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En 2014, un mystérieux millionnaire promet de transformer tout un quartier de Paris en véritable temple du "bien-manger". Ce projet à 30 millions d'euros s'appelle "La Jeune Rue" et tout le monde veut y participer : chefs étoilés, designers, politiques, banquiers... Mais au bout de quelques mois, les premiers doutes apparaissent en même temps que les impayés et les retards de chantiers. Paul-Henry Bizon nous raconte l'histoire de l'une des plus grandes arnaques de la gastronomie française.

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Transcription
00:00Cédric Nodon, c'est un escroc de bout en bout.
00:01Un homme d'affaires dont la fortune présumée est nimbée d'une certaine opacité.
00:05D'où vient cet argent ?
00:06Comment est-ce que cette personne qui sort de nulle part peut être un grand millionnaire ?
00:10Il a mis zéro centime dans cette affaire.
00:13C'était à la fin de l'année 2012 et Cédric Nodon venait d'ouvrir un restaurant sur l'île Saint-Louis
00:19qui s'appelait le Sergent Recruteur,
00:21dont tout le monde parlait un peu dans le microcosme de la gastronomie à Paris.
00:24Et moi je travaillais, j'avais une agence de communication.
00:26Je l'ai rencontré à cette époque-là vraiment pour parler du restaurant, du gastronomie.
00:31Et en fait, le projet est arrivé assez vite.
00:33Dès la fin 2012-2013, il a commencé à me dire qu'il aimerait ouvrir d'autres boutiques,
00:38rue du Verbois, rue Volta, rue Notre-Dame de Nazareth, près de République, là à Paris.
00:42Donc en plein centre ?
00:43En plein centre de Paris.
00:44Transformer trois rues en épicentre du bien-manger.
00:47Avec 36 lieux dédiés aux produits bio et durables,
00:50aménagés par les plus grands designers.
00:53Un concept estimé à 30 millions d'euros.
00:56Et une marque, la Jeune Rue, destinée à s'exporter dans le monde entier.
00:59On se replaçait peut-être à l'époque, c'était vraiment les débuts de ce qu'on appelle la bistronomie.
01:03Donc en fait, il y a un grand intérêt pour la gastronomie à l'époque à Paris.
01:07C'est le renouveau des bistrots.
01:09En fait, on sort d'une gastronomie un peu guindée, type grande table Michelin,
01:13pour un truc beaucoup plus décontracté.
01:16Les bistrots, c'est tout l'Est parisien qui commence à émerger.
01:20Donc il y a aussi un intérêt vers les produits, l'agriculture.
01:23Et en fait, les gens prennent conscience que c'est important.
01:25Il y a beaucoup de journalistes, mais il y a aussi des financiers qui soutiennent le projet.
01:29– Des élus aussi.
01:30– Des élus qui s'intéressent évidemment au renouveau de ces rues qui étaient un peu désertes.
01:35Et toujours ce mystérieux Sédèque-Nodon au milieu de l'Assemblée.
01:38– Sachant qu'on parle d'un projet à environ 30 millions d'euros, c'est ça ?
01:41– Oui, on parle de 30, puis 50, puis 60, puis 80.
01:43Et puis en fait, plus le projet prend de l'ampleur,
01:45plus on se rend compte qu'il va falloir des dizaines, voire des centaines de millions.
01:49Et c'est le moment où d'ailleurs, les attentes commencent à devenir fortes.
01:55C'est-à-dire finalement, d'où vient cet argent ?
01:59Comment est-ce que cette personne qui sort de nulle part peut être un grand millionnaire ?
02:03Donc les premiers doutes apparaissent.
02:05Au bout de quelques mois, les gens commencent à s'impatienter
02:07puisque les endroits n'ouvrent pas.
02:09Fin 2014, il y a un premier article dans Le Monde
02:11qui est signé François Krug et Zineb Drief
02:14et qui, vraiment, fait état de gros doutes sur la fortune présumée de Cédric Nodon.
02:20Mais il a quand même engagé beaucoup de monde.
02:22À l'époque, c'est plus d'une centaine de personnes
02:24qui sont employées et salariées par la jeune rue.
02:27Donc une machine folle comme ça, ça ne s'arrête pas.
02:30Il n'y a pas de bouton stop, en fait.
02:31– Effectivement, tu sors de ce projet parce que tu n'es pas rémunéré
02:36et parce que tu commences à sentir quand même qu'il y a quelque chose de louche.
02:38– Oui, ça, c'est un mélange.
02:40Effectivement, j'ai une partie de mes factures qui ne sont pas honorées.
02:43Je me rends compte que je ne suis pas le seul.
02:44C'est-à-dire qu'il y a aussi des producteurs qui ne sont pas payés.
02:46De plus en plus, il y a des difficultés de paiement
02:48qui apparaissent assez vite, en fait, dès le début de l'année 2014.
02:51– On commençait à gratter un petit peu du côté du service des achats.
02:55Je me suis aperçu qu'il y avait des noms de paiement très anciens.
02:58J'ai eu un vrai doute, quoi.
