• le mois dernier
Transcription
00:00Bonjour Philippe Gueluc. Bonjour Elodie Suigaud. Vous êtes cet artiste au poil court mais soyeux
00:05qui aurait pu imaginer qu'un jour, à partir d'une plume, vous réussissiez l'exploit d'accroître la
00:10pilosité de ce personnage, le chat devenu l'un des nôtres au fil du temps. La plume donne donc des
00:16ailes et les poils de l'épaisseur pour garder les pieds sur terre. Le chat est né le 3 mars 1983
00:22sur commande d'un quotidien belge et ses remarques, ses réflexions, ses pensées ne nous ont jamais
00:27quitté. Au contraire, elles nous ont fait sourire, rire, pleurer, détester, parfois réfléchir. Aujourd'hui,
00:34le chat n'est pas réellement à l'intérieur de cet ouvrage. C'est la première fois que ça arrive.
00:40C'est de vous qu'il s'agit Philippe Gueluc. Ça s'appelle « Tout est vrai ». Ça sort chez Casterman.
00:44C'est à découvrir pour la première fois une série d'anecdotes qui ont vraiment existé, qui vous
00:49ont marqué, qui ont marqué votre vie. Une belle façon de vous raconter, d'en dire plus sur vous. Pourquoi
00:54aujourd'hui, alors que jusque là, vous n'avez absolument rien dit ? C'est ma pudeur légendaire.
01:01En fait, c'est vrai que depuis tout ce temps, je me suis toujours exprimé à travers ma marionnette.
01:08C'est une façon de pouvoir dire des choses sans qu'elles ne semblent provenir de moi. Or, c'est
01:15moi qui les fais parler, toujours, je vous le garantis. Tout ne me concerne pas moi. Je parle de mes
01:20grands-parents, des amis de mes grands-parents, de l'un ou de l'autre. Vous démarrez justement en parlant de
01:25votre grand-père et de votre oncle. Vous démarrez avec cette histoire incroyable où ils achetaient
01:30un seul pyjama pour deux. L'un portait la veste, l'autre le bas. Et puis vous enchaînez, juste
01:37après quasiment, avec votre père en racontant comment il sillonnait les routes, ce père. C'était
01:44important, justement, de rendre hommage à ceux qui vous ont donné envie, finalement, de raconter
01:50des histoires. Et j'en raconte très peu, alors que je pourrais faire un livre sur chacun. Parce que
01:57dans l'histoire familiale, il y a eu un acteur professionnel. L'oncle de mon grand-père est
02:03parti aux Etats-Unis. Je ne le raconte pas dans le livre, mais c'est ça qui est intéressant aussi, quand
02:07on se rend compte, c'est que je peux vous raconter des choses qui ne sont pas dans le bouquin, qui
02:10seront peut-être dans un suivant. Mais il est parti aux Etats-Unis, il est devenu une vedette à
02:14Broadway, et il a fait des tournées à travers les Etats-Unis, au théâtre, déguisé en cow-boy, en bourgeois, en tout
02:21ce qu'on veut, un vrai acteur de théâtre. Et il écrivait des lettres à mon grand-père, que j'ai
02:26encore. Et mon grand-père a rêvé faire ce métier. Malheureusement, il y a eu la guerre de 14-18, il est
02:31devenu militaire, et puis il a fait la Seconde Guerre aussi. Et c'est finalement à travers... Mes
02:37parents se sont rencontrés en faisant du théâtre amateur, donc on est toujours sur la scène, et moi
02:42je deviendrai comédien en 1975. Donc c'est finalement parfois, après plusieurs générations, qu'un rêve se
02:47transforme en réalité. C'est là où justement cet ouvrage est bluffant, c'est que pour la plupart des
02:55gens, vous êtes dessinateur, vous êtes le papa d'eux, le créateur d'eux, ça dépend comment on se
03:01place finalement du côté de vos créations. Mais finalement, ce qui vous a attiré en premier
03:06milieu, c'est vraiment le théâtre. Oui. Et d'ailleurs, vous avez joué dans un film d'André Delvaux,
03:11vous aviez 8 ans, il vous a rappelé 17 ans plus tard. Oui. Et ça, j'en parle dans le livre en fait,
03:18André Delvaux, grand réalisateur belge de Un soir en train, de l'œuvre au noir, etc. Il m'appelle un jour,
03:26j'avais terminé l'école de théâtre, on était restés en contact, j'avais joué à 8 ans dans son
03:30premier moyen métrage en noir et blanc, et il m'appelle pour jouer un rôle dans un film avec
03:35Roger Vanholle, Marie-Christine Barreau, Rutger Hauer, qui a fait une carrière à Hollywood. Et mon nom
03:43est au générique, mais en cinquième position, au générique début. Et des amis vont voir ce film,
03:49m'appellent après, ils me disent, on a vu ton nom au générique, mais on ne t'a pas vu dans le film. Je dis,
03:53c'est pas possible. Je suis allé voir le film et effectivement, dans une scène, Marie-Christine Barreau
03:59est réveillée, ça se passe pendant la guerre, elle est réveillée en pleine nuit, ça se passe à
04:03Anvers, elle est réveillée par des bruits, elle pousse le rideau de chez elle et elle voit de l'autre
04:09côté de la rue une voiture de la Gestapo qui s'arrête, des types qui vont frapper à une porte,
04:13la porte s'ouvre, sort de la maison un type, on le prend, on le met dans la voiture. Et bien ce type-là,
04:19c'était moi. Et je suis apparu quatre secondes et demie dans ce film, mais par amitié, André Delvaux
04:25m'a mis au générique. Ce qui ressort en tout cas, dans tout ça, dans tout cet ouvrage, c'est la
04:32liberté. La liberté d'expression. C'est-à-dire qu'entre chaque anecdote, quasiment de temps en temps,
04:39il y a des dessins qui sont dédiés à l'actualité, l'actualité qui est lourde, il y a un dessin qui est
04:43extrêmement symbolique, notamment c'est cette colombe qui a les yeux bandés, qui est attachée à un
04:49poteau, elle est mise en joue. Au-dessus, il y a tous les pays qui sont en guerre actuellement, donc
04:54l'Ukraine, Gaza, le Yémen, vous les citez quasiment tous et vous dites, elle va peut-être enfin nous
05:00foutre la paix. Et en fait, il y a toujours cette symbolique de la liberté. Est-ce que le fait de
05:07dessiner aujourd'hui, et depuis vos débuts, vous a offert ça, cette liberté ?
