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Aujourd'hui dans le grand entretien, le docteur en médecine et en épidémiologie clinique Jean-David Zeitoun répondra aux questions d'Ali Baddou et Marion L'Hour et à celles des auditeurs. Il publie “Les causes de la violence” aux éditions Denoël. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-06-octobre-2024-2426587

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00:00Grand entretien ce matin à 8h22 avec Marion Lourd, nous recevons un médecin, docteur en médecine et
00:06en épidémiologie clinique, il analyse en scientifique les causes de la violence. C'est le titre de son
00:13dernier livre, c'est une enquête passionnante et qui explique pourquoi la violence n'est pas une
00:18fatalité, que la violence n'est pas un phénomène qui relèverait de la pure irrationnalité. Lire
00:23cet essai, ça permet de fracasser beaucoup de préjugés très largement partagés dans nos
00:29sociétés. Vos questions, vos interventions, chers auditeurs au 0145 24 7000 ou sur l'application
00:37Radio France, Jean-David Zeytoun, bienvenue. Bonjour. Et bonjour, je le disais, vous êtes médecin
00:42épidémiologiste et vous avez publié un livre remarqué sur l'histoire de la santé humaine.
00:47En quoi est-ce que la violence peut intéresser le médecin que vous êtes, puisque dès l'introduction
00:52vous dites que la violence n'est pas une maladie ? Il y avait une lacune, c'est-à-dire que pendant
00:57mes études de médecine, on m'avait appris deux causes de mortalité sur trois. Les maladies
01:01chroniques, dont on devrait mourir très probablement nous ici, parce que c'est le plus fréquent tout
01:06simplement. Les maladies aigües, qui en général sont des maladies microbiennes. Et puis il restait
01:11une part de la mortalité, qui est la mortalité violente en général, je vais revenir sur les
01:14homicides juste après, c'est-à-dire les accidents, les suicides, les homicides, qui explique 8% de la
01:19mortalité mondiale, moins en France, mais un peu quand même. Et là, je n'ai pas du tout été formé
01:24à ça. Alors définition de la violence, parce que vous la circonscrivez comme un scientifique, ça n'est
01:30pas n'importe quel phénomène de brutalité ? Non, la mortalité violente en ce sens-là, c'est ce que
01:36je viens de dire, les accidents, les suicides, les homicides, moi je me suis surtout intéressé aux
01:39homicides et à ce que j'ai appelé la violence normale, c'est-à-dire la violence personnelle.
01:43C'est important pour nos auditeurs, la violence normale, ça peut sembler paradoxal, mais il faut garder
01:49ces deux mots en tête, puisque vous les associez tout au long du livre. La violence normale, c'est
01:52la violence qui est normale, parce qu'elle arrive avec une régularité, c'est-à-dire qu'en gros, les
01:56taux sont stables, c'est un peu toujours les mêmes chiffres qu'on a, même si ça peut monter ou baisser
02:00un petit peu, mais dès qu'un phénomène survient avec régularité, c'est normal. Et ça, c'est la
02:05violence inter-individuelle ? Oui. C'est la peur de la mort violente aux mains d'autrui, ça explique
02:09les assassinats par exemple, les crimes, est-ce que ça expliquerait le 7 octobre ? Non, le terrorisme et
02:15la guerre ne rentrent pas dedans, parce que les mécanismes sont complètement différents, les
02:18causes sont différentes, et d'ailleurs, et ça n'est pas provocateur, l'impact est très inférieur. La plupart
02:24des morts par quelqu'un d'autre dans le monde aujourd'hui, les 400 ou 450 000 homicides par an
02:29dans le monde, c'est pas les guerres, c'est pas le terrorisme. La violence normale, c'est 0,7% de la
02:35mortalité mondiale, donc c'est minoritaire, mais c'est substantiel. Le terrorisme, c'est 0,05% seulement,
02:41entre guillemets. C'est d'ailleurs le génie négatif du terrorisme, c'est de tuer très peu de gens, mais de
02:46faire peur à tous les vivants. Cette violence normale, elle tue, dit comme ça, on a l'air d'enfoncer
02:50des portes ouvertes, mais elle tue beaucoup plus que des maladies, des vraies maladies, que le cancer du
02:56sein, que le diabète. On peut classifier comme ça, selon les pays, les époques, là où c'est plus ou moins
03:02létal ? Nous, les épidémiologistes, ou en tout cas les épidémiologistes, passent leur temps à faire ça, c'est-à-dire
03:06à quantifier les causes des maladies, à savoir ce qui monte, à savoir ce qui baisse, qu'est-ce qui est plus
03:10fréquent, quoi, quelles sont les causes des problèmes. Et donc, la violence, c'est un peu une lacune, donc c'est
03:15pour ça que j'ai essayé de raconter une histoire vraie sur ça, qui soit factuelle.
