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Lundi 25 novembre 2024, SANTÉ FUTURE reçoit Isabelle Moine-Dupuis (maître de conférences, spécialiste du droit pharmaceutique) , Pierre Boutouyrie (chef de service, Hôpital Georges Pompidou) , Lucien Bennatan (président fondateur, Act Pharmacie) , Thomas Bachelart (directeur scientifique, Drugoptimal) et Hervé Bonnaud (Président, Nex&Com;)

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00:00:00Santé Futur, votre rendez-vous consacré à l'innovation et à l'avenir de la santé.
00:00:22Chaque mois, pendant une heure, je vous invite à plonger au cœur des grands enjeux du secteur.
00:00:27Une heure pendant laquelle leaders experts de la santé partagent leurs perspectives sur les tendances,
00:00:32les innovations et les solutions émergentes liées à une grande thématique.
00:00:37Le médicament est-il un bien comme un autre entre d'une part la complexité du processus de développement
00:00:43et de mise sur le marché et de l'autre les nombreux enjeux scientifiques et réglementaires,
00:00:48sans compter les défis liés à l'accès aux médicaments, un aspect primordial pour la santé publique.
00:00:54Nous tâcherons d'y voir plus clair et de vous apporter quelques éléments de réponse.
00:00:58Dans son édito, Hervé étant en rogne, Hervé Bonneau, président de Next & Com, ici présent,
00:01:04il se fait le fervent défenseur de l'industrie pharmaceutique, je ne vous en dis pas plus.
00:01:09Et puis, vous le savez, dans la Pépite Santé, on vous présente une initiative en lien avec notre thématique.
00:01:15Et aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Thomas Bachelard, le directeur scientifique de Drogue Optimale,
00:01:21une start-up iséroise qui développe une technologie permettant de détecter les incompatibilités physico-chimiques médicamenteuses.
00:01:30Santé future, c'est parti !
00:01:37Et dans cette édition consacrée aux médicaments, j'accueille Isabelle Moine-Dupuis,
00:01:42maître de conférences à l'Université de Bourgogne, spécialiste du droit pharmaceutique,
00:01:48Pierre Boutouiri, chef du service de pharmacologie de l'hôpital Georges-Pompidou,
00:01:53chercheur à l'Inserm, et Lucien Benatten, président fondateur d'Acte Pharmacie.
00:01:59Bonjour à tous les trois et merci d'avoir répondu présent.
00:02:03Et pour entamer cette émission, place à l'édito d'Hervé Bonneau.
00:02:06Et aujourd'hui, Hervé, tu es agacé, agacé par la fréquence des critiques à l'encontre des industriels du médicament.
00:02:14Ah oui, agacé, absolument, ça fait des années que ça dure.
00:02:16Je ne dis pas qu'il n'y a eu pas eu quelques petits scandales sanitaires liés à l'industrie pharmaceutique, c'est vrai.
00:02:22Mais les marchands d'armes, les marchands de cigarettes, les marchands d'alcool, on n'en parle pas.
00:02:26Eux, ils ont une bonne image, alors que l'industrie, quand même, sauve des vies de mon point de vue.
00:02:30Et cet acharnement systématique magas, c'est quand même une industrie qui réussit bien en France et on est en train de la casser.
00:02:36Et ce n'est pas la campagne du LEM qui vient de sortir.
00:02:38Ils sont très contents avec leur petit jeu de mots.
00:02:40Moins de médicaments, c'est médica mieux.
00:02:42Franchement, ça m'étonnerait que le grand public apprécie qu'avec ça, on sauve des vies en France.
00:02:46Mais ils sont contents, c'est formidable.
00:02:49Voilà, je voudrais juste vous rappeler trois chiffres qui m'ont amusé.
00:02:53On vend en France chaque jour 250.000 boîtes de Deliprane, 6,6 millions de paquets de cigarettes et 32 millions de bouteilles de vin.
00:03:02Donc, à qui profite le crime?
00:03:04Alors, c'est amusant de se dire que là dedans, ce sont des produits de consommation courante.
00:03:07Donc, vu les chiffres, il y a clairement des produits qui tuent.
00:03:12Les médecins autour de la table, les pharmaciens apprécieront.
00:03:14L'alcool, le tabac, on connaît.
00:03:15D'ailleurs, les chiffres sont officiels.
00:03:17L'alcool tue 49.000 personnes par an en France et le tabac 75.000 personnes.
00:03:23Donc, je propose qu'on dise merci à Pernod Ricard et à Philippe Maurice.
00:03:28Et qu'on n'oublie pas que quand même, l'industrie pharmaceutique a réussi à développer un vaccin contre la Covid-19 rapidement, qui a été très critiqué.
00:03:37Et pourtant, le Lancet a publié une belle étude en 2021 qui explique que ce vaccin a sauvé dans la première année 20 millions de personnes.
00:03:46Donc, on est un peu sur une autre échelle, mais ça, on ne le dit pas bien.
00:03:49Et qu'est ce qu'on n'a pas entendu sur Pfizer et AstraZeneca avec leur vaccin qui contenait des puces et des machins terribles?
00:03:56Autre exemple qu'on pourrait citer, le sida.
00:03:59En 40 ans, on est passé d'une maladie terrifiante qui tuait absolument tout le monde à une maladie dont on ne meurt plus,
00:04:05dont on vit assez bien, avec un traitement qui est même aujourd'hui assez simple à prendre,
00:04:10parce que c'est un comprimé par jour, voire une injection tous les deux mois.
00:04:13Donc, quand même, il y a des progrès incontournables.
00:04:17Et pourtant, qu'est ce qu'on n'entend pas sur Gilead et Vive qui se font des fortunes avec leurs médicaments hyper chers?
00:04:25Hyper cher, oui, c'est vrai.
00:04:26Mais il y a le prix du développement et ce n'est pas moi qui le dis et ça coûte 2,3 milliards de dollars en 2022.
00:04:34C'est une étude qui vient de sortir du cabinet de l'Ouatt.
00:04:37Donc, c'est vrai que ça prend des années, qu'il y a un risque terrier, qu'il y a une molécule sur 10 000 qui sort.
00:04:43Et les labos doivent gagner de l'argent.
00:04:45Et ça, ce n'est pas bien.
00:04:46Ce n'est pas bien de gagner de l'argent.
00:04:48L'argent et la santé, ça ne fait pas bon ménage.
00:04:51Les labos doivent gagner de l'argent pour investir.
00:04:53Et vu les sommes, c'est colossal.
00:04:55Alors, quand on parle de R&D, on peut parler de cigarettes, par exemple.
00:04:59J'ai entendu le président de Philippe Maurice expliquer que son but était d'aider les gens à arrêter de fumer.
00:05:06Ça m'étonnerait vraiment qu'il soit sincère, mais il nous explique que pour ça, son groupe va développer des cigarettes électroniques.
00:05:13Admettons. Alors, est-ce qu'on peut m'expliquer pourquoi il y a plein de goûts bonbons dans ce qu'il développe, si ce n'est pour attraper les jeunes consommateurs?
00:05:22Moi, je trouve que d'un point de vue éthique, c'est un petit peu discutable.
00:05:25Un labo ferait la moitié de ça, je pense qu'on en parlerait pendant des années.
00:05:29Donc, oui, c'est vrai que les innovations coûtent cher, mais les innovations qu'on observe récemment sont formidables.
00:05:36On va sur la lune, mais les vaccins avec de l'ARN messager qu'on a vu se développer pendant la pandémie,
00:05:44bientôt vont traiter des cancers, bientôt vont éradiquer le paludisme.
00:05:47Le paludisme, 700 000 morts par an.
00:05:49Donc, on parle quand même de vrais sujets.
00:05:52Et je ne vous parle pas des progrès de l'oncologie avec les anticorps couplés, les thérapies, etc.
00:05:58Tout ce que vous connaissez. Et les carticelles, on arrive à modifier des lymphocytes T pour leur greffer un récepteur chimérique pour que la tumeur soit tuée.
00:06:08C'est quand même formidable. Donc, ça veut dire quand même que clairement, on a des patients en septième ligne de biélome.
00:06:13On met un carticelle et il y a un reset total. Alors non, la question qui fâche, c'est que ça coûte à peu près 300 000 euros l'injection.
00:06:20Mais donc, posons-nous la question. C'est un problème politique, ce n'est pas économique.
00:06:23Ça coûte combien la vie d'un vieux ? C'est comme ça qu'il faut le voir.
00:06:26Donc, et les thérapies géniques ? On sait maintenant couper avec les ciseaux.
00:06:31Vous connaissez les ciseaux moléculaires, les Scripps, CRISPR.
00:06:35Donc, il y a un endroit précis du génome pour modifier la maladie.
00:06:38Donc, on a des gamins, par exemple, qui avaient une amyotrophie spinale, qui ne pourront jamais marcher.
00:06:42Désormais, avec une injection, ils marchent.
00:06:45Alors non, ça coûte très cher. Ça coûte une fortune.
00:06:48Donc, peut-être un million d'euros l'injection.
