Brut Book — "La France doit travailler plus… et les Français être mieux payés." : c'est le titre et l'idée majeure du dernier livre du chef d'entreprise et essayiste Denis Olivennes qui considère que si l'on crée les conditions du travail, les Français travaillent énormément. Voici ses solutions...
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00:00On parle aujourd'hui de burn-out, de bore-out, vous en parlez dans votre livre, et vous, ce que vous écrivez dans votre livre,
00:07c'est qu'en fait, les gens se sentent mal au travail, mais essentiellement, selon vous, parce qu'ils ne sont pas assez payés.
00:13Oui, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas un nuage de Tchernobyl du travail, de l'envie de travailler, qui s'arrêterait aux frontières françaises.
00:21Il n'y a pas de raison que les Allemands, qui ne sont pas très différents de nous, les Suédois ou d'autres,
00:25travaillent plus que les Portugais et aient plus envie de travailler que nous.
00:29Si vous payiez mieux les salariés, si la part de l'argent qu'on consacre aux salariés leur revenait davantage dans leurs poches,
00:36on aurait une bien plus grande incitation à travailler.
00:39Et l'autre phénomène, c'est probablement que le management à la française est moins responsabilisant, moins motivant, moins soucieux des salariés,
00:49on a un tas d'études là-dessus, que dans des pays voisins.
00:52Si d'un côté vous n'êtes pas bien payé et que de l'autre vous n'êtes pas bien traité, la motivation pour travailler est faible.
01:00Mais ce n'est pas que culturellement les Français sont des feignants, pas du tout.
01:03Et d'ailleurs quand vous créez les conditions du travail, les gens travaillent énormément.
01:08Si votre employeur vous augmente de 100 euros, vous n'allez toucher que 43 euros.
01:14Donc la majorité de l'argent qu'on verse pour vous ne va pas revenir dans votre poche.
01:19Donc pourquoi voulez-vous qu'on ait envie de travailler si l'essentiel de votre travail rémunère d'autres que vous ?
01:26C'est-à-dire les cotisations sociales et les impôts.
01:29En vérité, en France, on a choisi, nos gouvernements ont choisi d'imposer d'abord les revenus du travail au détriment des salariés,
01:37plutôt que d'autres ressources qui pourraient nous ramener cet argent.
01:41Et chacun d'entre nous peut faire l'expérience, vous regardez votre feuille de paie,
01:44vous regardez en haut ce qu'a payé votre employeur, vous regardez en bas ce que vous avez touché et vous comprenez où est le problème.
01:50Si chacun d'entre nous étions augmentés de 10 ou 20%, le visage de la France serait changé parce que notre incitation à travailler serait bien plus grande.
01:59Votre livre parle d'économie, mais cette question du travail a aussi une dimension, disons, philosophique.
02:05Une question très simple, c'est peut-être pourquoi travaille-t-on ?
02:08On travaille d'abord de manière matérielle parce que c'est ce qui nous permet de gagner des revenus, qui nous permet de vivre plus heureux qu'on ne vivait.
02:20Quand vous regardez la civilisation moderne qui a développé la production et la productivité, ce qu'on a appelé la croissance que certains contestent,
02:31elle a bien sûr eu des dommages, par exemple sur l'environnement, mais globalement elle a allongé fantastiquement l'espérance de vie,
02:38elle a fait baisser la mortalité infantile, elle a amélioré la santé, elle a permis de financer une protection sociale très considérable,
02:47elle a augmenté le niveau d'éducation.
02:49Donc notre système économique occidental, pour le qualifier rapidement, a fait que nous sommes dans une situation qu'aucune génération depuis la naissance de l'humanité n'a connue,
03:05en termes de bien-être, en termes de loisirs, en termes de niveau de vie, en termes d'alphabétisation, en termes de consommation de la culture.
03:13Donc c'est d'abord pour ça qu'on travaille. Ensuite, je crois que, je ne suis pas psychologue et ce n'est pas ma spécialité,
03:19mais tous les travaux dont on dispose montrent que le travail sous certaines conditions, quand ce n'est pas la mine, quand ce n'est pas l'esclavage,
03:27le travail dans lequel on s'épanouit est une source d'accomplissement pour les individus.
03:34Parce qu'on se dépasse, parce qu'on produit des choses utiles, parce que ça donne du sens à son existence.
03:40Évidemment, quand j'entends travailler plus, la France doit travailler plus. Je pense au fameux « Travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy,
03:50lors de sa campagne présidentielle de 2007. C'était il y a quand même 18 ans. Pourquoi on en est encore à parler de ça 18 ans plus tard ?
04:00Parce qu'on n'a pas pris la mesure du sujet numéro 1. C'est qu'en effet, quand on compare la France aux autres pays,
04:08nous sommes le pays développé qui travaille le moins en nombre d'heures de travail par habitant.
04:16Très important par habitant. Ce n'est pas que moi, vous, la boulangère, l'infirmier, le paysan, l'ouvrier ne travaillent pas.
04:24En durée individuelle du travail, les Français travaillent un peu moins que les autres, mais ça n'est pas le sujet majeur.
04:30Le sujet majeur, c'est que nous sommes moins nombreux à travailler que les autres. Si on se compare avec l'Allemagne, c'est frappant.
04:37On a 6 Français sur 10 qui ne travaillent pas. Donc la charrette France, c'est 4 Français qui bossent et qui tirent un véhicule
04:45sur lequel sont assis 6 Français qui ne travaillent pas. Les chômeurs, mais ça, ce n'est pas de leur faute, les autres non plus d'ailleurs.