03:19Une histoire vraie, un homicide par minute dans le monde. Et c'est vrai que vous remontez très loin dans le temps.
03:25Votre livre, quand on le parcourt, il donne l'impression que notre monde, nos sociétés sont de moins en moins
03:32violentes, Jean-David Zeytoun.
03:34Dans l'ensemble, c'est sûr. Si on prend comme repère le Moyen-Âge, donc ça fait déjà 500 ans, on peut remonter
03:41encore plus loin, et je le fais dans le livre.
03:42Vous le faites, oui, je crois paléolithique.
03:43Ce qui est drôle, c'est que c'était moins violent en paléolithique, peut-être, qu'au Moyen-Âge.
03:46C'est probable, mais vous imaginez bien que les statistiques sont fragiles, parce que les données sont
03:52extrêmement anciennes, et donc c'est très difficile d'être sûr. En tout cas, si on prend une époque moins ancienne,
03:57qui est donc le Moyen-Âge, la violence a été divisée par 20, 30, peut-être 50 par rapport à aujourd'hui.
04:04Ce qui n'existe pour aucune maladie. Les maladies ont baissé, mais il n'y a aucune maladie qui a été divisée par 50.
04:09Donc la violence, de ce point de vue-là, c'est un truc qui est complètement à part.
04:11Et d'ailleurs, dans le livre, vous battez en brèche l'idée que l'homme est violent par nature, du fait notamment de l'évolution.
04:17Une violence qui nous aurait permis de survivre, par exemple, à l'évolution.
04:21Vous faites cette démonstration notamment par les singes ?
04:23Oui, par la primatologie ou même par la science de l'évolution.
04:26L'évolution nous a, au contraire, plus formés à nous associer les uns aux autres et à être complices pour nous défendre,
04:32par exemple, contre les prédateurs ou contre les adversités de la nature, que à nous entretuer les uns les autres.
04:37Sinon, probablement que l'espèce humaine serait déjà éteinte.
04:40C'est très probable, en tout cas, à vous lire.
04:42On a le sentiment quand même que la violence fait partie de notre monde, qu'elle est absolument partout et qu'elle nous menace.
04:48On va revenir sur le discours politique et les conséquences politiques de votre livre.
04:52Mais pour beaucoup, la violence, c'est tout simplement génétique.
04:56Vous dites que c'est totalement faux.
04:57La théorie biologique restreinte pour expliquer la violence, ça ne marche pas.
05:02Pourquoi, par exemple ?
05:03Ça me paraît complètement faux.
05:04Toutes les études génétiques qui ont essayé de prouver une base génétique avec un seul gène
05:09ou avec une combinaison de gènes pour prédire un comportement antisocial, agressif ou même violent,
05:15sont des études qui n'ont pratiquement rien prouvé.
05:17Non, mais c'est comme la plupart des études de génétique comportementale.
05:20On risque d'être très décevant, ça marche très mal.
05:22Mais on entend souvent des hommes politiques venir régulièrement dire qu'au contraire,
05:25il y a des facteurs génétiques et que quelqu'un dangereux le restera toute sa vie.
05:28Il faut l'enfermer et surtout ne jamais le laisser ressortir d'une prison.
