Jeudi 6 février 2025, MANAGER L'ODYSSÉE reçoit Moussa Kebe (Chef de caserne et capitaine des pompiers à Gonesse, Centre d'incendie et de secours de Gonesse (95))
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Bienvenue dans Manager l'Odyssée, votre rendez-vous hebdomadaire sur BeSmart for Change.
00:13Un tête-à-tête de 28 minutes en immersion dans le quotidien d'un manager.
00:17Devenir un bon manager ne s'improvise pas.
00:20Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'accueillir Moussa Kebe,
00:23chef de caserne et capitaine des pompiers à Gones,
00:27connu pour son engagement au service de la Seine-Saint-Denis.
00:30Moussa est décrit comme un trait d'union entre les quartiers populaires et les institutions.
00:34Il a su s'imposer comme un acteur clé dans des contextes souvent difficiles.
00:38Comment naviguer entre responsabilité humaine et leadership en milieu d'urgence ?
00:43Comment se bâtit une vision pour un territoire et une population,
00:47notamment à travers le prisme de l'inclusion et de la médiation ?
00:51Dans cet épisode, nous reviendrons sur le parcours de Moussa et ses réflexions.
00:58Be smart
01:00Bonjour Moussa.
01:01Bonjour.
01:01Bienvenue.
01:02Merci beaucoup, merci pour l'invitation.
01:03Merci d'avoir répondu présent.
01:04Merci beaucoup.
01:05Pour commencer Moussa, vous êtes un enfant du Blanc-Ménil, en Seine-Saint-Denis donc.
01:10C'est là que vous avez forgé vos premières convictions.
01:14J'aimerais qu'on revienne sur votre parcours,
01:17un parcours qui vous a conduit à l'enseignement en physique-chimie,
01:21et puis vous avez changé de cap pour rejoindre les sapeurs-pompiers professionnels.
01:26C'est pour le moins original.
01:27Est-ce que vous pouvez me parler de ce passage d'une carrière à une autre ?
01:31Alors en fait, moi effectivement, j'étais enseignant en physique-chimie à Aulnay-sous-Bois, au lycée Voileaume.
01:36Mais avant d'être enseignant, j'étais pompier volontaire.
01:39Donc moi, depuis que je suis tout jeune, depuis que je suis en CE,
01:42j'ai souhaité devenir sapeur-pompier.
01:44Et donc à la fin du lycée, je me suis engagé en tant que sapeur-pompier volontaire.
01:47Et donc j'ai poursuivi mes études en physique-chimie.
01:50Et à la fin de mes études, c'était soit je m'engageais tout de suite chez les sapeurs-pompiers,
01:54ou soit je pouvais continuer ma carrière de pompier volontaire et faire autre chose.
01:58Et j'étais très attiré par l'enseignement, par les sciences.
02:01Et le fait de transmettre des choses aux jeunes,
02:05donc j'ai choisi de faire de l'enseignement et en parallèle rester sapeur-pompier volontaire.
02:10Et donc le moment où vous avez opéré ce changement
02:13et vous êtes consacré à une carrière de pompier, comment est-ce qu'il s'est fait ?
02:17Alors ça s'est fait six ans après avoir commencé l'enseignement.
02:21Donc moi, comme je vous l'ai dit, je suis très attiré par les sciences
02:26et surtout la gestion des risques, la gestion de crise.
02:29Et pour faire ça, chez les pompiers, il faut être officier.
02:32Et donc il fallait que je fasse un concours d'officier, de lieutenant ou de capitaine,
02:37que j'ai passé six ans après avoir commencé l'enseignement.
02:40Et donc je me suis dit, au bout de cinq ans,
02:43que j'avais fait mon temps à l'éducation nationale et ça m'avait vraiment plu.
02:48Et surtout, ça m'a forgé pour préparer ce concours-là.
02:51Donc là, j'étais réellement prêt pour le faire.
02:53En fait, le vrai objectif, c'était une carrière de pompier.
02:56Ah oui, et avant de commencer l'enseignement, je le savais.
02:59Je le savais que je le faisais seulement pour un temps
03:01et surtout parce que je voulais cocher cette case-là
03:03et ne pas avoir de regrets par la suite.
03:05Je voulais être enseignant.
03:06Et comment vous faisiez pour cumuler et l'enseignement et votre carrière ?
03:11Enfin, à ce moment-là, c'était votre formation plutôt de pompier ?
03:14C'était le volontariat.
03:15Donc moi, j'étais au centre de secours de Garges-les-Gonesse, dans Val d'Oise.
