Dans ce nouvel épisode de "Chocs du monde", Edouard Chanot reçoit François Soulard, Français expatrié à Buenos Aires, cofondateur de la plateforme Dunia, auteur de l'ouvrage "Une nouvelle ère de confrontation informationnelle en Amérique latine".
Javier Milei a-t-il tronçonné l’Etat argentin ? Plus sérieusement, plus d’un an après son élection, les Argentins vivent-ils mieux ou ont-ils été plongés dans la misère ? Des questions essentielles pour nous Français : Milei est-il un exemple ou un contre-exemple alors que nous sommes confrontés à l’explosion de nos dépenses publiques ?
Javier Milei a-t-il tronçonné l’Etat argentin ? Plus sérieusement, plus d’un an après son élection, les Argentins vivent-ils mieux ou ont-ils été plongés dans la misère ? Des questions essentielles pour nous Français : Milei est-il un exemple ou un contre-exemple alors que nous sommes confrontés à l’explosion de nos dépenses publiques ?
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00:00Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises, la prospective
00:25internationale de TV Liberté, Ravier Milehi a-t-il tronçonné l'État argentin comme
00:31il l'avait promis ? Plus sérieusement, comment les Argentins vivent-ils plus d'un
00:34an après son élection ? Vivent-ils mieux ou vivent-ils désormais dans la pauvreté
00:38voire dans la misère comme certains le décrivent ?
00:40Et bien pour répondre à cette question, à cette question d'autant plus cruciale
00:43que nous Français sommes de plus en plus confrontés à l'explosion des dépenses
00:47publiques, et bien je reçois François Soulard.
00:49François Soulard, bonsoir, bonsoir et merci de répondre présent à l'appel de Choc
00:54du Monde.
00:55François Soulard, vous coordonnez la plateforme d'intelligence stratégique Dunia, vous avez
00:59publié en espagnol l'essai Une Nouvelle Ère de Confrontation Informationnelle en Amérique
01:04Latine en 2023, vous êtes un partenaire de l'École de Guerre Économique de Paris et
01:09vous contribuez à la Revue Conflit.
01:11Alors François Soulard, je parlais de pauvreté si ce n'est même de misère d'ailleurs,
01:15permettez-moi de commencer par là.
01:17L'inflation était de plus de 200% en 2021 en Argentine, de 20,6% en janvier 2024, désormais
01:26en novembre 2024 elle est de 2,4%, moins d'un an plus tard donc, 15% de dépenses publiques
01:32en moins.
01:33Si l'on en croit néanmoins certains médias, les Argentins subissent le choc des politiques
01:37de mille et i.
01:38Le taux de pauvreté serait passé de 40 à 53%, je suis navré de vous bombarder de chiffres
01:43mais tout cela, François Soulard, est-il vrai ou est-il faux ?
01:46Eh bien c'est vrai, l'effet de tronçonneuse annoncé et promis par Javier Millet et sa
01:54coalition politique a en gros fonctionné, si on regarde les données macro-économiques,
02:00en termes de remontée du PBI, en termes de baisse des taux de pauvreté, en termes de
02:06réévaluation du salaire moyen pour le monde déclaré, pour les professionnels, non formels
02:12et donc tous ces indicateurs confirment que Javier Millet a en effet conduit tout un nombre
02:23de réformes avec des angles morts, avec des clairs obscurs mais en tout cas, tous ces
02:30changements confirment une dynamique assez révolutionnaire si on la projette dans le
02:37cadre de l'histoire argentine qui a été marquée par différentes tentatives de gouvernements
02:44libéraux depuis Fondici, Raoul Menem ou Mauricio Macri pour ceux qui connaissent un peu l'histoire
02:50du pays.
02:51Javier Millet est une nouvelle figure libérale qui est articulée à différentes écoles
02:55de pensée libérale, de l'autrichienne, de l'école de Salamandre pour ceux qui connaissent
03:00un peu la culture hispanophone et il a réussi son pari en termes de redressement économique.
03:06C'est la conclusion qu'on peut tirer de manière assez honnête et objective.
03:14Il y a évidemment de la spéculation sur les chiffres, sur l'inflation, différents indicateurs
03:19mais grosso modo, hormis certains aspects sur la dette, sur la santé de la dette,
03:26hormis certains aspects sur l'état de santé de la banque centrale, il n'y a pas forcément
03:31des réserves positives quand on fait le bilan sur le remboursement des dettes, FMI,
03:37dettes publiques et autres.