05:32Je ne sais pas si ça participe d'une conviction sincère ou alors d'un calcul électoral,
05:36mais clairement, ça n'est pas du tout prouvé et je pense qu'ils sont incapables de démontrer ce qu'ils disent.
05:40C'est plus une intuition ou alors un mensonge.
05:43Justement, vous donnez le triangle qui mène à la violence.
05:46En fait, culture, expérience négative, cause physique.
05:50Si on vous comprend bien, toute violence relève de ces causes-là.
05:54Dans l'ensemble, la violence est un problème d'origine environnementale au sens large.
05:57C'est-à-dire que c'est causé par les circonstances dans lesquelles les individus évoluent.
06:01Les individus ne naissent pas violents.
06:04Ils peuvent être amenés à mal se comporter, y compris de façon très grave et très sévère,
06:08c'est-à-dire dans la violence, en fonction des circonstances qui sont accumulées autour d'eux au cours de leur vie.
06:13On sait, et ça c'est peut-être le seul élément biologique qu'on peut concéder
06:17que c'est quelque chose qui survient toujours chez un homme entre 15 et 30 ans.
06:20Alors ça, effectivement, il faut reconnaître que c'est une constante biologique.
06:23Ça c'est biologique.
06:24En tout cas, on ne sait pas bien expliquer la part de biologique et la part de sociale là-dedans.
06:27Mais c'est tellement constant au cours de l'histoire.
06:29C'est-à-dire qu'au Moyen-Âge, on voyait déjà que c'était des hommes entre 15 et 30 ans qui s'agressaient entre eux.
06:34Donc c'est troublant, et il faut l'admettre.
06:36Mais il y a aussi probablement une part de construction sociale par ailleurs.
06:40C'est quoi être un homme ? On enseigne qu'un homme ça doit être brutal, sinon c'est pas un homme.
06:44Et ça, ça existait au Moyen-Âge beaucoup plus puissamment qu'aujourd'hui.
06:47Si on comprend cette explication par les causes, ça veut dire que ça exclut la figure d'un monstre,
06:54par exemple un Jeffrey Dahmer comme ce tueur en série qu'on a vu dans la série Netflix l'année dernière ?
06:59Le problème de ces figures-là, c'est qu'elles sont disproportionnellement médiatisées par rapport à la réalité.
07:04Il y a probablement effectivement une minorité de gens qui sont complètement psychopathes,
07:08très jeunes et qui deviennent intrinsèquement violents et qu'on ne pourra jamais guérir de rien et qui sont très dangereux.
07:13Mais je pense que c'est pas du tout représentatif de la plupart des violences dont on parle par exemple dans l'actualité
07:19et qui viennent de gens qui, à la base, n'avaient pas de prédisposition particulière.
07:24Avant d'aller au standard avec nos auditeurs qui ont des questions à vous poser sur la violence,
07:29vous dites qu'il n'y a pas de fatalité. Vous citez un livre de Bernanos.
07:33« Chacun de nous est tour à tour, de quelque manière, un criminel ou un saint.
07:37La violence peut arriver à pratiquement n'importe qui en fonction des causes environnementales au sens large,
07:43ce qui inclut donc les trois points du triangle. »
07:47C'est qu'il n'y a pas de fatalité et pourtant il faut bien l'expliquer,
07:51cette violence qui est partout dans nos sociétés.
07:54Elle est partout, oui, il y a 1000 morts par an en France d'homicides,
07:58mais il y en a 400 par jour du cœur, dont vous parliez juste avant, et il y en a 430 par jour du cancer.
08:04Donc c'est un problème, c'est un fléau, mais il y a des fléaux qui sont minoritaires, je pense qu'il faut le reconnaître.
08:09C'est pas parce que c'est minoritaire que c'est pas un fléau.
08:11Le VIH c'est un fléau à l'échelle mondiale, c'est 0,5% de la population mondiale,
08:15donc c'est vraiment très minoritaire, pourtant évidemment que c'est un fléau.
