• il y a 4 mois
Xerfi Canal a reçu Gabriel Lomellini, professeur assistant à ICN Business School et membre du CEREFIGE, pour parler de l'apport de Barthes pour penser l'amour dans l'entreprise.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis. 

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Transcription
00:00Bonjour Gabrielle Lomellini, vous êtes professeure assistant à ICN Business School,
00:14vous êtes membre du Sérré-Fige. Gabrielle Lomellini, j'adore le titre de votre papier.
00:19Les organisations rêvent-elles d'amour, les mille et un visages dérosent au travail ? C'est dans
00:24la revue française de gestion numéro 312. Vous nous dites, il faut parler d'amour,
00:29finalement les sciences de gestion ce sont les sciences de l'amour, il faut aller chercher
00:33Roland Barthes si on veut sérieusement instruire le sujet. Génial. Oui, allons chercher Roland
00:38Barthes. L'idée initiale, pour résumer un peu l'intention, il y en avait deux. La première,
00:44c'est quand même que Roland Barthes a été un précurseur dans l'étude, disons, de la culture
00:48populaire au sens large, des magazines populaires, des publicités, pour en extraire ce qu'il appelait
00:54une mythologie, donc un ensemble de signes, d'images qui font sens au niveau collectif. Donc,
00:59ça, c'est la première chose, méthodologiquement, j'ai trouvé ça très fort. Il y avait d'ailleurs
01:04un article paru dans la revue française de gestion qui parlait de la mythologie des marchés,
01:07comment les marchés économiques sont eux-mêmes des mythologies qui sont construites. Effectivement.
01:11Et l'autre point, évidemment, c'est le discours amoureux, le fragment du discours amoureux chez
01:15Barthes. À l'époque où il écrit ce livre, il explique qu'il n'y a pas de grande théorie pour
01:20penser l'amour. Alors, le marxisme le laisse de côté, la psychanalyse, finalement, n'en parle pas,
01:24elle rabat ça sur d'autres sujets. Et donc, il y a un grand vide, une grande solitude du discours
01:29amoureux. Et là, le paradoxe, je me suis dit, mais c'est étonnant parce que quand on parle d'amour ou
01:34quand on parle d'organisation, finalement, on ne parle pas de gestion. Et pourtant, les gestionnaires,
01:40constamment dans leur pratique et dans la recherche aussi, ont affaire à ces phénomènes-là. On pense
01:45à des phénomènes de leadership, mais en fait, on parle aussi d'idéalisation, presque d'attachement
01:50amoureux. On parle de quitter son travail, mais il y a aussi des formes de déception qui sont
01:55là encore très fortes, très proches de la déception amoureuse. On est licencié, la souffrance.
01:58Complètement. Et parfois la violence, d'ailleurs. Parce que l'amour, ce n'est pas toujours de
02:03tourpeau. Alors, là aussi, c'est un élément que Barthes prend en compte. L'amour, c'est aussi le
02:08chagrin, la rupture, la violence, la jalousie. Des phénomènes qu'on voit constamment dans les
02:12organisations, sans forcément aller jusqu'à des cas beaucoup plus graves et qui existent, de
02:16burn-out, de suicide. Et on se dit, alors là, mais pourquoi la gestion, finalement, ne devrait pas être,
02:22disons, une science de l'amour ? Ou en tout cas, d'expliquer ces phénomènes amoureux dans
02:26l'organisation. La gestion pourrait être ce discours amoureux. Alors, évidemment, en quoi le recours à
02:31Barthes, au-delà de ça, nous permet de nous instruire concrètement, nous permet de penser
02:37l'amour dans l'entreprise ? Je pense qu'il est très fort. En tout cas, ce qui m'a beaucoup
02:41impressionné dans ce fragment du discours amoureux, et que j'ai voulu reproduire, c'était cette idée
02:45qu'on ne peut pas avoir une théorie uniquement monolithique de l'amour ou du discours amoureux.
02:50Il faut passer par des fragments, par plusieurs disciplines. Il faut le penser aussi autrement.
02:56Donc, le point de vue que j'essaie d'apporter en utilisant Barthes, c'est de dire, utiliser l'amour
03:00comme prisme, comme cadre de lecture des phénomènes organisationnels, alors là, ça ouvre un champ,
03:05peut-être, d'exploration à la pratique et à la recherche, que je ne suis pas le seul ou le premier
03:10à avoir exploré, il y a d'autres chercheurs avant moi, mais je dis, là, il y a quelque chose.
03:14Et ces figures du discours amoureux que prend Barthes, il prend des figures au sens d'idéotypes,
03:19de grandes figures. On pourrait parler, effectivement, de rivalité, de jalousie, de passion.
03:24Est-ce qu'il est possible aussi d'avoir un amour heureux ? C'est la question que pose Barthes.
03:28Est-ce qu'on peut être heureux en amour ? Donc, je trouve que le fait de poser le discours amoureux
03:33comme étant fragmentaire par nature et comme étant passionnel, là, on ouvre des portes en gestion
03:38qui peuvent peut-être aussi faire en sorte que la gestion redevienne ou réoccupe une place
03:42au centre des discussions sociales, politiques et médiatiques, en devenant une science de l'amour
03:46ou du discours amoureux. Une science de l'amour ou du discours amoureux. On est aux antipodes
03:51d'un discours froid, calculateur, rationnel, comme on l'a, par exemple, dans une discipline comme la finance.
03:57Et on sait qu'il y a toujours beaucoup de frictions entre stratégie-finance, représentation,
04:03l'entreprise comme contrat versus l'entreprise comme un lieu, une aventure collective, etc.
04:08Pour tout ça, il est urgent de recourir à Barthes.
04:11Effectivement, il y a un rapport à la gestion. Alors, on parle de la finance, mais je pense que même
04:17plus large en théorie des organisations, les grands auteurs de la théorie des organisations,
04:21ce sont des auteurs qui ont travaillé à partir d'un prisme rationnel, rationaliste.
04:24Et on se dit que ce qui se passe au travail, comme ce qui se passe dans la vie, ça déborde
04:28le cadre de la raison. Et là, on touche à quelque chose de passionnel.
04:31Et Barthes retrouve cet élan passionnel et c'est à la gestion de s'en emparer, je pense.
04:36C'est à la gestion de s'en emparer. En tout cas, c'est un beau programme de recherche.
04:39Et évidemment, on rappellera que la question de savoir l'entreprise familiale,
04:44si on ne parle pas d'amour dans l'entreprise familiale, évidemment,
04:47gérer une entreprise, c'est toujours gérer une famille.
04:49Et tous les sujets, finalement, on les voit différemment si on prend le prisme de l'amour.
04:54Merci à vous.
04:54Merci.
05:01Sous-titrage Société Radio-Canada

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