03:38Là, on peut discuter sur certains chiffres mais en tout cas, c'est également sur le
03:46niveau de salaire, sur l'adaptation des niveaux de retraite par rapport au coût de la vie
03:50actuelle mais en gros, ces données macroéconomiques confirment un paysage positif.
03:58Donc, le choc que les Argentins subissent est plutôt en réalité positif sur du moyen terme ?
04:03Tout à fait, sur du moyen terme, c'est-à-dire sur un an de gouvernement libre puisqu'il a été élu fin 2023,
04:09il a assumé en début 2024, on est à un an grosso modo de sa gestion.
04:14Il y a des élections de moyen terme qui vont avoir lieu en 2025, donc législatives.
04:19Sa cote de popularité est environ aujourd'hui à plus de 50 %, donc il y a une réceptivité,
04:25une adhésion populaire à sa gestion avec quelques turbulences qu'on pourra aborder.
04:32Il y a quand même eu un minimum d'opposition, on a vu des images de manifestations devant le
04:39Parlement. Vous me direz qu'il existe les mêmes, si ce n'est pire, en France,
04:43mais il y en a quand même eu certaines depuis un an.
04:45Oui, il y a eu des manifestations régulièrement à partir de chaque décision importante du milieu,
04:52notamment par exemple pour la privatisation de certaines entreprises publiques qui devaient
04:55être plus importantes dans la première proposition. Elles ont été réduites à la baisse.
05:00Il y a eu des mobilisations au moment de réformer certains niches et avantages économiques pour le
05:09monde syndical. Il y a eu d'autres mobilisations pour la réforme des programmes d'aide sociale,
05:14etc. Chaque moment a été ponctué par ce type de démarches.
05:20En réalité, ça a été une conflictualité assez maîtrisée, dans le sens où on n'a pas eu d'épisodes
05:28répressifs très forts en comparaison avec d'autres gouvernements antérieurs. Je m'attendais
05:33personnellement à des choses beaucoup plus piquantes. En réalité, le cadre de sécurité
05:38publique a été plutôt assuré, ce qui n'était pas du tout donné dès le départ, puisqu'en face,
05:44rappelons-nous quand même, on a 40 ans de gouvernement de centre-gauche ou de gauche,
05:51alors pourquoi pas, mais avec une gestualité en termes de guerre culturelle et de guerre sociale,
05:59je parle de guerre volontairement, où bien souvent la plupart des décisions,
06:09faisaient l'objet d'un véritable guérilla communicationnel et d'occupation de l'espace
06:14public. Il y a eu des épisodes très chauds là-dessus, comme beaucoup de démocratie,
06:20bien en tout cas, l'Argentine était habituée à ça. Et là, curieusement, alors que les médias,
06:25les experts nous prédisaient que ça allait être un chaos, en réalité, l'espace public s'est apaisé
06:33sur le plan des manifestations. Alors, ce que vous dites est assez intéressant, il ressort aussi
06:39dans la presse étrangère, nous reviendrons là-dessus. Alors, y est-il allé à la tronçonneuse ? Un
06:44exemple, un chiffre encore, il y avait plus de 18 ministères en Argentine, il n'y en a plus que
06:49huit, de nombreuses compétences, d'après ce que je comprends, ont été transférées aux gouvernements
06:53locaux, notamment. Il a réussi cela sans avoir d'ailleurs beaucoup de sièges au Parlement,
06:58moins de 15% au Parlement argentin. Mais, bon, certaines choses, peut-être, n'ont pas eu lieu,
07:05il a écarté la dollarisation de l'économie, il n'a pas évoqué de nouveau la destruction de la
07:10Banque centrale argentine, parce que vous avez évoqué la Banque centrale.
07:16Oui, mais justement, au Parlement central, un des fléaux qui était en vigueur ici, avant
07:25Mileix, c'était un mode spéculatif d'émission de dettes et d'émission de bons ou de trésors de l'État
07:32argentin, qui donnait lieu à des taux d'intérêt far mineux, entre 20 et 60-70%, que tout le secteur
07:41bancaire en Argentine appuyait, surtout prêté. La Banque était plus orientée au prêt à l'État
07:49pour financer ses bons, ses trésors, et la dette, l'émission de la dette. Et aujourd'hui, par rapport
07:58à ce marché spéculatif, qui était en place depuis une quinzaine d'années, par plus, Mileix a réduit
08:05la voilure à environ 20% de la masse financière qui était mise sur ce marché-là. Alors, ça n'a pas
08:13complètement disparu. Dans la pratique, aujourd'hui, il y a environ 25 banques qui, au lieu de prêter à
08:23la Banque centrale pour ces « carriage rates » comme on dit dans la spéculation financière, ont créé des
08:29produits financés à destination de la population argentine, chose qui était quasi inexistante ou
08:34de manière très exclusive avant. Aujourd'hui, les citoyens ont la possibilité de faire des prêts
08:39immobiliers. Et donc, les Argentins n'avaient pas d'accès, en réalité, à des produits bancaires en
08:47termes de prêts pour la construction immobilière, pour l'achat, etc., de manière très, très exclusive.
