Philippe Jaenada

  • le mois dernier

Tous les jours dans Culture Médias, Thomas Isle dresse le portrait sonore de l'invité. Ce mercredi, c’est Philippe Jaenada, écrivain, pour son livre "La désinvolture est une bien belle chose" aux éditions Mialet-Barrault.

Retrouvez "Le portrait sonore de l'invité" sur : http://www.europe1.fr/emissions/le-portrait-inattendu

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Transcript
00:00Et merci d'être avec nous pour la suite de Culture Média, les deux plus grands lecteurs
00:06de la bande nous ont rejoint Sébastien Bordenat pour les Bandes Dessinées, salut Seb, et
00:12Nicolas Caro pour la littérature, bienvenu, et alors j'ai la chance de recevoir ce matin
00:18l'une des idoles de Nicolas Caro, le roi de la digression et des parenthèses, auteur
00:23ces dernières années de livres enquêtes comme La Serpe, récompensée du prix Féminin
00:272017, bonjour Philippe Jaénada, merci beaucoup d'être là ce matin pour parler de l'un
00:32des livres importants de cette rentrée littéraire foisonnante, comme toutes les rentrées littéraires
00:37d'ailleurs, La Désinvolture est une bien belle chose, on va en parler dans un instant
00:42mais d'abord on va adresser votre portrait sonore, des petits sons pour mieux vous connaître
00:46et voici le premier.
00:483615 Hula, le diable au corps, que de souvenirs qui remontent d'un seul coup sous la table,
00:593615 Hula, en me penchant sur votre biographie, ça m'a tout de suite sauté aux yeux évidemment,
01:05j'ai l'œil sélectif, vers l'âge de 21 ans vous avez été animateur de Minitel
01:10Aurora, animatrice, et je pense que j'ai été la première animatrice de Minitel du monde,
01:16la première animatrice internet presque, puisque le Minitel c'était en France, j'étais le premier
01:21en France. Vous êtes sûr d'avoir été le premier ? Dans un petit groupe, c'était une annonce dans
01:26Paris Boum Boum, je sais pas si... Oui bien sûr ! Si vous aimez le Minitel, venez travailler avec
01:36votre passion, et les Minitel n'existaient presque pas, ils avaient été distribués à quelques foyers
01:41test, dont mes grands-parents, donc je me suis présenté, on était trois, quatre, et donc j'ai
01:45passé huit heures par jour, pendant un an et demi, à m'appeler Claire ou Sophie, j'avais deux
01:51personnalités. Elles étaient différentes toutes les deux ? Sophie était un peu la chaudasse,
01:57et Claire était l'intello, mais si on la titillait un peu, le volcan ! Donc là il y a des auditeurs
02:04d'Europe 1 qui sont en train de découvrir qu'en parlant à Claire, ils vous parlaient à vous.
02:08Ils ne doivent pas être tout jeunes, parce que c'était en 1985. Ce qui est beau, c'est que vous
02:13dites que c'est là que vous avez découvert le pouvoir des mots. Alors je le dis un peu pour
02:18forger mon portrait, avec l'heure cul, à ce moment je me suis pas dit ça, mais avec l'heure cul, je me
02:23dis, je disais, je suis Claire, j'écrivais, attends, je sors de ma douche, je mets ma culotte et
02:29j'arrive. Le mec était fou, avec une phrase, le mec devenait fou, parce qu'à l'époque c'était
02:33beaucoup plus soft qu'aujourd'hui, donc quelques mots suffisaient, mais avec l'heure cul, je me dis,
02:38j'avais jamais écrit de ma vie, je lisais pas ni rien, et je me suis rendu compte qu'en tapant
02:42avec ses doigts quelques mots, à 500 kilomètres de là, il y avait un type qui était en sueur et
02:46tremblant. Mais vous étiez encore loin d'imaginer que vous alliez devenir écrivain à l'époque,
02:50vous étiez plutôt mateux d'ailleurs. J'avais plus de chance d'être patinose artistique à mon avis.
02:53A l'extrait suivant.
02:56Seul au monde de Corneille, parce qu'après cette expérience, vous vous êtes enfermé pendant un an
03:10chez vous, tout seul. Pourquoi ? Vous étiez en déprime à ce moment-là ?
03:14Alors si vous avez 3-4 heures d'émission, je peux vous expliquer. Pas en déprime,
03:18mais j'allais pas bien du tout. J'avais 24 ans, j'allais pas bien du tout, je pétais complètement
03:24les plombs. Et je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose, soit je me fais interner en
03:27psychiatrie, c'était vraiment, j'allais jusqu'à des trucs d'automutilation et tout. Alors que
03:32maintenant je suis tellement placide. Vous saviez pas ce que vous alliez faire de votre vie ?
03:37Non, rien. Je n'avais aucun projet, ça me dérangeait pas de parler de projet,
03:40mais je pensais à rien de spécial. Et puis j'avais pas trop envie de me faire interner.