08:18C'est un peu pareil, c'est minoritaire, mais on estime que c'est quand même un très grand problème.
08:22Vous travaillez sur la violence entre individus, on exclut le terrorisme, on exclut également la guerre.
08:28Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a de particulier dans la guerre qui ferait que vos études
08:33et que les explications scientifiques ne fonctionneraient plus ?
08:36Les études épidémiologiques sur les homicides ressemblent aux études épidémiologiques
08:42qui existent sur le cancer, le cœur, l'Alzheimer, etc.
08:46C'est le même type d'études où on va observer des milliers de personnes
08:49et on va essayer de comprendre quelles sont les différences qui expliquent
08:52que certains individus vont être amenés à se comporter violemment et d'autres pas.
08:55On ne peut pas faire des études comme ça sur la guerre.
08:58Les gens analysent les guerres de façon individuelle, guerre par guerre, mais c'est pas scientifique.
09:02Ça veut pas dire que c'est pas une analyse quand même, mais c'est pas une analyse scientifique.
09:05Je crois qu'il n'y a pas de science de la guerre alors qu'on peut faire de la science des homicides.
09:08Et dans ce que vous excluez aussi du livre, il y a ces violences dont on parle beaucoup
09:12ces derniers mois, ces dernières années, les violences sexuelles ?
09:15Non, les violences, elles ne sont pas très bien distinguées dans les études,
09:19donc je n'ai pas été capable de les étudier avec beaucoup de profondeur.
09:22En revanche, la violence intime, ça en fait partie et ça j'en parle dans le livre.
09:25Mais par exemple, si on prend le cas de Gisèle Pellicot qui est très médiatisé,
09:28ce procès, 50 accusés, si on fait l'analyse avec votre triangle,
09:32regarde ce que vous avez fait de votre travail, ça donne quoi ?
09:36Non, justement, je pense qu'il ne faut pas le faire parce que c'est un cas à part.
09:38Un cas à part et donc oui, ça n'est pas une grille de lecture
09:42qui peut s'appliquer à un cas particulier, même s'il est emblématique
09:47et qu'il dit quelque chose peut-être d'une culture du viol
09:50ou de phénomènes qui seraient amenés à se répéter.
09:53Premièrement, c'est à part. Deuxièmement, c'est un cas qu'on ne peut pas analyser.
09:59C'est comme si vous me demandiez par exemple, quel est le cancer de la princesse d'Angleterre ?
10:02Parce que c'est un cancer digestif, moi je suis gastro-entérologue.
10:05Je pense que je sais le cancer qu'elle a.
10:07Mais premièrement, ce serait pas sérieux. Je ne l'ai pas examiné, je ne connais pas son dossier.
10:13Deuxièmement, ce serait pas sympa ou pas éthique parce qu'on ne connaît pas.
10:18Donc il faut être très prudent dans les analyses comme ça des cas qu'on ne connaît pas très bien.
10:21Alors avant de plonger dans des situations concrètes et de parcourir le monde de la violence,
10:27on va au standard. Bonjour Carole.
10:29Bonjour.
10:30Et bienvenue sur Inter, vous nous appelez de Lille.
10:33Oui, effectivement. J'aurais aimé savoir pourquoi la religion participe, invite, encourage la violence ?
10:43Merci Carole. Réponse Jean-David Zettone.
10:46Vraiment, ce n'est pas pour ne pas répondre, mais je n'ai pas trouvé d'études qui spécifiquement s'intéressent à ça.
10:51Je pense que si la religion au sens large contribue à expliquer la violence,
10:57et encore c'est vraiment quelque chose qui n'est pas facile à démontrer,
11:00c'est à travers la culture qu'elle transmet.
11:02Vraiment, c'est quelque chose sur lequel je crois qu'il n'y a pas de données scientifiques,
11:05et je ne suis pas très capable de répondre. Je suis désolé.
11:07Mais la violence, elle a très souvent un sens.
11:09Ce n'est pas un déchaînement aveugle de force et de brutalité.