02:59Je me suis dit, bon, alors, vu les dates des échéances,
03:03ça, ça veut dire qu'on est dans un système chronique de dettes.
03:06– Ce dont il faut bien se rendre compte, c'est que la jeune rue,
03:10c'était vraiment à l'origine des passionnés qui étaient passionnés
03:14d'agriculture, d'agriculture vertueuse, d'agriculture paysanne,
03:17et qui voulaient, en fait, porter ça, le rendre disponible à Paris.
03:22C'est pour ça qu'il y a eu aussi un tel engagement.
03:24C'était des gens, je pense aux paysans particulièrement,
03:26qui pouvaient être isolés en France et avoir du mal à communiquer entre eux.
03:30Et là, ils se retrouvaient au cœur d'un projet ensemble.
03:32Et la personnalité de Cédric Nodon était toute autre,
03:34parce que lui, c'était plutôt, justement, la vie parisienne,
03:37le côté financier, grand financier.
03:39Je me souviens de choses assez drôles, d'un voyage dans le Gers, par exemple,
03:44où il déboule avec des berloutis en plein champ.
03:47Les paysans étaient un peu hallucinés de voir ça.
03:49C'est pour ça qu'assez vite, en fait, ça posait question.
03:53– Ça posait question, mais en même temps, dès le début du projet,
03:55donc on a des médias, des journalistes, des élus, des banques,
03:59des designers mondialement connus, des chefs étoilés.
04:01Tout ce monde, il croit en ce projet, il croit en Cédric Nodon aussi.
04:06On peut se demander comment ça se fait que tout ce monde
04:08ne se soit finalement rendu compte de rien.
04:10– Je pense que les gens avaient très envie d'y croire,
04:12parce que le projet est génial en soi.
04:14Il fallait en être.
04:15Et puis, une fois qu'on est dans la machine,
04:17après, on est embarqué et ça va très, très vite, en fait.
04:19Donc, même si on se rend compte des choses,
04:21comment on sort ? Est-ce qu'il faut sortir ?
04:23Même si on a des doutes, finalement, on est entraîné par l'inertie du projet.
04:28Quand il y a des institutions, effectivement, qui cautionnent le projet,
04:31pourquoi est-ce qu'une personne qui a une ferme dans le sud-ouest
04:36ou une personne qui travaille au sourcil ou une personne qui travaille
04:40dans une boutique devraient mettre en doute un projet qui est validé
04:44par la Banque publique d'investissement, qui est adoubé par des gens
04:49dont c'est la responsabilité ?
04:50On peut mettre en doute, mais il y a des gens dont c'est le métier
04:53de mettre en doute avant les gens qui sont engagés.
04:56– C'était qui, Cédric Nodon ?
04:57C'était un escroc ou c'est juste quelqu'un de fortuné
05:00qui a mal géré son affaire ?
05:01– C'est un escroc de bout en bout, puisqu'il a mis zéro centime dans cette affaire.
05:07Tout est basé sur l'esbroufe et l'emprunt.
05:09S'il avait mis 10 millions d'euros et qu'il s'était gamelé, voilà.
05:13Mais si dès le début… – C'est pas la même histoire.
05:15– C'est pas la même histoire.
05:16Mais si dès le début, il sait que de toute façon,
05:18il est déjà en train d'essayer de combler des dettes
05:20et qu'il va entraîner des centaines de personnes dans son sillage,
05:23là c'est plus problématique.
05:24– Qu'est-ce qu'il est devenu, Cédric Nodon, depuis ?
05:26– Il a été condamné.
05:27– Pourquoi, dix ans après, tu décides de raconter cette histoire dans un podcast ?
05:31– D'abord parce que j'ai été très déçu que ce projet ne voit pas le jour.
05:34En plus d'avoir eu une petite blessure d'amour propre,
05:36d'être tombé dans un panneau qui, dix ans après, paraissait trop gros.
05:41Mais je crois qu'il ne faut pas être trop méchant avec soi-même,
05:45ça fait partie des expériences.
05:46J'avais envie de faire le bilan parce que je me suis rendu compte
05:48que cette histoire n'avait pas été racontée de A à Z.
05:51C'est-à-dire qu'il y avait beaucoup de gens qui connaissaient cette histoire,
05:53mais qui en connaissaient une petite partie.
05:55– Un peu de loin.
05:55– Un peu de loin, c'est ça, ça restait anecdotique.
05:58Et en fait, je voulais d'abord remettre la place de l'agriculture vraiment sur le devant,
06:02rendre hommage quand même à tous les gens passionnés
06:04qui ont continué à faire des choses vertueuses.
06:06Et puis surtout vraiment conclure à cette idée que, en fait,
06:10Céric Nodon est un escroc et qu'il n'a pas mis d'argent dans ce projet,
06:14que ce n'est pas quelqu'un qui a rêvé trop grand,
06:15c'est quelqu'un qui a manipulé plein de personnes sur une idée
06:20qui était dans l'air du temps et qui était bonne.
06:21Donc je dirais qu'il faut se méfier des escrocs, pas des utopies.
06:25Et moi, je garde l'utopie.

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