"Il n'y a pas de mi-temps, il n'y a pas de temps mort. À partir du moment où on prend le départ de la course, on sait que le seul moment où on pourra se reposer, ce sera une fois la ligne d'arrivée franchie."
BRUT. MENTAL — Le 14 janvier, il a remporté le Vendée Globe et pulvérisé un record en réalisant son tour du monde en solitaire en 64 jours. Une course exigeante, au cours de laquelle il a dû monter au mât et traverser une tempête... Le skipper Charlie Dalin nous raconte son aventure, de sa préparation au passage de la ligne d'arrivée.
BRUT. MENTAL — Le 14 janvier, il a remporté le Vendée Globe et pulvérisé un record en réalisant son tour du monde en solitaire en 64 jours. Une course exigeante, au cours de laquelle il a dû monter au mât et traverser une tempête... Le skipper Charlie Dalin nous raconte son aventure, de sa préparation au passage de la ligne d'arrivée.
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00:00Ooooooh !
00:02On l'a eu !
00:04C'est quoi la première chose que t'as fait quand t'es revenu à terre ?
00:07J'ai mangé un burger frites, simplement, la base.
00:10Ce Vendée Globe tu l'as bouclé en 64 jours, 19 heures, 22 minutes et 49 secondes.
00:15C'est un record. Comment on se sent après avoir pulvérisé justement le record précédent ?
00:19Même moi j'ai du mal à réaliser la rapidité que j'ai mis à faire ce tour du monde.
00:25Je savais que les bateaux étaient capables de faire le tour de la planète en moins de 70 jours,
00:29mais de la passer sous les 65, je ne l'avais clairement pas imaginé.
00:33Je pense que si je bats ce record, c'est aussi parce qu'il y a eu ce duel avec Yoann Richaud,
00:36mais on s'est vraiment tirés l'un de l'autre vers le haut.
00:38Ça nous a obligés à naviguer encore plus vite, à prendre plus de risques.
00:41Qu'est-ce qu'on se dit quand on est en pleine mer depuis plusieurs semaines,
00:45qu'on sait qu'on a un peu d'avance mais que c'est très serré ?
00:47Est-ce qu'on est obsédé par la gagne ? Est-ce que ça nous stresse plus ?
00:50Qu'est-ce qui se passe dans notre tête ?
00:51C'est intéressant parce que le cerveau, lui, il en a envie.
00:54En tout cas, moi je suis quelqu'un qui se projette beaucoup dans le futur,
00:57c'est mon état d'esprit.
00:59Mon cerveau avait tendance à divaguer, mes pensées avaient tendance à divaguer
01:02vers cette ligne d'arrivée, se projeter sur cette ligne d'arrivée.
01:05Et à chaque fois que ça arrivait, c'était quand même assez souvent,
01:08j'essayais vraiment de me recentrer sur l'instant présent.
01:11On n'a pas le droit de parler à nos préparateurs mentaux pendant la course.
01:14Il faut qu'on se dérouille.
01:16Avec mon préparateur mental, Jean-Pascal Cabrera,
01:19on a beaucoup travaillé en amont pour gérer les difficultés mentales de la course.
01:25Il y en a beaucoup, comme c'est une course longue,
01:28il y a des aléas techniques, des fois on fait des erreurs stratégiques,
01:31des fois on est un peu moins bien classé.
01:33À chaque fois, il faut trouver des solutions pour remonter la pente,
01:36pour se remettre en selle.
01:38J'avais comme une espèce de petite trousse à outils
01:41ou une pharmacie mentale à bord avec moi.
01:44C'était sous la forme d'un petit livret.
01:46J'avais plein de cas de figure.
01:48J'avais des difficultés à prendre une décision stratégique,
01:51des aléas techniques à surmonter, peur même,
01:54coup de mou un peu physique, coup de mou un peu mental,
01:56évacuer une pensée inutile, j'avais plein de cas de figure.