11:13Il y a les deux. Elle est parfois préméditée, parfois impulsive.
11:15Quand elle est impulsive, elle a probablement moins de rationalité.
11:18Vous dressez une carte mondiale de la violence,
11:21et vous dites qu'elle ressemble à une map-monde avec des tâches de léopard qui seraient inégalement réparties.
11:28L'Amérique est le continent le plus violent.
11:31En particulier l'Amérique du Sud où la violence bat des records.
11:35Mais on va d'abord partir de la campagne présidentielle américaine,
11:38puisqu'il en était question hier au meeting de Donald Trump.
11:41Il était question du second amendement et de la possibilité de détenir des armes à feu.
11:45La question de la violence, elle est centrale dans ce pays
11:48où il y a énormément de morts par arme à feu.
11:52Qu'est-ce qui fait cette spécificité américaine ?
11:55Il y a deux éléments. Il y a la culture et la disponibilité des armes.
11:58Qui d'ailleurs sont liées.
12:00Puisque la culture est permissive, la loi permet d'acheter une arme automatique pour pas cher.
12:05Mais c'est pas parce qu'on a une arme qu'on va l'utiliser pour tuer.
12:08Les Canadiens aussi peuvent avoir des armes.
12:11Si je vous mets une cigarette en face de vous, même si vous n'avez pas envie de la fumer, vous risquez de la fumer.
12:14C'est comme tout le reste. La disponibilité d'un moyen fait qu'il y a plus de susceptibilité
12:19de se tourner vers ce moyen si jamais il y a une envie qui émerge dans votre esprit.
12:22Et sur la culture ?
12:24La culture américaine est évidemment violente.
12:27Et il y a notamment un élément qui est très important, qui est que les Américains croient que les armes protègent.
12:31Nous ici, si on vous demande...
12:33Répétez ça, c'est plus intéressant.
12:35Les Américains, quand on regarde les enquêtes d'opinion internationale comparatives avec l'Europe,
12:38donc c'est pas juste une idée, c'est des données,
12:40pensent que les armes protègent.
12:42Alors que l'inverse est démontré.
12:44On sait très bien qu'avoir une arme chez soi augmente la probabilité de mourir à cause de cette arme.
12:48Soit par suicide, si vous avez une pulsion suicidaire.
12:50Si vous prenez la boîte de Doliprane, il ne va pas se passer grand chose.
12:53Surtout qu'il y a moins de 10 grammes aujourd'hui dans la boîte de Doliprane.
12:55Alors que si vous tirez dessus, vous avez 95% de chances de mourir.
12:59Donc c'est très efficace.
13:01Si vous jouez avec, comme c'est des armes automatiques,
13:03il y a un coup qui part tout seul.
13:05Et puis s'il y a quelqu'un qui vient chez vous, vous allez vous défendre.
13:07Mais maladroitement, parce que la violence n'est fondamentalement pas notre truc.
13:10Nous ne sommes pas du tout compétents en violence.
13:12Et donc les accidents sont extrêmement fréquents avec une arme à feu.
13:16En plus, avec une arme automatique.
13:18Il y a aux Etats-Unis, l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud.
13:23Et ce qui est fascinant, c'est qu'on voit des pays qui ont un nombre d'homicides
13:27digne de pays en guerre.
13:29Avec des dizaines de milliers de morts par an.
13:31Comment l'expliquez-vous docteur ?
13:33Par les causes que j'ai essayé d'écrire dans le livre.
13:36Mais ce qui est frappant, c'est les variations qui existent d'un pays à l'autre.
13:39Y compris parfois deux pays qui sont collés l'un à l'autre.
13:42Avec des populations qui nous semblent similaires.
13:44Et qui pourtant ont des taux de violence qui sont extrêmement différents.
13:46En médecine, on ne voit jamais ça.
13:48Quand on compare les taux de cancer ou les taux de maladie cardiaque d'un pays à l'autre,
13:51on a quelques pourcents de différence qu'on peut expliquer par des facteurs environnementaux ou alimentaires par exemple.
