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Marion L'Hour et Ali Baddou reçoivent Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm. Il est l'auteur de “Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital”, sorti le 22 septembre aux éditions du Seuil. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-24-septembre-2023-1312709

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00:00 dans le grand entretien à 8h22, faites les lire ! La lecture pour en finir avec le crétin
00:06 digital et stimuler l'intelligence de nos enfants.
00:10 Notre invité est le docteur en neurosciences Michel Desmurgé.
00:13 Nous attendons vos questions au standard au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:20 Inter.
00:21 Bonjour Michel Desmurgé.
00:22 Bonjour.
00:23 Et bienvenue sur France Inter, faites les lire qui arrive après la fabrique du crétin
00:27 digital, votre best-seller publié il y a 2-3 ans.
00:31 C'est un livre passionnant, c'est un livre qui interpelle à la fois les parents, les
00:35 enfants, les ados et tous ceux qui s'interrogent sur la place de la lecture aujourd'hui dans
00:40 notre société, sur la façon aussi dont lire pour le plaisir peut développer notre intelligence.
00:46 Vous allez nous expliquer ça.
00:47 Vous êtes directeur de recherche à l'INSERM.
00:50 Ce titre "faites les lire", c'est quoi ? C'est une injonction ? C'est un conseil ? C'est
00:56 un ordre ? Oh non, que nenni ! C'est un cri du cœur.
01:00 C'est-à-dire que quand on va dans la littérature, on s'aperçoit… Il y a plein de choses
01:03 qui sont bénéfiques au développement de l'enfant, je veux dire le sport, la musique,
01:06 l'art, etc.
01:07 Mais quand on regarde les études, on s'aperçoit qu'il n'y en a aucune qui a des effets
01:10 aussi profonds, aussi unanimes que la lecture.
01:14 Et du coup, on a envie de dire aux parents "mettez vos enfants devant des livres, lisez
01:19 avec eux".
01:20 Et non, non, non, c'est pas une injonction qui serait…
01:21 Non, parce que là, vos propos, c'est lire pour le plaisir.
01:24 Alors il y a des enfants qui n'ont pas envie de lire, qui n'aiment pas lire.
01:27 Qu'est-ce que vous dites aux nombreux parents qui nous écoutent, aux gamins également,
01:31 aux ados, pour qu'ils trouvent le plaisir de la lecture ?
01:34 La bonne nouvelle, c'est qu'il y a très peu d'enfants qui n'aiment pas qu'on
01:38 leur lise des histoires.
01:39 Et la lecture qui commence très tôt dans la première année de l'enfant, la lecture
01:43 partagée, c'est effectivement une source de plaisir importante.
01:45 Et en fait, la lecture personnelle, ça n'est qu'une transition du plaisir de la lecture
01:49 partagée vers la lecture personnelle.
01:51 Et en fait, ce qui est bien fait, c'est que c'est cette lecture partagée qui va
01:55 donner à l'enfant les moyens de la lecture personnelle.
02:00 Et en fait, la question, c'est pas tellement comment leur donner le goût du plaisir,
02:03 c'est comment faire que quand ils arrivent à l'adolescence ou un peu avant, ce goût
02:08 du plaisir ne s'étiole pas et ne s'effondre pas face à l'attrait des écrans notamment.
02:11 On va rentrer dans le détail, mais après la publication de votre best-seller "Le
02:14 Crétin Digital", vous racontez qu'à la fin de chacune des conférences que vous
02:17 donniez un peu partout en France et ailleurs, la question qu'on vous posait systématiquement,
02:22 c'était "Que faire ?".
02:23 Face à la surexposition, face à l'invasion des écrans, est-ce que ce livre, c'est
02:28 une réponse à cette question ? Est-ce que ce livre, c'est un antidote ?
02:30 Ah oui, pour une part, c'est un antidote.
02:32 Comme je le disais, j'ai pas trouvé moi d'activité, de loisir, d'activité informelle,
02:38 d'activité qu'on peut faire en famille, autre que la lecture pour le plaisir qui
02:41 ait des effets aussi profonds.
02:43 C'est vraiment une… je sais pas comment le résumer, mais c'est vraiment une machine
02:46 à fabriquer de l'intelligence pour l'enfant.
