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Jean-Christophe Rufin, écrivain et académicien médecin, diplomate, auteur de “Sur le fleuve Amazone, carnet de voyage” qui vient de sortir. Il a cette semaine milité, sans succès, pour élire Boualem Sansal à l'Académie française, alors que l'écrivain franco-algérien a été arrêté en Algérie. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-01-decembre-2024-7153601

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00:00Le grand entretien ce dimanche avec Marion Lourdes, nous recevons un écrivain pris
00:05concours, diplomate, membre de l'Académie française, il se mobilise pour la libération
00:11de l'écrivain Boualem Sansal, emprisonné en Algérie depuis maintenant 15 jours, il
00:17est accusé d'atteinte à la sûreté de l'État et pour notre invité, il fallait
00:22accueillir Boualem Sansal, un homme debout et libre mais seul pour intervenir ou poser
00:29des questions, chers auditeurs, le 01 45 24 7000 ou l'application France Inter.
00:35Jean-Christophe Ruffin, bonjour, et bienvenue, vous avez publié un livre qui raconte un
00:42voyage sur le fleuve Amazon et on va en parler tout à l'heure, on va d'abord partir de
00:48ce moment de combat, de combat sous l'Académie, sous la coupole, on n'y est pas forcément
00:54habitué, d'abord expliquez-nous pourquoi vous vous êtes mobilisé, vous, académicien,
01:00pour accueillir Boualem Sansal à l'Académie française, comme si c'était une manière
01:05de le protéger ? Alors, c'est une manière parmi d'autres, évidemment il y a eu des
01:10pétitions, il y a eu des appels, mais tout ça c'est assez fugace, c'est-à-dire qu'au
01:15bout d'un moment on les oublie ces pétitions et vous avez vu que les prix Nobel sont mobilisés,
01:20enfin beaucoup de gens, moi ma crainte c'était que tout ça soit un feu de paille et qu'il
01:23reste dans sa jaule ou dans son hôpital puisqu'il est hospitalisé apparemment, sans que plus
01:28personne ne s'en occupe, donc l'idée qu'une institution très ancienne de la République,
01:33une institution culturelle justement et non pas politique, puisse...
01:37Mais que vous diriez impuissante, l'Académie française ? Comment ? Qu'on pourrait penser
01:42impuissante ? Oui, alors moi ma conception c'est une question
01:46de tempérament, je pense que rien n'est acquis et qu'il faut au moins proposer, alors effectivement
01:52c'est une institution qui aurait pu, je pense, jouer un rôle, bon qui a préféré au cours
01:57d'un débat qui était d'ailleurs assez animé et très respectable.
02:01Voilà, rester en retrait, je le regrette, mais on trouvera d'autres moyens de ne pas
02:07l'oublier.
02:08Alors expliquez-nous les termes du débat, on imagine ce débat qui vous a occupé pendant
02:12de longues heures entre académiciens, quelles étaient les deux positions ? Il y avait la
02:17vôtre donc, qui rappelait que ce sont les écrivains, les artistes qui peuvent défendre
02:22un intellectuel comme Boalem Sansal.
02:24Et face à vous, ceux qui l'ont emporté ? Alors, d'abord, pourquoi le défendre ? Pourquoi
02:30une institution comme ça doit le défendre ? C'est parce qu'elle est consacrée à la
02:35langue française et Boalem Sansal est un grand défenseur de la langue française, en plus
02:38il a illustré, voilà, son dernier livre...
02:41« Le français parlons-en ». Mais ce n'est pas la seule fois, il a multiplié
02:46les prises de position, puis il nous représente aussi à l'étranger, il est traduit partout,
02:51c'est un écrivain de renom international.
02:53Donc je trouve que quand on veut soutenir la francophonie, soutenir les gens qui défendent
02:59comme nous la langue française dans le monde, il ne faut pas que ce soutien s'arrête le
03:02jour où ils sont en prison.
03:03Et puis vous dites que ça lui a réoffert le soutien du Président de la République ?
03:07C'est-à-dire que statutairement, si vous voulez, effectivement l'Académie est placée
03:10sous la protection, comme on dit à l'autre fois, du Cardinal de Richelieu, mais enfin
03:14il n'est plus là, et par la suite c'est du chef de l'État.
03:17Mais ce n'est pas tellement ça, il y a ça, mais il y a le fait de lui donner une famille,
03:22si vous voulez.
03:23Moi je pense à lui, je me dis qu'il est seul face à la police, face à des accusations
03:29qui sont portées contre lui.