13:56Mais la violence, c'est un truc qui fait l'objet de variations qui sont normalement jamais vues.
14:01Voilà, justement, en Europe, elle s'illustre ces variations.
14:04L'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, la France ont vu leurs homicides baisser en 30 ans.
14:10Souvent divisé par deux ou trois sur la période.
14:12Mais les chiffres sont très différents.
14:14Est-ce que là, vous avez une explication ?
14:16À chaque fois, je pense qu'il faut reprendre le modèle.
14:18C'est-à-dire qu'il y a une partie culturelle, il y a une partie environnementale.
14:21On n'est pas si différent des Italiens par exemple ?
14:23Eh bien, il faut croire que deux fois moins.
14:26Deux fois moins de taux de homicide par personne.
14:28Donc il y a quand même quelque chose qui se passe qui fait qu'il y a moins de homicides là-bas.
14:31Mais malgré tout, il y a aussi une différence entre les pays du Sud et les pays du Nord.
14:36Vous mettez en avant des explications qui peuvent surprendre.
14:39La chaleur, l'idée qu'on est davantage exposé à des situations de stress,
14:46mais de stress environnemental au sens le plus simple du terme, au sens météorologique.
14:51Expliquez-nous ça.
14:52Oui, les pics de température.
14:53La chaleur moyenne n'est pas associée à l'homicide ou à la violence en général.
14:57En revanche, il y a eu des études historiques, mais qui datent même du 18e, 19e siècle,
15:01et on sait que c'est aussi valable au 20e ou au 21e siècle,
15:04qui montrent que les pics de température sont associés à une plus grande probabilité notamment d'émeutes
15:09ou alors de comportements violents au domicile.
15:11Quand il fait plus chaud, vous dormez moins bien, vous buvez plus, vous conduisez moins bien,
15:15et puis vous sortez plus pour prendre l'air.
15:17Donc vous avez plus de chances de vous confronter à quelqu'un d'autre.
15:19Bonjour Chantal.
15:21Bonjour.
15:22Et bienvenue sur Inter.
15:24Merci, merci de prendre ma question.
15:27J'ai entendu quelque chose d'intéressant, parce que je pensais vraiment,
15:31et certainement comme beaucoup de gens, que ça pouvait être génétique, la violence.
15:36Et alors ma question est la suivante.
15:38Si ça n'est pas génétique, est-ce que c'est dû,
15:41est-ce que ça pourrait être dû à notre construction, notre élaboration psychique,
15:46c'est-à-dire notre psychisme, l'émotionnel, notre histoire, notre inconscient, voilà.
15:53Merci pour votre question, Chantal.
15:55Réponse Jean-David Zetoun.
15:56Oui, je vais donner un exemple.
15:58Les expériences négatives dans l'enfance sont associées à un risque de violence très très important.
16:02Donc le fait d'avoir été maltraité, avoir des parents alcooliques, dépressifs,
16:07qui se disputent, qui se droguent, ou simplement des enfants à qui on parle mal,
16:11qu'on traite mal, à qui on ne donne pas d'affect,
16:13c'est quelque chose qui augmente énormément le risque de comportement violent à l'âge adulte.
16:17Ça multiplie par 8 le risque de comportement violent envers autrui,
16:21et ça multiplie par 30 le risque de comportement suicidaire.
16:24Quand on lit le livre, on commence d'abord par être découragé.
16:29On se dit qu'il y a malgré tout une forme de destin de l'humanité
16:33à être constamment en prise avec la violence.
16:36Mais le livre se termine avec des pistes plutôt optimistes.
16:40Il y a même un chapitre où vous dites qu'on peut faire régresser la violence,
16:43la diminution de la violence est à notre portée.
16:46Et c'est justement ce sur quoi vous voulez vous interroger Mathieu qui nous appelle de Vendée.
16:50Bonjour Mathieu.
16:51Bonjour Ali, j'appelle de Vendée et de Rabat.
16:54Je suis de temps en temps, ça va vous parler.
