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Excerpt from "Story of My Life" by Giacomo Casanova (1725-1798)
with LIA and LIONEL BAILLEMONT
Images by Claudia Zeischka
Adaptation of the text and creation: Lionel Baillemont
©2024 OpheliaFilm
http://opheliafilm.com/
Transcription
00:00Il m'est encore arrivé une histoire incroyable avec madame la marquise.
00:30J'ai tout noté à nouveau sur du papier afin de pouvoir te raconter le plus fidèlement les événements.
00:37Me trouvant un jour dans la chambre de madame la marquise,
00:40et alors que sa femme de chambre lui épointait ses longs cheveux en ma présence,
00:45je m'amusais à ramasser toutes ces jolies petites coupures
00:49et je les posais au fur et à mesure sur sa toilette.
00:52A l'exception d'une petite mèche que je mis dans ma poche,
00:59pensant qu'elle n'y aurait pas pris garde.
01:02Mais aussitôt que nous fûmes seules,
01:04elle me dit un peu trop sérieusement de tirer de ma poche les cheveux que j'avais ramassés.
01:09Une rigueur pareille me parut aussi cruelle qu'injuste,
01:14mais j'obéis.
01:16Mais je jetais les cheveux sur sa toilette de l'air le plus dédaigneux.
01:21« Monsieur, vous vous oubliez ? » me lança-t-elle d'un ton déplaisant,
01:27à quoi je lui répartis « Non, madame, car vous auriez pu faire semblant
01:34de ne point vous être aperçue de cette innocente larcin. »
01:42Sais-tu ce qu'elle osa me rétorquer ?
01:44Non.
01:46On se gêne à faire semblant.
01:48Quel ablon !
01:51Je tentais à nouveau de plaider ma cause.
01:53« Mais que pouvez-vous soupçonner de si noir dans mon âme pour un vol aussi puéril ? »
01:59À quoi elle me répondit « Rien de noir,
02:04mais les sentiments qu'il ne vous est point permis d'avoir pour moi. »
02:10Des sentiments auxquels vous pouvez ne point répondre, madame,
02:13mais qui ne peuvent être défendus que par la haine ou l'orgueil.
02:17Si vous aviez un cœur, vous ne seriez victime ni de l'un ni de l'autre,
02:21mais vous n'avez que de l'esprit,
02:23et il doit être méchant par le soin que vous mettez à m'humilier.
02:27Il en sèche, en dernier trait.
02:29Bien envoyé.
02:32Puis je sors, et ne m'entendant pas rappeler, je vais m'enfermer dans ma chambre,
02:36dans l'espoir de me calmer par le sommet.
02:39Je me déshabille et me mets au lit.
02:48Dans ces sortes de moments,
02:50un amoureux trouve détestable le jeu qu'il aime.
02:53Son amour changé en dépit,
02:55ne tisse-t-il plus que la haine et le mépris ?
03:00Il me fut impossible de m'endormir,
03:02et quand on va me chercher pour souper,
03:04je fis dire que j'étais malade.
03:08La nuit se passa sans que je fermasse les yeux,
03:11sans que j'entende rien.
03:13Malade.
03:15La nuit se passa sans que je fermasse l'œil.
03:19Enfin vers midi, j'entendis ma belle-dame entrer dans ma chambre.
03:24L'inquiétude, la diète et l'insomnie
03:29me donnaient réellement l'air malade.
03:33Et j'en étais ravi.
03:36S'approchant affectueusement de mon lit, elle me dit
03:40Qu'avez-vous, mon pauvre Casanova ?
03:45Un grand mal de tête, madame,
03:48dont je serai guéri demain.
03:50Pourquoi voulez-vous attendre demain ?
03:53Il faut vous guérir de suite.
03:55Je vous ai ordonné un bouillon et deux œufs frais.
04:00Inutile, madame.
04:02La diète seule peut me guérir.
04:07L'eût lancé d'une voix d'agonie.
04:11Mais loin de s'en retourner, elle saisit ma main tout en me disant
04:14qu'elle serait charmée de me voir prendre au moins le bouillon.
04:19Et en la retirant,
04:23je sentis qu'elle me laissait un petit paquet
04:28au creux de la main.
04:31Ensuite, elle fit mine d'aller examiner une peinture
04:34accrochée au mur.
04:37Un petit paquet ?
04:39Que contenait-il ?
04:43J'ouvre le paquet.
04:47Je sens...
04:49des cheveux.
04:52Je m'empresse de les cacher sous la couverture.
04:55Mais en même temps, je me sens monter le sang à la tête.
04:59Car voulant réparer l'avarice sentimentale qu'elle avait montrée
05:02en m'obligeant à lui remettre ses petites coupures de cheveux,
05:06elle m'en avait donné une mèche
05:10suffisante pour en faire une tresse.
05:14Je demande de l'eau.
05:16Elle s'approche et semble effrayée de me voir aussi enflammée.
05:20Tandis qu'elle venait de me voir pâle et défait il y a un instant à peine.
05:26Elle me donne un verre d'eau.
05:28Et je lisais sur les traits de cette femme adorable
05:31l'amour,
05:33la pitié
05:35et le repentir.
05:43Dès le matin suivant, riche de ses cheveux,
05:46je cours chez un confiturier dont la fille était aussi brodeuse.
05:52Je la fis broder devant moi un bracelet de satin vert
05:55orné des quatre lettres de nos noms.
05:58Avec le reste, elle me confectionna un cordon très mince.
06:03À l'un des bouts, je fis mettre un ruban noir formant l'acet
06:07et qui aurait pu me servir à m'étrangler
06:11si jamais l'amour m'avait réduite au désespoir.
06:17Ce qui eût été dommage,
06:19car nous n'aurions pu alors jouir l'un de l'autre.
06:24Heureusement, l'amour ne m'a jamais poussé à de telles extrêmes
06:28même s'il m'a valu bien des déboires
06:32ou bien des déceptions.
06:35Vous me parliez aussi d'un confiturier.
06:38Oui, car ne voulant rien perdre d'un bien si précieux,
06:41je me mets à couper avec des ciseaux ce qu'il me restait de cheveux.
06:46J'en fais une poudre très menue
06:48et j'engage le confriseur à les mêler
06:52en ma présence
06:54dans une pâte d'ambre, de sucre, de vanille, d'angélique,
06:59d'alkermes et de styrax.
07:04Une fois prête, je fis mettre les dragées
07:06qui résultaient dans une belle bonbonnière
07:09de cristal de roche.
07:13Dès que je me retrouvais en bonne compagnie,
07:17je me délectais de mes dragées
07:19et personne n'osait m'en demander
07:21parce que j'avais dit qu'elles coûtaient fort cher
07:23et qu'il n'y avait pas dans toute la ville de confiseurs
07:25capables d'en produire de pareils
07:29ni de physiciens en état d'en faire l'analyse.
07:34Ne serait-ce pas celle-ci ?
07:36Oui.
07:38Pour autant, je ne les imagine pas comme un filtre amoureux
07:41et je suis loin de supposer que les cheveux
07:43puissent les rendre plus exquis.
07:47Mais une superstition amoureuse me les fait chérir
07:51et j'en jouis en pensant qu'ainsi je m'identifie
07:54à quelques parcelles de lettres
07:58que j'admire en secret.
08:00Puis-je ?
08:02À toi.
08:04Que pourrais-je te refuser ?
08:07Merci, monsieur de Casanova,
08:10de m'autoriser à commettre
08:12un si innocent larcin.