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Mardi 18 mars 2025, retrouvez Gilles Moëc (Chef économiste, Groupe Axa) dans SMART BOURSE, une émission présentée par Grégoire Favet.

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00:00Le dernier quart d'heure de Smart Bourges chaque soir, c'est le quart d'heure thématique, le thème ce soir, c'est celui de l'Europe, de l'Allemagne qui change de visage et qui entraîne derrière elle peut-être un nouveau régime pour l'ensemble de la zone euro et de l'Union Européenne.
00:24Gilles Mouet qui est avec nous par téléphone, chef économiste du groupe AXA. Bonsoir Gilles, merci beaucoup d'être avec nous par téléphone.
00:30On discute depuis longtemps Gilles de ces enjeux européens, on a vécu quelques crises côte à côte, notamment la crise souveraine, la crise Covid.
00:40J'inscris la date de mars 2025, le 4 mars 2025, le Whatever It Takes de Frédéric Schmerz dans la lignée du 26 juillet 2012, le Whatever It Takes originel de Mario Draghi
00:51ou encore dans la lignée du discours d'Angela Merkel à l'époque et d'Emmanuel Macron mai 2020, 18 mai 2020 avec ce moment presque Hamiltonien dans la course de la crise Covid.
01:05Est-ce que vous êtes d'accord avec ça Gilles ? Je vois beaucoup d'économistes que je connais depuis longtemps qui ont presque du mal à modérer leur enthousiasme je dois dire.
01:12Non mais moi aussi et bon c'est vrai que ça fait très longtemps qu'on te connaît et je ne suis pas naturel très positif c'est vrai qu'on puisse dire et là j'ai envie d'être optimiste
01:23parce qu'il y a une vraie rupture politique économique presque culturelle en Allemagne et quelque part c'est important que ça vienne de la CDU,
01:33c'est-à-dire que ça vienne d'un parti qui normalement essentiellement est quand même très rigide sur les questions budgétaires
01:40et donc ça c'est quand même l'indication d'un changement vraiment profond en Allemagne, une prise de conscience de la part de Merkel
01:48mais de l'ensemble du personnel politique allemand de la nécessité d'agir donc c'est véritablement extrêmement important.
01:55Ça peut sortir d'Allemagne cet espèce de modèle de croissance totalement dépendant de l'extérieur en particulier de la Chine
02:03tout en préservant la spécialisation industrielle parce que lorsqu'on fait de la dépense militaire,
02:12on sert essentiellement le secteur manufacturier et on voit déjà les entreprises allemandes qui commencent à reconvertir
02:19certaines de leurs lignes de production depuis de la production civile vers de la production de défense.
02:25Donc l'Allemagne a trouvé un peu la martingale, ce qui manque encore un peu mais je suis relativement optimiste là-dessus,
02:31c'est la dimension proprement européenne du paquet mais on va probablement y venir.
02:36C'est-à-dire la dimension européenne parce que là on voit bien que c'est un plan allemand,
02:41la gouvernance du plan allemand fait que l'Allemagne va quand même en profiter en premier lieu j'imagine
02:47mais qu'est-ce qu'il va falloir surveiller pour se dire que ce virage historique de l'Allemagne c'est aussi un virage pour l'Europe ?
02:55Alors tout d'abord il y a la question bien évidemment de la dépense,
03:00il faut que la partie essentielle de la dépense de défense, l'effet multiplicateur sur la croissance sera faible,
03:15donc ça c'est une question qui reste ouverte mais au-delà de ça,
03:19la question ici c'est de réussir à éviter ce qu'on pourrait appeler un effet d'éviction dans les autres pays européens
03:26parce que quelque chose qui me frappe c'est que même si les spreads sont plutôt bien tenus,
03:31sont plutôt allés dans la bonne direction depuis les annonces allemandes,
03:35on a quand même une élévation assez nette des coûts de financement absolus des pays européens,
03:41y compris de pays qui pour l'instant en tout cas n'ont pas annoncé d'un surcroît de dépenses publiques.
03:48Donc on se retrouve dans une situation dans laquelle tout le monde aujourd'hui taille un peu plus cher pour financer sa dette
03:54sans nécessairement en face de la dépense nationale supplémentaire.
03:58Donc ça, ça peut se traduire par à terme une petite érosion de l'enthousiasme
04:04parce que voilà si on prend le cas de la France par exemple,
04:07même si notre spread s'est plutôt bien tenu,
04:10payer plus de 3,5% sur un 10 ans ça oblige à un niveau du budgétaire supplémentaire.
04:15Qu'est-ce que ça change pour la Banque Centrale Européenne ?
04:18Sur différents horizons de temps, Gilles, j'allais dire,
04:21est-ce que ça change quelque chose à court terme ?
04:23Et qu'est-ce que ça change sur le plus long terme pour la Banque Centrale de la zone euro ?
04:28On a vu Christine Lagarde à l'occasion de la dernière réunion qui était d'ailleurs juste au titre,
04:33bien mal en peine d'expliquer ce que ça pouvait changer.