03:31Et vous le connaissez bien ?
03:32Je le connais très bien, et l'idée c'est de lui dire « non, tu n'es pas seul, on est
03:37avec toi, on est autour de toi ». Je pense que ça aurait été un moyen de lui montrer
03:42notre soutien.
03:44Après le débat, vous me demandez les termes du débat, il y a ceux qui pensent…
03:48Oui, parce qu'il est intéressant en l'occurrence, c'était avec de vrais arguments qu'on
03:52s'est opposés à vous.
03:53Oui, qui sont tout à fait respectables, qui sont de dire… parce qu'il y a eu une
03:57reconnaissance générale du fait qu'il fallait le soutenir et qu'il était quelqu'un
04:02autour duquel nous regroupons d'une certaine façon.
04:05Mais après la question c'est les moyens.
04:07Est-ce que les lire comme ça, un peu à l'arrache, serait le meilleur moyen ? Bon, certains ont
04:13pensé, ont dit avec prudence, et on ne peut pas encore une fois les critiquer, c'est
04:19leur position et moi je la respecte, ont dit « attention de ne pas aggraver les choses
04:22». Parce que finalement, plus la France le soutient à travers des institutions comme
04:27ça, plus peut-être les charges s'accumuleraient contre lui.
04:30Moi je n'y crois pas, mais en même temps c'est entendable.
04:33On le disait, vous connaissez bien Boilem Sansalle, vous avez partagé d'ailleurs la
04:37même maison d'édition pendant un moment.
04:38Oui, longtemps.
04:39Il a 75 ans, il est à l'hôpital, est-ce que vous êtes inquiet pour lui aujourd'hui ?
04:43Je suis très inquiet, oui, parce que je pense d'abord qu'il est dans une situation personnelle
04:48très difficile.
04:49Sa femme est en France dans un hôpital où elle a une maladie assez grave et donc dont
04:54il est séparé d'elle par sa détention.
04:59Ça n'est pas un combattant.
05:01Alors je pense que c'est quelqu'un d'assez solide au fond, il a toujours refusé les
05:06protections.
05:07Chaque fois que je le voyais partir pour l'Algérie où il habitait, il faut s'en souvenir, à
05:12Beaumerdes, près d'Alger, je lui disais « mais t'as pas peur, etc. », il disait
05:16non.
05:17À chaque fois vous étiez inquiet pour lui ?
05:18À chaque fois je le voyais, je lui disais « mais tu te rends compte, tu es par là-bas
05:20? ». Il me disait « mais non, c'est chez moi ». Et il y a un côté chez lui presque
05:25Gandhi si vous voulez, c'est-à-dire c'est un non-violent, c'est quelqu'un qui, alors
05:29j'espère que ça lui donnera la force de résister, mais enfin il a l'âge qu'il
05:32a.
05:33Et apparemment pour ceux qui l'ont vu, il a pris 5 ans en 15 jours.
05:38Est-ce qu'il a été imprudent ?
05:40Dans son choix, son choix était justement de ne jamais renoncer, de ne jamais fuir si
05:49vous voulez.
05:50C'est très respectable, moi je trouve ça extrêmement risqué bien sûr, mais je pense
05:55que ça fait partie de ces gens qui veulent être fidèles à un certain nombre de principes.
06:00Son principe c'était qu'il était Algérien, même s'il avait récemment demandé la nationalité
06:04française, par commodité aussi parce que sa femme est hospitalisée ici, mais fondamentalement
06:10il voulait critiquer les choses de l'intérieur.
06:13Et ça, ça me rappelle un peu la situation des dissidents soviétiques autrefois si vous
06:19voulez, qui restaient là et qui se battaient de l'intérieur.
06:25Alors nous ça nous paraît fou, ça nous paraît extrêmement dangereux, mais c'est
06:29cohérent aussi dans son choix.
06:32Si vous deviez imaginer, vous avez été un grand de l'action humanitaire, vous avez
06:37été diplomate, vous pouvez donc vous mettre un peu dans la tête des dirigeants algériens
06:43ou de ce que la justice algérienne peut lui reprocher aujourd'hui.
06:46D'après vous, qu'est-ce qui lui est reproché d'abord et avant tout ? Parce que ça fait
06:51des années qu'il porte le même discours, il n'a pas varié Boilem Sansalle, Jean-Christophe
06:56Eiffel.