02:48 Et ce qui est frappant quand on fait la littérature, il y a deux choses, c'est d'abord l'ampleur
02:53 des effets, sur lesquels on pourra revenir, et la deuxième chose, c'est qu'on se
02:55 doute bien à tous qu'il y a un petit truc dans la lecture, là, il y a quelque chose,
02:58 on sait bien que c'est bien de lire et de faire lire les enfants, mais je crois que
03:01 pour la plupart des gens, et notamment les parents, ne mesurent pas l'ampleur de ces
03:06 bénéfices.
03:07 Et ce que moi je trouve encourageant, c'est que, quel que soit le milieu d'ailleurs
03:11 favorisé ou non favorisé, quand on apporte cette information aux parents, quand on leur
03:16 dit comment faire, pourquoi c'est important de lire aux enfants, qu'est-ce que ça
03:20 développe chez l'enfant, il y a des effets qui à long terme sont plus qu'importants
03:24 et intéressants.
03:25 Michel Demeuré, vous dites que ça doit être un plaisir, mais c'est aussi un impératif
03:30 la lecture, ça doit être un plaisir mais c'est aussi un investissement sur l'avenir,
03:33 presque un investissement aussi économique.
03:34 C'est pas contradictoire ? Comment on fait très concrètement pour donner du plaisir
03:40 aux enfants, leur donner plaisir à faire lire ?
03:41 La première chose à faire c'est déjà de lire avec eux, leur donner les prérequis.
03:46 L'ennemi numéro un du plaisir c'est l'échec.
03:49 Si l'enfant se retrouve tout de suite en situation de frustration et d'échec, il
03:52 s'en sortira pas.
03:53 Donc la première chose à faire c'est de lui donner les bases et les prérequis qui
03:57 vont lui permettre progressivement, lui, tout seul, d'entrer dans la lecture personnelle.
04:02 Et il y a beaucoup de choses qui se passent effectivement à travers les interactions
04:05 familiales, les interactions autour du livre, la lecture partagée.
04:08 Ce qu'il faut comprendre…
04:09 Lire avec lui mais ne pas s'arrêter trop tôt, c'est ça ?
04:11 Non, ne surtout pas s'arrêter trop tôt.
04:13 En fait, il y a une ambiguïté dans la lecture, je pense, qui fait beaucoup de mal.
04:15 C'est un raccourci mais qui est de bonne foi.
04:17 C'est-à-dire qu'on a tendance à assimiler lecture et décodage.
04:19 C'est-à-dire, on dit l'enfant, il apprend à lire au CP ou ma fille, elle a appris à
04:22 lire toute seule quand elle avait trois ans.
04:24 Et en fait, on s'aperçoit…
04:25 Le décodage c'est un peu comme la raquette de tennis.
04:27 C'est-à-dire, vous donnez une raquette à un joueur, le joueur, il a absolument besoin
04:30 de sa raquette pour jouer mais c'est pas la raquette qui fait l'expertise.
04:32 Et la lecture c'est deux choses.
04:34 C'est le décodage mais c'est aussi et c'est surtout la compréhension.
04:37 Celui qui ne lit pas disait «Karl Damer, le philosophe allemand, celui qui ne comprend
04:40 pas ne lit pas».
04:41 Et en fait, ce qu'on mesure pas c'est que le livre c'est un monde à part.
04:44 Par exemple, pour prendre un exemple, il y a plein de choses qui sont dans les livres
04:47 qui ne sont pas ailleurs.
04:48 Il y a beaucoup plus de richesse langagière dans un livre qu'il y en a dans n'importe
04:51 quel corpus oral.
04:52 C'est-à-dire que si mon copain me dit « qu'est-ce que t'es en train de faire ? », si je vous
04:55 vois moi, je peux décrypter la couleur, les sons, les formes, je peux décrypter les expressions
05:00 de votre visage.
05:01 Dans un livre, il n'y a pas ça.
05:02 Et pour rendre ça, il faut beaucoup de mots.
05:03 Et on s'aperçoit que dans un livre, il y a beaucoup plus de richesse lexicale.
05:08 D'abord, il y a beaucoup plus de mots.
05:09 Il y a énormément de mots qui ne sont pas des mots familiers de l'oral.
05:11 Des mots comme « saillant », « agar », « la triche », « juvelier », « chanceler
05:16 » qui est un mot qui tombait à l'examen des concours de profs l'année passée.
05:19 Ce sont des mots qui sont très présents à l'écrit mais qui sont peu présents à l'oral.