03:45Et à ce moment-là, il y a une... Oui, c'est une phrase un peu crétine. Il y a une jeune femme,
03:52je vois à la télé, une jeune femme qui sort d'une grotte où elle avait passé trois mois,
03:54Véronique Le Gouen elle s'appelait, pour des expériences sur les rythmes du sommeil,
03:59de nourriture, etc. Et elle sort, elle est au journal de 13h, et elle a sorti Véronique Le Gouen.
04:04Et je me dis, je vais faire pareil. Je vais m'enfermer dans une grotte. Alors j'avais pas
04:08de grotte à l'époque, donc je me suis dit, je vais m'enfermer chez moi. Comme c'est plus
04:12facile que dans une grotte, je vais pas faire trois mois, je vais faire un an. Et voilà,
04:14je me suis séparé de mon téléphone, il n'y avait pas d'ordinateur à l'époque,
04:18mais ma radio, ma chaîne IFI, tout ce qui pouvait me relier au monde extérieur,
04:22j'ai fermé mes volets. Et vous avez fait quoi pendant un an ? Rien. Et quand j'y repense,
04:26je me demande comment... Je ne faisais rien, j'avais pas d'occupation, je lisais pas.
04:30Oui. C'est-à-dire que je voyais à travers mes persiennes quand il faisait jour,
04:34donc je me levais, je m'asseyais sur un fauteuil et j'attends. Là,
04:37ça me paraît fou quand je vous le dis. Et vous vous êtes mis à écrire quand même,
04:40au bout d'un moment. Oui, mais alors vraiment, c'est juste parce que je m'ennuyais tellement.
04:44Enfin, c'était un tel ennui. Un an, deux, trois mois, on se dit, oh, quelle expérience de dingue,
04:47formidable, je suis en train de faire un exploit, je n'ai rien fait depuis trois mois. Et au bout de
04:52cinq, six mois, sept mois, on devient dingue. Et donc, je pense que si j'avais eu une guitare
04:58chez moi, je me serais mis à jouer de la guitare pour m'occuper. Et j'avais pas de guitare,
05:02j'avais un papier, des feuilles de papier, un stylo. Et donc, pour me distraire et puis aussi
05:06pour que, ça aussi, je l'ai pensé avec le recul, pour que quelque chose sorte de moi. Parce que je
05:11ne parlais pas du tout. C'est-à-dire que même pour dire, j'ai fait un rêve bizarre ou je me suis
05:17cogné comme un crétin contre la porte de ma salle de bain, enfin, je n'en sais rien, je ne pouvais
05:23le dire à personne. Et donc, c'est là que je me suis rendu compte, sans tomber dans les clichés,
05:26on a besoin quand même qu'il y ait des trucs qui sortent de soi, de s'exprimer un petit peu. Et
05:31donc, voilà, je me suis mis à écrire. Vous avez commencé à écrire des nouvelles et puis,
05:33on vous a approché pour traduire des livres pour la collection « J'ai lu ». Sauf que vous vous
05:38êtes rendu compte que vous ne parliez pas très bien anglais. Donc, vous vous êtes mis à broder
05:42un peu, c'est ça ? Les traductions étaient plus longues que l'original ? Je suis vraiment le
05:45tocard en fait. Je vais faire croire que je suis une femme sur minétaire, je vais faire croire que
05:49je parle anglais. Oui, oui, c'était sur un malentendu. Il y a une femme qui a cru que je
05:56postulais pour être traducteur et je pensais qu'elle plaisantait. Et donc, j'ai dit oui,
05:59bien sûr, j'ai passé des années aux Etats-Unis, je parle anglais. Elle m'a dit « je vais vous
06:03envoyer un chapitre test ». Et j'ai acheté un gros dictionnaire. J'ai mis onze jours à traduire
06:11trois pages très bien. Elle m'a dit « formidable ». Et à partir de là, j'ai été un des traducteurs
06:14les plus prolifiques. Et alors, comme j'étais payé à la page en français, elle me donnait,
06:19c'était des livres, je serais nul en vrai traducteur, c'était des trucs d'horreur ou
06:24passion sous les tropiques. Si elle m'envoyait un livre de 110 pages, je rendais un truc de 450
06:30pages. J'ai été payé en français et ça semblait plaire à tout le monde. J'ai fait ça pendant 3,
06:384 ans. Déjà, ce goût de la digression. Je l'ai découvert là, c'était pour le fric en fait.
06:43Les écrivains étaient très mauvais, mais ils devenaient géniaux une fois que c'était traduit.
06:48Et puis, vous avez écrit votre premier roman tellement drôle, « Le chameau sauvage ». Premier
06:52roman qui reçoit le prix de flore et qui va même avoir une seconde vie après sur grand écran
06:56avec A+, Pollux. Et puis aujourd'hui, ce livre dont on va parler dans un instant, « La désinvolture
07:02est une bien belle chose ». C'est un bien beau titre d'ailleurs, Phil Ugea et Nada. Et on en
07:07parle dans une minute sur « En reprint » tout de suite.