00:06:51Et là aussi, la question, ça coûte combien la vie d'un enfant qui apprend à marcher ?
00:06:55Donc, ce sont des questions évidemment formidables.
00:06:59Mais on peut aussi revenir sur Terre en disant que 56% des médicaments dits essentiels ont un prix unitaire inférieur à un euro.
00:07:09Donc, un pharmacien proche de moi pourra apprécier.
00:07:13Une boîte de gélules d'amoxycyline 500 mg, ça coûte 2,04 euros.
00:07:19Donc, vous imaginez qu'avec ça, un pharmacien qui a quand même fait un doctorat, on va lui donner quelques centimes d'honoraire.
00:07:25C'est très bien.
00:07:26Juste pour comparer, un burealiste, il touche 8,15% du prix du paquet de cigarettes.
00:07:31Le paquet de cigarettes, ça coûte 2,50 euros.
00:07:33Ça fait donc un euro de marge pour lui.
00:07:35Donc, c'est intéressant de comparer ces deux réseaux de proximité.
00:07:39Les 20 000 officines dont le nombre part en fumée.
00:07:43J'ai apprécié la blague avec le burealiste.
00:07:45Et les 23 000 bureaux de tabac qui, eux, vendent plutôt de la maladie et de la mortalité.
00:07:52Autre point qui m'agace prodigieusement, c'est cette défiance généralisée qu'on a contre l'industrie pharmaceutique, les médecins, les pharmaciens.
00:07:58Donc, eau et des médicaments.
00:08:01Complètement.
00:08:02Voilà.
00:08:02Donc, c'est un mélange.
00:08:03On ne dit rien sur les tabacs.
00:08:05Et alors, au nom de la compliance, on ne peut plus offrir un café à un médecin, sinon on l'achète.
00:08:09Ça, c'est la loi anticorruption.
00:08:11Formidable.
00:08:12Pourtant, j'ai lu, là, c'était les élections européennes il n'y a pas longtemps,
00:08:15que les lobbyistes pouvaient inviter à déjeuner un député européen, mais il fallait rester raisonnable.
00:08:21Donc, le repas autorisé, accepté, c'est 150 euros sans le vin.
00:08:25Je vous laisse apprécier par rapport au prix du café.
00:08:27Et d'ailleurs, ils disent que les 100 plus grands groupes de lobbying ont dépensé en moyenne 400 000 euros par député.
00:08:36Ça fait rêver quand même.
00:08:36Et on parle de l'armement qui est derrière, des trucs l'Ukraine.
00:08:40Voilà.
00:08:41Un visiteur médical ne peut plus parler à un interne, parce qu'un interne qui est quand même un médecin,
00:08:46un jeune médecin, mais qui a quand même un bac plus 8-10, va se faire retourner par les propos d'un visiteur médical.
00:08:54Martin Hirsch ne voulait pas qu'un praticien hospitalier, qui est habitué quand même, reçoive seul un visiteur médical.
00:09:01Il allait se faire conditionner.
00:09:04Donc, il devait être deux.
00:09:06On nous prend pour des abrutis.
00:09:08Donc, voilà, c'est étonnant.
00:09:10Et puis, dans cette mouvance, on a le conflit d'intérêts.
00:09:14C'est-à-dire qu'un médecin expert d'un sujet qui donne son avis a un conflit d'intérêts.
00:09:18Éventuellement, il pourrait avoir un lien d'intérêts.
00:09:20On pourrait commencer par là, mais ça, on l'a oublié.
00:09:22C'est directement le conflit d'intérêts.
00:09:23Donc, ça, merci la transparence.
00:09:25On est complètement là-dedans.
00:09:28Ce qui fait qu'aujourd'hui, pour faire parler un expert d'un sujet pointu dans un sympos,
00:09:32on est obligé de prendre un non-expert d'un sujet.
00:09:34Parce que sinon, il a un conflit d'intérêts.
00:09:36Par définition, il a participé à un essai clinique.
00:09:38Il a participé à une table honde ou à une publication.
00:09:41Voilà.
00:09:42Donc, tout ça est très étonnant.
00:09:44Quand on veut demander son avis à un praticien hospitalier sur un sujet précis,
00:09:49il doit demander la permission à la direction de son hôpital.
00:09:53Donc, délai de réponse, trois semaines.
00:09:55Ça s'appelle la demande de cumul d'activité.
00:09:58Généralement, on n'avait pas trois semaines pour attendre la réponse.
00:10:00Donc, tout ça pour 200 euros.
00:10:03Donc, c'est formidable.
00:10:04Donc, je m'agace effectivement aujourd'hui de cette défiance qu'il y a
00:10:09entre l'industrie pharmaceutique et le grand public.
00:10:12De cette défiance, en fait, qu'il y a entre la santé et l'argent.
00:10:14Et je crois que je sais d'où ça vient.
00:10:16C'est que philosophiquement, la santé n'a pas de prix.
00:10:19Mais désolé de vous le rappeler, elle a un coût.
00:10:22Merci Hervé.
00:10:23Je vois que globalement, tout le monde dodienne de la tête.
00:10:27On est assez d'accord.
00:10:29Si je peux commencer un petit peu le débat.
00:10:31Ça commence aussi sur les notices de médicaments.
00:10:34Sur les notices de médicaments, on rappelle tous les effets indésirables des médicaments.
00:10:38Mais on ne rappelle jamais les effets bénéfiques attendus du médicament.
00:10:42Et donc, ça crée une distorsion énorme dès la prescription.
00:10:47Avec des patients qui lisent attentivement et qui stabilosbossent les effets indésirables
00:10:52en disant celui-là, je l'ai, celui-là, je l'ai, celui-là, je ne l'ai pas.
00:10:54Mais celui-là, je l'ai.
00:10:55Celui-là, je l'ai.
00:10:56Et qui, en fait, à aucun moment...
00:11:01C'est aux médecins la charge complète, ou aux pharmaciens, de rappeler pourquoi on donne les médicaments,
00:11:07quel est l'objectif thérapeutique, quel est le bénéfice attendu.
00:11:12Et ça crée une distorsion complète dans l'esprit des gens.
00:11:17Et moi, mon combat quotidien de consultation, c'est les patients à qui je prescris des médicaments.
00:11:22Alors, je parle des statines en particulier, avec des indications formelles,
00:11:25un niveau de preuve extrêmement important sur l'efficacité des statines.
00:11:30En prévention primaire, en prévention secondaire.
00:11:33Et qui reviennent trois mois plus tard en me disant, vous savez, votre médicament, je ne l'ai pas pris, docteur.
00:11:37Parce que j'ai lu sur Internet, parce que j'ai regardé la notice,
00:11:40parce que j'avais déjà mal au muscle avant de prendre le médicament.
00:11:44Et j'ai vu que ça faisait encore plus mal au muscle, donc je ne le prends pas.
00:11:47Et donc, c'est un combat qui est quasiment perdu d'avance.
00:11:50Il faut des années de rétro-pédalage pour arriver, voilà.
00:11:54Et par effet culbuto, enfin en chaîne,
00:12:00effectivement, ça se transmet à l'industrie pharmaceutique qui, comme Hervé l'a dit,
00:12:04prend tous les risques, risques financiers, risques d'échec.
00:12:08Il l'a rappelé, c'est une molécule pour 10 000 qui arrive sous forme de médicament.
00:12:14Et c'est sur les candidats à médicaments, c'est une sur dix au mieux qui va être développée.
00:12:19Et chaque développement coûte plusieurs millions, milliards d'euros.
00:12:22Merci de venir utiliser notre débat.
00:12:25Isabelle, vous vouliez réagir également ?
00:12:28Alors, j'aurais en fait tendance à dire que si on critique beaucoup l'industrie pharmaceutique
00:12:32et si on est très exigeant avec elle, c'est que ce n'est pas une industrie effectivement comme une autre.
00:12:36Comme vous l'avez dit, la question est la santé.
00:12:41Forcément, il y a une exigence en termes de sécurité.
00:12:46Effectivement, ça a été dit.
00:12:48Je crois que le droit est quand même en partie effectivement responsable,
00:12:51puisque c'est évidemment la crainte des procédures et l'obsession du risque zéro qui est dans notre société.
00:13:02Et cette exigence qui est autour de la santé, elle vient évidemment de...
00:13:08Je ne pense pas d'une critique globale sur l'existence de l'industrie pharmaceutique.
00:13:13Là, je crois qu'évidemment, il n'y a pas de problème,
00:13:15mais des exigences liées tout simplement à des principes qui sont...
00:13:19Des principes qu'on a développés au sein de la France,
00:13:24mais de l'Europe et maintenant effectivement du monde, qui est l'égalité en fait.
00:13:29Et c'est vrai que plus ces produits sont efficaces, plus on en a besoin.
00:13:35Plus, bien évidemment, il y a une frustration à ne pas pouvoir y avoir accès pour des questions de prix,
00:13:42que ce soit pour des gens qui vont vivre dans un village Burkina Faso,
00:13:47qui n'auront pas accès aux médicaments dont ils auraient besoin,
00:13:51ou les parents d'un enfant leucémique qui aimeraient bien évidemment avoir ce médicament à un ou deux millions d'euros,
00:13:59qui remplacerait d'ailleurs des années de hospitalisation et de traitement,
00:14:03puisque ces traitements peuvent guérir en une seule prise.