08:52Et Mileix a crevé le ballon de cette spéculation financière. Et aujourd'hui, on a une trentaine de
09:01banques qui proposent des crédits, on va dire normaux, pour les foyers et pour financer
09:08l'activité économique. Encore avec beaucoup de bémol, notamment sur les taux d'intérêt, mais c'est
09:14une normalité économique qui est finalement revenue et qui est résultant d'une remise en question
09:22justement de cette bulle financière qui tournait sur elle-même et qui faisait justement la
09:29richesse d'une élite politico-économique, évidemment associée au pouvoir. C'est une des
09:38réformes majeures sur le plan de l'agenda financier. Alors, vous avez évoqué l'apaisement de l'Argentine,
09:46apaisement paradoxal. C'est quelque chose qui ressort dans la presse locale, mais aussi internationale.
09:51Je vous propose, François Soulevard, de faire un petit tour de celle-ci. À tout de suite.
09:57Javier Milei, un an d'anarcho-capitalisme. Javier Milei, le révolutionnaire du libre-échange, se réjouissait
10:03en novembre 2024, The Economist. « Milei a dépassé les attentes », estimait The Financial Times.
10:10« La science économique à la tronçonneuse a prouvé que ses critiques de gauche avaient tort »,
10:15affirmait The Telegraph. « L'Argentine exporte son modèle de dérégulation à la tronçonneuse
10:22autour du monde », revendiquait-il lui-même triomphalement le jour de l'élection de Donald Trump.
10:28En dépit des apparences, le président argentin apporte, selon la presse néolibérale, la stabilité
10:34dont l'Argentine avait besoin. Une chose est sûre, depuis toujours, Milei ne cesse de surprendre.
10:39Dans sa jeunesse, ses camarades de classe l'appelaient déjà « el loco », le fou, en raison de son caractère
10:45et de sa coiffure. Professeur d'économie et économiste, il sera invité à partir de 2014
10:51dans les médias, n'hésitant pas à insulter ses contradicteurs. Selon la presse argentine,
10:57il devient vers 2019 l'une des personnalités les plus influentes du pays, jusqu'à prendre la tête
11:03de la coalition La Liberté. Avance en 2021, puis à être élu en 2024, en novembre, président,
11:12à 55% des voix, au deuxième tour, grâce à une coalition au deuxième tour avec la droite traditionnelle.
11:22François Soulard, vous semblez d'une certaine manière quand même assez admiratif de l'action
11:28de Milei depuis un an, mais je vais jouer la voie du diable, est-il vraiment un homme providentiel
11:33pour l'Argentine ? Milei a-t-il des zones d'ombre ? Alors oui évidemment, providentiel, c'est vrai
11:43qu'il a joué beaucoup sur cette image de rupture vis-à-vis d'un ordre politique antérieur et il y
11:50avait de quoi, on a abordé des chiffres, Edouard tu l'as bien présenté, et ce qui est plus évident
11:58aujourd'hui en réalité c'est une contradiction vis-à-vis de la rupture vis-à-vis de la caste.
12:05Milei a désigné la caste comme un ennemi politique, il fallait absolument rompre les
12:12privilèges établis, rompre une minorité politique qui finalement gouvernait le pays et qui profitait
12:17de tout un nombre de choses. On avait une véritable économie administrée en Argentine, un pays
12:21entre guillemets cubanisé en termes de paralysie, contrôle de certaines économies, contrôle des
12:26prix, etc. Aujourd'hui en Argentine il suffirait finalement d'appuyer sur deux boutons pour
12:34relancer la croissance. Le premier, le principal, c'est le champ agro-industriel. L'Argentine est un
12:40pays qui a un potentiel édaphique agricole absolument fantastique, comparable avec celui
12:47des Etats-Unis et avec celui de l'Ukraine, en termes de fertilité des sols, en termes d'infrastructure
12:52c'est un petit peu différent. C'est un secteur qui investit environ 30 000 millions de dollars
12:57chaque année en termes de semences et donc d'investissement dans les récoltes futures, et qui
13:05a paradoxalement ses exportations limitées, qui a un marché de distribution de ses produits
13:10limité également au sein des Mercosur. Il suffirait d'activer ce secteur-là, et pour l'instant
13:20le gouvernement de Millet ne l'a pas encore fait, sauf quelques allégements au niveau fiscal, au
13:25niveau de certains impôts. Je rappelle quand même que ce secteur-là est taxé à environ 80% des plus
13:31taxés au monde en Argentine, donc c'est un chiffre qui nous ramène directement à l'enclume, à l'étau
13:37fiscale qui est présentement tenue avec cette économie administrée qui est une réalité. Donc il suffirait
13:44de libérer ce secteur avec un allègement d'impôts, en lui permettant d'avoir une capitalisation majeure
13:49pour améliorer les infrastructures, pour avoir plus d'investissements, pour élargir les surfaces
13:54exploitées, services de drainage, etc. Tout un certain nombre de choses qui ont trait à l'industrialisation
14:00du pays. Et c'est un agenda qui n'a pas encore été activé. Et en réalité, pourquoi il n'a pas activé ?