05:23 Mais il n'y a pas que ça.
05:24 Il y a la grammaire.
05:25 Vous avez des phrases plus longues, des phrases plus complexes, des relatives.
05:27 La voix passive, « la souris a été mangée par le chat », vous la trouvez très souvent
05:30 à l'écrit et vous ne la trouvez pas du tout ou très rarement à l'oral.
05:34 Vous avez des temps.
05:35 En France, on est en train de râler parce qu'on a la complexité, la conjugaison.
05:38 C'est une richesse infinie ces temps-là pour exprimer ce qui se passe.
05:41 Le passé simple, le passé intérieur.
05:44 Gretel poussa à la sorcière.
05:46 Le poussar, le passé simple, on l'a très souvent à l'écrit mais on ne l'a pas à
05:50 l'oral.
05:51 On l'a de moins en moins à l'oral.
05:52 En fait, c'est quasiment une amie orthophoniste résumer tout en disant « ma fille, elle
05:56 est bilingue, aura l'écrit ». Et l'écrit, c'est vraiment une seconde langue.
05:58 Et si on n'enseigne pas…
05:59 Une bilingue oral-écrit.
06:00 Oui, c'est ce que disait ma amie orthophoniste.
06:01 Comme si c'était deux langues différentes.
06:02 Oui, mais ce sont, quand on regarde de près, deux langues différentes avec toutes ces richesses-là.
06:07 C'est-à-dire qu'on n'apprend pas à parler l'écrit en parlant l'oral, si j'ose
06:10 dire.
06:11 Et si on n'acculture pas l'enfant très précocement, justement à travers l'outil
06:14 dont l'impact est très sous-estimé de la lecture partagée.
06:21 Et donc, à un moment donné, les contenus sur lesquels on apprend la lecture partagée
06:28 sont forcément simples.
06:29 Et s'ils sont compliqués, l'enfant ne s'en sort pas.
06:31 Et donc, quand l'enfant apprend au CP, quand il apprend à décoder, il faut continuer
06:34 à le laisser sous perfusion langagière à la lecture partagée.
06:37 Parce qu'au moment où il va commencer à avoir maîtrisé suffisamment, et vu les complexités
06:42 du français, ça arrive aux alentours du CM1, du CM2, du CM1.
06:46 Et donc, quand il va avoir maîtrisé suffisamment le décodage, et que vous allez le lâcher,
06:49 et que le gamin va pouvoir se dire "chouette, je m'assois à la table du banquet, je vais
06:52 pouvoir lire des vrais livres", s'il n'a pas ces acquis-là, ça ne va pas être possible
06:56 pour lui, il va se casser les dents.
06:57 Et il y a un très bel exemple, aux Etats-Unis, ils avaient des retards dans les évaluations
07:02 internationales.
07:03 Ils ont fait un énorme effort sur ce qu'ils ont appelé la lecture, le décodage, et ils
07:06 se sont aperçus, quand leurs enfants arrivaient au CM1, c'est ce qu'ils ont appelé le
07:09 crash du CM1, ils se sont aperçus que les enfants retombaient, justement parce qu'on
07:12 n'avait pas développé avec eux cette capacité de compréhension qui dépend pour beaucoup,
07:16 malheureusement, je ne sais pas, de la famille.
07:19 Et vous montrez d'ailleurs qu'il y a des pré-requis dès la maternelle, la question
07:22 de la famille et du milieu social, on va y revenir.
07:24 Constat alarmant ou pas, je ne sais pas, vous rapportez un chiffre, Michel Demurger, 84%
07:31 des 7-11 ans en France aiment lire.
07:34 Quand on voit ce chiffre, on se dit qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
07:37 Et pourtant, la réalité derrière, ce n'est pas vraiment ça.
07:41 Oui, alors ils aiment lire, mais ce n'est pas parce qu'ils aiment lire qu'ils lisent,
07:43 c'est parce qu'ils préfèrent effectivement aller faire d'autres activités comme les
07:46 écrans, les jeux vidéo, les séries et les dessins animés.
07:49 Donc ce n'est pas parce qu'on aime lire qu'on lit.
07:50 Ensuite, on nous dit aussi, les enfants lisent beaucoup, ils n'ont jamais autant lu.
07:55 Alors il faut pour arriver à cette conclusion-là, on nous dit voilà, ils lisent des mangas.