06:57Oui, je pense que d'abord il fait les frais d'une situation qu'il dépasse et qui est
07:02la crise diplomatique entre la France et l'Algérie avec un revirement politique extrêmement
07:07brutal.
07:08C'est toujours dangereux dans une situation aussi fragile, c'est-à-dire où la France
07:11a carrément pris le parti du Maroc sur l'affaire du Sahara.
07:15Voilà, c'est ça.
07:16Emmanuel Macron qui était en déplacement au Maroc a reconnu la souveraineté marocaine
07:19sur le Sahara occidental, au détriment de l'Algérie.
07:21Voilà, et on ne peut pas ne pas voir un lien, si vous voulez, entre cette réponse très
07:27symbolique.
07:28Incarcérer un écrivain, un écrivain qui est très apprécié en France et tout, mais
07:32cette situation c'est une manière, au fond, d'exercer une forme de pression et de réponse
07:37sur un terrain symbolique.
07:38Alors, il en paye le prix, mais le pauvre, il a été probablement imprudent dans sa
07:45communication.
07:46C'est quelqu'un qui ne regardait pas à qui il parlait, donc il n'a parlé à rien.
07:50J'allais y venir, justement, parce que dans la petite musique qui accompagne sa détention,
07:55on a entendu certains lui reprocher des lieux où il a pu s'exprimer.
08:00Une revue d'extrême droite, un site internet, et comme si on voulait, comment dire, le discréditer
08:07ou en tout cas altérer la pure liberté d'expression que, selon vous, il incarne.
08:12Comment est-ce que vous comprenez ces choix-là qu'il a pu faire de parler dans des espaces
08:18qui sont des espaces curieux ?
08:20La revue en question, elle s'appelle « Frontières », moi très sincèrement, je ne la connaissais
08:24pas.
08:25Et si on m'aurait dit « Est-ce que tu veux parler avec Frontières ? », peut-être
08:30que j'aurais fait une interview sans savoir, au fond, à qui je m'adresse.
08:33Et de toute façon, ce n'était pas son genre, c'est quelqu'un qui avait une liberté
08:36d'expression totale, c'est-à-dire qui s'adressait à tout le monde.
08:40Et, malgré tout, il n'y a pas chez lui de calcul, il n'y a rien du tout, et je pense
08:44que le réduire…
08:45Oui, mais vous savez, Jean-Christophe Ruffin, que certains ont pu lui faire ce procès-là.
08:49Ont pu lui faire le procès d'être, je vais le dire, et l'expression est scandaleuse
08:53le concernant, l'idiot utile de l'extrême droite.
08:56Oui, mais qu'il ait été récupéré.
08:59Mais, si vous voulez, de quoi l'accuse-t-on et pourquoi le défend-on ?
09:03On le défend au nom de quelque chose qui est général, qui est la liberté d'expression.
09:07Une fois que vous vous exprimez, vous êtes un artiste, vous êtes un écrivain, vous
09:10êtes un romancier, vous écrivez vos œuvres, elles ne vous appartiennent plus.
09:13Et, effectivement, vous ne pouvez pas empêcher qu'un certain nombre de gens puissent les
09:17récupérer à leur profit, pour leur cause, etc.
09:19Mais, tout ce que je peux dire, c'est que Boilem n'est pas un militant d'extrême droite,
09:24c'est sûr, que par ailleurs, c'est quelqu'un qui a souvent une expression d'ailleurs assez
09:30abstraite, parce que ses livres, par exemple, 2084…
09:33Un roman publié chez Gallimard.
09:35Un roman pour lequel il avait eu le grand prix du roman de l'Académie française, c'est
09:38une dystopie.
09:39C'est un livre qui met en scène un monde futur, etc.
09:43Donc, vous voyez, on n'est pas dans le débat d'aujourd'hui, et certainement pas dans
09:48le débat politique.
09:49Qu'il ait pu être récupéré, c'est certain, mais voilà…
09:51Mais c'est injuste.
09:52C'est-à-dire qu'il faut en revenir au fondamental.
09:55Qu'est-ce qu'on défend ? On défend la liberté d'expression, point barre.
09:58Et, en l'occurrence, c'est ça qui est menacé à travers lui.
10:03Jean-Christophe Ruffin, vous, vous êtes un écrivain, on parle là d'œuvre de fiction.
10:08Écrire, c'est quand même politique, même quand on fait de la fiction ?
10:11Oui, la fiction, de toute façon, je ne sais pas, souvenez-vous de 1984, qui fait écho
10:19justement à son livre.