14:08Parce que depuis des années, en réalité, il y a une espèce de consensus transpartidaire commun à
14:16différentes familles politiques qui conçoit le rapport avec ce secteur industriel comme un
14:23rapport d'exploitation et de non-développement. C'est-à-dire qu'il faut faire végéter ce secteur,
14:29ne pas le développer, pour en tirer les dividendes, c'est-à-dire que les 80% de l'imposition vont à
14:34l'État et sont répartis au certain nombre d'intérêts politico-économiques. Ils ne sont pas réinjectés
14:44dans la croissance du pays. Millet vient de mettre en évidence, et ses ministres, que ça n'est pas sa
14:51priorité, même s'il y a des annonces, justement, au début de l'année 2025, pour alléger les impôts
14:56qui pèsent sur ce secteur. Le deuxième élément, la deuxième terre obscure qui commence à s'entrevoir,
15:03c'est la question de la dette. Début 2025, Millet vient d'annoncer qu'il est en train de négocier
15:10un nouveau prêt au FMI. Pour mémoire, en 2015-2016, son antéprédécesseur, donc M. Macri,
15:19avait sollicité l'FMI pour un prêt historique d'un montant de 50 000 millions de dollars,
15:24dont Farming, à l'époque, de la part d'un FMI. Ça avait été accepté, le pays s'était endetté.
15:30Pour mémoire, également, la montée de la dette avait été évaluée en environ 300 000 millions
15:37de dollars à l'époque de Crétina Fernandez de Kuchner et M. Fernandez de Kuchner, donc à l'époque
15:442002-2015, d'environ 60 000 millions de dollars avec M. Macri. Millet a bien baissé le niveau
15:53d'endettement, certes, mais 2025, il commence à parler d'une nouvelle demande auprès du FMI pour
16:01des montants qui confirment le fait que ce commerce invisible entre le secteur bancaire argentin et
16:12avec les prêts internationaux n'est pas encore remis en question. Et ça représente quelques
16:22points du FMI. Et ce commerce, en réalité, a été permanent dans l'histoire argentine depuis les
16:29années 90, depuis les fameuses crises de l'année dernière, etc. Et vous pensez que Millet n'a pas
16:37les moyens, n'a pas l'envie de rompre avec ce cycle ? Manifestement, il n'en a pas la volonté.
16:47Il n'en a pas la volonté vis-à-vis des faits qui sont constatables. Il n'a pas annoncé justement le
16:56fait de balayer complètement sa spéculation financière. Au niveau de la dette, il s'est
17:01prononcé, il a effectivement avec lui, un bilan positif en termes de réduction de la dette,
17:05il n'a pas d'effacement complet. D'ailleurs, le 9 janvier dernier, le gouvernement argentin annonçait
17:10avoir réglé une dette de 5 milliards de dollars. Alors ça, c'était une bonne nouvelle, mais vous
17:15dites que c'est particulier ce genre de bonne nouvelle, mais le portrait général, plus profond,
17:21l'est moins, donc sinon on vous comprend bien. Voilà, il a en effet baissé le poids général de
17:27la dette, il me semble, à 30 millions de dollars, il a réglé un niveau infirmier. Elle pèse environ,
17:34elle pesait dans les 56% du PBI, elle pesait maintenant dans les 46%, quelque chose comme ça.
