Le 106e congrès des maires de France s'ouvre mardi dans un contexte particulièrement tendu. Pas question d'accepter les 5 milliards d'économies que le Premier ministre veut imposer aux collectivités. Regardez la position de Philippe Rio, maire de Grigny (Essonne). À la tête de la ville la plus pauvre de France, il a reçu le prix de meilleur maire du monde en 2021 pour ses actions en faveur d'une population dont 45% vit en-dessous du seuil de pauvreté. Si les mesures envisagées par le Premier ministre s'appliquent, il perdra 1 million d'euros.
Regardez L'invité de RTL avec Thomas Sotto du 18 novembre 2024.
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00:00Et alors que le 106e congrès des maires de France débutera demain, Thomas, vous recevez
00:08Philippe Riau, c'est le maire de Grigny dans l'Essonne, élu meilleur maire du monde
00:12en 2021, mais ça ne l'empêche pas, comme les autres, d'être confronté à des problèmes
00:16de plus en plus nombreux au quotidien.
00:18Bonjour et bienvenue sur RTL, Philippe Riau.
00:20Bonjour Thomas Soto.
00:21Vous êtes donc depuis 12 ans le maire communiste de Grigny, et Amandine le disait, en 2021
00:25vous avez été élu meilleur maire du monde pour votre action contre la pauvreté.
00:28Est-ce que vous avez bien dormi ?
00:30Non.
00:31Non.
00:32Ce n'est pas une question anodine, ce n'est pas une question de courtoisie, car selon
00:33une enquête publiée par l'Association des maires de France, 86% des maires disent souffrir
00:39ou avoir souffert de troubles du sommeil.
00:41Vous, qu'est-ce qui vous empêche de dormir, monsieur le maire ?
00:44Plein de choses, tout, en tout cas énormément, le quotidien difficile, la précarité, les
00:50équilibres financiers, les rendez-vous à venir, les projets qui tardent, tout se cumule
00:55en fait.
00:56Et effectivement, il y a des nuits qui sont beaucoup plus courtes que d'autres ou des
00:59nuits très hachées.
01:00Alors j'aimerais qu'on rentre un peu dans le détail, que vous nous racontiez un peu
01:03votre quotidien.
01:04C'est quoi la vie d'un maire d'une ville de 28 000 habitants en banlieue parisienne ?
01:09C'est une urgence, un territoire qui est très marqué par l'urgence, par la jeunesse
01:15et son urgence sociale, et donc tous les jours le sentiment d'écopée, et en même temps
01:21la nécessité de construire des choses solides et robustes pour affronter l'avenir.
01:25Un maire, c'est l'hyper-quotidien, c'est l'hyper-proximité, et en même temps c'est
01:29penser la ville dans 10, 15 ou 20 ans.
01:31Oui, parce que ce n'est pas un urgentiste un maire normalement ?
01:33Normalement, mais il y a des territoires où nous le sommes.
01:36Je me considère comme un urgentiste de la République, comme d'autres d'ailleurs, y
01:41compris dans les ruralités compliquées ou dans d'autres territoires où...
01:46Par exemple, une pensée pour les territoires où les licenciements vont frapper dur, parce
01:51qu'on parle d'emploi, mais il faut aussi penser aux territoires, et ce sont des éléments
01:58extrêmement importants pour les territoires de se remettre d'un licenciement extrêmement
02:01fort, là où pendant 40, 50, 60 ans, il y avait une activité qui créait du lien social
02:07de la vie, qui marquait une identité d'une ville.
02:09Donc tout ça, on se le prend de plein fouet, et je rappelle que le mandat de maire et des
02:16conseillers municipaux en France, on est des centaines de milliers, on a commencé par
02:20une crise Covid, qui a frappé dur toute la France, et nous étions au front, nous avons
02:26enchaîné par une crise énergétique avec des augmentations de factures énergétiques
02:29de 300%, où on se demandait comment on allait chauffer juste les écoles, nous avons enchaîné
02:36par une petite révolte urbaine avec une nouvelle géographie, très gilet jaune d'ailleurs
02:42dans les villes moyennes ou dans certains secteurs qui étaient jusque-là épargnés,
02:45et aujourd'hui on rentre, entre une crise agricole et autre chose, par une austérité
02:50budgétaire du bon élève que nous sommes en matière de...