10:20À 2084, oui.
10:21Le livre d'Orwell a été très instrumentalisé à l'époque de l'Est-Ouest, de l'opposition
10:29russo-américaine à l'époque de la guerre froide.
10:32Il a été vu comme une espèce d'image de Staline, etc.
10:35Alors que le livre n'avait pas été écrit pour ça au départ.
10:37C'est pareil, il a été tripoté, récupéré par certains.
10:40Bon, c'est le destin des œuvres d'art et il faut, j'allais dire, s'en accommoder.
10:47C'est comme ça.
10:48Vous n'êtes pas propriétaire de votre œuvre, elle peut être récupérée à telle
10:54ou telle sauce.
10:55Je pense que de grands écrivains, je pense à Camus, etc., ont pu être mis à différentes
10:59sauces.
11:00C'est comme ça.
11:01Notre rôle, si vous voulez, en tant qu'écrivain, en tant qu'intellectuel, c'est de défendre
11:06la liberté d'expression.
11:07Après, ce que ça veut dire…
11:08Le droit absolu à la liberté d'expression, le reste est affaire de détail, avez-vous
11:12dit d'ailleurs sous la coupelle.
11:13Pas de détail, en tout cas, ça ne nous concerne plus directement.
11:16C'est-à-dire que, évidemment, le propos des écrivains, ensuite, entre dans un jeu
11:23politique, politique nationale, etc., qui nous échappe complètement.
11:26Jean-Christophe Ruffin, maintenant que l'Académie a dit « Non, nous n'allons pas créer
11:31un siège pour Boilem Sansalle », qu'est-ce que vous, vous pouvez faire ?
11:35Déjà, vous me direz que c'est symbolique, mais dans la grande séance des prix qui va
11:40se dérouler jeudi, tout le monde en costume avec la garde républicaine, cette séance
11:44sera consacrée, sera dédiée à lui.
11:48Ce qui est déjà une façon, j'allais dire, de montrer que la compagnie est à ses côtés.
11:52Même si ça ne se traduit pas pour le moment par une élection.
11:56Après, notre rôle, c'est d'entretenir la flamme.
12:00C'est-à-dire que la plus grande menace aujourd'hui contre lui, c'est l'oubli, c'est certain.
12:05Donc, il faut continuer d'en parler, de se mobiliser.
12:07Il y a un comité de soutien qui a été créé, qui est présidé par Arnaud Benedetti.
12:12Tout ça, il faut le faire vivre, c'est tout ce qu'on peut faire.
12:15Il y a de très nombreux auditeurs qui se demandent comment l'aider, comment participer à sa
12:22libération.
12:23Est-ce qu'on est démuni ou est-ce que, par exemple, les associations, la mobilisation
12:28d'Amnesty International, d'autres pourraient avoir une efficacité ?
12:31Alors, il faut observer ce qui se passe quand il y a des pétitions, éventuellement les
12:35signées.
12:36Le comité de soutien, on peut y adhérer, c'est important.
12:41Et puis, si des initiatives sont prises, il faut le surveiller, il faut regarder.
12:45On va voir si on peut en créer de nouvelles, et bien s'y joindre.
12:50Mais effectivement, ça ne peut pas être une action individuelle, il faut que ça rejoigne
12:54un mouvement plus vaste.
12:55Mais ce mouvement, il s'organise, moi je suis assez confiant.
12:58Il y a des attaques sidérantes de violence et d'injustice contre Boalem Sansal, contre
13:05Kamel Daoud, le Prix Goncourt.
13:07Qu'est-ce qui peut bien faire peur, et vous avez arpenté le monde, vous avez connu des
13:11dictatures, qu'est-ce qui peut faire peur à un dictateur ou à un régime militaire
13:16dans l'œuvre ou le travail d'un écrivain ?
13:19C'est assez rassurant d'ailleurs, ça veut dire qu'on est lus au moins, il y a au moins
13:25des lecteurs dans ces gouvernements.
13:29Je pense qu'ils ont un souci de contrôle, c'est ça le monde totalitaire, c'est l'idée
13:37de ne laisser rien échapper, de ne laisser aucun espace de liberté, parce qu'à partir
13:42de ces espaces de liberté peuvent se construire des mouvements plus vastes.
13:46Mais je pense que le régime algérien n'est pas exactement… c'est un régime qui a
13:56aussi le souci, et c'est ça mon espoir, de maintenir une certaine forme de respectabilité.