00:14:07Donc, il est vrai que moi aussi je suis tout à fait agacée par souvent des critiques qui ne sont pas toujours bien sûr pertinentes.
00:14:18Mais voilà, donc je veux dire que ces critiques, elles sont aussi une invitation à avancer, à progresser et à faire...
00:14:24Et la société maintenant s'empare effectivement de ces sujets, comme elle s'empare de l'environnement ou de la justice.
00:14:30J'aimerais plutôt un côté tout à fait positif, même si je partage parfois votre agacement.
00:14:37Écoutez-moi, c'est un point, je suis pharmacien, donc je suis la liée du patient.
00:14:42Et bien sûr que ça me met en colère quand j'entends toutes les critiques sur l'industrie pharmaceutique.
00:14:50Pour moi, le problème se situe au niveau politique.
00:14:54On ne considère pas la santé comme un investissement.
00:15:00On considère systématiquement la santé comme un coût.
00:15:03Donc, il faudrait savoir, il faut faire un choix, il faut dire aux électeurs, puisqu'on est en période d'élection.
00:15:10Nous, on n'a pas envie de vous voir en bonne santé.
00:15:13En tous les cas, on n'a pas les moyens d'entretenir la population en bonne santé.
00:15:21On fait des choix et c'est des choix qui sont...
00:15:25Vous voyez, nous, en tant que pharmacien, on ne négocie pas avec le ministère de la Santé, on négocie avec monsieur le maire.
00:15:30Donc, c'est quand même quelque chose de symptomatique.
00:15:36Très clairement, aujourd'hui, on nous dit que pour soigner les Français, c'est 28 milliards.
00:15:41Donc, dans cette enveloppe, en effet, le Doliprane coûte moins cher qu'une tasse de café.
00:15:49Une amoxicilline, c'est moins cher qu'un décaféiné.
00:15:54Bon, c'est comme ça.
00:15:56Et avec ça, débrouillez-vous pour soigner.
00:15:58Donc, l'industrie pharmaceutique, moi, je ne peux pas la critiquer, je ne peux qu'attendre d'elle.
00:16:06En effet, peut-être, dans certains cas, on arrive à regrouper la R&D, à ouvrir certains brevets plus rapidement.
00:16:17Mais aujourd'hui, c'est un choix politique qu'on doit avoir.
00:16:24Merci. On passe au débat.
00:16:26On a encore tant de choses à dire.
00:16:28Merci beaucoup, Hervé.
00:16:29La discussion continue dans notre débat.
00:16:37Au carrefour de la science, de la technologie et des soins de santé, le médicament occupe une place particulière,
00:16:43un domaine où avancées scientifiques et innovation technologique se conjuguent pour répondre aux besoins de santé de la population.
00:16:51Mais derrière chaque médicament se cache un processus complexe allant de la recherche en laboratoire à la mise sur le marché,
00:16:58en passant par des réglementations strictes et des enjeux économiques.
00:17:01Alors, le médicament est-il un bien comme un autre ?
00:17:05C'est le thème de notre débat.
00:17:07Isabelle, j'aimerais commencer avec vous rapidement.
00:17:10Quelles sont les étapes réglementaires clés pour la mise sur le marché d'un nouveau médicament ?
00:17:15La première étape clé, c'est l'autorisation de mise sur le marché ou également une autorisation d'accès précoce.
00:17:26Certains produits n'ont pas subi la totalité des tests, mais les patients en ont besoin rapidement.
00:17:34C'est un processus qui a commencé avec les médicaments contre le HIV.
00:17:39Avec beaucoup de précaution, on met ces médicaments à la disposition des patients, mais pas complètement sur le marché.
00:17:50Donc, l'AMM est effectivement un processus extrêmement important.
00:17:56Un dossier AMM est très long à remplir, avec notamment, vous l'avez rappelé tout à l'heure, la balance bénéfice-risque.
00:18:06Il faut évidemment que les bénéfices l'emportent largement sur les risques,
00:18:11ce qui fait qu'un médicament qui est mis sur le marché,
00:18:15un médicament évidemment pas sûr à 100%, mais pour lequel la balance penche très largement.
00:18:20Il y a effectivement trois phases préliminaires.
00:18:23Une phase 1, où on administre des phases de recherche de toxicité, déjà, sur des modèles animaux, sur des modèles cellulaires.
00:18:32Ensuite, une phase 1, où on administre des doses à des volontaires sains pour voir la tolérance, ou des malades, selon les médicaments.
00:18:40Puis, une phase 2, où on recherche l'efficacité du médicament et de la tolérance.
00:18:44Et une phase 3, où on démontre l'efficacité.
00:18:47Et donc, une fois que ces trois phases sont remplies, plus toute la pharmacologie préclinique, c'est-à-dire sur les modèles animaux,
00:18:53là, on peut se lancer dans l'autorisation de mise sur le marché, avec une relative certitude sur la balance bénéfice-risque.
00:19:01Par contre, les effets indésirables des médicaments sont beaucoup plus difficiles à investiguer, surtout s'ils sont rares,
00:19:08parce que les populations exposées aux médicaments avant la mise sur le marché sont relativement peu nombreuses et relativement homogènes,
00:19:17alors que le médicament va être prescrit dans des populations beaucoup plus larges et plus inhomogènes.
00:19:22Et donc, c'est pour ça qu'il y a besoin d'une surveillance post-AMM,
00:19:26où on recherche les effets indésirables des médicaments avec les centres de pharmacovigilance industriels et hospitaliers.
00:19:36Et c'est dans ces conditions-là qu'on assure globalement la sécurité réglementaire du médicament.
00:19:43Et comment pourrait-on optimiser ces étapes réglementaires pour accélérer l'accès au marché sans compromettre la sécurité ? Est-ce qu'on y pense ?
00:19:52On y pense au niveau européen, puisqu'une directive récente, la directive HTA, prévoit une évaluation clinique
00:20:01qui va être petit à petit, jusqu'en 2030, complètement harmonisée.
00:20:08On n'harmonisera pas, en revanche, le prix du médicament, c'est-à-dire l'évaluation médico-économique.
00:20:18C'est uniquement sur les aspects cliniques, notamment pour les médicaments les plus récents,
00:20:24d'ailleurs qui font déjà l'objet d'une AMM centralisée en Europe.
00:20:29On pense que ça va effectivement accélérer les choses.
00:20:32Alors sinon, il faut quand même rappeler un petit peu le passé.
00:20:36Ce que vous avez dit, toutes les phases d'essais, c'est quand même relativement récent dans l'histoire de l'humanité et de la médecine.
00:20:44Dans les années 50, il y a eu un certain nombre de scandales, le scandale du stalinon, de la talidomine,
00:20:50où précisément on n'avait pas fait tout cela.
00:20:53Ce dont il faut se rappeler, effectivement, très important, c'est que chaque étape réglementaire correspond à un accident.
00:21:02C'est-à-dire que c'est exactement comme les régulations dans l'aéronautique.
00:21:06Il y a des rapports sur les accidents médicamenteux.
00:21:12Et on s'est rendu compte, par exemple pour la talidomide, qu'il y avait eu des essais de toxicité seulement sur une espèce animale,
00:21:20ce qui était le rat en l'occurrence, où il n'y avait pas de toxicité démontrée.
00:21:25Alors que quand ça a été testé chez le carnivore, chez le chien, il y avait la toxicité démontrée.
00:21:30Et donc, il y a eu une nouvelle étape réglementaire avec le test de toxicité sur deux espèces animales,
00:21:36un rongeur et un carnivore, qui répond au scandale du talidomide.
00:21:43Et en fait, chaque étape réglementaire correspond, grosso modo, à un accident, à une erreur.
00:21:49Une leçon tirée.
00:21:51L'exemple type, c'est l'accident de Nantes avec je ne sais plus quel médicament Neurotrop,
00:21:59où effectivement, c'était le comité d'éthique local qui avait donné son avis,
00:22:04qui avait l'habitude de regarder ce type d'essais,
00:22:07qui a regardé avec suffisamment d'attention les essais cliniques en question.
00:22:12Et on a découlé à l'obligation d'avoir recours à un comité d'éthique national tiré au sort
00:22:19pour éviter justement ces effets d'habituation à certains types de protocoles.
00:22:25Donc c'est pour ça qu'il y a des étapes qui sont, à mon avis, relativement incompressibles
00:22:29dans le temps du développement du médicament.
00:22:31Parce que toutes les étapes, en fait, sont justifiées.
00:22:34Donc on est déjà dans une version optimale du ménage.
00:22:37Et il ne faut pas oublier que l'industriel, le compte à rebours,
00:22:40commence dès la pose de brevet sur la molécule.
00:22:42Et que lui, il a un intérêt majeur à aller très vite.
00:22:46Et que l'intérêt des réglementaires est plutôt de le freiner un petit peu.