01:59Chaque cas, il y avait une petite phrase à répéter,
02:02une respiration particulière à faire, un geste aussi à faire.
02:06C'est quoi les plus grosses difficultés que tu rencontres
02:09quand tu es sur le Vendée Globe ?
02:11Il y en a beaucoup.
02:12Je dois monter au mât quand je suis du côté du Brésil.
02:16Monter au mât, c'est un peu le cauchemar des skippers.
02:18J'ai l'impression que c'est vraiment le pire truc qui peut vous arriver.
02:21Moi, personnellement, ça va.
02:23Ce que je n'aime pas, c'est plonger.
02:25On a une petite bouteille de plongée en mode James Bond,
02:27une toute petite, pour aller à 4,50 m sous l'eau.
02:31Plonger, moi, c'est plus ça ma peur.
02:34Monter au mât, ça ne me dérange pas trop.
02:36Mais hélas, la difficulté, c'est que j'avais Johan juste derrière moi.
02:40Donc ton concurrent.
02:41Mon concurrent, avec lequel je me battais pour la victoire.
02:45Je n'ai pas envie de lui laisser le moindre mètre.
02:48Je ne ralentis pas le bateau.
02:50Quand on monte dans le mât, là-haut, ça bouge beaucoup.
02:52Je me fais énormément secouer.
02:53Je regrette tout de suite de ne pas avoir ralenti.
02:55Une unité vraiment idiot de ne pas avoir ralenti.
02:57Du coup, je me fais vraiment secouer.
02:59Et ça rend la réparation un peu dangereuse.
03:02Il y a cette grosse tempête aussi que je dois gérer dans l'océan Indien.
03:07Là, je fais le choix de rester sur son flanc Est.
03:11Et là, elle se déplace aussi vers l'Est, comme moi.
03:13Et là, je ne fais plus la course avec le reste de la flotte.
03:15Dans les deux cas, tu as fait un choix.
03:17C'est une prise de risque.
03:18Mais du coup, avant de prendre cette décision,
03:20est-ce que tu as cherché ton petit livret ?
03:23Est-ce que tu t'es dit, je passe le pour le contre ?
03:25Sur la dépression, j'ai changé plusieurs fois la vie.
03:28Des fois, je me disais qu'il fallait que j'aille au nord,
03:31comme les autres, pour essayer de m'éloigner de la tempête.
03:34Au début, j'étais plutôt parti pour ça.
03:36Puis après, j'ai rechangé d'avis.
03:38Ce n'est pas facile de prendre ces décisions tout seul.
03:40En plus, on ne peut pas demander conseil.
03:41Au fur et à mesure que la course avance,
03:43il y a la fatigue qui s'accumule aussi.
03:45Parce que vous êtes sur un rythme où vous n'avez pas de vraie nuit de sommeil.
03:49En fait, il n'y a pas de mi-temps, il n'y a pas de temps mort.
03:51Il n'y a vraiment pas de pause.
03:52À partir du moment où on prend le départ de la course,
03:54que le coup de canon est donné,
03:55on sait que le seul moment où on va pouvoir se reposer,
03:57ce sera une fois la ligne d'arrivée franchie.
03:59Donc, c'est difficile physiquement et mentalement.
04:03Parce que ça ne s'arrête jamais.
04:05Quand on dort, on ne dort que sur une oreille.
04:08Parce qu'on est à l'écoute du bateau,
04:10qui lui continue à avancer sous pilote automatique.
04:12C'est des siestes d'une heure,
04:14des fois un petit peu plus d'une heure maximum.
04:16Souvent, c'est plutôt même 20 minutes, une demi-heure.
04:18Et donc, on fait du sommeil fractionné, comme ça.
04:20J'ai eu un dérapage, je dois m'embêtre,
04:22j'ai eu un dérapage de trois heures.
04:23On arrive à un niveau de fatigue tel
04:25qu'en fait, on n'est même plus lucide
04:27sur le fait qu'il faut aller se reposer.