03:18Et en fait, on a la possibilité, quand on est étudiant ou quand on a un métier,
03:23d'être sapeur-pompier volontaire.
03:25Et donc, on est engagé et on peut prendre des gardes en jour, en nuit
03:29ou pendant 24 heures, en dehors de notre métier
03:34et quand on a le temps, en fonction de notre emploi du temps.
03:37Et il est possible que vous ayez revenu un jour à l'enseignement ?
03:40Eh bien, je ne pense pas.
03:41Non, pourquoi ?
03:42Par contre, je continue à enseigner aujourd'hui à l'Université Paris 13
03:45à des étudiants de master.
03:47D'accord.
03:48La gestion des risques et la gestion des crises.
03:50Et donc, ça, c'est relatif à votre métier de pompier ?
03:52C'est ça, exactement.
03:53Je veux dire, l'enseignement de la physique-chimie, plus jamais ?
03:55Non, je ne pense pas.
03:56Pourquoi ?
03:57Parce que je pense que j'ai fait mon temps, ça m'a plu.
03:59Aujourd'hui, je suis…
04:00Six ans, c'est…
04:01Non, mais je l'avais vraiment vu comme ça, c'est-à-dire que…
04:04D'accord, oui, c'était une étape.
04:05C'est ça, je le voyais vraiment comme une étape que j'ai très, très bien vécue.
04:08Et j'ai plein d'autres choses que je voudrais faire.
04:12C'est pour ça que je ne pense pas revenir à l'université.
04:14Et on y reviendra après.
04:15Mais aujourd'hui, vous retenez quoi de votre carrière d'enseignant ?
04:17Eh bien, c'était une très bonne expérience qui m'a beaucoup servi aujourd'hui
04:22pour mon activité actuelle chez les sapeurs-pompiers.
04:25Être au contact des jeunes, leur transmettre des choses,
04:29c'était ce que je voulais faire et c'est ce que j'ai pu faire
04:32et que j'essaie de faire encore aujourd'hui à travers mes activités associatives, notamment.
04:36Et vraiment, je ne regrette absolument pas.
04:39C'était vraiment une très bonne expérience.
04:41Et ce souci de la transmission, justement, il se traduit comment aujourd'hui dans vos activités ?
04:46Eh bien, aujourd'hui, j'essaie de faire beaucoup de choses avec les jeunes
04:50à travers l'association Espoir Jeune.
04:51Et au-delà de l'association, en tant que pompier ?
04:53Et en tant que pompier, en essayant d'être avec les jeunes
04:56pour faire en sorte qu'ils puissent s'engager,
04:58essayer de susciter des vocations dans les quartiers populaires, notamment.
05:02Eh bien, justement, parlons-en de cette association.
05:05Elle s'appelle Espoir Jeune.
05:06Espoir Jeune.
05:07Vous l'avez cofondée.
05:08C'est ça.
05:09C'était en quelle année ?
05:10C'était en 2010.
05:12À l'époque, on était à l'université Paris 13, Bobigny.
05:15On faisait des études de chimie-biologie avec des amis.
05:19Et donc, l'idée, c'était, nous, dans notre quartier,
05:22on avait beaucoup de parents qui nous sollicitaient
05:24pour aider leurs enfants à faire les devoirs, notamment.
05:27Parce qu'on a été ciblés comme ceux qui étaient étudiants.
05:30Parce que vous étiez une minorité de gens qui faisaient de longues études ?
05:34Non, on n'était pas du tout une minorité, mais les parents, pour la plupart...
05:37Nous, c'est qui ?
05:38C'est ceux avec qui j'ai fondé l'association.
05:40C'est pour ça que je parle d'eux.
05:41Et on était vraiment...
05:44Ah oui, vous aviez déjà fondé l'association.
05:46C'est ça, exactement.
05:47Et on participait beaucoup à la vie du quartier.
05:51Donc, à un moment, on s'est dit, il y a beaucoup de demandes
05:55et on va créer une association et faire en sorte
05:57que ceux qui sont avec nous à la fac viennent pour nous aider.
05:59Et c'est comme ça qu'on a commencé l'association Espoir Jeune.
06:03Et ensuite, ça s'est développé.
06:05On a pu traiter d'autres sujets.
06:08Mais on est vraiment...
06:09Et du coup, ces sujets, c'est...
06:11Parce qu'initialement, c'était l'aide aux devoirs.
06:13Initialement, c'était l'aide aux devoirs, donc l'éducation.
06:15Cette partie éducation-là, on l'a développée à travers différents projets
06:19qu'on a pu mener, même à l'international, sur le traitement de l'eau.
