Vendredi 21 mars 2025, retrouvez Marc-Olivier Strauss-Kahn (directeur général honoraire, Banque de France) dans SMART BOURSE, une émission présentée par Grégoire Favet.
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00:00Le dernier quart d'heure de Smart Bourges, chaque soir c'est le quart d'heure thématique
00:13et nous concluons cette semaine de l'éducation financière avec Marc-Olivier Strauss-Kahn
00:18que nous retrouvons, il était venu nous voir mercredi, nous le retrouvons également ce
00:22soir.
00:23Marc-Olivier, bonsoir.
00:24Merci de nous avoir accompagné à l'occasion de cette semaine de l'éducation financière.
00:29Vous êtes directeur général honoraire de la Banque de France, enseignant, professeur
00:33d'économie et c'est ce qu'on racontait mercredi, vous avez une passion et un engagement
00:38pour la pédagogie économique et l'éducation financière à travers différents leviers.
00:44Alors on a parlé de Citeco, le plus grand musée européen de l'économie, c'est
00:48ça si j'ai bien retenu Marc-Olivier ?
00:50À Paris.
00:51Allez visiter Citeco, boulevard Malzherbe, à Paris dans le 17ème, magnifique bâtiment
00:55néogothique.
00:56Vous êtes l'auteur, co-auteur avec Anthony Benhamou, je rappelle votre livre paru il
01:00y a quelques mois, On parie que vous allez aimer l'économie paru aux éditions Ellipse.
01:05Vous êtes membre également du Think Tank, d'un cercle de réflexion de jeunes économistes
01:11qui s'appelle BSI Economics.
01:12Moi je ne suis pas jeune, je suis dans le comité stratégique.
01:16Exactement, mais j'ai le plaisir de recevoir certains des économistes de BSI Economics
01:20et donc c'est l'occasion de les saluer et de leur faire un peu de pub.
01:23Je cite quelques exemples de cette passion et de la manière dont votre engagement pour
01:29la pédagogie économique et l'éducation financière se concrétise.
01:32Venons-en au sujet que vous avez choisi pour conclure cette semaine.
01:35Vous voulez parler des crypto-actifs et du rôle des crypto-actifs dans un monde et une
01:41géopolitique particulièrement fragmentée comme aujourd'hui.
01:44Oui, en économie il y a généralement diversité des points de vue et je ne vais pas cacher
01:48que le chapitre 10 de notre livre montre une certaine méfiance par rapport aux crypto-actifs,
01:57mais c'est un sujet d'actualité et j'en prends pour exemple le fait qu'à la fin
02:02du mois de février le bitcoin, qu'en est le symbole, avait baissé de 20% en une dizaine
02:07de jours.
02:08Pendant le week-end, le premier week-end de mars, Trump a annoncé qu'il allait ordonner
02:14aux autorités administratives d'en avoir dans leurs réserves officielles.
02:18Résultat, le lundi, il bondissait de 15%.
02:22Certains ont dû prendre la profit parce que le mardi est retombé à son niveau initial.
02:28Demandez-vous à qui le crime profite.
02:31Effectivement.
02:32Comment est-ce que vous abordez ce sujet des cryptos, notamment face à un public d'étudiants
02:39par exemple ?
02:40Je le compare au billet d'une part, et pour être concret, mes futuristes, à l'euro
02:48numérique.
02:49D'autre part, je parodie le titre d'un film célèbre qui devient le bon, le brut et le
02:57brillant.
02:58Prenons les choses dans l'ordre, qui est le bon dans cette histoire ?
03:02Le bon ce sont les billets, on ne va pas faire attention trop aux pièces, pourquoi ? Parce
03:07que c'est la liquidité ultime, celle dont on a besoin, qu'on veut détenir en cas d'incertitude,
03:13en risque de crise, à preuve là aussi, l'augmentation de la détention des billets tirés dans les
03:20distributeurs automatiques au début de la pandémie ou au début de la crise financière
03:25mondiale, ce qui atteste la confiance maintenue dans les banques centrales qui émettent ces
03:31billets, contrairement à ce que certains essayent de faire croire.
03:35Et pourquoi ? Parce que ces billets sont sécurisés par de la haute technologie eux aussi, on parle
03:42alors de monnaie fiduciaire, je le rappelle, du latin fiat qui veut dire confiance.
03:46Alors certes, les transactions fiduciaires sont en train de baisser au profit des transferts
03:54faits à partir des dépôts bancaires, qui sont ce qu'on appelle la monnaie scripturale
03:59par des virements, des chèques, etc., le chèque un peu moins à la mode, pour ne pas
04:05que les banques créent trop de cette monnaie, elles sont contrôlées, c'est-à-dire supervisées
04:13grâce à une régulation préalable et elles sont également, la banque centrale va pouvoir
04:20influencer la distribution du crédit par son coût qui va être plus ou moins élevé
04:25lorsque les banques viennent se refinancer à des taux d'intérêt que fait varier la
04:30banque centrale.