04:29C'est une des grosses difficultés du Vendée Globe,
04:31c'est cette fatigue.
04:32La fatigue, c'est quelque chose de poisseux, de collant.
04:35On n'arrive pas à s'en défaire.
04:40Qu'est-ce qu'on ressent quand, ça y est,
04:42on sait qu'on va passer la ligne d'arrivée,
04:44que c'est imminent, qu'on sait qu'on a gagné ?
04:46Qu'est-ce qu'on ressent une fois qu'on a passé
04:48cette ligne d'arrivée ?
04:49Je me suis vraiment autorisé à y croire
04:51que vraiment au dernier moment.
04:53Il y a quatre ans, je pensais que la victoire
04:55allait se jouer entre Louis Burton et moi.
04:57Et quand je passe juste devant lui,
04:59dans le Globe de Gascogne,
05:00quelques heures avant l'arrivée,
05:01je pense que j'ai course gagnée.
05:02Je passe quelques heures un peu euphorique
05:04à me dire que c'est bon,
05:05je gagne ce Vendée Globe 2020.
05:07Et en fait, juste avant de franchir la ligne d'arrivée,
05:09je vois Yannick Bestaven qui rentre
05:11dans la zone de mise à jour plus régulière
05:13de la cartographie.
05:14Et je vois qu'il va vite.
05:15Et en fait, après un rapide calcul,
05:17je vois qu'en fait, même si je termine
05:21avant lui avec les compensations,
05:23il va sûrement remporter la course.
05:25Et voilà, c'est quelque chose qui a été
05:27compliqué à vivre.
05:29Compensation qu'il a eue justement
05:31parce qu'il avait été aidé.
05:33Il a aidé au sauvetage d'un concurrent,
05:35ce qui est tout à fait normal.
05:36Pas longtemps après l'arrivée,
05:37quand tout est un peu retombé,
05:38j'ai eu ce qu'on appelle un peu un Vendée Blues.
05:40C'est un peu de sensation de vide
05:41après avoir tant travaillé sur l'édition
05:432020.
05:44Et quand je me réveillais la nuit,
05:46je refaisais la course et j'essayais
05:48de trouver où est-ce que j'avais perdu
05:49ces deux heures et demie sur 80 jours.
05:51Donc je refaisais mes manœuvres,
05:52je refaisais mes choix stratégiques,
05:54je refaisais mes séquences de réparation
05:56sur le bateau.
05:57Ça m'a un peu obsédé, mais ça m'a vraiment
06:00servi comme motivation à me pousser
06:02à aller encore plus loin dans le travail,
06:04dans la réflexion, dans les améliorations
06:07du bateau.
06:08C'est quoi la première chose que t'as fait
06:09quand t'es revenu à terre ?
06:11J'ai mangé un burger frites, simplement,
06:13la base.
06:15Et puis la première douche,
06:17c'était vraiment incroyable.
06:18J'ai pas pris de douche pendant 65 jours.
06:21J'avais quand même des lingettes,
06:22donc j'étais pas sale.
06:23Mais on se rend pas compte de ce luxe
06:26qu'on a tous, de tourner des robinets,
06:29d'avoir de l'eau comme ça, qu'on peut régler
06:31à haut degré près.
06:32Qu'est-ce qu'on se fixe comme objectif
06:33après avoir remporté le Vendée Globe ?
06:35Il y a une course qui est assez connue aussi
06:37qui s'appelle la Route du Rhum,
06:38qui a lieu tous les quatre ans aussi.
06:40Donc c'est une course qui est rare aussi,
06:42un peu comme le Vendée Globe,
06:43comme les JO, comme la Coupe du Monde.
06:45Et la dernière, c'est 2022.
06:47Je termine deuxième à deux heures,
06:50au bout d'une douzaine de jours de course
06:53sur l'Atlantique.
06:54Et voilà, c'est mon nouvel objectif,
06:57gagner cette Route du Rhum,
06:59qui aura lieu en novembre 2026.