08:00 Le secteur jeunesse est un secteur florissant dans le monde de l'édition.
08:03 Oui, alors ils lisent des mangas, ils lisent des BD, ils lisent sur les réseaux sociaux,
08:06 cela étant dit, il est évidemment bien que les enfants lisent des BD et des mangas,
08:10 je ne suis pas là pour dévaloriser le manga ou la BD.
08:12 Ah, vous le faites quand même, vous le faites quand même dans votre livre Michel Desmurgés.
08:15 Si je vous ai lu près, vous dites que manga, BD, magazine, e-books, toutes ces lectures
08:20 ne se valent pas, ces lectures et ces contenus n'ont ni les mêmes caractéristiques, ni
08:24 les mêmes impacts.
08:25 Les apports potentiels d'un roman, d'un manga, sont structurellement différents.
08:30 Pourquoi ? Oui, parce que ce n'est pas, enfin je veux dire, ce n'est pas mon opinion personnelle.
08:34 C'est que l'enfant lise des mangas et des BD, c'est bien, il vaut mieux ça qu'il
08:36 aille se gaver d'une émission de télé-réalité peu recommandable.
08:40 Et donc, parce qu'on ne met pas la même richesse langagière dans un manga, dans une
08:45 bulle de manga, qu'on la met dans un chapitre d'un roman.
08:47 Et les études sont pour le coup extrêmement unanimes pour montrer que les effets bénéfiques,
08:51 pour moissonner les effets bénéfiques de la lecture, c'est dans les livres.
08:55 Et il n'y a pas, les mangas, les BD, les blogs, les réseaux sociaux ont sur le développement
09:01 du langage, le développement du langage, la capacité à apprendre à lire, les résultats
09:05 scolaires, la structuration cognitive, ils ont des effets qui vont, selon les études,
09:10 de nul à délétère.
09:11 Donc, il y a vraiment des constats.
09:13 C'est simplement parce que la richesse langagière des livres, ce que va nous transmettre le
09:17 livre...
09:18 Niveau base ? En lecture ? Oui.
09:19 Ah oui, clairement, on a un constat.
09:21 Clairement ? Ah oui, clairement, sur les 50 dernières années, alors quand on ne cache
09:25 pas la poussière sous le tapis, on a des choses extrêmement concrètes.
09:29 On s'aperçoit que, alors il n'y a pas beaucoup d'étudiants en France, mais on s'aperçoit
09:32 quand même que les corpus langagiers, notamment dans les livres, dans les livres jeunesse,
09:36 dans les enseignements bibliothèques scolaires, ont baissé.
09:37 On s'aperçoit que les enfants, par exemple, prenez des lycéens, on était à peu près
09:41 à 240 mots/minute, mais compréhension préservée, c'est-à-dire que vous donnez un texte, le
09:47 gamin il lisait ça en 240 mots/minute, on est à peu près à 190 mots/minute maintenant,
09:50 soit une baisse de 20%.
09:51 On nous parle toujours de l'orthographe, c'est très bien documenté.
09:54 L'orthographe, c'est l'intelligence des imbéciles, il ne s'agit pas d'oublier un S.
09:56 Il y a une corrélation très forte entre l'orthographe et les compréhensions en lecture, et on s'aperçoit
10:01 qu'il y a un effondrement des capacités en orthographe.
10:05 Les études PISA et PIRT, les résultats ont monté jusqu'aux années 70, puis ensuite
10:10 ça s'est stabilisé, ça a commencé à descendre.
10:12 On a quand même perdu un an d'acquis en lecture, en compétence, en compréhension
10:15 de l'écrit, on a perdu un an sur les 20 dernières années.
10:18 - Michel Desmergers, vous dites effectivement que le manga pour vous, ce n'est pas tout
10:21 à fait à la même hauteur qu'un roman par exemple.
10:24 Je vais vous lire ce que dit Daniel Pénac dans son essai « Comme un roman », il a
10:28 édicté les droits imprescriptibles du lecteur, le droit de ne pas lire, le droit de sauter
10:32 des pages, le droit de ne pas finir un livre, le droit de lire n'importe quoi, le droit
10:37 de grappiller, je ne vous fais pas la liste intégrale, mais est-ce que cette acception
10:40 de la lecture vous semble satisfaisante ? C'est quand même aussi la liberté pour rester
10:44 un plaisir ?