04:31Dans cet univers des transferts électroniques, des transactions fiduciaires, une technologie
04:38comme la blockchain, vous la mettez également dans le camp du bon, si je puis dire, Marc
04:44Olivier ?
04:45Oui, la technologie, la blockchain, la chaîne de blocs en français, on peut dire aussi les
04:49distributives, les geotechnologies, mais on ne va pas faire dans le détail technique
04:55ça, ça a été pratiqué par la Banque de France dès 2018 pour enregistrer des opérations
05:04et en fait, dit de façon extrêmement simplifiée, c'est comme un grand livre comptable, un
05:11registre électronique ouvert, public, décentralisé, tout le monde peut être amené à écrire
05:17dedans, mais surtout inaliénable au sens où toute opération nouvelle amène à revérifier
05:24la chaîne des opérations précédentes et ça, ça permet de garantir que vous détenez
05:29bien l'actif qui va faire l'objet d'une transaction.
05:32Donc ça, c'est quelque chose d'assez fort et utile, ça a été créé en même temps
05:39que le bitcoin en 2008, mais ça ne doit pas être confondu avec le bitcoin, symbole des
05:44crypto-acquis.
05:45On a bien compris cette technologie, cette chaîne de blocs qui permet des opérations
05:50ultra sécurisées, inviolables, etc., mais technologie sur laquelle s'appuie également
05:57le bitcoin quand même, Marc Olivier, et donc le bitcoin, dans votre déroulé si je puis
06:04dire, dans votre trilogie, c'est celui que vous qualifiez de brut, c'est ça ?
06:10Alors, voilà, brut, et certains vont dire « brut comme un diamant », et moi je vais
06:14plutôt penser « brut » qui veut dire pas très net, parce qu'il prétend être
06:20une monnaie.
06:21Mais c'est quoi les crypto-actifs ? Et dit de façon très simple, là encore, c'est
06:28des actifs numérisés émis par des entités privées qui ne sont pas contrôlées.
06:33Et il y en a deux catégories que je vais distinguer, pour simplifier les choses là
06:37encore, plus ou moins risquées.
06:40La catégorie la plus risquée, ce sont les crypto-actifs dits « natifs », comme le
06:45bitcoin, qui n'ont pas d'émetteur identifié et qui n'ont pas de valeur intrinsèque.
06:51C'est-à-dire que vous ne pouvez pas aller voir l'émetteur parce qu'on ne sait pas
06:55qui c'est, c'est un mineur quelque part, et lui dire « je veux l'échanger contre
06:59quelque chose ». Et il n'y a pas donc de valeur sûre, qu'est-ce qui fait sa valeur,
07:05c'est l'offre et la demande.
07:06Et l'offre, elle a été, et prenons l'exemple du bitcoin pour simplifier là encore, elle
07:11a été raréfiée artificiellement par la préannonce qu'il n'y aurait pas plus de
07:1621 millions d'unités et sa production qui diminue de moitié périodiquement.
07:23Du côté de la demande, il y a l'attrait spéculatif et l'anonymat, qui permet à
07:29certains comme la Russie de contourner les sanctions.
07:33Et donc, ce n'est pas étonnant que le prix fasse le yo-yo, que j'ai évoqué, parce
07:39qu'il y a une instabilité qui fait que pour moi, ça ne peut pas devenir une monnaie,
07:46c'est son principal inconvénient, car une monnaie, ça doit être une réserve de valeur
07:51indépendamment du fait que pour être un moyen d'échange, il ne faut pas être énergivore
07:54comme il l'est, etc.
07:55C'est là où on en vient donc aux stable coins, Marc Olivier, qui sont la deuxième
08:00catégorie de ces crypto-actifs, différents des crypto-actifs natifs.
08:04Et donc, dit stable, parce qu'on veut montrer qu'ils sont stables, du moins en théorie,
08:09pourquoi ? Parce qu'ils sont adossés à un actif, très souvent le dollar et on va
08:14le prendre comme exemple, par un émetteur qui est identifié.
08:18Donc là, vous pouvez aller voir cet émetteur et lui dire « je veux rééchanger mon stable
08:23coin contre un dollar ». Qu'est-ce qui fait à ce moment-là l'attrait ? C'est
08:28l'anonymat qui permet des opérations à grande échelle et donc parfois, souvent,
08:35de plus en plus, illicite, voire illégale.
08:37Alors ça, c'est oublier les risques, les risques pour le détenteur et pour les autorités.
08:42Pour le détenteur, je vais en prendre deux exemples, le risque de faillite de l'émetteur,
08:48car pour qu'il y gagne quelque chose, il faut bien que les dollars que vous lui avez
08:51donnés contre le stable coin, il les place et ils ne sont pas immédiatement liquides.
08:56Donc s'il y a un retrait massif, il a un problème et il ne peut pas aller voir la
08:59banque centrale parce qu'il n'est pas une banque, donc il n'a pas accès à les liquides.
09:03Deuxième exemple, les vols, les cyberattaques par diverses personnes, voire par la Corée
09:10du Nord, qui feront tout perdre et ça, on l'a déjà observé.
