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Béatrice Brugère, magistrate et secrétaire générale du syndicat Unité-magistrat FO, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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00:007h-9h, Europe 1 Matin. Il est 7h13 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la magistrate et secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat, Béatrice Brugère.
00:10Bonjour Béatrice Brugère. Bonjour. Bienvenue sur Europe 1. Didier Migaud, le ministre de la Justice, votre patron entre guillemets, sera donc à 8h10 l'invité de Sonia Mabrouk.
00:19Beaucoup d'actualités avec lui, le procès notamment des assistants parlementaires du FN, mais il y a aussi ce chiffre qu'il a donné ce week-end.
00:26Il a confirmé, Didier Migaud, qu'on n'atteindrait pas l'objectif de 15 000 nouvelles places de prison construites d'ici 2027.
00:34On en est à un petit tiers seulement, 4500 places livrées. Il y a des projets complètement bloqués, a expliqué Didier Migaud, souvent par refus des élus locaux.
00:43Alors ces 15 000 places, pourtant on en a besoin quand on regarde notre densité carcérale qui frôle les 130%.
00:49Est-ce qu'on est sous-équipé en places de prison, Béatrice Brugère, ou bien ça veut dire que vous, magistrat, vous incarcérez trop ?
00:56Peut-être la question est une provocation, mais le chiffre nous interpelle.
00:59Non mais elle est intéressante votre question parce qu'en fait on a un effet d'optique.
01:03C'est-à-dire que comme les prisons débordent, on en déduit que nous sommes très sévères.
01:09Mais on peut prendre le problème à l'envers, les prisons débordent peut-être parce que nous manquons de places de prison.
01:15Vous voyez, ça dépend comment vous regardez le sujet.
01:18Si on se compare, ce qui est toujours intéressant de se comparer, par rapport à la moyenne des pays européens,
01:24il est clairement établi que nous sommes en sous-équipement carcéral, très clairement.
01:30Si l'on veut se mettre en conformité...
01:33On a 75 000 places de prison, j'en ai à peu près.
01:35Oui, mais en plus ce qu'il faut voir c'est que...
01:38Il en faudrait combien, en pensée ?
01:41La question du quantum est extrêmement compliquée.
01:44Parce que par exemple, nous avons voté en 1875 une loi sur l'encellulement individuel.
01:53Donc si on voulait se mettre en conformité avec cette possibilité d'encelluler tout le monde de façon individuelle,
01:59il en faudrait énormément, évidemment.
02:01Si on veut se mettre en conformité, et il faut se mettre en conformité,
02:06avec des conditions dignes, si vous voulez, d'encellulement,
02:09il faut aussi rénover.
02:11Donc il faut avoir un quantum supérieur aux besoins pour pouvoir rénover ici.
02:16C'est pour ça qu'on se trouve en difficulté.
02:18Encore une fois, sur la question de la surpopulation,
02:23qui est un sujet assez sensible et assez complexe,
02:26tous les établissements pétanciers ne sont pas logés à la même enseigne.
02:30Il ne faudrait pas que vos éditeurs pensent qu'en France, aujourd'hui, partout ça dépense, c'est pas vrai.
02:34Il y a des endroits où vraiment il y a une pression, tout à fait,
02:38et d'autres endroits où il n'y en a pas.
02:39Et normalement, en général, ce sont surtout proches des villes
02:43où il y a des maisons d'arrêt qui sont en effet en surpopulation.
02:47Quelles conséquences ça a sur votre travail de magistrat,
02:49sur votre pratique pénale, Béatrice Brouillard, très concrète ?
02:53Est-ce que vous vous retenez d'incarcérer des gens qui devraient aller en prison
02:56parce que vous vous dites, il n'y aura peut-être pas la place pour les accueillir ?
02:58Ça a des conséquences multiples, je vais en donner quelques-unes,
03:01elles ne sont pas exhaustives.
03:02D'abord, c'est une pression permanente.
03:05Une pression permanente qui est assez...
03:07Sur vos décisions ?
03:08Oui, bien sûr, qui est assez contradictoire parce que
03:11vous avez la pression tout à fait légitime de l'opinion publique
03:14qui nous dit que vous êtes laxiste,
03:17vous êtes inefficace,
03:19les juges vous êtes politisés,
03:22en fait, on ne vous fait pas confiance.
03:25Oui, mais c'est ce qu'on dit, le logiciel,
03:27la prison c'est l'école du crime, donc il ne faut pas y envoyer les gens.
03:30Il y a une pression idéologique que vous venez de citer
03:32qui est en fait un mouvement très très fort
03:35depuis Michel Foucault, anti-prison,
03:37que l'on connaît, la prison c'est moche, c'est sale,
03:39c'est l'école du crime,
03:41qui sont souvent des préjugés non vérifiés d'ailleurs, au passage,
03:44donc on est sur de l'idéologie.