06:23On a fait des projets, justement, avec des jeunes au Sénégal, au Maroc, en Inde.
06:28Les idées, elles viennent de qui, des jeunes ?
06:30Elles viennent des jeunes et de nous.
06:32Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on a beaucoup de personnes qui sont avec nous dans l'association
06:36et beaucoup de personnes qui ont des idées.
06:38Et des idées, ce n'est vraiment pas ce qui manque,
06:40mais c'est parfois des problèmes de financement qui font que ça nous limite un petit peu.
06:45Donc, dans cette partie éducation-là, on fait beaucoup de mentorats, de tutorats,
06:50de colonies apprenantes.
06:51Et aujourd'hui, même, on a un programme qui s'appelle les ambassadeurs,
06:54qui consiste à suivre les jeunes qui sont excellents dans nos collèges du département
06:59et de faire en sorte qu'ils deviennent les décideurs de demain à travers des bootcamps,
07:03à travers un suivi qu'on a très rapproché sur chacun de ces élèves-là
07:09et leur permettre de faire des stages d'excellence,
07:11comme certains ont pu faire, même à l'ambassade de France au Koweït,
07:15dans certains ministères ou des grands groupes.
07:19Et donc, typiquement, il y a des jeunes que vous suivez du collège, par exemple,
07:23jusqu'au post-bac ?
07:24C'est ça, exactement.
07:25Donc, ce qu'il faut savoir, c'est que...
07:26Ça doit être assez émouvant.
07:27Oui, c'est vraiment bien.
07:28Il y a des jeunes qu'on suit depuis 2013-2014 qui, aujourd'hui, sont avec nous.
07:34Il y a combien de bénévoles, aujourd'hui ?
07:36Il y a des bénévoles actifs, il y en a une quarantaine.
07:39Parce que, souvent, ces jeunes que vous accompagnez,
07:41après, ils deviennent bénévoles de leur plein cœur.
07:43C'est exactement ça, et c'est vraiment le principe de l'association.
07:47Et vous plaidez aussi pour une réserve citoyenne visant à prévenir la violence.
07:52Il s'agirait de quoi, exactement, et qu'est-ce que vous espérez avec cette réserve citoyenne ?
07:56On a connu des épisodes malheureux, notamment l'an dernier, dans les quartiers populaires.
08:01Et ces épisodes-là, moi, je fais partie de ceux qui pensent qu'il y en aura d'autres.
08:07Malheureusement, parce que les problématiques ne sont pas traitées dans le fond.
08:13Aujourd'hui, on a beaucoup de jeunes dans les quartiers populaires
08:16qui ne se sentent pas français, en réalité.
08:18Donc, il y a vraiment un fossé qui s'est créé entre les institutions et ces jeunes-là.
08:23Pourquoi ils ne se sentent pas français ?
08:26Justement, par exemple, l'an dernier, on a eu les émeutes,
08:29enfin, c'était il y a deux ans maintenant, en 2023,
08:33et beaucoup de jeunes s'attaquaient aux symboles de la République,
08:37au commissariat, aux préfectures, aux mairies, aux casernes de pompiers même.
08:41Et ça, ça veut vraiment dire qu'il y a une fracture qui s'est créée.
08:46Mais moi, je parle de réserve de citoyens engagés.
08:49Pourquoi ? Parce que je suis persuadé que quand un jeune se sent engagé,
08:54se sent inclus, il est tout à fait...
08:59Le nerf de la guerre, c'est l'inclusion,
09:02ce qui permettrait de faire bouger les lignes avec une réserve comme celle-ci.
09:06C'est le fait d'en serrer, de représenter ces jeunes.
09:10Exactement. Nous, on l'a testé pendant les émeutes,
09:13où on a des jeunes qui, il faut savoir, dans un quartier,
09:16sur 100 jeunes, il y en a 3, 4, 5 qui vont vraiment poser problème.
09:21Et il y en a 70 qui ne posent aucun problème.
09:25Et l'entre-deux, c'est un petit peu le ventre mou,
09:28c'est ceux qui vont être influencés soit du bon, soit du mauvais côté.
09:31Et c'est ça le cœur de cible ?
09:32Exactement, c'est ça le cœur de cible.
09:34C'est avec eux que nous, on a beaucoup travaillé pendant les émeutes
09:37et on leur a donné des responsabilités à chacun,
09:39justement pendant cette période-là.
09:41Vous avez des exemples concrets ?
09:43Ah oui, nous, on a des jeunes qui sont dans cette situation-là,
09:47dans nos quartiers, à qui on a confié des responsabilités,
09:50un téléphone portable, un numéro à contacter, des sites à protéger.