09:14Oui, ce sont des risques qu'on a déjà vu se matérialiser.
09:16On a déjà vu se matérialiser des plateformes parce qu'il faut bien, pour faire certains
09:19échanges, recentraliser le processus.
09:21Risques pour les autorités ?
09:22Les risques pour les autorités, c'est au-delà du problème de l'illégalité des activités,
09:30c'est l'apparition, l'émergence potentielle d'Oligopol, des big tech comme Meta qui a
09:38voulu créer sa stable coin, X dont on dit qu'il voudrait le faire et parallèlement,
09:44et paradoxalement, une fragmentation par la multiplication des stable coins qui existent
09:51et qui fait qu'on revient quasiment au Moyen-Âge, à l'époque où chaque ville avait sa monnaie
09:56et on était obligé d'échanger à chaque fois.
09:58Et c'est ça qui a amené à la création des banques centrales, comme ce qu'on appelle
10:01un intermédiaire de confiance pour unifier les transactions au sein d'une région assez large.
10:06Bon, néanmoins, cette technologie, elle est là, on ne peut pas la balayer d'un revers de main.
10:09Vous voulez lier également le sujet des crypto-actifs à la géopolitique et aux enjeux géopolitiques.
10:15Marc Olivier, comment est-ce que tout ça s'articule ?
10:19Une chose importante, il n'y a pas de rejet de l'innovation et l'Odyssée des espèces,
10:25si on veut prendre cette image, a fait passer des coquillages aux pièces d'or, aux billets
10:30et peut-être à l'heure numérique, on verra.
10:32Mais on a 20 000, plus de 20 000 paraît-il, crypto-actifs existants qui immobilisent autant
10:40de ressources qui ne sont pas source de création, de production et qui peuvent créer des problèmes
10:53sans apporter des services qui existent déjà grâce à à peu près moins de 200 monnaies
10:58qui existent, sauf dans des pays décrédibilisés ou très fragilisés, corrompus.
11:04La géopolitique, elle revient là-dedans parce qu'elle permet à certains d'étendre leurs pouvoirs
11:10et leurs profits en privatisant ce bien public qui est la monnaie ou en se servant des stable coins,
11:18et je pense aux Etats-Unis, comme cheval de Troie américain.
11:21Et au GECO, en novembre, je modérerai un panel qui montrera combien les moyens, les systèmes de paiement
11:30peuvent devenir un véritable arsenal financier.
11:34Bon, les GECO, c'est à Lyon en novembre, c'est ça ?
11:36Petite parenthèse, rendez-vous à Lyon en novembre.
11:39Les journées de l'économie.
11:40Bon, il faut qu'on termine. Et donc, le bon, le brut et le brillant pour conclure la trilogie sur l'euro numérique, c'est ça ?
11:47L'euro numérique, avec un petit point d'interrogation, il va le confirmer, je pense.
11:51C'est quoi ? C'est un billet dématérialisé, c'est comme un crypto émis par la Banque centrale
11:57et donc garanti par elle. Ça sert à quoi ?
12:03Un billet, ça peut être perdu, ça peut être volé. On doit être à proximité pour l'échanger.
12:08Donc, ça peut servir pour le commerce Internet, pour les transferts d'immigrés, pour le fond d'immigrés,
12:15pour le tourisme, pour bientôt la domotique et l'Internet des objets,
12:24pour les non bancarisés qui n'ont pas accès à un compte bancaire, etc.
12:31Et donc, il y a une demande à laquelle il faut répondre.
12:34Par ailleurs, on cherche à réguler les cryptos, mais il faut offrir un billet dématérialisé.
12:39Et ça reste une monnaie banque centrale ?
12:41Et ça reste sous le contrôle souverain pour ne pas se retrouver cryptoisé par un actif qui est manipulé par Poutine
12:48ou dollarisé de facto par le stablecoin de Trump ou vassalisé par le yuan électronique de la Chine.
13:00C'est une question de souveraineté.
13:02Et ça, d'ici 2030 normalement, parce que ça prend du temps.
13:06Il faut que ça soit un succès pour ne pas décrédibiliser la BCE,
13:09mais pas trop pour ne pas vider les dépôts bancaires et déstabiliser les banques.
13:15Et je conclurai très rapidement, parce que je sens que c'est le moment,
13:18par une petite ironie sur le fait qu'on peut faire confiance aux banques centrales
13:24et que je note qu'il vaut mieux en avoir gouverné au moins deux pour devenir Premier ministre,
13:30comme l'a été Mario Draghi en 2021-22 et comme les Marc Carnet au Canada depuis le 14 mars.
13:36Banque d'Italie, Banque Centrale Européenne pour l'un, Banque du Canada et Banque d'Angleterre pour l'autre.
13:41Merci beaucoup Marc-Olivier.
13:43Marc-Olivier Strauss-Kahn qui nous accompagne à l'occasion de cette semaine de l'éducation financière.
13:47Directeur Général Honoraire de la Banque de France.