10:45 - Ah mais moi je ne suis pas en train de dire aux parents ce qu'il faut faire, je suis
10:47 là juste pour leur filer l'information.
10:49 Je dis aux parents, si vos enfants ne lisent que des mangas et des BD, ils y prendront
10:53 sûrement plaisir, ça défendra, ça développera peut-être un certain nombre de facultés
10:57 d'imagination qui n'ont pas été étudiées ou je ne sais pas.
11:00 Par contre, la seule chose que je dis aux enfants, c'est que si les enfants veulent
11:04 développer un peu plus que le langage oral, les bases du langage oral, il y a plus de
11:10 complexité langagière dans un imagier d'enfant d'école maternelle qu'il y en a dans n'importe
11:15 quel corpus oral ordinaire.
11:17 C'est-à-dire qu'on va discuter, faites une discussion entre adultes, d'y éduquer
11:20 une universitaire entre adultes et enfants, dans les films, dans les séries, dans les…
11:23 - Et dans un podcast par exemple, comme Oli, vous savez sur France Inter, on a ces podcasts,
11:27 ces petites histoires qui sont racontées aux enfants, c'est de la lecture ou c'est
11:29 pas de la lecture ?
11:30 - Non, c'est pas de la lecture, c'est-à-dire que, évidemment que ça peut avoir des effets
11:33 positifs d'écouter ça, mais si vous le lisez ou si vous l'écoutez, la rétention
11:37 et la compréhension ne sont pas les mêmes.
11:38 Je ne suis pas là pour dire aux parents « fouettez vos enfants et faites-les lire », c'est
11:40 exactement l'inverse.
11:41 Voilà, le truc c'est qu'il s'agit de dire aux parents « si la diète de lecture
11:45 de vos enfants n'est faite que de mangas et de BD, alors vos enfants ne moissonneront
11:49 pas les effets les plus positifs et les plus profonds de la lecture ». Après si les parents
11:52 se disent « il vaut mieux que mon enfant il prenne du plaisir à lire des mangas,
11:55 j'ai pas envie, je juge pas nécessaire qu'il lise des livres », mais mon Dieu,
11:59 j'ai pour reprendre une émission, grand bien lui fasse !
12:01 - Grand bien lui fasse !
12:02 - Grand bien lui fasse !
12:03 - Émission d'Ali Réveille-Saint-Antoine.
12:04 - Bonjour Katia !
12:05 - Oui, bonjour Marc !
12:06 - Merci de participer au grand entretien de France Inter.
12:10 - Je vous remercie infiniment, et bonjour Marion, bonjour Ali, et bonjour M. Dermurger.
12:16 En préambule, je voulais remercier pour la très belle matinale du week-end, quel plaisir,
12:22 et M. Alibado, vous nous manquez le samedi soir à 18h50.
12:25 - Merci Katia, merci infiniment !
12:27 - Ça nous fait très mal au cœur, voilà, ça nous fait très mal au cœur que vous
12:30 n'y êtes plus, et nous sommes très très malheureux.
12:33 - Mais je suis là !
12:34 - Je suis là avec vous ce matin, et avec notre invité Michel Desmurgers et Marion
12:38 Lourds.
12:39 Vous aviez une question pour notre invité ?
12:40 - Oui, voilà, je le remercie un milliard de fois à M. Desmurgers, car j'ai 60 ans,
12:47 et comme j'avais 5 ans dans ma ville de Saint-Etienne, j'allais à la bibliothèque
12:51 municipale, et là j'étais la première en CP.
12:55 De la CP jusqu'au BAC en dictée, en orthographe, en dissertation, et je leur dis aux enfants,
13:03 aux jeunes, c'est important les livres, vous avez de la chance d'avoir des bibliothèques,
13:07 des médiathèques, dans les campagnes il n'y en a pas beaucoup, c'est très isolé,
13:11 et des rencontres avec tous les enfants, des campagnes, des quartiers, il faut faire des
13:16 rencontres, et surtout lire à voix haute aussi, c'est très très important.
13:19 - Alors ça c'est important Katia !
13:20 - Ça enrichit tout, la lecture, les livres, vraiment c'est très important.