17:39Sauf qu'il maintient un circuit interne de spéculation sur la dette et donc de profit
17:48sur les intérêts, sur la participation de la banque interne au financement de cette dette,
17:53c'est un mécanisme de dette éternelle comme on dit ici, que les Etats-Unis, l'Angleterre,
17:57enfin bref, ça passe sur les éléments historiques, ont favorisé, bien évidemment,
18:01en termes de soumission et de diminution. Et on peut supposer que derrière, il y a une alliance
18:06politique qui empêche à Milleye de régler complètement le problème. Bon, il y a quand
18:12même des variables qui nous permettent de dire que ce n'est pas tout à fait le cas,
18:15il aurait pu être plus volontaire et plus incisif dans ce domaine. Et ça rejoint le
18:21point sur la libération du secteur agro-industriel argentin qui ne demande qu'à travailler et à
18:28générer des excédents économiques. Alors quand on observe la situation en Argentine,
18:35on a un petit peu l'impression de voir un retour du réganisme, du tachérisme. Il n'y a pas
18:40l'alternative que ces deux grands personnages des années 80 disaient il y a 50 ans quand même.
18:47Alors le 7 janvier dernier, le gouvernement argentin annonçait la privatisation d'une
18:52société IMPSA et la vente de 85% des actions détenues par l'État argentin au bénéfice d'une
18:57société américaine, Arc Energy. Il faut savoir que la dette de l'entreprise s'élevait quand même
19:02à 600 millions d'euros. Mais si l'on regarde derrière tout cela, l'Argentine ne doit-elle
19:09pas craindre des pertes de souveraineté concrètement et notamment de la prédation
19:13américaine sur son économie ? Tout à fait, c'est le risque actuel avec la vague de privatisation.
19:20Alors là, il y a des manœuvres qui se font en coulisses qui ne sont pas forcément très visibles.
19:24Il y a des décisions positives au sens où certains marchés par exemple comme la logistique
19:30fluviale frontalière avec le Uruguay et le Paraguay a été privatisée pour justement
19:36désadministrer cette économie qui était aux mains de figures et de groupes syndicaux et politiques
19:43qui en faisaient un visage complètement détourné. J'insiste là-dessus, ce n'est pas de la fausse
19:48information. L'économie argentine reposait fondamentalement à l'est-sud dans plein de
19:52domaines industriels, sauf exception. Et le risque c'est en effet d'ouvrir la porte pour
19:57des offensives économiques diverses à la fois chinoises et à la fois américaines. En tout cas,
20:01ce qui se confirme, c'est une orientation du gouvernement de Milley vers un alignement
20:06avec les États-Unis et avec des taux de participation au niveau des actionnariats
20:11plus forts de la part des États-Unis. Un autre élément important, c'est que juste avant l'élection
20:18de Milley, un accord avait été signé avec le gouvernement antérieur pour installer une base
20:21chinoise militaire en Terre de Feu. La Terre de Feu, ce n'est pas n'importe quoi, c'est un passage
20:28biocéanique, l'accès à l'Antarctique. Cet accord a été pré-signé. Milley a redressé la barre et
20:36passé un accord pour développer une base militaire, mais avec les États-Unis. Donc là, il y a un
20:41réalignement évident avec les États-Unis. Et une rupture avec la Chine qui avait gagné beaucoup
20:48de terrain sur ce plan-là, comme ailleurs en Amérique du Sud, notamment au Panama.
20:52Il y en a fait un revirement, pas seulement vis-à-vis de la Chine, semble-t-il. Quand il a
20:58pris le pouvoir, Milley a retiré l'Argentine des BRICS+, dans lesquels l'Argentine devait
21:08entrer en janvier dernier. Donc, concrètement, n'est-il pas à contre-courant, n'est-ce pas
21:16imprudent, puisque les BRICS+, sont une organisation qui est quand même très courtisée à l'heure
21:21actuelle ? Est-ce une erreur stratégique, géostratégique ? Ça pourrait être une erreur
21:27stratégique si Milley avait justement activé et de manière plus consistante son industrie
21:34agroalimentaire. Parce que les BRICS sont évidemment une sortie, une débouchée pour les marchés
21:39alimentaires argentins fondamentales. C'est déjà pour le Brésil, qui a une infrastructure alimentaire
21:44de plus en plus encastrée avec celle de la Chine, donc avec les BRICS+. Par idéologie,
21:51disons, et aussi par timidité industrielle, Milley a tourné la page sur les BRICS+. Il
21:57dénonçait la Chine comme un pays communiste. Il a dû recalculer ses affaires, puisqu'il continue
22:05évidemment à travailler avec la Chine. Il s'est passé la même chose qu'avec Jair Bolsonaro au
22:09Brésil. Après avoir dénoncé la Chine pour son caractère communiste, il a dû négocier et
22:15continuer à faire des accords financiers, infrastructurels avec la Chine. Il qualifiait
22:20la Chine d'ennemi avec lequel il ne voulait pas commercer. Il y a quand même un principe de
22:26réalité quand on reprend le pouvoir. Il a rencontré Xi Jinping et ils sont de nouveaux partenaires sur
22:30certains nombres de dossiers. Même si on vous écoute, évidemment, il est capable de réorienter
22:37avec les États-Unis. Comment voyez-vous cet équilibre ? Pensez-vous qu'il est dans une
22:40situation d'équilibre ou pensez-vous qu'il a choisi d'une certaine manière un camp ?
