Anne Fulda reçoit Emilie Frèche pour son livre «Le Professeur» dans #HDLivres
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bienvenue à l'Heure des livres, Émilie Frèche, on est heureux de vous recevoir.
00:04Merci.
00:05Vous êtes écrivain cinéaste, vous avez écrit déjà de nombreux livres,
00:09l'un des derniers, Les Amants de Lutetia, mais aussi Un homme dangereux, entre autres.
00:13Et là vous venez de publier, en fait vous allez publier deux livres en même temps,
00:16l'un qui est une pièce de théâtre, Le Professeur, pour laquelle on vous reçoit,
00:19et dans le même temps vous publiez un livre co-écrit avec Michaëlle Pathy,
00:23la sœur de Samuel Pathy, qui s'appelle Le Cours de Monsieur Pathy.
00:26Les deux sont liés chez Albain Michel.
00:29Alors évidemment, cette pièce de théâtre,
00:33elle revient sur les huit jours qui ont précédé l'assassinat,
00:39la décapitation de Samuel Pathy, ce professeur, faut-il le rappeler,
00:43qui est mort le 16 octobre 2020 à Conflans-Saint-Honorin.
00:47Alors pourquoi, obligatoirement on vous demande pourquoi,
00:50vous avez été choquée comme tout le monde et vous vous êtes dit, il ne faut pas oublier ?
00:53Parce que c'est vrai qu'on a l'impression qu'on oublie vite ce type de...
00:56Oui, et puis je crois surtout que dans l'histoire du terrorisme français,
01:00c'est un fait divers, c'est plus qu'un fait divers,
01:03c'est vraiment un fait de société dans le sens où il nous renseigne
01:07moins sur la mouvance islamiste comme les autres attentats
01:11que sur nos propres renoncements en réalité.
01:14Et c'est ça qui m'a intéressée, c'est notre incapacité à nous défendre
01:19face à cet islamisme radical.
01:22Et donc oui, la pièce de théâtre remet en scène les 11 derniers jours
01:26de la vie de Samuel Paty dans ce collège,
01:28et il y a deux mots qui ont guidé mon écriture,
01:31c'est la peur et c'est la solitude.
01:33Et qu'est-ce que fait la peur dans une communauté,
01:36là c'était la communauté éducative,
01:38et comment nous n'avons pas été capables de protéger Samuel Paty,
01:44alors que tous les signaux étaient au rouge, rouge, rouge.
01:50C'est une forme de lâcheté aussi.
01:53C'est toujours difficile de refaire le match une fois qu'il a été joué,
01:57mais ce qui a été pris en compte, c'est le risque de trouble à l'ordre public
02:04qui est la menace proférée par les islamistes.
02:07Et donc l'éducation nationale, le collège, les renseignements territoriaux,
02:11tout le monde va avoir peur de ce risque de manifestation devant le collège
02:16et que le collège soit désigné comme le lieu de la discrimination,
02:21d'un endroit qui serait l'endroit où il y aurait de l'islamophobie.
02:25Donc ils veulent se défendre, ils sont en fait dans une logique défensive.
02:29Et tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux,
02:32les menaces à l'encontre de Samuel Paty,
02:35ils ne les prennent pas en compte,
02:37alors qu'au premier jour de cette affaire,
02:41qui quand même débute sur un mensonge,
02:44parce que cette jeune fille qui l'accuse de discrimination n'est pas au cours,
02:48et ça s'est attesté,
02:50et bien la machine s'emballe.
02:54Et c'est une situation extrêmement...
02:57Pour une pièce de théâtre, c'est très littéraire comme situation,
03:03parce que c'est quand même l'histoire d'un homme
03:05qui doit s'excuser de quelque chose qu'il n'a pas fait.
03:08Donc c'est complètement kafkaïen.
03:10Et j'avais, je crois que si j'ai choisi la forme théâtrale...
03:13Oui, c'est la question que j'ai posée.
03:15Pourquoi une fiction alors que visiblement,
03:17vous appuyez sur des faits réels,
03:20vous avez visiblement travaillé,
03:22et puis notamment avec la sœur de Samuel Paty.
