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Anne Fulda reçoit Emilie Frèche pour son livre «Les Amants du Lutetia» dans #HDLivres

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00:00 - Bonjour Émilie Frèche. Alors on vous connaît, vous avez déjà publié de nombreux romans,
00:04 "Un homme dangereux" notamment, et là vous venez de publier "Les amants du Lutetia". C'est paru chez
00:10 Albin Michel et c'est un livre qui retrace finalement une histoire d'amour
00:15 exclusive,
00:17 dévorante,
00:18 qui se finit par un suicide, et puis aussi l'histoire d'une époque.
00:21 Alors elle vous a été inspirée, si j'ai bien compris, d'un fait divers que vous aviez lu dans la presse. - Exactement. - En 93.
00:27 - En 2013. - En 2013, pardon. - Un couple d'octogénaires, 84 et 86 ans,
00:32 ont réservé une chambre au Lutetia, y ont passé leur dernière nuit.
00:36 Ils ont commandé leur petit déjeuner et quand le serveur
00:41 d'étage leur a apporté leur petit déjeuner, il les a trouvés morts, main dans la main, avec un sac plastique
00:46 sur la tête. Ce fait divers m'a absolument bouleversée. Évidemment ça convoquait des grandes figures
00:52 de la littérature et des couples, parce que les pactes suicidaires, il y a quelque chose de l'amour absolu.
00:57 Et donc je me suis emparée de cette histoire pour la raconter du point de vue de leur fille unique,
01:03 qui découvre
01:04 un 1er septembre alors qu'elle part sur son premier chantier de la journée. C'est une journée de rentrée où tout est à nouveau possible.
01:10 Et le commissaire de police l'appelle pour lui dire que ses parents ne sont plus.
01:14 - Alors ses parents ce sont Ezra et Maud Kerr, elle c'était Léonore, et ils lui ont laissé une lettre pour plus ou moins expliquer,
01:22 enfin pour expliquer leur geste,
01:25 disant notamment "pour nous l'histoire était terminée". Il faut dire qu'ils se sont écrit une histoire absolument
01:30 fabuleuse,
01:32 originale, gai, du moins de leur point de vue.
01:35 - C'est des gens extrêmement
01:38 fantasques, audacieux, nés sur les cendres de la guerre, qui ont tout inventé.
01:42 Qui ont inventé leur métier, parce que ça a été des grands publicitaires.
01:46 Donc ils savent ce que c'est aussi de soigner leur image, et c'est des gens qui ont quitté la vie comme on quitte une fête,
01:53 finalement, avant que ça dégénère. Que ça dégénère aussi physiquement pour eux, et c'est vraiment le maintien de leur superbe.
02:00 - Oui parce qu'en fait ils mettent en scène même leur
02:04 disparition, ils s'en vont de la scène avec les honneurs, leurs funérailles sont totalement
02:10 magnifiques et excentriques. Alors ce qui est amusant c'est qu'on voit leur petit-fils Simon,
02:16 qui s'empare du sujet pour en faire une sorte d'acte militant en faveur de mourir
02:22 dans la dignité, et la fille Eleonore qui elle, le prend pas vraiment de la même façon, parce qu'elle le prend comme
02:28 une blessure, un acte égoïste finalement.
02:31 - Moi ce que j'ai vraiment voulu explorer au moment de la revendication de ce droit à mourir dans la dignité, c'est que jusqu'à présent dans
02:37 nos sociétés occidentales,
02:39 la mort était l'affaire des vivants.
02:41 Et
02:43 l'individualisme poussé à l'extrême fait que maintenant aujourd'hui on considère que la mort doit appartenir à ceux qui meurent.
02:49 Mais comment
02:51 font ceux qui restent dans cette espèce de grand abandon ?
02:54 Et Eleonore elle est abandonnée bien sûr, elle est dépossédée de sa possibilité d'être fraternelle.
03:02 Parce que c'est très important aussi de pouvoir accompagner les siens
03:05 dans leur vulnérabilité et dans leur départ. Et elle se retrouve privée de tout, tout a été décidé pour elle, ce qui est très dur.
03:12 Il y a un homme de confiance qui est là entre elle, la succession, le patrimoine, et elle ne peut être que dans l'acceptation.
03:19 C'est assez insupportable. Ses parents ont tout décidé, ils ont même décidé qu'il fallait qu'elle garde une maison de vacances,
03:25 qui est très symbolique de ce qu'ils ont été.
03:27 Et en fait il y a une forme de rébellion qui naît en elle.
03:31 La seule chose qui lui reste, c'est son pouvoir de signature pour refuser cet héritage. Mais cet héritage qui est cette maison des bulles,
03:38 très symptomatique de cette époque, elle est aussi la maison
03:41 d'enfance de son fils.
03:43 Et donc le seul qu'elle va punir en faisant cet axe de rébellion vis-à-vis de ses parents, c'est son fils.
03:49 Et donc ce que ce livre raconte aussi, c'est que la réconciliation avec les parents passe souvent, parfois,
03:55 par les petits-enfants. Les petits-enfants arrivent à faire comprendre à leurs parents
03:59 qui ont été leurs grands-parents. Et cette chaîne pour moi, elle est très importante parce que c'est la possibilité de
04:06 de réparation.
04:09 De réparation possible. Et au final ça devient pour moi un livre d'amour.
04:14 Oui, ça se termine effectivement comme ça. Et avec aussi en filigrane ce qui est amusant,
04:19 le portrait d'une époque. C'est vrai ce que vous disiez tout à l'heure. Ces gens qui sont nés après la guerre.
04:24 La publicité a été considérée presque comme un art, un nouvel art vivant.
04:28 Ils ont su se mettre en scène, mettre en scène les objets de la vie de tous les jours.
04:33 Ils ont créé des désirs nouveaux. Ils ont maîtrisé les désirs des gens.
04:38 Oui, c'est vrai qu'aujourd'hui on est beaucoup dans l'idée de critiquer cette génération qui nous laisse un monde terrible d'un point de vue écologique, etc.
04:46 Mais cette génération-là, on leur a laissé un monde pire encore, puisqu'ils sont nés sur les centres d'un génocide.
04:52 Et du communisme aussi qui a fait tant de morts.
04:55 Donc,
04:56 c'est aussi un peu une manière de réhabiliter ce qu'il y avait bien dans cette époque. Il n'y avait pas tout de bien.
05:01 Mais j'avoue que cette audace, cette fantaisie, cette liberté,
05:07 elle a quelque chose d'absolument enivrant. C'était des gens qui vivaient à 100 à l'heure.
05:11 Cette image de conduire sans ceinture, de boire, de fumer, de danser.
05:16 D'être dans la beauté des choses aussi. C'est des esthètes.
05:20 C'est tout ça que j'ai eu envie aussi dans ce livre de mettre en lumière.
05:23 En tout cas, c'est très réussi. Ça s'appelle donc "Les amants du Lutetias". On ne lâche pas.
05:29 C'est paru chez Albin Michel. Merci beaucoup, Emilie Frèche.
05:32 Merci.
05:34 [Musique]
05:38 [SILENCE]

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