09:55Et ils le faisaient très très bien.
09:57Et ils le faisaient encore mieux que ce qu'on pouvait espérer,
10:00tout simplement parce qu'ils se sentaient responsabilisés, engagés,
10:03ils avaient une mission.
10:05Et c'est pour ça que moi, je suis pour cette réserve des citoyens engagés.
10:08Quand on a un jeune qui se sent engagé,
10:12c'est un jeune à qui on peut donner des responsabilités.
10:17Aujourd'hui, il y a plein de manières de s'engager en réalité en France.
10:21On peut faire des services nationaux universels,
10:26des services civiques dans une association,
10:28faire partie d'une réserve de police, de gendarmerie.
10:32Et même chez les pompiers, nous, les sapeurs-pompiers volontaires,
10:36c'est comme des réservistes, c'est des citoyens qui sont engagés.
10:39Malheureusement, tous ces dispositifs-là,
10:41ils ne sont pas forcément connus de tous.
10:44Et je pense que le fait de les mettre en avant
10:48pourrait solutionner beaucoup de problématiques.
10:51Et moi, la constitution de cette réserve de citoyens engagés,
10:55l'idée, ce serait que cette réserve-là soit mise à disposition des maires
11:00dans leurs communes qui, eux, sont parfois en difficulté
11:03lorsqu'il y a ces problématiques.
11:05Aujourd'hui, on parle beaucoup, pour les maires et les préfets,
11:09de risques majeurs.
11:11Donc, les risques majeurs qui sont connus,
11:13ce sont des risques naturels ou des risques technologiques.
11:16Et donc, face à ça, lorsqu'un maire dans sa commune
11:19a des risques qui sont naturels ou technologiques,
11:21risque naturel, c'est, je ne sais pas,
11:23risque d'inondation, d'avalanche ou autre,
11:26ou un risque technologique parce qu'on a une industrie chimique dangereuse,
11:29eh bien, le maire, face à ça,
11:32peut constituer une réserve communale de sécurité civile.
11:35Donc, ce sont des personnes qui vont pouvoir solliciter
11:38en cas de crise demain.
11:40Donc, cette réserve de citoyens engagés que je prône,
11:44c'est ces jeunes de ces quartiers plus ou moins difficiles
11:49qu'on va pouvoir, de la même manière, solliciter
11:52lorsque demain, on aura une crise sociétale.
11:55Et vous avez la conviction que ça peut faire bouger les lignes ?
11:58Je suis absolument convaincu que ça peut faire bouger les lignes.
12:01Et aujourd'hui, si demain, j'étais maire
12:04et j'avais la possibilité d'actionner un bouton
12:07à n'importe quel moment qui me permettrait d'avoir avec moi
12:1050, 60 jeunes de ma commune que je suis en parallèle,
12:13l'idée, ce n'est pas seulement de les appeler quand j'ai besoin d'eux,
12:16mais c'est constituer cette réserve-là et les suivre tout au long de l'année,
12:19leur permettre, je ne sais pas...
12:22Moi, ce que je voulais, c'est qu'ils aient les mêmes droits que les étudiants
12:25et qu'il y ait un suivi pour chacun de ces jeunes-là.
12:28Donc, en réalité, c'est un dispositif qui, je pense,
12:31est très intéressant et qui pourrait régler beaucoup de problèmes.
12:34Et vous, vous concernant, vous pensez que le fait d'avoir été pompier volontaire,
12:37ça a été déterminant dans votre trajectoire personnelle ?
12:40Bien sûr. Après, moi, personnellement,
12:43comme je l'ai dit tout à l'heure, depuis tout jeune, je voulais être pompier.
12:46C'est venu comme ça ou vous aviez un modèle ?
12:49En fait, moi, j'habitais à Aulnay-sous-Bois et en face de mon quartier,
12:52il y avait la caserne des pompiers et je les voyais passer, éteindre des feux.
12:55Je me souviens des feux de voitures, c'est là que je me suis dit
12:58que j'aimerais bien être pompier et ça ne m'a jamais quitté.
13:01Et donc, dès que j'ai terminé le lycée,
13:04je me suis engagé en tant que sapeur-pompier volontaire.
13:07Et évidemment, c'est des endroits où on apprend beaucoup de choses.
13:12La rigueur, le respect, c'est pour ça que les centres de secours,
13:17les casernes de pompiers, elles doivent être ouvertes
13:20à tous les jeunes des quartiers populaires ou milieux ruraux.
