.
03:43Quand on lit ses écrits, quand on le regarde, on voit bien qu'il a une figure presque messianique
03:49on va dire par rapport à la scène de l'art contemporain et aussi pour des collectionneurs
03:52pour parler par exemple de François Pinault qui justement a réveillé la visibilité
03:59de la France sur la scène de l'art contemporain en devenant un des acheteurs principaux au
04:03niveau mondial de l'art d'avant-garde et aussi en ouvrant évidemment des fondations
04:08ou des collections à Paris et à Venise.
04:11Oui parce que pour les artistes, c'est vrai que les autres, on voit bien comment est-ce
04:14qu'ils ont agi.
04:15Pour les artistes, c'est vraiment, vous avez cité Richter, Invader aussi, Jeff Koons,
04:20ce sont des artistes qui sont allés au-delà de leurs pratiques artistiques pour vous,
04:24ce sont des artistes qui ont pu avoir un ruissellement, qui ont pu avoir un impact sur leur monde
04:30artistique ?
04:31Absolument, je pense que de manière consciente ou pas mais enfin quand on regarde justement
04:36ces personnages et surtout chez les artistes, ils ont vraiment conscience de leur destinée.
04:42Je parle par exemple de Basquiat qui est mort très très jeune mais Jean-Michel Basquiat,
04:47le temps de sa courte vie puisqu'il est mort à 27 ou 28 ans exactement, on le regarde
04:52pendant les 4-5 ans et il a vraiment conscience de casser les codes de la peinture américaine
04:57faite par des artistes blancs et lui tout d'un coup, bousculer justement cette scène
05:01en devenant le premier artiste noir à rentrer vraiment dans le marché de l'art avec, accompagné
05:07de grands marchands puissants comme Richard Berger ou comme Gagosian.
05:10Il en est de même avec des artistes alors vraiment à l'opposé comme Christian Boltanski
05:14en France qui lui justement a trouvé une manière de s'imposer, sachant très bien
05:20qu'avec ses bricolages, il n'allait pas rentrer dans le marché de l'art comme pourrait
05:23entrer Jeff Koons qui est aussi dans le livre, il n'allait pas faire des prix absolument
05:28astronomiques de 5, 10, 15, 20 millions de dollars parce qu'il avait une pratique beaucoup
05:32plus fragile, qu'il ne pouvait pas s'associer justement au marché de l'art mais par contre
05:38sa volonté, son déterminisme, son ambition et bien sûr accompagné de son grand génie
05:44artistique a fait qu'il est toujours très présent dans l'histoire de l'art, il est
05:49dans tous les livres d'histoire de l'art, il est présent dans de nombreux musées, il
05:52a réussi à s'imposer dans des pays comme le Japon ou même très loin en Australie
05:58en proposant justement des oeuvres pérennes qui agissent d'une manière sur le son, sur
06:05d'autres sens que simplement le fait d'être un objet on va dire d'échange comme une peinture
06:10ou une sculpture.
06:11Dans l'introduction vous citez le philosophe et critique d'Arthur Danto qui dit « il
06:15n'y a pas d'art sans monde de l'art ». Est-ce que vous considérez que le marché
06:21est fait par des personnes qui s'investissent dans ce marché ? Comment est-ce que ça fonctionne
06:29en fait ? C'est un marché qui n'est pas fait sans autre personne, comment vous voyez
06:34ça ?