00:22:52On va évoquer la question des brevets.
00:22:55Oui, une réaction, Lucien ?
00:22:57Oui, non, moi je parlerai post-commercialisation.
00:23:00Je pense qu'on pourrait aller plus vite et de manière plus précise
00:23:05sur la vie du médicament dans la vraie vie.
00:23:09C'est une chose qu'on ne fait pas aujourd'hui.
00:23:11On a 20 000 pharmacies, Hervé l'a rappelé tout à l'heure,
00:23:14on a 20 000 points de vente qui sont de véritables, j'allais dire,
00:23:19post-avancés en matière de pharmacovigilance.
00:23:23Aujourd'hui, le pharmacien n'est pas encouragé à être dans la vigilance
00:23:29et la remontée d'informations.
00:23:32Et ça, c'est un vrai problème, on l'a réclamé.
00:23:35On l'a réclamé, mais on préfère nous cantonner dans la distribution
00:23:38plutôt que dans notre rôle, un rôle important
00:23:42qu'on pourrait jouer en tant que professionnels de santé.
00:23:45Tu as tout à fait raison.
00:23:47Il y a une mutation en cours qui est l'accès aux données de santé,
00:23:51le système national des données de santé, le SNDS,
00:23:54où on peut avoir accès à tout l'historique des médicaments
00:24:00pour un patient donné.
00:24:03De façon anonyme, c'est très réglementé d'accès,
00:24:06mais ça commence à donner des résultats.
00:24:09C'est comme ça qu'on a pu mettre en évidence,
00:24:11avec un degré de certitude très élevé,
00:24:14les relations entre des médicaments hormonaux
00:24:18et la survenue de méningiomes multiples chez la femme,
00:24:22qui est l'acétate de ciprothérone pour le nommer,
00:24:27grâce à l'accès aux données de santé,
00:24:29où on a pu voir qu'il y avait un effet de dose cumulée,
00:24:32c'est-à-dire qu'à partir d'un certain moment,
00:24:34les femmes étaient beaucoup plus à risque
00:24:36de développer ces tumeurs bénignes,
00:24:38mais néanmoins très embêtantes à l'intérieur du cerveau,
00:24:42ce qui était proportionnel à l'exposition aux médicaments,
00:24:45chose qu'il y avait des cas cliniques qui avaient été rapportés,
00:24:48et un niveau de preuve qui était bas.
00:24:50Et grâce à l'accès aux données de santé,
00:24:52on a la possibilité d'avoir la vraie vie des médicaments
00:24:57sur des expositions longues et des effets indésirables rares,
00:25:00parce que là, c'est toute la population qui est étudiée.
00:25:03Et là aussi, il faut des moyens.
00:25:05Je pourrais ajouter, je crois qu'on n'en a pas parlé,
00:25:08qu'il existe des agences du médicament.
00:25:10Il y a l'ANSM en France,
00:25:12et puis il y a l'Agence Européenne du Médicament
00:25:14qui peut suspendre l'AMM d'un médicament.
00:25:17Si un médicament, son cycle de vie devient plus dangereux
00:25:23qu'on l'avait imaginé, il y a une surveillance constante.
00:25:28Oui, qui est nécessaire parce que les populations évoluent.
00:25:31C'est-à-dire que moi, je m'occupe d'hypertension, par exemple.
00:25:35Les patients qui étaient hypertendus il y a 20 ou 30 ans
00:25:38n'étaient absolument pas les mêmes que maintenant.
00:25:40Ils avaient des hypertensions avec des chiffres plus élevés.
00:25:43Ils avaient des comorbidités plus fréquentes.
00:25:45Ils avaient tout un tas de choses qui étaient différentes.
00:25:48Et on ne peut pas partir du principe que les médicaments
00:25:50dont l'efficacité a été démontrée il y a 20 ou 30 ans
00:25:53ont toujours le même bénéfice-risque.
00:25:55Il y a une question qui se pose pour l'aspirine en prévention primaire, par exemple,
00:25:58où les gens étant à moindre risque global
00:26:01de faire des complications cérébrales et cardiaques,
00:26:04parce que meilleure prise en charge,
00:26:06effectivement, le bénéfice de l'aspirine est moins évident maintenant
00:26:10qu'il ne l'était il y a 20 ans.
00:26:12Et donc, il y a une nécessité d'évaluation presque en continu
00:26:17de la balance bénéfice-risque,
00:26:19en tout cas pour des maladies très fréquentes,
00:26:23des traitements préventifs.
00:26:26On a vraiment besoin de réévaluer périodiquement la balance bénéfice-risque.
00:26:30Sur l'impact des biotechnologies et de la pharmacogénomique,
00:26:35les avancées scientifiques et technologiques révolutionnent le domaine du médicament.
00:26:40Comment ces disciplines transforment la recherche pharmaceutique ?
00:26:45Alors, je vais peut-être entamer la discussion.
00:26:49C'est vrai qu'on a des mutations avec les biothérapies en particulier.
00:26:52On a parlé des carticelles dans l'éditorial de Hervé.
00:26:57On peut parler aussi des ARN d'interférence,
00:27:03les petits ARN d'interférence,
00:27:05qui sont des médicaments qui commencent à être sur le marché
00:27:08pour le traitement de l'hypercholestérolémie, de maladies rares.
00:27:11Maintenant aussi pour le traitement de l'hypertension artérielle
00:27:14et qui, en fait, permettent en une administration
00:27:17parce que c'est des médicaments qui vont aller bloquer l'expression de certains gènes.
00:27:22Et donc, grâce à des astuces galéniques,
00:27:27on peut prolonger la durée d'action des médicaments.
00:27:31Et par exemple, ce qui est développé pour l'hypertension que je connais bien,
00:27:34c'est un médicament qui bloque l'enjeu tensinogène
00:27:37et qui va avoir une durée d'action de trois mois, six mois, voire un an.
00:27:42Et pour lequel la problématique, ça va être à la fois
00:27:47d'avoir un médicament efficace en une administration,
00:27:52donc ça c'est fantastique,
00:27:54mais aussi d'avoir un antidote au cas où on aurait besoin de faire remonter la pression artérielle.
00:27:59Donc ça c'est des changements, des mutations absolument incroyables
00:28:03parce qu'on va passer d'un traitement quotidien pour l'hypertension
00:28:06à un traitement tous les six mois en injection, voire en auto-injection.
00:28:10Et donc c'est une mutation complète.
00:28:13Et là, pareil, on a des possibilités théoriques,
00:28:20beaucoup plus que pratiques d'ailleurs,
00:28:22d'aller ajuster les médicaments en fonction de profils génétiques, de métabolisme.
00:28:27Donc on sait qu'il y a des médicaments qui sont métabolisés par certaines voies métaboliques
00:28:35et de prévoir effectivement l'efficacité ou la toxicité de certains médicaments sur cette base-là.
00:28:42Et ces transformations, elles ont un coût.
00:28:46Quel impact aussi sur les délais de développement ?
00:28:50Peut-être Isabelle, je vous vois réagir.
00:28:54Oui, alors je ne sais pas si vous aviez quelque chose à ajouter.
00:28:58Alors c'est vrai que le développement et même l'explosion des biothérapies
00:29:03a un impact quand même très important sur l'accès aux médicaments et sur le marché.
00:29:11Monsieur Bonneau rappelait tout à l'heure que certains produits,
00:29:16qu'on appelle les produits matures,
00:29:18les médicaments qui sont éprouvés du type amoxycilline par exemple,
00:29:22ont un prix de vente qui est beaucoup trop faible.
00:29:25C'est vrai que ce n'est pas rentable pour l'industrie.
00:29:29Donc du coup, certains industriels ne les fabriquent plus.
00:29:33On sait que c'est une des causes des fameuses ruptures, des pénuries.
00:29:39Et d'un autre côté, on le voit avec la spécialisation aujourd'hui de Sanofi par exemple.
00:29:44Pour rendre que cet exemple qu'évidemment on va se précipiter vers des produits
00:29:48qui certes sont très longs à développer, mais qui seront rentables,
00:29:51sur lesquels on pourra déposer effectivement un brevet.
00:29:55Et finalement, on parle du médicament, mais il y a peut-être maintenant des médicaments.
00:30:01Il y a des marchés des médicaments.
00:30:03On ne peut plus avoir vraiment le même modèle juridique et économique
00:30:07sur ces produits qui sont quand même très différents.
00:30:11Tout à fait.
00:30:13Qu'est-ce qui est bien commun ?
00:30:15Qu'est-ce qui est bien public ?
00:30:17Qu'est-ce qu'on peut aujourd'hui considérer comme des traitements
00:30:22qui devraient être accessibles à tous et systématiquement ?
00:30:26D'ailleurs, est-ce que la pharmacie sera impliquée dans cette dispensation ?
00:30:30Si elle doit l'être, à mon avis, elle doit l'être.
00:30:35Mais là, ça veut dire une formation poussée aussi des pharmaciens
00:30:39dans le domaine de la dispensation de ce type de produit.