14:03Je pense que ce n'est pas un pouvoir homogène, je pense qu'à l'intérieur du pouvoir,
14:07il y a des gens qui étaient partisans de cette répression à tout crin, puis il y en a qui
14:11commencent à voir qu'en termes d'image ça peut leur coûter cher, et ils ne souhaitent
14:15pas non plus se mettre au banc des nations.
14:17Donc ça va dans les deux sens, et peut-être qu'on peut jouer là-dessus pour espérer.
14:23Sur l'application France Inter, Sylvie demande concernant l'arrestation de Bolem-Sensal,
14:28comment expliquez-vous le silence d'une grande partie des intellectuels de gauche ?
14:31Je pense qu'il y a eu un peu de prudence, parce qu'encore une fois il a été peut-être
14:40un peu imprudent, mais en tout cas récupéré.
14:42Et puis au début, quand il a été incarcéré, il y a eu des réactions politiques de droite
14:49qui ont été très vocales, tout de suite, et ça a donné l'impression, si vous voulez,
14:54qu'il était d'un bord.
14:56Jean Wauquiez, Marine Le Pen, qui ont réagi très vite.
14:58Voilà, et c'est pour ça que moi j'ai dit, c'est comme ça que j'ai commencé mon appel
15:02à l'académie, c'est de dire, ce ne sont pas les politiques qui doivent le défendre.
15:08Ni les politiques, ni les diplomates d'ailleurs.
15:10Les diplomates, ils vont essayer, mais sauf qu'ils sont très mal placés, puisque justement
15:15il est victime de la crise diplomatique.
15:17Alors c'est évidemment compliqué d'espérer de ce côté-là, bien sûr qu'il y a des
15:25diplomates sur place, etc., mais enfin, je pense que les choses se passent bien au-dessus,
15:30ça se passe à l'Elysée, la politique à l'égard du Maroc et de l'Algérie a été
15:35décidée tout à fait au sommet de l'État.
15:38Les diplomates, ils sont héritiers de ces choix.
15:42Et donc, c'est entre les mains d'Emmanuel Macron ?
15:44Alors, oui, mais on ne peut pas imaginer non plus qu'il fasse machine arrière, il ne va
15:49pas dire aujourd'hui, finalement le Sahara, vous voyez, je pense que les choses qui ont
15:54été faites, malheureusement, et faites un peu dans la précipitation, il faut bien le
15:58dire, puisqu'après avoir fait beaucoup d'efforts aux côtés de l'Algérie, d'efforts mémoriels,
16:05tout d'un coup, paf, on a mis la barre de l'autre côté.
16:08Alors ça, on ne peut pas revenir en arrière.
16:10Il y a sûrement, dans le cadre d'une négociation plus globale, peut-être une marge d'approche,
16:17une marge de manœuvre pour le président de la République.
16:19En tout cas, il faut qu'il s'y implique.
16:21En tout cas, merci de porter cette parole forte pour la libération de Boualem-Sensal.
16:24Il y a un autre sujet qui est très différent, mais qui concerne aussi la langue française.
16:29C'est le dictionnaire de l'Académie qui a été rendu public et publié très récemment
16:33et qui a fait véritablement débat, puisque certaines définitions ont pu choquer.
16:39Celle du mot « femme », par exemple, je la cite « être humain défini par ses caractères
16:44sexuels qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants ». Comment
16:49est-ce qu'on peut publier ça, enfin, Jean-Christophe Ruffin ?
16:52Je suis d'accord.
16:53Qu'est-ce que c'est que le dictionnaire de l'Académie ? C'est un processus très
16:58lent, c'est une sorte de palimpseste, puisqu'on revient sans arrêt à la lettre A, en partant
17:03de la lettre Z, etc.
17:04Là, ça a pris 40 ans !
17:05Alors oui, ça prend 40-50 ans, mais on n'est pas pressé.
17:09Vous êtes immortel !
17:11Oui, mais les définitions, en revanche, ne le sont pas.
17:15Moi, je suis partisan, non pas d'une publication, je pense que c'était une erreur, c'est
17:19une erreur de le publier en bloc, c'est-à-dire de dire qu'il y a un dictionnaire, qu'il
17:23y ait des fascicules, qu'il soit daté, en disant « le mot « femme », il est probable
17:28qu'il ait été étudié dans les années 60, si vous voulez ».
17:31Et « négrillon », il y a le mot « négrillon » qui apparaît.
17:34Oui, mais à ce moment-là, ça correspondait à la sensibilité de l'époque.