22:43Il est dans une situation imposée et obligatoire d'équilibre puisqu'il a besoin essentiellement de
22:50la Chine pour des investissements locaux, des infrastructures, pour les débouchés commerciaux.
22:55Il a besoin fondamentalement également des États-Unis pour des partenariats institutionnels,
23:00pour une adhésion historique au modèle occidental et pour l'idéologie à laquelle il adhère,
23:07c'est-à-dire un libertarisme qui n'est pas synonyme de déconstruction de l'État,
23:12sinon de redéfinition de ses contours et de son rôle stratégique. L'équilibre est évident. Ce
23:21qui est manifeste dans cette recherche d'équilibre, c'est qu'on n'a pas en face de nous un guerrier
23:27économique qui part à la conquête des marchés internationaux. On a quelqu'un qui redynamise
23:34l'État, qui tourne la page d'un gouvernement qui était une structure étatique parasitaire,
23:41qui fonctionnait sur le dos des acteurs productifs argentins avec un budget de l'État qui voisinait
23:49les 50 % alors qu'on était il y a 45 ans environ à 25 % des dépenses publiques. L'État était
23:57aussi dynamique et cette montée en puissance de l'État a engendré toute une série d'inerties
24:03sur l'économie d'Argentine et ça a paralysé l'environnement. Il tourne petit à petit la
24:10page sur ces étapes-là, mais en même temps il n'a pas mis en route les moteurs d'un véritable
24:18décollage économique du pays. Le dernier élément que je peux connecter à ça, c'est que ce
24:26profil plus timide, plus réservé, se connecte avec un maintien de la caste que lui-même dénonce.
24:31Alors pourquoi je dis ça ? Parce qu'au sein du gouvernement, plutôt que d'avoir une chasse
24:38aux sorcières comme on pouvait s'y attendre, et effectivement il y a beaucoup de gens qui sont
24:42partis, qui ont été délogés par la tronçonneuse de mille ailes, des fonctionnaires, des cadres,
24:48mais il y a aussi des opposants politiques, des membres du quichenialismo, comme la formation
24:56politique antérieure, qui a gouverné pendant des décennies ici, qui sont présents dans les ministères,
25:01donc pas en poste principal, mais dans les troisième ou quatrième rangée, qui continuent
25:06à avoir des responsabilités, qui continuent finalement leur commerce administratif, leur
25:13clientélisme, etc., et qui n'ont pas été balayés par mille ailes, et qui en plus, pour certains
25:21d'entre eux, ont un passif judiciaire extrêmement gênant et impossible à éliminer du paysage
25:28médiatique. Il y a des gens comme Daniel Scioli, qui est actuellement ministre du tourisme, qui était
25:32corrompu sur des affaires de l'infrastructure publique des années précédentes, il y a des gens
25:36comme Carlo Salini, ancien conseiller de Justina Fernandez de Quichener, bref, je passe sur l'une
25:41et des gens qui, si la justice était véritablement de nouveau sur les rails dans ce pays, seraient,
25:49avec des affaires judiciaires sérieuses, condamnées, écartées de leur vie politique, comme c'est le
25:54cas avec Justina Fernandez de Quichener, anciennement présidente, avec beaucoup d'affaires en justice,
26:00avec des cas absolument phénoménaux, elle a quand même détourné, entre les couloirs, on parle d'un
26:06PBI, un PIB entier, c'est pas un délire, c'est un montant économique assez réaliste par rapport à ce
26:15qui a été détourné, et c'est des gens qui continuent à être dans les arcanes pouvoirs et qui en plus,
26:20si je peux permettre de compléter là-dessus, et qui en plus agissent à l'extérieur dans une
26:27logique extraterritoriale, notamment à New York, pour demander actuellement à l'État argentin des
26:32compensations sur des manœuvres de nationalisation qui ont été faites antérieurement, notamment avec
26:38la compagnie argentine de pétrole IPFC. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'on a encore des
26:45vautours à l'affût, qui utilisent différents leviers juridiques, qui bénéficient d'une impunité,
26:51une protection à la fois politique et judiciaire, locale, et qui continuent à travailler dans Londres
26:58avec la protection de Javier Milei et son gouvernement.