05:12Oui, oui, oui. Et merci à cet art qui est tant réprimé dans des pays dictatoriaux. Je vous raconte pas le quotidien
05:20d'un dessinateur iranien, dessinateur d'humour iranien, chinois ou nord-coréen, c'est juste impossible.
05:30On sait le nombre de journalistes qui sont victimes de l'intolérance du pouvoir politique, les photographes,
05:36les reporters, les artistes, les cinéastes, les dessinateurs d'humour. Et Dieu merci, dans nos pays,
05:42on peut encore s'exprimer à travers cet art-là. Je m'en repaie, j'essaye de produire tant que je peux sur des
05:52sujets parfois très grinçants, il y en a quelques-uns dans le livre, et ici c'est possible. Et je pense que si
05:59l'intention est louable dans le dessin, c'est-à-dire si elle n'est pas dans l'insulte, je ne me gêne pas pour
06:07insulter les radicaux, les dictateurs et les salopards. Il faut continuer à les insulter, mais pas insulter des gens
06:16dans leur conviction ou dans ce qu'ils sont profondément et honnêtement. Je pense que si cette intention-là est bien
06:25affichée, que c'est pour faire rire et que c'est une façon de réfléchir au sujet, je pense qu'il y a encore de belles années
06:34devant nous.
06:35Est-ce que ce n'est pas votre plus grande force, Philippe Gueluc, justement ? Et c'est pour ça que le chat n'a jamais été
06:39attaqué, réellement. Vous n'avez jamais été attaqué, en tout cas par ce que le chat racontait.
06:47J'ai une fois été, c'était dans un hebdomadaire français, après l'affaire DSK, j'avais dessiné le chat qui tenait dans les mains
06:54un journal sur lequel j'avais écrit l'affaire DSK, le coup de bite qui a changé l'histoire de France. Et là, ils se sont dit
07:05non, on ne peut pas. Or, c'était la vérité. Mais je veux garder cette liberté-là parce que, en fait, c'est une démarche de
07:14sale gamin. Et ça, j'y tiens. C'est ma vie. En fait, je suis resté un sale gamin.
07:19On a l'impression qu'au fil du temps, votre regard n'a toujours pas changé. Est-ce vrai ?
07:26Mais grâce aux lunettes, j'ai dû faire quelques adaptations. Non, le regard, la seule chose qui a changé, c'est que je pensais très
07:39sincèrement, quand j'avais 16-18 ans, donc je suis né en 54, j'avais 16 ans en 70, et j'ai cru à ce moment-là que la démocratie était si
07:49forte qu'elle était là pour toujours, chez nous. Et je me rends compte, 50 ans plus tard, que ce n'est pas forcément vrai, qu'elle est en
07:59danger dans plusieurs endroits. J'ai cru qu'il n'y aurait plus jamais de guerre, que les leçons de la première et de la deuxième avaient porté
08:08leurs fruits et que c'est quelque chose auquel on ne recourrait plus, que l'homme s'assagirait. Et on voit que c'est le contraire qui se
08:19passe. J'ai pensé sincèrement qu'on allait vers plus de justice sociale et on va vers moins de justice sociale, que la culture et
08:28l'enseignement s'épanouiraient d'année en année et on se rend compte qu'elle se restreint dans beaucoup d'endroits du monde. Donc, l'espoir, je le
08:38garde, je me bats pour que cela existe, mais la réalité me fait évidemment grincer des dents. Ne parlons pas de l'écologie et de
08:48l'empoisonnement des mers, des terres et de l'air. J'ai des petits-enfants et donc, pour eux, je dois me battre pour que le monde qu'on va
08:57leur laisser soit vivable. Le combat n'est pas gagné, mais il ne faut jamais baisser les bras.

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