16:57J'aimerais saluer la prestation de Jean-David Zetoun qui est absolument claire et très intéressante.
17:04Ma question était la suivante, en tant que patient de Jean-David Zetoun,
17:09quel remède préconise-t-il face à cette violence décroissante visiblement ?
17:15Merci pour votre question.
17:17C'est vrai qu'on attend ces remèdes parce que c'est une question politique majeure.
17:21C'est un tout petit chapitre à la fin.
17:23Oui, parce que ce n'est pas trop mon métier.
17:26Les leaders politiques souvent parlent des réponses à apporter quand la violence est déjà produite.
17:32Je comprends, c'est absolument nécessaire, il n'y a pas de doute là-dessus.
17:36Mais je trouve que c'est un peu pauvre comme argument.
17:38Quand vous avez un candidat à la prochaine élection présidentielle qui dit
17:41« sur la sécurité, je systématiserai le doublement des peines, je ne sais pas quoi »
17:45Si c'est juste ça l'idée, franchement, ça ne va pas être incroyable.
17:49Donc je pense qu'il faut s'en prendre aux causes de la violence,
17:52c'est-à-dire les expériences négatives de la vie.
17:54L'alcool, dont on n'a pas encore parlé, qui est un fléau absolument énorme
17:58dans toutes les situations de mortalité violente.
18:00Les suicides, les homicides, les accidents, les noyades, les gens qui se brûlent,
18:03les gens qui chutent, l'alcool est toujours là.
18:05Est-ce qu'on a une politique sur l'alcool en France ? Pas du tout.
18:08Et ça, ça participe de la violence ?
18:10Énormément.
18:11Est-ce que vous pouvez me citer comme exemple les accidents, les chutes, les noyades ?
18:14C'est une forme de mort violente, mais même sur les homicides,
18:17qui est ce dont on a le plus parlé et qui est le sujet principal du livre,
18:20l'alcool est partout.
18:21Voilà, justement, avant d'en venir aux questions de l'application,
18:24vous parlez de l'insécurité, qui est une préoccupation quand même majeure
18:27de nos gouvernements, et de la réponse qui est apportée, je pense par exemple
18:31aux déclarations récentes du Premier ministre qui veut limiter les possibilités
18:35d'aménager les peines, qui promeut des peines plus courtes immédiatement exécutées.
18:39Et ça vous dit ?
18:40Non, je n'ai pas de réponse à ça, parce que ce n'est pas mon métier,
18:42et vraiment je ne suis pas compétent.
18:43Mais clairement, si on ne parle que de ça, c'est comme si on faisait toute une émission
18:47sur le cancer du poumon et qu'on ne parlait jamais de cigarettes
18:49et seulement de chimiothérapie et de chirurgie thoracique.
18:51Ce serait extrêmement limité comme approche.
18:54Ce qu'on veut, c'est qu'il n'y ait plus de violence.
18:57On ne veut pas seulement plus punir les gens qui se comportent mal.
18:59Sur l'application, justement, Mélanie qui demande, et l'alcool,
19:03vous en avez parlé, et les drogues dans tout ça.
19:05Oui, les drogues jouent un rôle aussi très important.
19:07Les drogues, c'est illégal, donc il y a un peu moins de drogues que d'alcool,
19:11mais on sait que c'est un problème, et donc ça joue un rôle.
19:14C'est démontré.
19:15Et en plus, c'est alcool plus drogue, parce que souvent les gens font les deux.
19:18Et Cormier qui s'adresse aux gastro-entérologues,
19:20est-ce que la nature du microbiote influe sur la violence ?
19:23Non, je ne crois pas.
19:24Ah bon ?
19:25Non, je ne crois pas.
19:26Parce qu'on disait que l'intestin était un deuxième cerveau ?
19:28Oui, mais le microbiote, c'est un continent qui est encore partiellement exploré
19:31et dont on ne sait pas tout, et donc je pense qu'il ne faut pas le mettre à toutes les sauces.