13:23C'est vraiment, je pense, des endroits qui font de tous ces jeunes-là
13:29et qui peuvent les transformer.
13:31Votre caserne, par exemple, elle est inclusive ?
13:34Moi, en tout cas, ça fait plus de deux ans maintenant que je suis chef de centre
13:39et nous, on a tout intérêt à recruter des sapeurs-pompiers volontaires.
13:43Il faut savoir qu'en France, 80% des sapeurs-pompiers sont volontaires.
13:47Et comment vous faites, justement, pour aller les chercher,
13:51au moins à l'échelle de votre caserne ?
13:53Nous, à l'échelle de notre caserne, on fait énormément de projets
13:56avec la commune et les communes alentours.
13:58On travaille beaucoup avec les associations locales,
14:01les services jeunesse.
14:03On essaie d'ouvrir les portes du centre de secours
14:07avec les collèges, les lycées alentours.
14:09Dernièrement, on a fait une journée spéciale sécurité dans un lycée,
14:14le plus grand lycée de la commune,
14:16où on s'est installés pendant toute une journée.
14:18Donc, les départs se faisaient juste du lycée.
14:21On avait plein de stands et d'ateliers dans le lycée
14:24qui permettaient aux jeunes de venir nous voir.
14:26Et on faisait même nos exercices et nos manœuvres
14:29dans la cour du lycée.
14:31Et alors, ça fonctionne ? Vous vous sentez très prêt ?
14:33Bien sûr. Depuis ce jour-là, on a recruté plusieurs élèves du lycée.
14:37Et en plus, il y a cette vision-là où, effectivement,
14:41on souhaite recruter, mais il y a également une mission
14:44de prévention qu'on fait auprès de ces jeunes-là
14:47sur les risques domestiques, les risques courants.
14:51Et également, moi, je suis absolument persuadé
14:54que le fait que les pompiers et la population se connaissent,
14:58ça règle beaucoup de problèmes.
15:00Oui, oui.
15:02Combien de personnes sont sous vos ordres aujourd'hui ?
15:04Donc, aujourd'hui, à Gonesse, il y a 90 sapeurs-pompiers,
15:08professionnels et volontaires.
15:10Et vous n'êtes passé de rien à cette énorme équipe
15:14où vous dirigeiez déjà une petite équipe,
15:16et ça s'est fait crescendo ?
15:18En fait, quand on réussit les concours d'officiers,
15:21d'abord, on a un mois et demi de formation,
15:24parce que moi, j'ai repassé la formation de lieutenant,
15:26puis de capitaine, et ensuite, j'ai commencé
15:29à l'état-major des pompiers dans un service
15:32où je n'avais pas grand monde sous mes ordres.
15:34Et par la suite, j'étais au centre opérationnel départemental.
15:38Donc, c'est là où on réceptionne les appels 18,
15:40où j'étais adjoint au chef.
15:42Donc là, ça m'a vraiment mis le pied à l'étrier.
15:46Et après ça, j'ai été nommé chef de centre.
15:49Et aujourd'hui, en fait, concrètement,
15:51vous managez des managers qui eux-mêmes
15:53managent des managers qui eux-mêmes...
15:55C'est ça, exactement.
15:56Et c'est quoi la spécificité alors de ce rôle ?
15:58Comment ça se traduit au quotidien ?
16:00Comment vous faites pour rester malgré tout
16:02connectés avec le terrain ?
16:04En fait, chez les pompiers,
16:06ça fonctionne de manière pyramidale.
16:08Donc, on a des cycles de garde,
16:10et sur chaque garde, on a des sous-officiers de garde
16:13qui sont adjudants ou adjudants-chefs,
16:15qui eux, ont la responsabilité de la garde.
16:18Et au sein même de cette garde-là,
16:21on a d'autres sous-officiers, des sergents,
16:23des caporaux-chefs, des caporaux...
16:25Donc, ça fonctionne vraiment de manière pyramidale.
16:27Et moi, en ma qualité de chef de centre,
16:29avec mon adjoint,
16:31on a la mission de faire en sorte que le centre tourne.
16:34On doit être garant de la sécurité de notre personnel
16:37et garant de la distribution des secours.
16:39Il faut absolument que les personnes
16:42qu'il y a dans nos communes
16:44puissent être secourues le plus rapidement possible.
16:46Et pour ça, il faut que les pompiers soient présents.
16:48Il faut que les camions soient fonctionnels.
16:51Il faut que les pompiers soient formés.
16:53Donc, c'est tout ça qu'on regarde.
16:55Et en parallèle,
16:57moi, j'ai une autre mission opérationnelle.