06:35Alors je pense que Arthur Danto parle justement du monde de l'art, c'est au-delà même
06:41du marché et puis vous savez le marché, on l'a vu d'ailleurs ce livre permet aussi
06:45de comprendre que le marché de l'art n'est pas simplement le marché privé ou des ventes
06:48aux enchères d'un collectionneur, il y a aussi aujourd'hui le marché de l'art qui
06:52est celui des institutions, celui des musées, le fait qu'il y a aussi une biennalisation
06:57du monde de l'art c'est-à-dire avec des commandes publiques qui sont passées par
07:01justement la Biennale de Venise ou par la Biennale de Chargat aujourd'hui qui s'occupe
07:06des artistes plutôt du sud global ou de documenta, des grandes manifestations qui permettent à
07:11des artistes d'obtenir des commandes publiques qui ensuite sont acquises ou pas acquises
07:16mais en tout cas ça génère de l'argent dans ce système de l'art des artistes accompagné
07:23de galeries ou pas de galeries donc le marché de l'art il faut le voir comme quelque chose
07:26de plus large que ce marché privé et quant à ce monde de l'art il s'associe évidemment
07:31avec ce phénomène de biennalisation mais aussi par les foires donc c'est pour cette
07:35raison que j'ai parlé de Marc Spiegler qui a très longtemps dirigé les foires de
07:39Bâle qui ont été créées au départ les foires d'art contemporain à Cologne et en
07:44Allemagne en 1967 puis après la foire de Bâle et qui se retrouve aujourd'hui, le
07:48groupe de Bâle se retrouve à Miami, à Hong Kong et aussi à Paris puis d'autres foires
07:54qui existent dans le monde entier montrent bien que effectivement ce monde de l'art
07:57a besoin de s'organiser, d'être visible et les foires permettent sur 4-5 jours de
08:03pouvoir visiter 200 galeries dans un espace précis mais il y a aussi un réussellement
08:10qui se fait dans les villes grâce aux foires de Hong Kong ou de Miami c'est pour ça qu'il
08:14y a des musées d'art contemporain qui se construisent avec des très grands architectes
08:17et que ces musées achètent aussi des oeuvres d'artistes d'art contemporain.
08:21Mais je trouve que ça posait aussi la question de la valeur de l'art parce que ça veut
08:25dire que la valeur de l'art passe par le regard forcément de ces personnes qui sont
08:31investies dans ce secteur ? Alors la valeur de l'art, la reconnaissance
08:34des artistes part effectivement par ces acteurs qu'on appelle les art-makers ou les art-players
08:40c'est-à-dire que ce sont des personnes qui donnent des estampilles de validation
08:46dans le monde de l'art et c'est pour ça que si on revient par exemple à un exemple
08:50comme Gerhard Richter, c'est une personne qui a été accompagnée depuis ses débuts
08:56par des personnes extrêmement influentes que sont les intellectuels, les curateurs,
09:02les galeries puissantes qui l'ont exposée, les collectionneurs privés et les fondations,
09:08les musées aussi qui l'ont acquis.
09:10Donc s'il voulait il a tout un système de validation qui fait qu'aujourd'hui il peut
09:14se retrouver au sommet par rapport à d'autres artistes contemporains allemands et qui n'ont
09:20pas bénéficié aussi parce que l'art, ce qu'ils font est certainement et c'est sûrement
09:25beaucoup moins intéressant donc effectivement ils vont être moins recherchés donc moins
09:29chers bien entendu sur le marché de l'art.
09:31Et on voit même que certains artistes parfois aussi sont, on sent que leur discours aussi
09:36ne leur appartient plus parce que parfois il y a certaines, vous parlez de certains
09:40pays aussi qui réutilisent certains discours artistiques à des fins nationales etc.
09:46Donc ce n'est pas forcément des fins négatives ou positives mais c'est vrai qu'on sent que
09:49ça leur échappe un petit peu.
09:51Bien sûr mais ça existe je dirais depuis très très longtemps bien entendu mais pour
09:56revenir un peu en arrière avant justement la fin des années 60 mais en 1964 lorsque
10:00Robert Schoenberg a gagné le Lyon d'or à la Biennale de Venise, c'était la première
10:04fois qu'un artiste américain gagnait le Lyon d'or à la Biennale de Venise qui existait
10:10depuis 1895, on était habitués à ce que ce soit plutôt les français entre autres
10:15et c'est vrai que Raoul Schoenberg a laissé dire, c'est-à-dire qu'on a fait passer
10:19Raoul Schoenberg comme un artiste qui répondait à la gloire américaine, on se remet dans
10:23les années 60, c'était vraiment la grande Amérique, c'est un peu pour ces raisons-là
10:30que tout a été fait pour qu'il puisse gagner.