27:02Vous évoquez les arcanes du pouvoir argentin, François Soulard, à la fois sur le côté institutionnel et peut-être un peu plus idéologique,
27:14la position libertarienne est assez ambivalente historiquement sur les questions sociales.
27:19Milei, lui, a choisi ou a tranché un peu en faveur du conservatisme depuis sa campagne électorale,
27:25par exemple contre l'idéologie transgenre, l'avortement ou encore l'écologisme climatique.
27:30Mais il est allié, il a été élu grâce à Victoria Villaruel, sa colistière, devenue vice-présidente de la nation argentine,
27:38qui elle est ciblée par les opposants comme une nostalgique de la dictature militaire, rappelons-le,
27:44qui a marqué l'Argentine de 1976 à 1983. C'est un héritage difficile, toujours semble-t-il, pour l'Argentine.
27:50Où Milei se situe-t-il ? Comment Milei vit-il cette relation avec, disons, une tendance beaucoup plus délibérante,
27:58conservatrice au sein de son gouvernement ? Y aura-t-il de l'eau dans le gaz à un moment ?
28:04C'est un sujet très pertinent dans le sens où c'est vrai que la dictature ici a créé une déflagration dans les mémoires
28:11et en termes de souffrance historique évidemment ineffaçable.
28:17Mais l'écriture historique de cet épisode a été extrêmement détournée par différents acteurs au niveau international.
28:27Et nous vivons ici en Argentine dans une sorte de conte de fées, dans un narratif détourné,
28:34qui prétend que, en effet, durant cette dictature, il y a eu 30 000 disparus,
28:38il y a eu un génocide qui était en cours de la part des militaires,
28:41et toute une série de choses qui ont mis le doigt essentiellement, quasi exclusivement, sur la responsabilité militaire.
28:48Alors, il y a eu des crimes commis, évidemment, des éléments critiquables qui ont été, je pense, tous jugés, passés en justice.
28:56Il y a quand même 40 ans de justice qui sont encore non finalisés sur les crimes commis par cette époque.
29:05Et Millet en a une lecture critique, c'est-à-dire qu'il admet qu'il y a eu une application parcelle des droits vis-à-vis des militaires,
29:12et vis-à-vis de ceux qui ont généré cette reposte militaire de l'avenir.
29:17L'actuelle vice-présidente s'est construite, en réalité, dans sa vie d'avocate, dans une lutte pour mettre à jour ce leit mémoriel,
29:32c'est-à-dire qu'elle a fait en sorte, par l'écriture, par un activisme juridique, par un agenda international,
29:39de montrer que cette dictature était en réalité le produit d'un affrontement entre deux camps,
29:46une république argentine, jeune, vulnérable, et la lutte armée Castro-communiste,
29:53diffusée à partir des années 1959 au niveau régional en Argentine,
29:58et qui est entrée plus ou moins dans ces années-là également en Argentine,
30:01mais qui a fait extrêmement de nombreuses victimes.
30:05En termes de bilan et de victimes, on a grosso modo 6 000 morts d'un côté de la dictature militaire,
30:12l'appareil répressif de l'État, et de l'autre côté, on est loin des 30 000 qui sont annoncés en répétition sur de nombreux circuits communicationnels, etc.
30:22Et de l'autre côté, on a d'autres exactions qui s'évaluent à environ 1100 morts et 17 000 victimes indirectes,
30:30blessées, victimes psychologiques, etc., selon des bilans rigoureusement établis.
30:36Victoria Rechavel a été actrice de tout cela.
30:39Donc on a bien deux camps en présence, mais avec ensuite un narratif
30:43qui a simplement polarisé le regard sur la responsabilité des militaires.
30:47Alors ça a conduit à toute une sorte de paralysie sur le plan légal administratif vis-à-vis du rôle de l'armée.
30:56Ça a conduit à des purges de l'État, et ça a conduit aussi à l'arrivée au pouvoir d'anciens révolutionnaires.
31:03Avec tout ce que ça sous-entend de méthode marxiste, de bataille culturelle, de détournement environnementaliste, d'ingénierie sociale, etc.
31:13Donc Milley et Rechavel sont le produit, en réalité, de cette confrontation-là.
31:17Depuis les armes, finalement, entre guillemets, par rapport à la justice historique, et depuis la bataille culturelle.
31:24C'est indispensable, et c'est pour ça que Milley a une gestualité très, très fougueuse, provocatrice.
31:31Un peu la de Donald Trump, un peu produit aussi, comme de Bolsonaro, très, très incisive, marquante, avec des symboles forts.