00:30:42Donc là encore, des coûts supplémentaires.
00:30:47Il y a des questions qui ne sont pas résolues, des problèmes qui ne sont pas résolus.
00:30:52Il y a une dimension sur les biothérapies qui est importante.
00:30:56C'est les biothérapies ciblées sur des maladies bien caractérisées au plan moléculaire.
00:31:03Certains cancers, effectivement, avec quelques dizaines de cas,
00:31:07quelques centaines de cas maximum,
00:31:09qui vont être accessibles à un médicament bien précis dont le coût est exorbitant.
00:31:14Mais avec des guérisons miraculeuses, avec des choses qui font que le coût va être acceptable.
00:31:20Et un bénéfice ressenti, mesurable immédiatement.
00:31:25Qui est très différent, effectivement.
00:31:27Donc là, c'est un coût individuel très élevé.
00:31:30Peu de patients qui vont être traités.
00:31:33Mais avec un bénéfice très important potentiel.
00:31:37Et donc l'acceptabilité d'un coût comme ça,
00:31:40même si ça devait être en partie à charge aux patients,
00:31:44c'est relativement acceptable.
00:31:47Là où c'est plus difficile, c'est pour des thérapies de maladies chroniques,
00:31:51où la thérapie est préventive.
00:31:53C'est-à-dire que là, le bénéfice est théorique, lointain, hypothétique,
00:31:59même s'il est parfaitement prouvé.
00:32:01Effectivement, on dit que vous aurez 50% de chance de moins de mourir d'infarctus.
00:32:07Très bien, tout ça, mais il vous reste 50% de chance de vivre.
00:32:11Donc le bénéfice n'est pas évident,
00:32:13alors que les effets indésirables sont parfaitement évidents.
00:32:15Donc là, si vous avez un médicament qui est très cher,
00:32:18l'acceptabilité sociale d'un tel médicament va être plus difficile.
00:32:23Parce qu'on va dire, oui, mais regardez, il y a plein d'effets indésirables.
00:32:27Le bénéfice n'est pas évident.
00:32:29Histoire des statines.
00:32:31Évidemment, au point de vue...
00:32:33Pour un individu donné, le bénéfice n'est pas évident.
00:32:35Mais pour un groupe de patients, il est énorme.
00:32:37Et ça, on ne le voit pas.
00:32:38Et toujours sur les enjeux économiques,
00:32:40est-ce qu'on pourrait penser à des modèles alternatifs
00:32:43qui pourraient rendre la recherche pharmaceutique plus durable
00:32:46et accessible des partenariats public-privé, des fonds d'innovation ?
00:32:51Alors, ça fait quand même assez longtemps
00:32:55que des expériences ont été tentées et qu'on y pense.
00:32:59C'est vrai, il y a finalement plusieurs attitudes
00:33:02dans ce conflit, finalement, entre ONG et laboratoire pharmaceutique.
00:33:07Puisque c'est quand même à la base un peu de ça qu'il s'agit.
00:33:10Alors, il y a l'opposition frontale,
00:33:12qui a donné, par exemple, le procès avorté de Pretoria,
00:33:16où les laboratoires, finalement, ont retiré leur plainte
00:33:20face à l'Afrique du Sud,
00:33:22qui voulait permettre que l'on copie les antirétroviraux
00:33:28qui, à l'époque, étaient protégés par des brevets.
00:33:31Ou le procès mis en place lorsque le sophos buvir,
00:33:37qui coûtait 40 000 euros pour un traitement de trois mois, je crois,
00:33:41a demandé sa brevetabilité devant l'Office européen des brevets,
00:33:45donc Médecins sans frontières.
00:33:47Mais il y a aussi, et c'est peut-être moins connu, moins visible,
00:33:50la collaboration.
00:33:52Un certain nombre d'expériences, effectivement, sont tentées depuis longtemps.
00:33:57Par exemple, entre une ONG qui s'appelle DNDI et Sanofi
00:34:06pour la diffusion sans brevet, la mise à disposition sans brevet
00:34:11d'un médicament combinant trois molécules
00:34:16pour combattre le paludisme des enfants en Afrique.
00:34:22Alors, bien sûr, ces expériences sont encore isolées.
00:34:27C'est une opération qui est déjà assez lointaine.
00:34:31Il y a aussi des renonciations à la protection par propriété intellectuelle
00:34:37qui restent un petit peu à la marge encore dans la politique des laboratoires,
00:34:45puisque c'est quelque chose qui n'a peut-être pas été évoqué jusqu'à présent.
00:34:48Les laboratoires importants, ce qu'on appelle les big pharma,
00:34:53entre guillemets, sont sur le marché boursier.
00:34:56Ils ont des actionnaires, et c'est vrai que ce qu'on ne voit pas toujours,
00:35:00c'est qu'en fait, ils sont possédés par des fonds d'investissement,
00:35:04des fonds qui sont les mêmes qu'ont possédé Apple ou Stellantis
00:35:09ou des entreprises qui ont des structures beaucoup plus grosses.
00:35:13Ces entreprises veulent déjà faire leur marge de rentabilité sur les biothérapies.
00:35:22Et ensuite, lorsqu'elles ont fait effectivement cela,
00:35:27elles acceptent effectivement de faire de l'éthique, de l'humanitaire.
00:35:32Et c'est effectivement sous cet angle, alors certains disent que c'est complètement insuffisant,
00:35:36qu'il faudrait modifier complètement le statut du médicament.
00:35:40Mais pour l'heure, le médicament reste une marchandise, un bien privé.
00:35:44C'est une marchandise qui n'est pas comme une autre, bien évidemment.
00:35:47Juste pour compléter ce que vous dites, qui est passionnant,
00:35:51il y a aussi des effets paradoxaux.
00:35:53Moi je pense à la polypile.
00:35:56Alors la polypile, je le fais très très bref,
00:35:59les maladies non transmissibles, hypertension, diabète,
00:36:02sont la première cause de mortalité dans les pays en voie de développement.
00:36:05Bien devant les maladies infectieuses, bien devant même le paludisme.
00:36:09Et on l'oublie.
00:36:10Et ils n'ont pas les moyens effectivement de prendre des traitements efficaces.
00:36:13Donc c'est des groupements de médecins, des types ONG,
00:36:18qui ont développé une approche qu'on appelle polypile,
00:36:20dans laquelle on va combiner un médicament pour l'hypertension,
00:36:23de l'aspirine, une statine, un médicament pour le diabète à petite dose,
00:36:28et qui est une sorte de panacée pour traiter les patients.
00:36:33Donc ça a été développé, validé, sur des critères durs de morbid mortalité.
00:36:38Ça marche, ça marche remarquablement bien.
00:36:41Il y a une entreprise indienne qui a essayé de commercialiser la polypile.
00:36:44C'est un échec commercial.
00:36:46Pourquoi ? Parce que les Indiens qui accèdent à un certain niveau de vie,
00:36:51ou les Africains, préfèrent acheter à prix d'or des médicaments de riches,
00:36:56plutôt que la polypile qu'ils considèrent comme un médicament de pauvres.
00:37:00Et ça, c'est quelque chose qu'il faut prendre en compte.
00:37:04C'est effectivement que les Africains et les Asiatiques,
00:37:09ils n'ont pas envie d'avoir des médicaments considérés comme horribles,
00:37:13même si l'approche est absolument logique et extraordinairement économique.
00:37:18C'est moins de 1 dollar la polypile par jour.
00:37:20Est-ce qu'il n'y a pas une confusion, finalement,
00:37:22entre ce qu'on appelle les médicaments de qualité inférieure,
00:37:25ou les médicaments substandard,
00:37:28et puis les génériques dans l'esprit aussi commun ?
00:37:31Je crois qu'il y a beaucoup de confusion.
00:37:33Ça a été toute la difficulté de lancer le générique en France, entre autres.
00:37:36Et vous savez que des exemples au comptoir,
00:37:40les pharmaciens pourront parler de gens qui disent
00:37:42« Moi, je paie ma mutuelle, donc je veux l'original. »
00:37:45« Ne me donnez pas la copie, j'ai le droit. »
00:37:50Ça, c'est encore très actuel ?
00:37:52Beaucoup moins, aujourd'hui.
00:37:55En fait, les 25 ans du lancement du générique en France,
00:38:0032 milliards d'économies en 25 ans,
00:38:04juste 1,6 milliard à peu près par an ces derniers temps.
00:38:08Et l'industrie pharmaceutique, on peut la critiquer,
00:38:11mais elle participe quand même à l'amélioration de l'économie
00:38:16de notre chère assurance maladie.
00:38:20Et au tout début, oui, on a eu cette difficulté.
00:38:23Et aujourd'hui, on a par exemple une manne financière
00:38:26qui nous tend les bras, c'est la substitution des biosimilaires.
00:38:31Et là encore, on a une résistance inexplicable
00:38:35due à l'intervention de lobbyeurs au niveau européen, etc.
00:38:40Et aujourd'hui, on ne veut pas donner ce droit de substitution aux pharmaciens.
00:38:45Quand bien même serait-il encore plus encadré
00:38:48que le droit de substitution classique du médicament classique ?