13:24 - Ça c'est très important, puisque Michel Desmurgers justement, cette question que soulève
13:27 Katia, effectivement l'accès aux livres, il existe, il est facilité par de nombreux
13:32 outils comme les bibliothèques évidemment, mais lorsqu'elle vous parle de la lecture
13:36 à voix haute, est-ce que ça change tout pour les enfants ? Est-ce qu'il faudrait l'encourager
13:40 davantage ?
13:41 - Oui, notamment sous forme de lecture partagée, c'est-à-dire lecture à voix haute, lire
13:45 à l'enfant, mais il faut aussi lui expliquer les mots, il faut pouvoir interagir avec lui.
13:49 Ce qui est intéressant par exemple là, c'est qu'on s'aperçoit que quand un enfant, vous
13:52 lui demandez "Qu'est-ce que tu as envie de lire ce soir ?" Pendant des jours et des jours,
13:54 il vous prend le même livre, ça vous rend dingue, tu lui dis "Tu ne veux pas changer
13:56 de livre ?" Et on s'aperçoit que c'est fondamental.
13:59 Le gamin, son cerveau inconsciemment, il est beaucoup plus malin qu'on le croit parce
14:02 qu'à chaque fois qu'on fait une nouvelle lecture du même livre, on ne lit pas la même
14:05 chose.
14:06 Au début, plus la lecture avance, plus l'enfant parle, moins on s'intéresse aux termes, plus
14:10 on s'intéresse à l'histoire, à ce qu'il y a d'important dans l'histoire.
14:12 Et cette lecture partagée, c'est l'une des clés effectivement fondamentales.
14:15 C'est-à-dire qu'un enfant de 4-5 ans à qui vous lisez tous les jours ou presque, comparé
14:20 à un gamin à qui vous lisez peu, c'est-à-dire deux fois par semaine ou moins, ce gamin à
14:23 qui vous lisez peu, quand vous allez revenir au milieu du primaire, il aura un ordre de
14:27 retard de développement par rapport à celui à qui vous avez lu.
14:29 Question de Jacqueline sur l'application France Inter.
14:32 Ma petite fille de 10 ans avait deux livres à lire pour la rentrée au collège.
14:36 Ce n'est pas une grande lectrice.
14:38 Jacqueline continue, elle dit « le premier ouvrage assez drôle a été lu rapidement,
14:42 le second totalement rébarbatif a été l'objet de pleurs, de corvées, etc.
14:47 J'ai décidé de lire avec elle, elle ne comprenait pas un mot sur trois.
14:51 Son meilleur ami, qui est un bon lecteur et qui aime lire, m'a dit l'avoir lu, mais
14:55 ne pas avoir compris grand-chose non plus.
14:57 A la rentrée, 30% des élèves de la classe ne l'avaient pas lu ou abandonné.
15:02 » Michel Damurge, qu'est-ce qu'on répond à Jacqueline et à tous ses parents qui
15:05 se trouvent confrontés à ce type de situation ?
15:08 C'est l'illustration de ce qu'on disait.
15:10 Il y a une chose qu'il ne faut pas, c'est mettre l'enfant en échec, parce que vous
15:12 allez le dégoûter à jamais de la lecture.
15:14 C'est l'illustration de ce qu'on disait, c'est-à-dire que si vous n'avez pas le
15:16 vocabulaire de l'écrit, les mots nécessaires, si vous n'avez pas le code écrit, si vous
15:21 ne parlez pas l'écrit, vous ne pourrez pas rentrer dans ces livres-là.
15:23 Et c'est pour ça que l'une des solutions…
15:25 Mais ça, c'est la bibliothèque des parents !
15:26 Oui, mais il faut choisir les livres.
15:28 Quand les collèges vous donnent ça, il faut les lire avec eux, il faut rentrer dans le
15:33 livre avec eux.
15:34 Si l'enfant n'a pas les outils… Quand on ne comprend pas 2 à 3% des mots d'un
15:37 texte, on ne comprend pas le texte.
15:38 2 à 3% ça suffit pour ne pas comprendre ?
15:40 Oui, parce qu'il y a plein de conjonctions, d'articles, de verbes simples.
15:44 Et il suffit de ne pas comprendre 2% des mots d'un texte, on estime que c'est 2%.
15:48 Au-delà de 2%, la compréhension est très durement touchée.
15:51 Et justement, c'est des terminismes sociaux.
15:53 Parce que vous, Michel Desmergers, vous renvoyez beaucoup dans votre livre aux parents.