04:38Les équipes de la Banque Centrale Européenne, aussi puissantes soient-elles,
04:41n'avaient pas encore eu le temps d'assimiler toutes les informations
04:44et d'autres à venir sans doute encore pour estimer le long terme de la zone euro.
04:50Alors on peut se faire l'hypothèse que tout cela a probablement un effet à la hausse
04:55sur ce qu'on pourrait appeler le taux d'intérêt naturel de la zone euro
04:58parce que c'est une modification quand même assez sensible
05:02de l'équilibre épargne-investissement dans le plus grand pays de la zone euro,
05:06à savoir en Allemagne, qui fait quand même une très grande préférence pour l'épargne
05:10et qui la bouge plutôt du côté de l'investissement
05:13et ça c'est normalement cohérent avec une déclaration du taux d'intérêt naturel.
05:17Mais à court terme, je ne pense pas que ça change grand chose
05:20parce qu'une des caractéristiques des dépenses infrastructures et des dépenses militaires,
05:25c'est qu'elles mettent un temps très long avant d'avoir un impact matériel sur la croissance.
05:31À court terme, on est toujours dans le problème habituel.
05:35Certains sont purement domestiques,
05:37la préférence pour l'épargne dans une grande partie de la zone euro aujourd'hui.
05:41D'autres sont des menaces d'ordre externe.
05:43C'est une réponse européenne à une approche assez agressive de la part des Etats-Unis.
05:49Cette réponse européenne se manifestera dans nos chiffres de PIB
05:53dans 2 ans, 3 ans, 4 ans.
05:55La menace américaine, malheureusement,
05:57elle peut se manifester dans nos chiffres de PIB dans les 3 à 6 mois qu'il y a.
06:01Vous restez convaincu qu'il n'y aura pas de pause à partir de la réunion du mois d'avril
06:07pour la Banque Centrale Européenne, Gilles ?
06:09On peut avoir un ralentissement.
06:12On aura sans doute un ralentissement du rythme de la baisse des taux
06:15parce qu'on est là en train de sortir du territoire restrictif.
06:18On a peut-être plus de temps.
06:20On n'est pas obligé d'aller dans l'urgence.
06:23Mais la question au fond pour moi, c'est est-ce qu'on va à deux et qu'on s'arrête
06:26ou est-ce qu'on va un peu plus loin ?
06:28Moi, je pense qu'en fait, la baisse des taux sera obligée toujours d'aller un peu plus loin
06:32si les Américains, comme je le pense, mettent effectivement en œuvre des tarifs sur la zone euro.
06:39Parce que pour l'instant, on est un peu dans une zone euphorique en Europe
06:43où on voit les effets positifs à terme de la réponse politique européenne
06:47qui est beaucoup plus puissante, beaucoup plus rapide que celle qu'on pouvait espérer.
06:51Mais on n'a pas encore vu le choc de court terme
06:54qui risque de nous tomber dessus dans les quelques mois qui viennent
06:57avec des tarifs américains.
06:59Bon, ça suggère qu'il faut prendre Trump 2.0 plus au sérieux que jamais, Gilles.
07:05Et c'est déjà quelque chose que vous suggériez
07:08avant même son installation à la Maison Blanche le 20 janvier dernier.
07:12Comment votre réflexion a évolué depuis ?
07:15Quelle est la clé de lecture sur les 60 premiers jours d'exercice du pouvoir de Trump et de son administration ?
07:20Quelle est la clé de lecture que vous avez de la stratégie qu'il endosse
07:24et des objectifs qu'il poursuit ?
07:27Pour moi, la clé de lecture, c'est le poids beaucoup plus important qu'on aurait pu le croire de l'idéologie,
07:35pour aller vite, dans l'équipe de Trump autour de lui.
07:39Je pense qu'on s'est un peu rassuré à court terme avec cette idée
07:44que l'administration Trump est essentiellement une administration transactionnelle,
07:49qu'elle utilise des menaces plus pour leur effet de levier dans la négociation que pour leurs effets effectifs.
07:56Ce que l'on voit, c'est qu'on a des convictions fortes dans l'entourage de Donald Trump
08:03autour, par exemple, de l'idée que le système monétaire international ne sert pas les intérêts des États-Unis,
08:09autour de l'idée que l'Europe et la Chine se servent, entre guillemets, de la demande américaine
08:16sans rien offrir en retour.
08:18Ce sont des convictions très ancrées et on les sent quand même,
08:22et ça c'est de plus en plus apparent dans le discours,
08:25prêt à accepter ce qu'ils appellent de la douleur de court terme au nom de ses bénéfices éventuels futurs.
08:33J'ai utilisé l'expression révolutionnaire contre réaliste il y a quelques semaines,
08:38et j'ai l'impression qu'il y a une posture révolutionnaire quand même assez forte dans l'administration américaine.
08:43Si on définit un révolutionnaire comme quelqu'un qui, au nom d'un avenir éventuellement radieux,
08:48est prêt à accepter une souffrance à court terme.
08:52Ils sont vraiment convaincus d'être le dindon de la farce du système monétaire, du système commercial mondial ?