00:38:52Il y a tout un aspect subjectif, effectivement,
00:38:54dans la perception du médicament qu'il faut prendre en compte.
00:38:58Les patients sont très attentifs,
00:39:00ils vont regarder la liste des excipients,
00:39:02regarder les excipients qui sont dits cancérigènes,
00:39:05parce qu'ils ont regardé sur Internet et ça participe.
00:39:08Et ça, de votre point de vue et au fil de votre carrière,
00:39:11vous sentez que c'est un phénomène qui va crescendo ?
00:39:13Ça va crescendo.
00:39:14La méfiance et le décortiquage du médicament par les patients,
00:39:19je dirais que c'est un patient sur deux de ma consultation
00:39:22qui est dans cette optique-là,
00:39:24où ça devient de la négociation,
00:39:26d'aller regarder dans la liste des génériques les excipients
00:39:37pour choisir l'excipient qui convient au patient.
00:39:41L'intolérant lactose, s'il y a du lactose dedans,
00:39:44alors que c'est des microgrammes ou des milligrammes,
00:39:47ça va donner la diarrhée et il aura la diarrhée.
00:39:50Donc cette négociation est effectivement permanente.
00:39:54Est-ce qu'il n'y a pas un rôle à jouer pour les associations de patients ?
00:39:58C'est effectivement un corps intermédiaire qui se développe.
00:40:01Ils sont maintenant présents dans beaucoup d'institutions
00:40:05et même il y a le statut de patient expert.
00:40:08Ça a commencé à l'époque du sida et d'Act-Up,
00:40:11où finalement les gens connaissaient.
00:40:15Ces associations pourraient tout à fait,
00:40:18je ne sais pas s'il y avait pleinement ce rôle de relais.
00:40:21Je suis complètement d'accord.
00:40:23On a besoin, je me place du point de vue du médecin,
00:40:26on a besoin de relais.
00:40:28Le relais, c'est les paramédicaux,
00:40:30c'est les pharmaciens qui sont plus qu'un relais,
00:40:33c'est la deuxième roue de la transmission.
00:40:36Mais on a besoin effectivement de ça
00:40:39pour faire de l'éducation thérapeutique.
00:40:42Moi, je vois, qui m'occupe d'hypertension,
00:40:4590% de mon temps de consultation, c'est de l'éducation thérapeutique.
00:40:49C'est de réexpliquer les objectifs au patient,
00:40:52c'est d'expliquer les problèmes de tolérance,
00:40:55c'est d'écouter leurs doléances.
00:40:57C'est vraiment dans ces échanges-là.
00:41:00Oui, donc ce serait un travail de sensibilisation en amont à faire.
00:41:03Encore une fois, j'insiste,
00:41:05il y a une énorme différence entre les médicaments curatifs,
00:41:08du cancer ou d'une leucémie ou de je ne sais quoi,
00:41:11où là, il y a une attente exorbitante des patients
00:41:14qui veulent le prix.
00:41:16Ce que disait Hervé,
00:41:18ma santé n'a pas de prix, mais ça a un coût.
00:41:21Le coût est oublié.
00:41:23Et les traitements de prévention,
00:41:26où là, on est dans une problématique complètement différente
00:41:29du point de vue des patients.
00:41:31Complètement différente.
00:41:33On a évoqué la question des brevets plusieurs fois.
00:41:37Je sens que vous avez tous un avis.
00:41:40Quels sont les arguments les plus convaincants,
00:41:43pour et contre le système de brevets dans l'industrie pharmaceutique ?
00:41:47On commence par le contre ou par le pour ?
00:41:49Par le contre.
00:41:51Par le contre.
00:41:53Contre le brevet ?
00:41:55Le premier, c'est qu'effectivement, ça n'a pas toujours existé.
00:41:58Mais on pourrait dire aussi la même chose du droit d'auteur.
00:42:01Le droit d'auteur n'a pas toujours existé.
00:42:04En fait, le débat,
00:42:06il prend un petit peu racine
00:42:09avec l'accord sur les ZPIC de l'OMC.
00:42:15L'accord sur lequel le Centre de recherche sur le droit des marchés internationaux
00:42:20auquel j'appartiens à Dijon,
00:42:22a commencé à travailler et à publier,
00:42:26à commencer ses publications sur le sujet.
00:42:30Et effectivement, cet accord a porté sur la scène internationale
00:42:33le problème des brevets,
00:42:35parce que l'OMC, qui est un forum de négociation,
00:42:40finalement, a abouti à cet accord
00:42:44qui oblige les États à protéger la propriété intellectuelle des laboratoires.
00:42:50Et le procès de Pretoria,
00:42:53le procès avorté de Pretoria que j'évoquais tout à l'heure,
00:42:56a conduit à de nouvelles négociations
00:42:59et a permis par la suite
00:43:02de mettre en œuvre des licences d'office
00:43:06par l'intermédiaire des États
00:43:08pour qu'un médicament protégé soit copié, puisse être copié,
00:43:12avant qu'il tombe dans le domaine public.
00:43:14C'est un système qui est très, très perfectible encore.
00:43:17En 2022, il y a eu une nouvelle amélioration de l'accord
00:43:24pour que ça fonctionne mieux et plus vite.
00:43:28Alors c'est vrai qu'on a évoqué aussi au moment de la Covid-19
00:43:32l'idée d'une suspension générale des brevets.
00:43:36Le brevet est complètement dans le débat,
00:43:38mais ce n'est pas le seul problème.
00:43:40Le problème n°1, par exemple, pour les vaccins ARN
00:43:45et les médicaments de thérapie innovante,
00:43:47c'est le transfert des technologies.
00:43:49Avoir le droit de copier, c'est juste une autorisation juridique,
00:43:54mais ça ne permet pas de fabriquer le médicament,
00:43:57d'avoir la technologie qui va avec
00:43:59et d'avoir également derrière les usines de fabrication.
00:44:04Et d'ailleurs, l'une des tendances aujourd'hui, je crois, des industriels,
00:44:07c'est d'investir dans les pays qui n'ont pas d'industrie pharmaceutique
00:44:11pour que les personnels soient formés,
00:44:15que les technologies, d'ailleurs, que l'OMS cherche à mutualiser
00:44:19depuis quasiment sa création.
00:44:22L'idée, c'est un peu d'une négociation entre les laboratoires,
00:44:26les ONG et même les gens.
00:44:29Non, je suis complètement d'accord.
00:44:32Quand vous dites que le brevet n'est pas la garantie,
00:44:35qu'on est capable de fabriquer le médicament,
00:44:37c'est-à-dire qu'il y a tous les process de fabrication,
00:44:39le savoir-faire, effectivement,
00:44:42qui sont peut-être encore plus secrets
00:44:45que la molécule elle-même,
00:44:50qui font que c'est un process global,
00:44:54d'où le transfert de technologie que vous évoquez,
00:44:57qui est absolument nécessaire.
00:44:59C'est-à-dire que si on vous donne les plans d'un rafale,
00:45:02ce n'est pas pour autant que vous allez être capable de construire le rafale.
00:45:05Il y a énormément d'étapes industrielles,
00:45:08et moi, je ne suis pas le mieux placé,
00:45:10mais Lucien peut commenter dessus.
00:45:16Moi, si on me donne la recette, je ne suis pas capable de fabriquer...
00:45:20Je peux comprendre, mais je ne peux pas fabriquer le vaccin ARN.
00:45:24Je ne vais pas rentrer dans les détails,
00:45:26c'est pour ça que, bien souvent, je souris lorsque j'entends régulièrement
00:45:32qu'on nous explique qu'on pourrait réinstaller des industries en France
00:45:38pour produire certains médicaments ou d'autres produits,
00:45:42sachant que réinstaller en France,
00:45:46oui, c'est un vœu merveilleux,
00:45:50mais il faut à nouveau réintroduire tous les process de fabrication...
00:45:58Des savoir-faire.
00:46:00... qu'on a complètement perdus.
00:46:02Aujourd'hui, ce qu'on ne veut pas comprendre, c'est que c'est international.
00:46:06Les laboratoires, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure,
00:46:09les fonds sont des fonds...
00:46:11La plupart, d'ailleurs, ont leur siège aux États-Unis,
00:46:14ce n'est pas pour rien.
00:46:16Et ensuite, si ce sont les Indiens qui fabriquent bien ce produit,
00:46:20faisons confiance aux Indiens,
00:46:22et derrière, mettons en place des process qui permettent de contrôler la qualité, etc.,
00:46:28plutôt que de vouloir s'entêter à nationaliser, quelque part,
00:46:34la gestion et l'organisation de la production.
00:46:38Avec des problèmes qui vont avec, c'est-à-dire des problèmes géopolitiques,
00:46:41quand effectivement la Chine se décidera à utiliser le médicament comme arme géopolitique
00:46:46pour faire plier l'Occident sur certains points.
00:46:49Puisque, par exemple, pour les éparines,
00:46:53il y a 95% de la production d'éparines extractives,
00:46:58ce sont des anticoagulants,
00:47:00extractives à partir d'intestins de porc qui viennent de Chine.