15:56 L'école ne peut pas tout faire, c'est ça que vous dites.
15:58 Vous renvoyez aux parents.
15:59 Or, on sait que le statut socio-économique des parents joue un rôle non négligeable
16:04 dans le rapport des enfants à la lecture.
16:06 Les enfants de classes les moins favorisées rentrent à l'école et évoluent avec beaucoup
16:10 moins de vocabulaire que les autres.
16:12 C'est-à-dire qu'ils sont condamnés à être de moins bons lecteurs que les autres.
16:15 Non, ils ne sont pas condamnés.
16:16 Ce que je disais, c'est que ce qui me semble être une piste intéressante, c'est que
16:20 ces enfants… Il y a eu des études, par exemple, en Afrique du Sud, dans des ghettos
16:24 vraiment défavorisés, des parents qui avaient même beaucoup de mal à lire, qui ne disaient
16:27 pas eux-mêmes, et on leur a dit "C'est pas grave, prenez des imagiers, lisez les
16:30 images, etc."
16:31 Mais qui leur a dit ça ? C'est Louis XVI ?
16:32 Parlez à vos enfants, c'est une information, c'est des gens, c'est des groupes de chercheurs
16:36 qui ont été voir les parents, qui ont organisé des études là-dessus, des expérimentations.
16:40 Et il y a des études où les enfants parlaient de l'accès aux livres, où simplement on
16:44 a donné à des enfants défavorisés, parce qu'on s'est dit "ils aiment peut-être
16:46 bien lire", ce qu'on aperçoit c'est le crash des vacances.
16:48 C'est-à-dire que les enfants apprennent pendant l'année, puis pendant les vacances
16:51 les enfants de milieu favorisé continuent à progresser, les enfants de milieu défavorisé,
16:54 soit ça reste stable, soit ça descend.
16:56 Et le seul fait de leur donner des livres a réussi à enrayer une grande part de ce
17:00 déclin.
17:01 Donc oui, il y a un déterminisme social.
17:03 Non, l'école ne peut pas tout faire.
17:04 Quand un enfant arrive à la maternelle, il a déjà construit pas mal de choses, si
17:08 j'ose dire.
17:09 Il y en a qui ont mis 200 mots de vocabulaire, d'autres 400, il y en a qui ont entendu
17:11 plein de mots, on leur a parlé souvent.
17:12 Et plus on connaît de mots, plus c'est facile d'en apprendre, justement parce que
17:15 vous avez un mot dans une phrase que vous ne connaissez pas.
17:17 Si vous connaissez ceux qui sont autour, vous inférez son sens beaucoup plus facilement,
17:20 c'est plus facile de communiquer, de parler.
17:22 Voilà, le développement de la lecture partagée, y compris du langage.
17:25 L'enfant développe son langage dans les interactions plus de face à face.
17:30 Donc les enseignants, on leur tape souvent dessus, mais c'est très compliqué pour
17:33 eux, parce qu'ils ont énormément de… Ils ont un emploi du temps qui n'est même
17:37 pas à tiroir, mais qui est à multi-tiroir rallongé.
17:39 Et puis, ils ont énormément d'enfants.
17:42 Et on ne fait pas la même chose dans une famille avec deux enfants ou un très petit
17:45 groupe qu'on fait avec 28 gamins dans une classe de CP.
17:48 Tranché la polémique, méthode globale ou méthode syllabique pour apprendre à lire ?
17:52 La méthode syllabique, mais je pense que tout le monde est d'accord maintenant.
17:55 La méthode globale, c'est une erreur, c'est une incompréhension du déconnex…
17:58 On a regardé l'adulte expert, et quand l'adulte expert il lit, justement, il lit…
18:02 C'est intéressant sur l'orthographe, parce qu'on dit toujours « l'orthographe
18:05 ça ne sert à rien ». L'orthographe, ça sert à écrire, mais ça sert surtout à lire.
18:07 C'est-à-dire qu'au début, on passe par ce qu'on appelle la voix des sons.
18:09 Donc vous lisez « papa », vous faites « pa », ça fait « papa ». Mais au bout d'un
18:12 moment, le mot « papa », il rentre par l'œil, il va rentrer dans une espèce de
18:17 moulinette, il va être cassé en petits morceaux, et il va être reconstruit.
18:19 C'est sa forme visuelle, donc son orthographe, qui va être directement envoyée.