17:37Si vous me citiez des mots, moi j'y suis depuis la lettre R, je suis arrivé avec la
17:42lettre R.
17:43Après « négrillon » et après « femme ».
17:45Mais si vous me citiez des mots, après la lettre R, où il y aurait des définitions
17:50de ce type, alors là, effectivement, je me sentirais responsable.
17:53« Chacun des grands groupes entre lesquels ont réparti superfacilement l'espèce humaine
17:57d'après les caractères physiques distinctifs qui se sont maintenus ou sont apparus chez
18:00les uns et les autres », etc.
18:01Moi, je suis arrivé à « retour ».
18:05Ah, voilà !
18:06Mais oui, c'est… Alors, sortons de cette polémique, parce qu'elle concerne malheureusement
18:13quelque chose qui a été fait, et que personnellement je regrette, c'est-à-dire la publication
18:16en bloc.
18:17Ce qu'il faut voir, c'est devant.
18:18Heureusement, maintenant, au contraire de ce qui se passait depuis 1635, parce qu'il
18:23faut voir que ça date de là, où le dictionnaire se faisait dans la continuité, lettre par
18:28lettre, avec les outils informatiques, pour la dixième édition, on va pouvoir surplomber
18:33tout ça et aller directement sur les mots qui posent problème.
18:37Et donc, ça va nous permettre, et c'est ce à quoi on travaille en ce moment, de changer
18:41complètement la manière de faire, d'avoir quelque chose de plus instantané, si vous
18:45voulez.
18:46Voilà.
18:47Donc, il faut espérer que dans les prochaines… que la dixième édition sera délivrée de…
18:52Voilà.
18:53De ses…
18:54De ses…
18:55De ses tâches.
18:56Vous avez passé votre vie à voyager.
18:58Je ne sais pas si vous vous sentez enfermé sous la coupole de l'Académie Française.
19:02Vous publiez sur le fleuve Amazon, c'est un carnet de voyage chez Calman Levy, avec
19:07des aquarelles.
19:08Et la lenteur de cette navigation sur le plus grand fleuve du monde, c'est assez curieux
19:16de vous voir mélancolique, de vous découvrir, Jean-Christophe Ruffin, méditatif.
19:23C'est quoi ?
19:24Oui, mais j'étais parti pour… d'abord pour oublier un peu tout ça.
19:28Et puis, j'étais parti avec ma boîte de couleurs et mes crayons.
19:32Et en fait, les aquarelles, les dessins, c'est moi qui les ai faits.
19:35Et c'était le but principal du voyage.
19:37Je voulais décrocher.
19:38Alors là, pour décrocher, je vous conseille l'Amazon, c'est vraiment formidable.
19:41Pas l'Amazonie, j'insiste, parce que l'Amazonie, c'est un sujet très vaste, très compliqué.
19:48Le fleuve, bon, c'est plus simple, il y a un début et une fin.
19:51Ça n'empêche pas d'entendre, malgré tout, des habitants de la ville de Manaus
19:55crier « Macron, Macron », parce qu'ils sont contre l'action du président de la
19:59République, contre la déforestation.
20:02Oui, parce que l'Amazonie, c'est vraiment un enjeu.
20:04C'est pour ça que je ne voulais pas aborder ce sujet en tant que thème.
20:07Moi, j'ai parlé du fleuve, parce que l'Amazonie, c'est un sujet qui est très clivant avec
20:11le Brésil.
20:12Il y a des voix internationales qui disent « L'Amazonie, c'est un bien public mondial,
20:17que ça soit sous la gouvernance d'une sorte d'institution internationale ».
20:24Puis les Brésiliens disent « Non, non, c'est chez nous ».
20:26Et c'est très brutal, cette opposition.
20:28Bon, voilà, mais ça, j'allais dire, c'est un sujet politique, et là, je n'y allais
20:34pas du tout pour faire de la politique, j'y allais pour me laisser couler le long du fleuve
20:38avec ces petits bateaux.
20:39J'ai pris les bateaux qui servent d'autobus, pour les gens qui, juste, vont faire leurs
20:43courses.
20:44Voilà.
20:45C'est devenu un voyage sur plusieurs milliers de kilomètres, sur le fleuve Amazon.
20:49Carnet de voyage Jean-Christophe Ruffin, de l'Académie française, c'est publié
20:54chez Calman Levy.
20:55Merci d'avoir été l'invité de France Inter, ce matin.

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