02:54On va y revenir, je veux dire quoi, je vous écoute et je me dis mais c'est en train de
02:58craquer là ? On a l'impression qu'il y a un ruissellement qui fait que tout arrive
03:01sur les mairies, tout arrive sur l'équipe municipale, tous les problèmes.
03:04Quoi qu'il arrive, tout à un moment se localise quelque part.
03:08Et donc, ce dont vous parlez quotidiennement de cette France qui est fatiguée, qui est
03:14épuisée démocratiquement, qui a un coup de saignée, nous le vivons, à un moment
03:20ça tombe sur les territoires, quoi qu'il arrive, y compris le changement climatique.
03:24Et donc, pensez aussi à nos collègues qui ont subi, tantôt dans le Nord-Pas-de-Calais,
03:31tantôt du côté de Givord, Anneco, oui, les collègues, nous sommes au front sur tous
03:38ces sujets.
03:39Vous êtes au front et on se demande si vous n'allez pas au front en étant à poil, pardonnez-moi
03:43l'expression, mais au moment où on se parle, certains de vos collègues, maires de villes
03:46de l'Essonne, sont devant la préfecture avec une banderole « Commune sacrifiée
03:50égale République en danger ». Ça, c'est parce que vous ne voulez pas des économies
03:54que veut vous imposer le gouvernement, c'est ça ?
03:56On ne veut pas de la punition.
03:57Punition ?
03:58Oui, de la punition.
04:00André Léniel, premier vice-président de l'Association des maires de France, parle
04:04de mensonges d'État, qui est double en fait.
04:07Le premier, c'est qu'on nous dit « on va vous couper 5 milliards ». Quand on regarde
04:11véritablement dans le détail et on sait faire, on sait compter, la coupe est de 11
04:17milliards d'euros.
04:18Deuxième élément.
04:19Comment vous arrivez à une coupe qui est plus de deux fois supérieure ?
04:22Par exemple, l'augmentation des cotisations patronales des maires.
04:26Pour ma ville, c'est 600 000 euros, plus 4 points.
04:30Elle n'était pas affichée dans les 5 milliards annoncés par le gouvernement.
04:34Ça sera peut-être moins.
04:36Oui, on sent bien que le premier ministre, devant les départements de France qui sont
04:41quasi faillites d'ailleurs, a fait un premier geste.
04:44On entend Gérard Larcher au Sénat qui dit « non, vous inquiétez pas, nous le Sénat,
04:49la Chambre des Territoires, nous n'allons proposer que 2 milliards ».
04:52Sachant que vous, c'est important de le préciser, contrairement à l'État, vous êtes obligé
04:58de voter un budget à l'équilibre.
05:00Et bien voilà, ça c'est le deuxième mensonge d'État.
05:03C'est qu'on veut faire croire aux Français et aux Françaises que les communes sont endettées.
05:08Or, nous ne sommes en rien responsables de l'endettement de la France.
05:11La dette des collectivités locales n'a pas bougé en 20 ans.
05:16Elle est minime.
05:17Elle représente 2 à 3% de la dette générale de la France.
05:20Et donc, l'explosion de la dette française n'est pas due aux collectivités locales.
05:24C'est la raison pour laquelle je parle de punition.
05:28Et rend clair, nous sommes des bons élèves et on nous fait subir quelque chose que nous
05:33n'avons pas créé.
05:34Si on est très concret, cet argent qu'on va vous ponctionner davantage, ça va changer
05:39quoi dans la gestion de votre ville, dans les services que vous pouvez offrir, dans
05:42la vie quotidienne des habitants ?
05:43Alors, on l'a un peu vécu pendant la période Covid parce qu'on a eu des dépenses d'urgence.
05:48On le fait aussi lorsqu'il y a des catastrophes climatiques.
05:51On le fait lorsqu'il y a la crise énergétique où on est obligé de réorienter.
05:55Très concrètement, pour la ville de Grigny, entre 1 million et 1,5 million, c'est le budget
06:01de la police municipale.
06:03C'est 50% de l'action sociale.
06:04C'est 50% de l'aide directe auprès des associations, ces bénévoles qui font notre
06:10pays tous les jours.
06:11C'est 50% de l'action éducative.
06:15C'est par exemple, ce matin-là, il est 7h49, il y a des enfants qui sont accueillis dans
06:22ce qu'on appelle le péri-scolaire, vous savez, pour que les parents aillent travailler tôt,
06:25les enfants soient un peu gardés.