09:00C'est ce qu'on entend de manière vraiment très répétée de beaucoup de gens dans l'entourage économique de Donald Trump,
09:07et ce sont des gens qui sont au commence, c'est-à-dire que c'est là une des grandes différences avec 2016,
09:13c'est qu'au tout début du premier mandat de Donald Trump,
09:17il s'était entouré de gens qui étaient des républicains classiques, qui étaient des hauts fonctionnaires classiques,
09:22alors que là on a vu arriver des gens qui viennent de parcours complètement différents,
09:27qui viennent souvent du monde de la finance, qui viennent souvent du monde des hedge funds,
09:31qui ont des options idéologiques très très fortes et qui n'ont pas l'expérience en fait de la gestion des relations internationales,
09:38même de la gestion en ce moment des finances publiques,
09:40et ça donne du coup cette espèce d'hyperactivisme de l'administration américaine,
09:45qui joue en fait beaucoup à mon avis dans le stress actuel de marché,
09:49qui est qu'on se disait que certes il y aurait des aspects défavorables à la croissance dans le programme de Donald Trump,
09:57avec oui peut-être sans doute quelques tarifs ici ou là,
10:01mais les tarifs sont agités de manière très très frappante,
10:05alors que les effets positifs, par exemple la dérégulation ou les baisses d'impôts,
10:10pour l'instant en tout cas sont envoyés à plus tard.
10:12S'il faut se poser la question du seuil de douleur de cette administration,
10:17avec les caractéristiques qu'elle peut avoir,
10:20où peuvent être les garde-fous,
10:22quel niveau de douleur est-ce que l'économie américaine est capable d'encaisser aujourd'hui sous Trump 2.0 ?
10:30Pour moi le garde-fou à ce stade il est essentiellement au parti républicain.
10:36Je vois que tout le monde se demande où est passé le parti démocrate,
10:41mais la question de fond c'est comment vont réagir les alliés républicains
10:47qui peuvent se retrouver dans une posture très compliquée pour leur élection en 2026.
10:51Je pense que c'est ça en fait qui est le point assez important.
10:54Ce qui est quand même frappant quand on regarde les indices de confiance des ménages,
10:57on a encore eu la semaine dernière l'indice Michigan,
11:00ça se dégrade quand même très vite.
11:02Ça se dégrade y compris chez les électeurs républicains,
11:05et ça c'est quelque chose qui va faire quitter une partie de leurs élus.
11:09Et ça on peut avoir peut-être une correction d'erreur entre guillemets
11:13qui viendrait du parti républicain lui-même.
11:16Oui évidemment la mainmise personnelle de Donald Trump sur le parti républicain est très forte,
11:22mais on parle quand même de gens qui vont maintenant très vite
11:25songer à leur réélection en 2026.
11:27Pour moi c'est ça, la vraie force de rappel.
11:30C'est pas l'opposition du parti démocrate qui étant minorité ne peut de toute manière pas grand-chose,
11:34sauf à prendre des positions extrêmes,
11:36ce que Schumer a évité la semaine dernière en refusant de se prêter à un gouvernement de chute d'air.
11:42Donc c'est au parti républicain que ça se passe.
11:45Dernière question, Gilles, est-ce qu'il est temps pour la réserve fédérale américaine
11:49de sortir de sa position d'observatrice,
11:51enfin pour Jérôme Poel de sortir de sa position d'observateur ?
11:55Non, pour moi on n'est pas encore dans cette phase de clarification,
11:59parce que les indicateurs dits soft, c'est-à-dire les enquêtes,
12:03les enquêtes de confiance en particulier sont en train de se dégrader assez vite,
12:06mais pour l'instant il n'y a pas de traduction avérée dans les vrais indicateurs macro.
12:12C'est-à-dire qu'on n'a pas encore vu grand-chose dans les créations d'emplois,
12:15on n'a pas vu grand-chose,
12:17le PIB T1 va être de ce point de vue-là assez intéressant.
12:20Et puis franchement la question inflationniste,
12:22à la fois dans sa réalité et dans les anticipations.
12:25Alors le dernier chiffre d'inflation a été un peu meilleur qu'attendu,
12:29mais quand même quand on regarde le détail,
12:32on est toujours sur une réaccélération du prix des services hors loyer
12:35par rapport au point bas de l'été dernier,
12:37et ça, ça doit inciter la Fed.
12:39Et quand on regarde les anticipations,
12:41celles encore une fois qui étaient révélées dans la dernière enquête Michigan,
12:44on a des ménages qui aujourd'hui attendent un surcroît d'inflation tout à fait massif.
12:48Donc comment lâcher l'affaire entre guillemets pour la Fed à ce stade,
12:52ça me paraît très complexe,
12:53et donc je pense qu'on aura un discours assez musclé
12:57entre guillemets de la part de Powell demain soir.
12:59Merci beaucoup Gilles.
13:00Merci pour votre éclairage sur la situation du moment en Europe, aux Etats-Unis.
13:04Gilles Moix, chef économiste du groupe AXA qui était avec nous par téléphone,
13:07l'invité de ce dernier quart d'heure de Smart Bourse ce soir.
13:11Sous-titrage Société Radio-Canada

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