03:25Oui, parce que je pense que la fiction va à un endroit
03:28où aucun autre médium ne peut aller.
03:31C'est-à-dire l'enquête ne peut pas aller à l'endroit où je vais avec la fiction.
03:36C'est-à-dire de recréer ces deux sentiments
03:38qui sont la peur et la solitude.
03:40Qu'est-ce que cet homme a vécu dans sa chair ?
03:44Et je crois que c'est un assassinat qui est tellement injuste
03:48pour quelqu'un qui avait la liberté d'expression
03:50et le principe de laïcité chevillé au corps,
03:53d'avoir été assassiné comme ça.
03:55Il s'est fait décapiter à la sortie de son collège.
03:57Que j'avais envie de lui rendre sa dignité,
03:59j'avais envie de lui rendre sa voix,
04:01j'avais envie de lui rendre son corps.
04:03Je crois que le théâtre permet ça d'être incarné.
04:06Vous parlez de liberté d'expression.
04:08À un moment, le professeur lui fait dire,
04:10et vous savez ce que Voltaire dit au Daesh d'hier,
04:12ce qu'on pourrait encore leur dire aujourd'hui,
04:14je ne croyais pas qu'on eût pu faire mourir un gentilhomme
04:18pour si peu de choses.
04:20C'est vrai que la question qu'on se pose,
04:22c'est quand on lit ce qui s'est passé,
04:24quand on voit d'autres faits divers,
04:26la France est-elle encore un pays de liberté d'expression ?
04:29Oui, bien sûr.
04:31Mais ça dépend du sujet.
04:34C'est un combat en tout cas.
04:36C'est un combat et ce que je dis toujours,
04:38c'est que notre seule force dans une démocratie,
04:40c'est le nombre.
04:42Il faut qu'on soit tous debout
04:44pour que ceux qui soient debout ne soient pas des cibles.
04:48Si vous êtes une petite poignée
04:50à défendre la liberté d'expression,
04:52comme les journalistes de Charlie,
04:54comme Samuel Paty,
04:56vous êtes des cibles.
04:58Si le pays entier se lève,
05:00là on est fort.
05:02Oui, parce que sinon on a des réactions
05:04comme celle tout à fait humaine et compréhensible
05:06du proviseur du lycée Maurice Ravel
05:08qui a préféré démissionner
05:10parce qu'il ne se sentait pas le courage
05:12d'affronter ces menaces.
05:14Oui, mais je crois que c'est pour ça aussi
05:16que j'ai eu envie d'écrire cette pièce.
05:18C'est parce qu'il y a Dominique Bernard derrière,
05:20il y a ce proviseur,
05:22et que les choses n'ont pas beaucoup changé.
05:24Si ce n'est peut-être
05:26le fait que
05:28quand les professeurs ont peur maintenant,
05:30au moins ils font jouer leurs droits de retrait.
05:32Ils comprennent tout de suite que c'est très grave.
05:34Le souvenir de Samuel Paty
05:36est dans toutes les mémoires.
05:38Moi j'ai fait une lecture à Nice
05:40avec Muriel Maillet.
05:42Il y avait 400 personnes.
05:44J'ai des professeurs qui sont venus
05:46se faire dédicacer leurs livres.
05:48Ils étaient vraiment pleurs.
05:50On sent un traumatisme,
05:52une douleur qui est complètement compréhensible.
05:54Je pense que les professeurs aujourd'hui
05:56c'est qu'on les protège, qu'on les considère
05:58et qu'on revalorise
06:00leur travail.
06:02Ça passe aussi par mieux les payer,
06:04mieux les protéger, mieux les entendre.
06:06C'est vrai que c'est un beau texte.
06:08C'est prenant, glaçant,
06:10nécessaire.
06:12Ça s'appelle Le Professeur.
06:14Ça sortira en même temps
06:16que Le Cours de M. Paty,
06:18un livre que vous avez co-signé avec Michael Paty.
06:20Les deux se paraissent chez Albin Michel.
06:22Merci beaucoup, Émilie Frèche.
06:26Sous-titrage Société Radio-Canada