17:00C'est-à-dire que, en ma qualité de chef de colonne,
17:04ma mission, c'est de commander une opération de secours
17:06qui est assez conséquente.
17:08C'est une grande responsabilité,
17:10parce que je sais que c'est un territoire précaire.
17:12Comment est-ce que vous voyez votre rôle,
17:14au-delà de la question opérationnelle pure,
17:17sur le territoire ?
17:19Ça, c'est des choses que je ressens vraiment sur le territoire.
17:23Parce que, comme je l'ai dit tout à l'heure,
17:25on essaie d'être au contact de la population.
17:27Et c'est un territoire qui me ressemble.
17:30Parce que c'est des territoires dans lesquels j'ai grandi.
17:32Et les personnes que je rencontre dans les différents quartiers,
17:35c'est des personnes qui ont à peu près
17:37la même histoire de vie que moi.
17:39Et donc, c'est beaucoup de personnes
17:41qui peuvent se projeter.
17:45Vous pensez que ça change quoi, en fait ?
17:47Ça change qu'à partir du moment...
17:49En fait, à partir du moment
17:51où on peut se reconnaître auprès de personnes,
17:53on a d'autres exemples
17:55qui sont plus ou moins concrets.
17:57Et je pense que c'est vraiment ça qui change.
17:59Et c'est pour ça que je prends ça
18:01vraiment comme une mission.
18:03Et pour le moment,
18:05ça fonctionne assez bien.
18:07Mais aujourd'hui,
18:09il y a beaucoup de choses positives qui se font.
18:11Moi, aujourd'hui, j'ai la possibilité de le faire
18:13en ma qualité de chef de centre avec les pompiers.
18:15Et c'est pour ça que j'essaie de le faire au maximum.
18:17Et quand vous dites des choses, vous parlez de quoi ?
18:19C'est tout ce qui sort
18:21du milieu sapeur-pompier
18:23avec toutes les associations,
18:25tous les dispositifs qui sont mis en place dans les quartiers populaires.
18:27Il y a vraiment beaucoup de choses positives.
18:29Et cette vision, vous essayez de la transmettre
18:31à tous les membres de la caserne ?
18:33C'est une condition sine qua non pour faire partie de la caserne ?
18:35C'est de partager votre vision ?
18:37Non, pas du tout.
18:39Et c'est vraiment pas ce que je veux faire.
18:41C'est-à-dire que je n'ai pas envie
18:43d'imposer des choses.
18:45Mais par contre...
18:47Il y a toujours ce souci de la transmission,
18:49au-delà du côté opérationnel pur.
18:51Moi,
18:53mon souhait le plus fort,
18:55c'est que les pompiers puissent avoir
18:57un autre œil sur les quartiers populaires
18:59qu'ils défendent eux-mêmes.
19:01Et c'est que ces quartiers populaires-là puissent avoir
19:03le côté des pompiers.
19:05Et moi, je me sens vraiment entre deux.
19:07Lorsque nous, comme je le dis,
19:09on travaille avec les associations,
19:11avec les jeunes, avec les lycées, avec la commune,
19:13c'est positif pour nous aussi,
19:15pour les pompiers, parce que ça nous permet
19:17de mieux connaître les gens qu'on défend.
19:19Ça nous permet de mieux connaître
19:21certaines cultures.
19:23Et pour faire changer, si on se place par exemple du côté des pompiers,
19:25pour faire changer ce regard sur la population
19:27qui peut, j'imagine, exister,
19:29comment vous y prenez ?
19:31Par le fait de leur faire rencontrer des jeunes ?
19:33C'est le partage.
19:35Comme je l'ai dit,
19:37il y a vraiment souvent des jeunes
19:39qui viennent à la caserne
19:41pour des stages.
19:43Certains participent à des projets
19:45de réhabilitation dans le centre de secours.
19:47Donc on partage des moments
19:49avec des groupes de jeunes pendant une semaine,
19:51deux semaines, et ce sont les mêmes jeunes.
19:53Et vous voyez les regards changer dans les deux sens ?
19:55Bien sûr. Et je le vois réellement,
19:57on le ressent, et il y a un signal fort
19:59qui est assez important,
20:01c'est qu'aujourd'hui, dans notre caserne,
20:03on a de plus en plus de jeunes qui viennent d'eux-mêmes
20:05pour poser des questions
20:07et s'engager.
20:09Parce que le bouche-à-oreille fonctionne,
20:11et effectivement,
20:13c'est une satisfaction.
20:15Du fait de votre métier de pompier,
20:17vous connaissez des situations d'urgence
20:19constamment présentes.