04:52Les jeunes en formation, parce qu'on a beaucoup moins d'alternance que les Allemands.
04:56Les personnes qui restent au domicile, au foyer, principalement des femmes, parce que la différence des Allemands,
05:02elles ont très très peu de petits jobs complémentaires. Et puis la question de la retraite, on a une retraite plus précoce.
05:09Et donc là où l'équipe d'Allemagne de foot, dans le match de la fabrication de richesses, aligne 11 joueurs, nous on en aligne 8.
05:19Donc ils dribblent, ils se battent, ils se font des passes, mais comment voulez-vous qu'on gagne à 8 contre 11 ?
05:23Parlons, si vous le voulez bien, des solutions, parce que vous en donnez des solutions.
05:27Les solutions, elles sont assez claires. On a, disons, 5 trucs à faire.
05:331. Développer l'alternance. Développer l'alternance. On a beaucoup moins d'alternance que les Allemands.
05:39Et donc si on avait le même taux d'activité, c'est-à-dire le même nombre de jeunes qui travaillent que les Allemands,
05:45on aurait déjà réglé une partie du problème. Donc développer l'alternance.
05:492. Développer le temps partiel. En effet, en France, le temps partiel choisi, c'est 8% des salariés.
05:57En Allemagne, c'est 20%. Et quand vous interrogez les salariés allemands sur leur satisfaction, ceux qui sont en temps partiel,
06:0490% d'entre eux sont heureux de leur temps partiel. Ça concerne qui ?
06:09Ça concerne des gens, souvent des femmes, qui ont choisi de rester au foyer, à domicile,
06:16mais qui veulent tout de même avoir une activité. Donc c'est une activité de complément.
06:20Et qu'est-ce qu'ont fait les Allemands ? Ils ont fait en sorte que ce soit attractif,
06:24notamment sur le plan fiscal et sur le plan des charges sociales, pour que, là encore, ça soit simplement mieux rémunéré.
06:31Donc ça, c'est la deuxième chose à faire. Une fois encore, il ne s'agit pas du temps partiel subi.
06:36Il s'agit de ceux qui veulent avoir une modalité de travail qui ne soit pas forcément le temps complet.
06:42La troisième chose à faire, on est en train de la faire, c'est reculer l'âge de départ en retraite.
06:47Mais je reviens à mon point précédent. Si les salariés à qui on propose de reculer l'âge de leur retraite
06:53avaient 20% ou 15% de cotisations sociales ou d'impôts en moins sur leur revenu du travail,
07:00donc 15% de revenus en plus, je suis sûr que leur appétit pour retarder l'âge de départ en retraite serait très différent.
07:08Et puis, on a donc cette chose à faire, c'est la quatrième massivement, c'est déplacer les impôts et les taxes du revenu
07:18vers d'autres ressources moins productives. C'est trouver d'autres ressources et alléger les impôts et les taxes sur le travail.
07:24Pas forcément alléger les revenus, les recettes publiques, mais au moins alléger les impôts et les cotisations sur le travail
07:33pour que le salaire net des salariés soit plus élevé. La dernière chose à faire, c'est l'éducation.
07:39Mais ça, c'est un vaste programme. Il faudrait qu'on arrive à réformer notre système éducatif.
07:43Et là, je dois dire que c'est moins évident que les points que j'ai évoqués précédemment.
07:47La question du temps partiel, par exemple, c'est une vision du monde. Il n'y a pas le risque de développer le salarié pauvre ?
07:53On est heureusement dans l'un des pays les plus protégés du monde, dont le code du travail est le plus épais de tous les pays du monde.
08:04Donc, il faut que ce temps partiel soit encadré. Mais il faut aussi que ceux qui en ont envie soient incités à le faire par une rémunération attractive.
08:16Est-ce que l'ubérisation du monde est quelque chose de bénéfique pour vous ?
08:20Pas forcément, parce que si l'ubérisation, c'est la transformation du contrat salarial avec ses protections en contrat d'auto-entreprise sans aucune protection,
08:30sans couverture sociale, sans application des règles du droit du travail, moi, je n'y suis pas favorable.
08:36Mais entre l'ubérisation et l'excès de réglementation, il y a une étude récente faite par Harvard qui montre que
08:45on est le champion du monde de la réglementation en France, du monde, des pays occidentaux en tous les cas.
08:53Entre l'un et l'autre, il y a peut-être un équilibre à trouver.
08:56Et de la même manière, quand je dis qu'il faut qu'on réduise la part des cotisations et des impôts sur le travail, des revenus du travail,
09:05je ne dis pas qu'il faut qu'on réduise notre protection sociale. Il y a peut-être sans doute des économies à faire ici ou là.
09:11Je dis qu'il faut qu'on trouve une assiette qui soit moins défavorable à la production.
09:15Donc, je ne remets pas en cause notre modèle social que je trouve remarquable, exemplaire et qu'il faut qu'on défende.
09:22Je pense que c'est l'inverse. Je pense que c'est si on n'attaque pas la question du travail qu'on va remettre en cause notre modèle social.
09:32Et d'ailleurs, on le voit. Vous voyez que maintenant, quant à notre dette, on est obligé de faire des coupes sombres dans les dépenses publiques.
09:39Donc, si on ne produit pas de richesse, on va être obligé de taper dans les dépenses.