Anne Fulda reçoit Alice Zeniter pour son livre «Frapper l'épopée» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'Heure des Livres, Alice Zéniter, alors on vous connaît pour vos livres passés dont l'un des derniers, L'Art de Père,
00:07dont toute une moitié du monde. On vous connaît pour votre plume légère, subtile.
00:14Vous venez de publier Frapper l'Épopée, un livre qui est paru chez Flammarion, un beau livre qui nous emmène dans des contrées lointaines,
00:22la Nouvelle-Calédonie, mais c'est la France, la Nouvelle-Calédonie.
00:26Les premiers mots de votre livre, c'est une distance qui ne s'avale pas, d'ailleurs aucune distance ne s'avale.
00:33L'histoire commence dans un avion, on le retrouve l'héroïne du livre, Tass, qui quitte la métropole suite à une rupture amoureuse avec Thomas,
00:43et elle décide de retourner chez elle, sur ses terres, dans cette Nouvelle-Calédonie qu'elle connaît finalement assez mal.
00:51Pourquoi avez-vous choisi de placer votre roman là-bas ?
00:56Alors en fait, il faut savoir qu'en 2019, je suis allée pour la première fois en Nouvelle-Calédonie, un territoire dont je ne connaissais absolument rien.
01:06J'y allais pour présenter L'art de perdre, qui était un livre qui racontait l'histoire d'une famille algérienne immigrée en France,
01:13et qui était très inspirée de ma famille.
01:15Et en arrivant là-bas, j'ai rencontré plusieurs lecteurs et lectrices qui me disaient, vous savez, peut-être on est cousin.
01:21Et je ne comprenais pas du tout pourquoi est-ce qu'on, tout à coup, m'a inventé une parenté à 18 000 km de chez moi.
01:27Et j'ai découvert à ce moment-là qu'il y avait eu des Bagnards algériens, environ 2 000 Bagnards algériens,
01:35qui avaient été envoyés en Nouvelle-Calédonie, puisque ça a été donc une colonie pénitentiaire.
01:40Et que ces Bagnards algériens avaient une descendance qui constituait encore aujourd'hui une diaspora qu'on appelle les Arabes de Calédoune.
01:50Et que beaucoup de ces Algériens aussi venaient de villages cabiles qui n'étaient pas du tout si éloignés que ça de celui de ma famille.
01:57Et donc est arrivée cette question, est-ce que vraiment je pourrais avoir des cousins dans cet archipel du bout du monde ?
02:04D'accord. Alors on se retrouve, c'est vrai que... En fait, vous êtes un peu comme... Enfin, Tass se retrouve là-bas.
02:09Elle a fait plusieurs fois des allers-retours, elle a vécu ses premières années là-bas, mais elle connaît très mal le pays.
02:14On a l'impression qu'il y a un lien un peu assez indéfinissable, d'ailleurs, avec cette contrée.
02:20Et d'ailleurs, vous l'a cité à un moment, elle dit qu'on connaît guère de figures connues de Nouvelle-Calédonie.
02:29Quand on l'interroge, elle cite Atai et Louise Michel.
02:33Oui. En fait, je ne dirais pas que Tass connaît très mal son pays.
02:40Je dirais qu'elle n'est pas sûre de la légitimité qu'elle a à dire qu'elle est chez elle là-bas.
02:45Puisqu'elle n'appartient pas au peuple premier, qui est le peuple kanak,
02:52et qu'elle ne sait pas exactement comment ses ancêtres à elle sont arrivés sur ce lointain caillou.
02:58Et donc elle se pose la question, ça veut dire quoi, chez moi ?
03:01Et d'un autre côté, c'est ce que j'avais aussi envie de raconter,
03:04au-delà des connaissances historiques qu'on peut avoir sur l'histoire de sa famille
03:08ou des convictions politiques qu'on peut avoir sur la nécessité de l'indépendance de ce territoire,
03:14il y a quelque chose de beaucoup plus enfantin et sensuel dans ce qui fait qu'on dit chez moi,
03:19dans ce qui fait qu'on dit la maison.