06:26Et vous offrez le petit-déjeuner parce qu'on est dans une ville où il y a 44% des habitants
06:32qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
06:33On entend vos soucis, on entend la colère des maires de France alors que le congrès
06:38des maires de France va débuter demain.
06:39Comment ça se passe avec vos administrés ? Est-ce que vous faites partie des maires
06:44qui subissent des incivilités ? Est-ce que les insultes, les menaces, ça devient aussi
06:48votre quotidien ou pas ?
06:49Ça devient le quotidien de tous les élus locaux.
06:51Dans une société crispée, en fait, nous subissons ça parce que, encore une fois,
06:55nous sommes au front et au contact direct.
06:57Ça l'est dans des réunions publiques, ça peut l'être aussi lorsqu'on arrive en mairie.
07:02Il y a des gens qui nous attendent.
07:03Ce sont des choses qui arrivent.
07:04Qui vous attendent ?
07:05Qui nous attendent pour nous secouer, pour vouloir tantôt un logement, tantôt montrer
07:09leur détresse.
07:10Vous savez, on parle beaucoup de santé mentale.
07:12On sent un peu, nous les maires, on tire la sonnette d'alarme en disant mais notre société
07:15ne va pas bien.
07:16Et on sent monter cette agressivité, on l'a subie, voire même nous sommes obligés de
07:21porter plainte.
07:22Je l'ai fait contre des faits.
07:23Vous avez dû être protégé.
07:24J'ai été protégé pendant six mois, oui.
07:27Vous êtes quasiment né à Grigny, je crois que vous êtes arrivé à l'âge de six mois
07:29là-bas.
07:30Vous savez tout.
07:31Vous ne l'avez jamais quitté la ville.
07:32Pourquoi ne pas être parti ?
07:33C'est ça aussi, l'attachement à un territoire.
07:35Il y a un terroir de banlieue comme il y a un terroir en campagne ?
07:38Oui, je crois.
07:39Oui, oui, je crois.
07:40Oui, c'est une bonne...
07:41Merci.
07:42Si je peux vous rendre service, si je peux aider un tout petit peu.
07:46Combien vous gagnez pour gérer ces kilomètres de problèmes chaque jour ?
07:523 300 euros.
07:53Pour un job qui vous occupe ?
07:5690 heures par semaine.
07:5990 heures par semaine.
08:00Et à ce prix-là, au moins, est-ce que vous vous sentez quand même utile, M. le maire ?
08:04Oui, on résiste.
08:05Il y a des bons moments.
08:08Il faut trouver un équilibre dans la vie, c'est comme tout.
08:11Donc il y a des moments effectivement extrêmement difficiles.
08:13Quand il y a un incendie avec, je me rappelle l'an dernier, un enfant parce qu'on lutte
08:18contre l'habitat indigne et qu'un enfant de 9 ans est décédé.
08:21Le lendemain matin, aller dans l'école, faire les suivis psychologiques pour les agents,
08:26pour les professeurs, pour les enfants.
08:27Ce sont des moments qui sont extrêmement difficiles.
08:30Et à côté de ça, il y a des moments où on prend plaisir à réussir.
08:34Moi, je m'accroche à toutes ces petites victoires qui sont peut-être en masse moins
08:42importantes que les grands défis à relever, mais qui font une bouffée d'oxygène absolument
08:47remarquable.
08:48J'aimerais vous dire qu'on a une baguette magique et que vous pouvez régler tous les
08:51problèmes.
08:52Ça n'existe pas.
08:53Ce que vous pouvez faire en revanche, c'est dire quelques mots à Michel Barnier qui vous
08:54écoute peut-être ce matin.
08:55Vous lui diriez quoi en une phrase au Premier ministre ?
08:57C'est dur, j'arrive jamais à ces trucs-là.
09:01C'est vrai ?
09:02Oui.
09:03J'ai envie de dire de la raison.
09:05J'ai envie de dire qu'on est dans un pays qui est fracturé.
09:12Les maires ont un rôle à jouer pour réconcilier la France et donc il ne faut pas nous punir
09:17lorsqu'on n'est pas responsable de la situation de notre pays.
09:20Oui, vous y arrivez très bien.
09:21Réconcilier la France, ça c'est une mission.
09:23Emmanuel Macron avait été élu en 2017 sur la promesse de réconcilier les Français.
09:27Ça pique un peu.
09:28Vous faites une grimace.
09:29Merci beaucoup.