03:46Et puis, il n'y a pas de neutralité par rapport à ça,
03:48on est un pays très politique,
03:50très climat,
03:52et il y a une pression aussi textuelle,
03:55parce qu'aujourd'hui, les magistrats sont dans l'obligation
03:59à la fois d'utiliser le moins possible la prison,
04:02c'est-à-dire que tous les textes,
04:04toutes les lois qui sont votées sont là pour nous dire
04:06la prison c'est l'exception.
04:09Et enfin, parce que ce n'est pas fini,
04:11vous avez une pression de l'administration pénitentiaire
04:13qui envoie des tableaux de bord en permanence aux magistrats
04:16en disant là vous ne pouvez plus, nous débordons,
04:19et c'est pas terminé.
04:21Vous avez également l'obligation maintenant
04:24qui est portée pour les magistrats
04:26d'incarcérer dans des conditions dignes,
04:28comme si nous servions les moyens.
04:30Donc en fait on fait porter sur les épaules des magistrats
04:33la responsabilité de l'impuissance du politique
04:37à nous donner les moyens d'incarcérer dignement.
04:39Il faut quand même dire les choses.
04:41Vous dites d'ailleurs, c'est assez intéressant,
04:42c'est un peu un paradoxe, Béatrice Brugère,
04:44le problème c'est que si on a des prisons
04:46qui sont trop encombrées,
04:47c'est finalement parce qu'on sanctionne trop tard.
04:50On envoie les gens trop tard en prison, pourquoi ?
04:52Oui, alors en fait, nous sommes un syndicat
04:55très progressiste et réformiste,
04:57et nous pensons qu'il faut sortir de l'impasse,
04:59sortir de ce paradoxe que je viens de décrire,
05:01ou d'un côté on nous dit soyez fermes,
05:04mais incarcérez le moins possible.
05:07Je suis allée voir avec mes amis de la pénitentiaire
05:10avec qui je travaille,
05:11ce qui se passe d'abord dans d'autres pays,
05:13parce que là aussi c'est intéressant,
05:15et on s'est rendu compte qu'on incarcérait pas plus
05:18que dans les années 80,
05:19alors que la population a augmenté de 23%,
05:22alors que la criminalité augmente.
05:24Nous incarcérons pas plus,
05:26mais nos prisons sont plus encombrées.
05:29Pourquoi ?
05:30Parce qu'en fait on incarcère très tard,
05:33trop tard,
05:34et du coup beaucoup plus long.
05:36Là où on incarcérait sur une moyenne de 6 mois,
05:38on est pratiquement à 11 mois.
05:40Ce qui fait que concrètement,
05:41nous avons besoin de deux fois plus de cellules
05:44pour le même nombre d'entrants.
05:4635 000 entrants en 1980,
05:48c'est 70 000 places aujourd'hui.
05:50Et les pays qui ont fait d'autres choix,
05:52c'est-à-dire d'incarcérer tout de suite,
05:54de façon très claire,
05:55proportionné, très court,
05:57par exemple je pense aux Pays-Bas,
05:58mais pas que, l'Allemagne,
05:59tous les pays...
06:00Dès le premier délit.
06:02Dès un délit grave,
06:03pas un délit qui ne soit pas grave,
06:05mais nous avons beaucoup de délits graves,
06:07et bien ils incarcèrent très très court,
06:09rapidement,
06:10ce qui fait un peu une sanction réelle et efficace,
06:13ça ne désocialise pas,
06:14et plus ils incarcèrent,
06:16plus leur prison se vide.
06:18Pourquoi ?
06:19Parce qu'en fait il n'y a pas de stock,
06:20c'est que du flux.
06:21Donc ça permet d'avoir des peines proportionnées,
06:24efficaces, visibles,
06:26et de vider les prisons.
06:28C'est intéressant,
06:29il faut s'en inspirer,
06:30il faut regarder pourquoi nous,
06:32nous sommes dans l'impasse.
06:33On en parlera donc avec Didier Migaud,
06:35de cette proposition d'ultra courte peine,
06:37comme vous le suggérez,
06:38tout de suite,
06:39dès le premier délit grave.
06:41C'est intéressant cette proposition,
06:42ce n'est pas la première fois que vous nous la formulez,
06:44Béatrice Brugère.
06:45On la soumettra à Didier Migaud,
06:46qui sera à 8h10,
06:47l'invité de Sonia Mabrouk.
06:48Merci d'être venue au micro d'Europe 1 ce matin,
06:50je rappelle que vous êtes la secrétaire générale
06:52du syndicat Unité Magistra.
06:54Merci Béatrice Brugère.

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