03:21Et c'est un rapport avec une certaine faune, une certaine flore,
03:25l'idée que la pluie, elle devrait avoir une température acceptable,
03:28pas être une douche froide.
03:30L'idée que les odeurs qu'on doit sentir au réveil, c'est celle-ci et pas celle-là.
03:35Et sur des sensations comme ça, Tass est persuadée que chez elle,
03:39c'est la Calédonie, c'est l'hémisphère sud.
03:41Comme lorsqu'elle parle au début de la température et de la transpiration,
03:45c'est un thème qui en vient, qui prouve que c'est comme ça.
03:50Ça me fait plaisir que vous remarquiez ça, parce que j'avais vraiment envie.
03:55En 2022-2023, j'y suis retournée trois mois en plein été austral.
03:59Et la touffeur, la moiteur, la façon dont on sue en permanence,
04:04c'était une expérience complètement nouvelle.
04:06Et je me suis dit qu'il faut que ça imbibe l'écriture.
04:09C'est pour ça que, par exemple, l'adjectif poisseux revient plusieurs fois.
04:13Il y a une épaisseur humide, résolaire.
04:16On ne peut pas vivre sans ça. C'est omniprésent, en fait.
04:19Et ça construit complètement un habitat et des habitudes.
04:23Bien sûr, et une atmosphère.
04:25Il faut lire le livre, donc Tass, l'intrigue se passe,
04:31elle est professeure de français dans un lycée de Nouméa.
04:36Elle s'intéresse notamment à des jumeaux qu'elle trouve intriguants,
04:43qui sont tatoués, etc.
04:44Et c'est en suivant leurs traces, parce qu'un jour ils disparaissent,
04:48ils s'évanouissent dans la nature, qu'elle va découvrir elle-même
04:52des choses là concernant plus directement.
04:56Dernière question, ce titre frappait l'épopée ?
05:01Je l'ai emprunté à la chanteuse, à la rappeuse Kaze,
05:05dans sa chanson Rêve illimité, un vers qui est
05:08« J'ai frippé la copie » ou « J'ai frappé l'épopée ».
05:11J'aimais l'idée que nous, on ne connaît pas grand-chose
05:15de la Nouvelle-Calédonie.
05:16Si on connaît quelque chose, on va connaître la triste épopée coloniale,
05:20comme si ce paysage avait commencé à devenir vivant
05:24avec l'arrivée des Français dessus, qui nous ont rapporté des récits.
05:28Alors qu'avant même qu'ils mettent le pied là-bas,
05:30que l'amiral d'Entrecaste pose le pied là-bas,
05:32il y a toute une économie et une histoire de cette zone pacifique,
05:37d'île en île, qui est encore racontée aujourd'hui
05:40dans la tradition orale canaque.
05:41Cette histoire, elle ne s'est pas perdue.
05:42C'est juste que nous, on ne sait pas l'écouter.
05:44Donc, il y a à la fois cette envie de frapper l'épopée,
05:48comme on lui mettrait un chassé de l'épopée classique
05:51pour qu'elle s'effondre, et en même temps,
05:53frapper comme on frapperait de la monnaie,
05:55c'est-à-dire graver là, dans la terre, dans le paysage,
05:59selon les notions canaques, que le paysage, c'est de l'histoire.
06:03Donc voilà, écrire différemment l'histoire,
06:06peut-être à même la terre rouge, à même les vagues,
06:08à même les cocotiers.
06:10En tout cas, c'est à lire.
06:11Ça s'appelle donc Frapper l'épopée.
06:12C'est paru chez Flammarion.
06:13Merci Alizé Nitter.
06:14C'est toujours écrit de cette jolie plume.
06:16Je vous le conseille.
06:17Merci.
06:18Merci.