00:47:04Il y a le moindre hic, peste porcine ou je ne sais quoi,
00:47:08il n'y a plus d'éparines.
00:47:10Ça a déjà été un drame dans le passé,
00:47:13mais le jour où la Chine décidera de ne plus exporter les éparines,
00:47:20on sera dans des énormes problèmes.
00:47:23Donc, c'est vrai que c'est un modèle où les process de fabrication,
00:47:30on n'a pas envie de les réinventer tous pour les nationaliser, comme disait Lucien,
00:47:35mais ça reste néanmoins une menace en fonction de la situation internationale
00:47:40qui peut se retourner vraiment contre nous à tout moment.
00:47:4580% des matières premières pour les médicaments sont fabriquées en Asie.
00:47:51Problème géopolitique, on n'a plus d'antibiotiques.
00:47:54C'est vrai qu'on est très dépendants, pharmacodépendants, on peut le dire.
00:47:57C'est déjà la fin de ce débat, mais j'aimerais terminer,
00:48:01puisque cette émission s'appelle « Santé future »,
00:48:04sur la façon dont vous envisagez chacun rapidement les perspectives d'avenir
00:48:09pour le développement de nouveaux médicaments
00:48:11dans un contexte de marché mondialisé et concurrentiel.
00:48:16Qui veut commencer rapidement d'une phrase chacun ?
00:48:20Moi, je vais commencer.
00:48:22Je vois des médicaments pour les maladies chroniques non transmissibles,
00:48:26qui restent un vrai problème de santé publique,
00:48:30avec des médicaments qui vont être en administration beaucoup moins fréquente,
00:48:35c'est-à-dire qu'il n'y aura plus des administrations quotidiennes.
00:48:37Ce sera en des administrations qui se feront par injection chez le pharmacien
00:48:42une fois tous les trois mois, tous les six mois,
00:48:45avec contrôle des facteurs de risque et des biomarqueurs.
00:48:49Quelque chose qui va, d'un certain point de vue,
00:48:52échapper à la décision médicale à un certain moment.
00:48:56C'est comme ça que je vois.
00:48:58Alors moi, j'ai une réponse de juriste.
00:49:02Trouver effectivement les outils, que ce soit traités, contrats,
00:49:09poules de brevets, qui permettent de ne pas mettre un frein à l'innovation,
00:49:16tout en rendant accessibles et présents les médicaments matures.
00:49:22Et les voies sont possibles, à mon avis.
00:49:25Et c'est le mot de la fin.
00:49:26Moi, je suis ministre de la Santé en France.
00:49:28Je spécialise la France dans la production de certains produits.
00:49:32Et en effet, les problèmes géopolitiques vont se poser.
00:49:37Mais j'ai monnaie d'échange, puisque je suis spécialisé
00:49:40dans la production de certains produits qu'on trouve en France.
00:49:44Et comme l'industrie pharmaceutique, d'ailleurs,
00:49:47s'est concentrée, s'est spécialisée pour certains,
00:49:50sans abandonner certains pans, de la même façon,
00:49:54un État devrait pousser son industrie à se spécialiser dans certains domaines.
00:50:02C'est le mot de la fin de ce débat, Lucien.
00:50:04Allez, on passe à notre dernière séquence, la Pépite Santé.
00:50:12Et on termine cette émission avec la Pépite Santé.
00:50:15Thomas Bachelard nous a rejoint sur le plateau de Santé Futur.
00:50:19Bonjour Thomas.
00:50:20Bonjour.
00:50:21Vous êtes le directeur scientifique de Drug Optimal,
00:50:24une start-up qui développe une technologie permettant de détecter
00:50:27les incompatibilités physico-chimiques médicamenteuses.
00:50:31Pour commencer, qu'est-ce qu'une incompatibilité physico-chimique ?
00:50:35De manière très simplifiée, une incompatibilité physico-chimique,
00:50:39qu'on va abréger par IPC, c'est tous les problèmes
00:50:42que vont rencontrer les médicaments avant d'arriver dans le corps du patient.
00:50:47De manière un peu plus détaillée, c'est l'impossibilité à s'accorder
00:50:50entre deux médicaments ou un médicament et une condition.
00:50:54Très bien. Quand Drug Optimal a été créé ?
00:50:58La fondation de l'entreprise remonte à avril 2022,
00:51:01donc on est assez récent, mais on est déjà commercialisé
00:51:04et on a déjà fait des gros progrès d'un point de vue R&D.
00:51:07Et de quel constat êtes-vous parti ?
00:51:09C'est un de nos cofondateurs, Lugan Flaché, pharmacien,
00:51:13qui a été confronté à la problématique justement
00:51:15au service qualité au CHU de Grenoble,
00:51:18et qui s'est rendu compte d'un besoin réel pour les soignants
00:51:21et pour les patients sur le sujet.
00:51:23Et donc vous avez développé, arrêtez-moi si je me trompe,
00:51:26votre propre modèle de prédiction ?
00:51:28C'est ça. La principale problématique sur le sujet,
00:51:31c'est que le nombre de combinaisons à connaître est complètement démentiel.
00:51:38Si on prend juste les paires de médicaments,
00:51:41on est sur plus de 160 000 combinaisons possibles.
00:51:45C'est sans prendre en compte le fait qu'on puisse utiliser
00:51:47plusieurs concentrations, plusieurs formulations
00:51:50pour le même médicament, plusieurs marques, des génériques.
00:51:54À l'heure actuelle, en 50 ans de littérature,
00:51:57on a regroupé des connaissances sur une dizaine de milliers
00:52:00de couples uniques. Donc il y a un gros manque,
00:52:03il y a moins de 5% des combinaisons qui est connue.
00:52:06Les tester et l'expérimenter en laboratoire comme c'est fait
00:52:09à l'heure actuelle, ce n'est pas envisageable d'un point de vue pratique.
00:52:14Notre approche, c'est de dire qu'on va prédire ces incompatibilités.
00:52:20Pour ce faire, on a allié trois compétences,
00:52:24la pharmacie, la chimie et la big data.
00:52:28Vous avez recours à l'intelligence artificielle.
00:52:31C'est ça.
00:52:33Votre solution apparaît sous forme d'un logiciel ?
00:52:36Exactement. Un logiciel hospitalier à destination des infirmiers
00:52:39et des pharmaciens où ils peuvent rentrer les différents médicaments
00:52:42de l'ordonnance. On va détecter automatiquement les IPC,
00:52:46leur fournir toutes les informations d'administration
00:52:48quand elles sont disponibles, les références bibliographiques
00:52:51et surtout proposer un plan d'administration
00:52:54en répartissant les médicaments dans différentes voies
00:52:57pour réduire et éviter le risque d'incompatibilité.
00:53:00Aujourd'hui, on peut dire en l'état combien d'infirmiers
00:53:03et de pharmaciens se servent de votre solution ?
00:53:06Je n'ai pas les chiffres en tête, mais on est utilisé dans trois CHU,
00:53:09au CHU de Grenoble, au CHU de Nantes et au CHU de Bordeaux
00:53:13et dans plusieurs centres hospitaliers.
00:53:15Là-bas, les infirmières se servent de votre solution
00:53:17avant d'administrer les soins ?
00:53:19C'est ça. Particulièrement en soins critiques,
00:53:22parce que c'est là qu'on va rencontrer les patients polymédiqués
00:53:25et où chaque médicament va compter.
00:53:27Vous avez aussi votre propre laboratoire de recherche ?
00:53:30C'est ça. Pour pouvoir développer notre modèle,
00:53:34on a besoin de comprendre les phénomènes qui se déroulent.
00:53:37On passe par l'expérimentation en laboratoire, par de la chimie.
00:53:41On développe la version du modèle sur laquelle on travaille
00:53:46et derrière, on vérifie les prédictions à nouveau en laboratoire
00:53:50pour s'assurer de la fiabilité.
00:53:52J'imagine que c'est complexe et ça prendrait du temps,
00:53:55mais quelles sont les conséquences d'une incompatibilité ?
00:53:58Elles peuvent être nombreuses selon la nature de l'incompatibilité.
00:54:02En quelques chiffres, on estime que c'est 25% de la durée
00:54:06d'hospitalisation qui est augmentée.
00:54:08C'est 25% de complications en plus.
00:54:11C'est jusque 900 risques de décès par jour en France.
00:54:14Et des coûts en plus, j'imagine, pour la partie...
00:54:17Les estimations sont à 12 milliards par an, tous coûts confondus.
00:54:20Et c'est sans prendre en compte les enjeux pour la santé des patients.
00:54:23Et quelles sont les prochaines étapes ?
00:54:25Quelles sont vos perspectives, vos objectifs ?
00:54:28À l'heure actuelle, grâce à notre première version
00:54:32de notre modèle de prédiction,
00:54:34on est passé de 10 000 couples référencés dans la littérature.
00:54:37Nous, on a des informations sur plus de 45 000 couples.