18:25 Et c'est cet orthographe qui va nous servir à comprendre directement.
18:28 Et on s'est dit que le lecteur expert, justement, il lisait directement la forme du mot.
18:32 Et ce n'est pas vrai.
18:33 Vous dites que la lecture stimule la créativité, et pourtant, quand vous parlez de la créativité
18:37 dans votre livre, et que vous dites qu'elle ne surgit pas du néant, qui est-ce que vous
18:41 citez ? Steve Jobs, le fondateur d'Apple.
18:44 C'est très surprenant, parce que ce n'est pas un écrivain, mais un immense inventeur
18:50 et un génie de la technologie, qui vient comme soutien pour renforcer votre thèse.
18:56 Alors Steve Jobs, il a quand même été pris dans une grosse, grosse université américaine.
19:01 C'est un gars qui, pour le peu que je connaisse sa biographie…
19:03 Mais il n'a pas terminé ses études universitaires.
19:05 Oui, parce qu'il a jugé que ça ne lui apportait pas suffisamment.
19:08 Mais il est rentré, et donc c'est quelqu'un qui a beaucoup lu.
19:09 Et ce qui est intéressant dans sa citation, c'est de dire que la créativité…
19:13 Les gens vous disent "moi, je pense par moi-même".
19:14 Mais penser par soi-même, sans avoir aucune connaissance derrière pour structurer la
19:18 pensée, ce n'est pas penser, c'est divaguer.
19:19 Et donc, on s'aperçoit très clairement, y compris dans les études, que la créativité,
19:24 elle naît du stock de connaissances qu'on a.
19:26 Elle réorganise nos connaissances.
19:28 C'est-à-dire que Mendel, par exemple, et Mendel, lui, il était moine, donc il avait
19:32 ses petits poids, il était botaniste, mais en même temps, il était féru de statistiques.
19:36 Et c'est parce qu'il a lié ça avec personne, il avait eu l'idée de le faire avant lui,
19:39 qu'il a découvert toutes les lois de la génétique.
19:40 Le gars sur la dérive des continents, c'est pareil, etc.
19:42 Donc c'est vraiment réorganisé, c'est ce que dit Steve Jobs.
19:45 Et la lecture nous fournit plein de données, de savoirs, etc. qui nous permettent de nourrir
19:51 cette créativité.
19:52 Michel Desmergers, il y a eu un échange de tribunes en cette rentrée sur le thème
19:55 de la lecture, une tribune d'écrivains et d'artistes, d'éditeurs et d'intellectuels
19:58 qui appelaient à remettre l'apprentissage de la lecture et de l'écriture au cœur
20:01 de la pratique scolaire.
20:02 Il y a eu ensuite, quelques temps après la réponse du ministre de l'Éducation, Gabriel
20:06 Attal, avec sa tribune « Croire aux forces de l'écrit », qui annonce deux heures consacrées
20:10 chaque jour à l'apprentissage pratique de la lecture au CP.
20:13 Ça va dans le bon sens ?
20:14 Ah oui, oui, mon Dieu, oui, tout ce qui peut augmenter le volume de lecture, l'ampleur
20:19 de la lecture chez l'enfant.
20:20 Non seulement ça va dans le bon sens, mais oui, oui, c'est extrêmement souhaitable.
20:24 Encore une fois, peut-être qu'on a trois secondes pour dire, mais il faut peut-être
20:26 faire un bref listing très vite des apports de la lecture.
20:30 Ça rend littéralement nos enfants plus intelligents, ça augmente les connaissances, la créativité,
20:35 les capacités d'écrit, les capacités aussi d'expression orale.
20:37 Ça a des effets, un effet fiction qu'il faudrait détailler mais on n'a pas le temps,
20:41 mais ça a des effets énormes sur l'intelligence émotionnelle, l'intelligence sociale.
20:45 Et l'intelligence sociale alors que c'est une activité très souvent solitaire, c'est
20:48 un sujet qui est assez frappant et je recommande d'ailleurs la lecture de votre livre pour
20:51 essayer de comprendre votre analyse.
20:53 Énormément de questions d'auditeurs Michel Demurger, c'est le signe que le sujet passionne.
20:59 Faites les lire pour en finir avec le crétin digital.
21:02 C'est publié aux éditions du Seuil.
21:04 Merci d'avoir été notre invité.
21:05 Merci à vous.

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