10:32D'un autre côté les tableaux qui étaient présentés étaient plutôt des tableaux
10:36au second degré qui mettaient justement en cause la politique des Etats-Unis par exemple
10:42en Vietnam mais il a laissé dire, c'est-à-dire qu'il n'a jamais dit mais vous n'avez pas
10:47bien compris mes tableaux, c'est au contraire une critique du système américain donc il
10:51a laissé dire et voilà et donc d'autres exemples effectivement similaires.
10:56Comment est-ce que vous voyez ce monde de l'art aujourd'hui ? Est-ce que ça s'intensifie
11:00dans ces personnes qui font l'art ? Comment est-ce que vous voyez cette évolution ?
11:07Je crois qu'aujourd'hui les pays, les acteurs se sont rendus compte que ce soft power artistique
11:16était très important, que c'était un outil très utile avec des ramifications très larges.
11:22Je pense notamment actuellement à l'Arabie Saoudite qui est en train de vouloir être
11:27un acteur très important sur le plan international mais aussi au Moyen-Orient, enfin dans le
11:33Golfe, ils veulent se montrer très puissants à côté du Qatar, à côté des Émirats
11:38Arabes Unis et on voit bien qu'il y a une action très précise qui se sert des arts
11:42plastiques pour justement montrer qu'ils rentrent dans le cénacle des pays modernes
11:49qui se modernisent comme a pu le faire aussi par exemple la Turquie.
11:52La Turquie d'un côté liée à Erdogan, il y a une présence de l'islamisme très traditionnelle
11:59mais d'un autre côté il y a un nouveau musée d'art contemporain qui a ouvert il y a deux
12:04ans, construit par Renzo Piano, un des plus grands architectes qui est aussi un chapitre
12:10dans le livre, parce qu'il a aussi créé le Centre Pompidou et des merveilleux musées
12:15dans le monde entier.
12:16Donc c'est une manière pour la Turquie de montrer que d'un côté ils se détachent
12:21d'une espèce d'occidentalisation et ils ne veulent pas être attrapés par d'autres
12:25grandes puissances, mais d'un autre côté c'est un pays qui se veut moderne et qui
12:30grâce à ce musée qui est magnifique sur les bords du Bosphore à Istanbul veut montrer
12:35qu'il est ancré dans la modernité et dans l'art contemporain, même s'il y a bien
12:40entendu des censures plus ou moins présentes.
12:47Est-ce qu'il y a des nouveaux profils dominants, justement, vous parliez des correcteurs, des
12:50collectionneurs, est-ce qu'il y a des nouveaux profils aujourd'hui qui, je ne sais pas, peut-être
12:54à l'ère des réseaux sociaux, est-ce qu'il y a des nouveaux profils qui vont pouvoir
12:58rentrer dans les figures de l'art contemporain de 2050 ?
13:01Oui, bien entendu, je pense qu'il faudra regarder attentivement tout ce qui se passe
13:07autour de l'art immersif, je parle notamment d'un artiste d'origine turque, un artiste
13:14qui s'appelle Anadol et qui fait en ce moment beaucoup parler de lui puisque justement il
13:24est très apprécié, il est acheté par des grands musées, par des grandes sociétés
13:29pour occuper des espaces très grands.
13:32C'est vrai qu'aujourd'hui, l'ouverture de tous ces musées dans le monde entier, l'attraction
13:39de l'art par d'autres entreprises fait qu'il va y avoir d'autres manières justement d'entrer
13:44dans le monde de l'art.
13:45Donc ça, on va le voir dans les années à venir.
13:48Merci beaucoup Nathalie Aubadia, je rappelle que vous êtes autrice du figure de l'art
13:52contemporain des esprits conquérants aux éditions Le Cavalier Bleu.
13:56Merci beaucoup à tous et toutes de nous avoir suivis, c'était Aré Marché.