20:21Comment est-ce que vous gérez les dilemmes éthiques ?
20:23J'imagine qu'il y en a.
20:25Comment est-ce que vous arbitrez
20:27sur plusieurs urgences ?
20:29Parfois,
20:31j'imagine qu'il faut juste écouter
20:33son intuition.
20:35On a la chance,
20:37en tout cas, en France
20:39et nous, en région parisienne,
20:41d'avoir un maillage
20:43de secours assez resserré.
20:45C'est-à-dire que lorsqu'on a une opération
20:47qui va nous amener à faire
20:49des choix, on a la possibilité de faire des demandes
20:51de renfort qui arrivent très rapidement.
20:53Et ce qui nous permet d'éviter
20:55justement à faire ces choix-là.
20:57Mais dans les réactions immédiates,
20:59évidemment, parfois, on peut avoir
21:01des choix à faire.
21:03Là, vous êtes seul face à vous-même ?
21:05Non, je ne suis pas seul, justement,
21:07parce qu'on a une équipe
21:09dans les engins des chefs d'agrée, etc.
21:11On essaie vraiment de prendre
21:13la meilleure décision.
21:15En général, c'est la mise en sécurité
21:17des personnes ou le sauvetage
21:19lorsque
21:21les personnes sont réellement menacées.
21:23Donc là, il va y avoir
21:25des choix à faire, mais très rapidement.
21:27Oui, c'est déjà codifié.
21:29C'est ça, exactement.
21:31Dans votre parcours,
21:33l'échec a-t-il été
21:35une part constitutive
21:37de votre apprentissage ?
21:39Bien sûr.
21:41Je pense que l'échec,
21:43tout le monde connaît un échec
21:45un jour, et
21:47il faut le voir de manière positive,
21:49cet échec-là, pour pouvoir rebondir.
21:51Nous, quand on vient de quartier
21:53populaire, c'est très souvent
21:55qu'on est
21:57confronté à des difficultés,
21:59et c'est ce qui fait notre force.
22:01Aujourd'hui, ce qui a fait ma force dans tout mon parcours,
22:03justement, c'est
22:05d'avoir eu
22:07tout au long de ma vie,
22:09et je ne dis vraiment pas ça pour me plaindre,
22:11au contraire, j'en suis très content,
22:13d'avoir eu des difficultés
22:15de vie qui font que...
22:17Des difficultés, mais pas des échecs.
22:19Les deux, des difficultés
22:21et des échecs qui font qu'on se relève
22:23et on veut réussir.
22:25On veut toujours faire plus,
22:27pour pouvoir être le meilleur
22:29et réussir ses objectifs.
22:31Est-ce qu'il y en a qui ont particulièrement
22:33façonné votre vision aujourd'hui
22:35du management, par exemple,
22:37de votre façon de l'idée ?
22:39Moi, j'ai eu la chance de connaître
22:41différents managers quand
22:43j'étais sapeur complice volontaire,
22:45par exemple, ou avoir eu dans mon entourage
22:47des personnes qui ont fait des choses
22:49qui n'ont rien à voir avec les pompiers, d'ailleurs,
22:51et qui m'ont vraiment
22:53servi de leçon pour la suite,
22:55et ça me permet aujourd'hui
22:57de prendre du recul
22:59sur beaucoup de choses.
23:01Vraiment.
23:03Et voilà.
23:05Comment est-ce que vous voyez votre rôle dans 5 ou 10 ans ?
23:07Mon rôle ?
23:09Vous avez encore des rêves, déjà, puisque
23:11votre rêve, c'était d'être pompier boulette,
23:13chef de caserne,
23:15on a évoqué tout à l'heure
23:17maire, je ne sais pas si c'est une blague,
23:19si vous étiez maire...
23:21Non, maire, non.
23:23C'est pas l'étape d'après ?
23:25Non, c'est pas l'étape d'après.
23:27Moi, je ne suis pas trop dans
23:29la politique. Par contre,
23:31j'essaie de mettre en place
23:33des actions
23:35avec le peu de moyens que je peux avoir,
23:37et moi,
23:39ce que j'aime, et mon entourage
23:41également, c'est de voir les effets immédiats
23:43sur ce qu'on met en place.
23:45Et effectivement,
23:47quand j'étais petit, je voulais
23:49absolument être pompier. Aujourd'hui, j'ai la chance d'avoir
23:51une caserne de pompiers. Donc, c'est
23:53énorme. Donc, vraiment,
23:55moi, on va dire qu'aujourd'hui,
23:57je peux vraiment me contenter de ça.