19:34Donc, il n'y a pas de violence destinée, en fait,
19:39qui est comme un programme dans la nature humaine ?
19:42Non, pas du tout, je ne crois pas.
19:43C'est une option minoritaire.
19:44On a tous cette option, ça peut tous nous arriver de mal nous comporter,
19:47notamment quand on manque d'intelligence verbale,
19:49c'est-à-dire quand on a des difficultés à s'exprimer,
19:53ou quand on manque d'empathie, on ne sait pas se mettre à la place de l'autre
19:55et donc on va se comporter violent, parce qu'on n'imagine pas le mal qu'on va lui faire.
19:58Mais ce n'est pas quelque chose qui est dominant.
20:01Ce n'est pas une loi de l'espèce humaine.
20:02Vous disiez tout à l'heure, le but c'est d'éliminer la violence.
20:05Est-ce que ça, au regard de votre travail, c'est vraiment un horizon réaliste ?
20:10L'horizon réaliste, c'est de la faire baisser.
20:12Et de le dire, de le faire savoir,
20:15puisqu'il y a une question de perception aussi depuis tout à l'heure
20:17qui est dans notre conversation,
20:19à savoir que les gens ont l'impression que c'est extrêmement fréquent,
20:21alors qu'ils ont plus de chances de mourir d'autre chose que de violence.
20:24Je comprends, nous ne sommes pas des machines, nous avons une psychologie,
20:27donc nous avons peur de choses qui ont très peu de chances de nous arriver.
20:29Moi le premier, ce n'est pas avec un doctorat en épidémiologie
20:31qu'on s'affranchit complètement de cette irrationalité.
20:34Mais on peut faire baisser ce truc-là.
20:37L'Italie, qui est un pays en face de nous, a deux fois moins de homicides.
20:40Et en même temps, ils votent pour une dirigeante d'extrême droite.
20:43Oui, mais je n'ai pas des réponses à tout.
20:45Il n'y a pas de réponse à tout, mais vous abordez la question par l'histoire,
20:48vous l'abordez également par la littérature, par la culture,
20:51vous l'abordez aussi avec des datas.
20:54Et sur un terrain qui est assez curieux,
20:58qui est celui de la tolérance à la violence,
21:00vous dites que nous ne supportons plus la violence
21:03et c'est lié au progrès de la civilisation.
21:06Expliquez-nous ça.
21:07Oui, c'est Norbert Elias qui avait le premier décrit ça,
21:09mais je pense que c'est largement confirmé.
21:11L'évolution majeure en 500 ans,
21:14c'est un retournement de mentalité vis-à-vis de la violence.
21:17Il y a 500 ans, on ne disait pas que c'était mal.
21:20C'est comme si vous, vos enfants, vous leur disiez
21:23« si il y a quelqu'un qui t'attaque, tu lui rends encore plus les coups »
21:26ou alors même s'il y a quelqu'un qui te provoque,
21:28vas-y, tu peux le bastonner.
21:30Personne ne fait ça aujourd'hui, ou alors très peu de gens.
21:32Aujourd'hui, on a plutôt tendance,
21:34enfin moi, mes enfants, si je leur dis « s'il y a un problème, tu t'en vas ».
21:37Bon, c'est parce qu'on trouve que la violence
21:40est quelque chose qui est exclusivement négatif.
21:42On trouve ça insupportable.
21:43C'est pour ça qu'on réagit à chaque fois qu'il y a un fait divers.
21:45Là encore, c'est complètement compréhensible.
21:47C'est compréhensif, mais excessif.
21:50En tout cas, la violence reste un phénomène minoritaire,
21:54même si elle fait plus peur qu'elle n'est réellement menaçante.
21:58Ça ne veut pas dire que les gens n'ont pas raison d'en avoir peur.
22:01Agir contre la violence, agir contre les causes de la violence,
22:05c'est le titre de ce livre, Jean-David Zetoun,
22:08qui est publié aux éditions de Noël.
22:10Merci d'avoir été l'invité du Grand Entretien.

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