31:38Parce qu'il sait très bien que c'est dans ce pays, et sous ses latitudes, qu'on existe, sur le plan communicationnel,
31:45si on pratique le cri, le théâtre, si on se met en scène, si on interpelle l'émotion et le cœur des sociétés.
31:57Milley a très bien pratiqué ça, ce n'est pas un hasard s'il a une tronçonneuse à la main.
32:01Ce n'est pas un hasard s'il aime le football, ce n'est pas un hasard s'il chante quelques chansons de rock'n'roll dans ses meetings politiques.
32:07C'est grâce à ça, en partie, qu'il a gagné l'élection.
32:10Et pour lui, c'est indispensable de mener cette bataille culturelle.
32:12Et autour de Milley, il y a toute une série d'activistes et culturels qui font ce travail-là,
32:18pour essayer de regagner du terrain face à des narratives qui les ont obligés à reculer.
32:22Alors, recul des partis républicains, libéraux, etc.
32:28Et aussi, beaucoup des acteurs de la société.
32:32Pensez-vous que la coalition entre les libéraux libertariens et les conservateurs plus catholiques
32:40peut perdurer et maintenir Milley au pouvoir ?
32:44Oui, je pense qu'elle va perdurer puisqu'il a une popularité qui dépasse les 50 % actuellement.
32:50Pour les prochaines élections en mars, ça va être partie gagnée.
32:54Et la question, c'est ces fissures qui sont en train de s'agrandir au sein du pouvoir,
33:00vis-à-vis d'une centralité grandissante autour de Milley et autour de sa sœur,
33:05Karina Milley, qui est la secrétaire générale de la présidence,
33:10et qui a un agenda de plus en plus concentré sur la décision des milieux,
33:14sur les politiques économiques, etc.
33:17Donc, c'est un agenda qui est de plus en plus critiqué par les médias et les figures de l'opposition.
33:25Vis-à-vis également de ces contradictions sur la relance de la politique agro-industrielle,
33:31ce que je commentais avant, et si ça, ça ne redémarre pas,
33:35on aura des oppositions croissantes de la part du secteur A,
33:38voire des mobilisations, une conflictivité croissante.
33:42Un autre élément qui pèse dans la balance, c'est que le gouvernement national en Argentine,
33:48on est dans un État fédéral, comme aux États-Unis, comme au Brésil.
33:52Or, les décisions qui ont été menées par l'État national
33:55n'ont pas forcément été suivies par les États municipaux,
33:59même s'ils pèsent moins, et par les provinces.
34:01Or, il y a une réelle résistance.
34:03Les boucliers levés de la part de ces États, donc provinciaux et municipaux,
34:07font que, quand Milley baisse les impôts,
34:11ses homologues, du côté provincial et municipal, les augmentent d'autant, voire plus.
34:17Et donc, les citoyens sont pris en sandwich entre les deux agendas,
34:21et ça peut créer de nouveaux foyers conflictuels.
34:24Et d'ailleurs, c'est un peu clé.
34:25Les gens des secteurs qui commencent à refuser de payer certains impôts, etc.,
34:28ça peut, évidemment.
34:29Comment résoudre cette question-là ? On ne sait pas encore.
34:33Ça suppose une harmonisation politique.
34:35Un dialogue politique devrait être beaucoup plus consistant de la part de Milley.
34:39Milley, c'est un économiste.
34:41Il a étudié Murray Rosebard, il a étudié Hayek, Ludwig von Miseux.
34:46Il est le produit idéologique de l'école autrichienne, de l'école de Salamanque, etc.
34:50C'est un héritier de tout ça.
34:52Remarquable, sur le plan économique.
34:55Alors, il y a des choses qu'il devrait développer plus en matière de conflictualité,
34:58de guerre économique.
35:01Sauf que, sur le plan politique, il a une voilure et une sensibilité beaucoup plus réduites,
35:06d'où son alliance avec Vittorio Di Cervale.
35:08Et là, il devrait être beaucoup plus sage dans sa manière de construire des négociations.
35:16On verra en 2025 comment ça se passera.
35:19Mais il faudra que les choses avancent sur ce plan politique.
35:22Il faudra que les choses avancent.
35:25Un besoin de sagesse politique.
35:27Ce sera le mot de la fin.
35:28François Lesoir, merci beaucoup d'avoir répondu présent à l'appel de Chocs du Monde.
35:33Merci à tous d'avoir suivi cette émission.
35:35Surtout, surtout, n'oubliez pas de commenter et de partager Chocs du Monde.
35:39Merci à tous et bonne soirée.