23:59Oui, c'est le cas.
24:01Et c'est le cas. Et demain,
24:03dans 5 ou 10 ans,
24:05je ne sais pas trop.
24:07C'est déjà
24:09très très bien.
24:11Si vous deviez donner un conseil
24:13à un jeune manager ou un futur
24:15chef de caserne, puisque c'est votre métier,
24:17quel serait-il ?
24:19Le conseil que je donnerais,
24:21même si je ne pense
24:23pas avoir énormément de recul,
24:25ça fait seulement 2 ans que je fais ça.
24:27Oui, mais vous avez fondé une association,
24:29vous avez dirigé des bénévoles.
24:31Exactement. Le conseil que je donne,
24:33c'est d'essayer
24:35d'être compréhensif
24:37auprès de chacun des personnes
24:39dont notre responsabilité
24:41est d'être juste. D'être juste
24:43avec la justice,
24:45ça fonctionne tout le temps. Parce qu'en tant que manager,
24:47et surtout
24:49quand on a du monde, parfois, il faut faire des choix.
24:51Et le fait de traiter
24:53toutes les personnes de la même
24:55manière fait qu'on
24:57garde beaucoup plus de crédibilité
24:59face aux situations-là.
25:01Et avoir de la proximité
25:03avec les agents. Essayer d'être
25:05avec eux et d'être au plus proche
25:07de ses équipes.
25:09C'est extrêmement important.
25:11C'est un principe qui vous guide.
25:13Moi, vraiment, dans ma caserne,
25:15j'essaie vraiment d'être au plus proche des agents.
25:17Au contact.
25:19Et être avec eux.
25:21Comment vous définiriez votre style
25:23de management ?
25:25Comment je définirais mon style de management ?
25:27Moi, c'est un
25:29management...
25:33On va dire que je suis très à l'écoute.
25:35Je suis très à l'écoute.
25:37J'essaie vraiment d'écouter
25:39les paroles de chacun.
25:41Qu'il soit homme du rang, équipier
25:43ou sous-officier, peu importe.
25:45Je pense que chacun a son mot à dire.
25:47Et tout le monde peut avoir de bonnes idées.
25:49Donc j'essaie vraiment d'être à l'écoute de tous.
25:51Et comment vous assurez de recueillir les paroles de tous ?
25:53On se voit
25:55souvent, on discute beaucoup avec les agents.
25:57On fait beaucoup de réunions avec
25:59tous les agents.
26:01Et lorsque j'essaie
26:03de mettre en place des choses, parfois
26:05il y a des choses où je ne vais pas demander l'avis
26:07aux personnes.
26:09Mais ce qui va vraiment concerner
26:11le fonctionnement du centre de secours,
26:13j'essaie de solliciter le maximum et d'écouter
26:15ce qu'ils ont à dire. Et à la fin,
26:17de trancher.
26:19On va dire dans le quotidien du centre de secours.
26:21Par contre, quand on est en intervention,
26:23on ne peut pas se permettre de faire ça.
26:25Je ne vais pas me permettre de demander
26:27à tous les agents
26:29leur avis ou autre. Et là, on fait vraiment du commandement.
26:31Donc c'est très vertical.
26:33Et vous aujourd'hui, qui vous écoute ?
26:35Qui vous aiguille quand vous avez
26:37besoin de conseils ?
26:39Malgré tout, vous devez encore avoir besoin de conseils parfois.
26:41Bien sûr,
26:43beaucoup de monde.
26:45Même en dehors de la catherne, je veux dire, est-ce qu'il y a des figures,
26:47des gens là, toujours ?
26:49On va dire que
26:51au sein des pompiers,
26:53mes collègues qui sont chefs de centre,
26:55ou bien ceux qui sont un peu plus gradés
26:57que moi, même peut-être moins gradés,
26:59en fonction des situations, moi j'ai absolument
27:01aucun mal à demander des conseils.
27:03Ou à m'avouer
27:05en situation d'échec.
27:07Ça ne me dérange absolument pas.
27:09J'en ai absolument aucun.
27:11Et après,
27:13dans la vie de tous les jours, j'ai la chance
27:15d'avoir beaucoup d'amis,
27:17mes frères, ma mère,
27:19et c'est des personnes avec qui je discute beaucoup.
27:21Merci beaucoup Moussa.
27:23C'est déjà la fin de cet entretien.
27:25Merci pour cet échange
27:27inspirant.
27:29Quant à moi, je vous dis à la semaine prochaine
27:31pour un nouvel épisode de Manager l'Odyssée.