00:54:41Et notre ambition, qu'on devrait atteindre sans trop de difficultés,
00:54:44c'est qu'à la fin de l'année,
00:54:46on devrait avoir plus de 100 000 couples référencés.
00:54:49Merci beaucoup, Lucien. Qu'est-ce que ça vous inspire ?
00:54:53Beaucoup de choses. C'est formidable.
00:54:55Je ne vais pas dire cher confrère, mais vous avez un confrère.
00:54:59Nous, la pharmacie, on va être amené à délivrer, même à prescrire.
00:55:05À délivrer. On est aussi fournisseur d'EHPAD, bien souvent.
00:55:12Je pense développer au travers du réseau Acte Pharmacie
00:55:15la préparation de doses administrées.
00:55:18Je considère de plus en plus
00:55:21que le pharmacien va devoir délivrer des pelluliers intelligents.
00:55:28Si on décapsule, c'est bien.
00:55:31Si ça ne décapsule pas, l'aidant, la famille,
00:55:35voire le pharmacien recevra un message pour dire
00:55:39« il semble qu'il n'ait pas pris son médicament aujourd'hui ».
00:55:43On va être confronté, nous aussi, à ces problèmes.
00:55:46On a ces problèmes d'intolérance, de mésusage du médicament.
00:55:51Mais on va être confronté à ces problèmes d'usage du médicament
00:55:56et de risques que vous évoquiez.
00:56:00Pourquoi ne pas penser à un modèle adaptable à la pharmacie d'officine ?
00:56:05On y pense. Ce ne sont absolument pas les mêmes enjeux.
00:56:09La plupart des incompatibilités physico-chimiques
00:56:12sont rencontrées avec les formes injectables des médicaments,
00:56:15même si on les retrouve aussi souvent avec les formes orales.
00:56:18Ça va être de plus en plus présent avec le vieillissement de la population.
00:56:22Une des grosses problématiques, c'est l'écrasabilité des médicaments
00:56:26pour les patients qui ne peuvent pas déglutir.
00:56:29On va devoir mélanger les médicaments avec l'alimentation
00:56:32et il y a des incompatibilités qui peuvent se produire.
00:56:35Un exemple qui paraît assez fou, c'est que le Doliprane
00:56:38est incompatible avec la banane.
00:56:41Parce qu'il y a des enzymes dans la banane
00:56:45qui sont spécialisés dans la reconnaissance de la thyrosine
00:56:49et qui peuvent confondre la structure du Doliprane avec celle de la thyrosine
00:56:52parce qu'elles ont des similarités.
00:56:55Il y a moyen d'équiper les pharmacies d'officine demain ?
00:57:00C'est tout à fait possible.
00:57:03Sur les formes orales, l'enjeu du pronostic vital est beaucoup moins engagé
00:57:08que sur les formes parentérales et les formes injectables.
00:57:11C'est pour ça qu'on consacre la majeure partie de nos efforts pour le moment
00:57:15sur ces traitements critiques qui sont administrés à l'hôpital
00:57:18pour les patients en état grave.
00:57:21Pierre-Isabelle, qu'est-ce que ça vous inspire ?
00:57:24Ça m'inspire beaucoup d'intérêt.
00:57:27J'avais une question.
00:57:30Est-ce que vous pensez l'exporter à l'international ?
00:57:34C'est quelque chose qui, pour le moment,
00:57:37il y a déjà le marché français.
00:57:40C'est tout à fait quelque chose qu'on compte faire.
00:57:43Mais comme je vous le disais, il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en jeu
00:57:47et notamment la formulation, les excipients qui vont jouer énormément.
00:57:51Et étant donné que les médicaments vont être proches,
00:57:54notamment en termes de principe actif, à l'étranger,
00:57:57il y a souvent des différences qu'il faut prendre en compte et ça prend du temps.
00:58:01Donc on se concentre sur le marché français
00:58:04et on commence déjà à anticiper une arrivée sur le marché européen à plus large échelle
00:58:09et plus tard sur le marché américain.
00:58:12Je trouve l'approche absolument passionnante, bravo, et utile.
00:58:17Vous en avez entendu parler ?
00:58:20Non, je n'en avais pas entendu parler,
00:58:23mais je vois exactement le genre de service que ça peut rendre.
00:58:26J'avais une question sur la matériocompatibilité.
00:58:29Est-ce que ça rentre en compte aussi ?
00:58:32J'avais à souvenir des dérivés nitrés qui étaient absorbés sur le polyéthylène
00:58:36et qui n'arrivaient jamais dans le patient
00:58:39parce que toute la tubulure absorbait les dérivés nitrés.
00:58:42Donc c'est quelque chose qui rentre en compte ?
00:58:45On le prend en compte.
00:58:47Pour l'instant, on se base essentiellement sur les données de la littérature
00:58:50parce qu'on a compilé nous-mêmes plus de 22 000 articles.
00:58:53Vous citez le polyéthylène à juste titre.
00:58:56Le PVC est aussi très souvent problématique.
00:59:00On part sur des interactions de surface en milieu hétérogène.
00:59:03C'est beaucoup plus difficile à modéliser.
00:59:06Il y a par exemple les travaux du professeur Valéry Sautout
00:59:09à l'université de Clermont-Ferrand qui sont très intéressants.
00:59:12On travaille dessus,
00:59:15mais on considère qu'on a une grande responsabilité
00:59:18de ne pas dire de bêtises.
00:59:21Vu la difficulté de modéliser ce type de phénomène,
00:59:24on est très prudent, on avance dessus,
00:59:27mais ça ne sera pas encore disponible tout de suite.
00:59:30La deuxième question,
00:59:33c'est est-ce que vous préconisez certaines pratiques ?
00:59:36J'imagine pour les reconstitutions de chimiaux, par exemple,
00:59:39si on refait les poches de chimiaux,
00:59:42de commencer par tel composé,
00:59:45de mettre le deuxième après,
00:59:48comme une recette de cuisine en quelque sorte optimisée
00:59:51pour limiter les risques d'incompatibilité physico-chimique ?
00:59:54Effectivement, c'est quelque chose
00:59:57sur lequel on travaille et on se positionne.
01:00:00Par application du principe de précaution,
01:00:03dans la pratique,
01:00:06et souvent de l'acte infirmier ou du pharmacien,
01:00:09il y a le protocole décrit
01:00:12et il y a la variabilité du terrain.
01:00:15C'est-à-dire que même si on va donner une recette précise,
01:00:18on est obligé de prendre des marges de sécurité
01:00:21pour éviter les erreurs.
01:00:24Donc, pouvoir faire une recommandation exacte
01:00:27en disant tel médicament dans tel ordre,
01:00:30on est en capacité de le faire,
01:00:33on ne le met pas encore à disposition
01:00:36parce qu'on essaie d'avoir un niveau de preuve
01:00:39qui est vraiment totalement indiscutable.
01:00:42Et puis ça engage la responsabilité
01:00:45au cas où vous seriez trop prescripteur ?
01:00:48On donne les informations,
01:00:51c'est le pharmacien qui décide,
01:00:54c'est lui qui a la responsabilité de la délivrance
01:00:57et de l'établissement en grande partie du plan de soins.
01:01:00Donc, on fournit l'information,
01:01:03on ne recueille aucune donnée de santé.
01:01:06Pour l'instant, ça va être compatible, incompatible,
01:01:09et on va vous donner aussi la source.
01:01:12Si ça vient de la littérature,
01:01:15ça vient de notre modèle de prédiction.
01:01:18Est-ce que vous avez un système de report ?
01:01:21Si il y a des incompatibilités observées
01:01:24que vous ne connaissiez pas,
01:01:27est-ce qu'il y a moyen de vous en informer ?
01:01:30Les pharmaciens et les infirmiers
01:01:33peuvent tout à fait nous contacter
01:01:36soit via notre logiciel, soit via notre site web.
01:01:39En plus de ça, l'interface du logiciel
01:01:42permet d'imposer ses règles et ses modes de fonctionnement
01:01:45en disant que telle voie est réservée pour tel médicament,
01:01:48telle voie est réservée pour la nutrition parentérale.
01:01:51Je considère que tel couple est compatible ou incompatible.
01:01:54Notre but, c'est d'être un soutien
01:01:57du pharmacien et de l'infirmier
01:02:00et absolument pas de se substituer.
01:02:03Donc, on essaye d'être un outil le plus pratique
01:02:06pour les professionnels.
01:02:09Merci des heures et des heures encore pour Pierre.
01:02:12Merci Thomas Bachelard,
01:02:15directeur scientifique de Drogue Optimale.
01:02:18Merci à Isabelle Moine-Dupuis, maître de conférences
01:02:21à l'Université de Bourgogne, spécialiste du droit pharmaceutique.
01:02:24Merci à Pierre Boutouiri,
01:02:27chef du service de pharmacologie de l'hôpital Georges-Pompidou,
01:02:30chercheur à l'Inserm.
01:02:33Merci Lucien Bénatent, président fondateur d'Acte Pharmacie.
01:02:37Je vous donne rendez-vous le mois prochain
01:02:40pour une nouvelle édition de Santé Future.

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