• l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Ibrahima Fall, docteur en sciences de gestion Mines Paris PSL et Président-fondateur d'Hommes & Décisions, pour parler d'un retour du réel en management.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Yves Brahimafal.
00:10Bonjour Jean-Philippe.
00:11Brahimafal, vous êtes président fondateur d'Hommes et Décisions, vous publiez L'Entreprise
00:16contre la connaissance du travail réel, point d'interrogation, édition L'Armatant,
00:20sous titre L'Humain d'abord, entre guillemets, ou le syndrome du sacrifié en premier.
00:25C'est un ouvrage qui se veut lucide, qui se veut lucide et donc de redonner des moyens
00:30d'action aussi.
00:31Alors, dans votre ouvrage, il y a trois temps, il y a un temps de constat sur les symptômes
00:39du grand effondrement de la pensée, et puis vous nous dites, deuxième temps, en fait
00:46le réel c'est ce contre quoi on se cogne, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'on
00:52se cogne pas mal, crise sanitaire, guerre en Ukraine aujourd'hui, etc.
00:58Le réel il nous cogne, l'inflation elle nous cogne aujourd'hui.
01:01Complètement.
01:02Je pense que penser le travail, donc penser le management sans penser le travail, il y
01:06a forcément des conséquences.
01:07La première conséquence, c'est bien sûr le déni du réel, qui se manifeste par le
01:12truchement des enjambeurs, les fameux enjambeurs qu'on retrouve chez les chercheurs, voilà,
01:18donc qui écrivent des choses, des fois il faut être extrêmement rigoureux pour y
01:25voir de la science, c'est pas tous les chercheurs, mais il y a beaucoup de chercheurs en management
01:29ou en économie qui traitent des organisations, qui écrivent des choses, ce sont plutôt
01:34des professions de foi, on les retrouve aussi chez les consultants, les fameux adeptes des
01:40bonnes pratiques, et puis on les retrouve aussi dans les entreprises.
01:44Aujourd'hui, on suppose que quelqu'un qui est bon techniquement peut être un manager,
01:48voilà.
01:49Et donc le déni du réel se manifeste aussi par le mythe de la solution, aujourd'hui quand
01:54on parle de management, on cherche des solutions, on oublie totalement que pour un problème
01:59managérial ou politique, il n'y a pas de solution, il y a des arrangements, il n'y
02:03a pas de solution.
02:04Et puis il y a aussi le fait d'avoir des croyances très limitantes, les structures
02:10c'est l'organisation, le travail prescrit c'est le travail réel, la dite compétence,
02:17qu'elle soit soft ou hard, il existerait un lien de causalité entre cette dite compétence
02:29et la performance, voilà.
02:30Et puis on a d'autres types de croyances très enfouies qui font qu'on a du mal à
02:35commercer avec le réel.
02:38L'autre sujet qui me paraît important c'est, une fois qu'on nie le réel, on pense que
02:44le management est neutre, on peut l'appliquer à tout, par exemple on l'applique au management,
02:51on l'applique à la santé, on a le management hospitalier.
02:55Le problème c'est que tout ce qui est efficace dans le soin est invisible et donc si on enlève
03:03tout ce qui est efficace, qu'est-ce qui reste ?
03:05Il reste juste à manager les hôpitaux comme on manage des halls de gare, voilà.
03:11On l'a aussi dans le management de la recherche au fait, si on minimise les coûts et on maximise
03:21les gains, qu'est-ce qu'on fait ? On va faire des appels à projets avec des ROI,
03:26des retours sur investissement qu'on peut calculer et on va faire fi de la recherche fondamentale
03:33qui est extrêmement importante au fait. Et donc on se retrouve, lorsqu'on a une crise,
03:37comme la crise qu'on vient d'avoir, on a du mal à trouver très vite la solution parce que pendant
03:44des années on n'a pas financé la recherche fondamentale sur les virus. Donc ça ce sont
03:50des impacts très très clairs. L'autre point qui me paraît important c'est qu'une fois qu'on a
03:55nié le réel, une fois qu'on a dit que le management était neutre et qu'on l'applique à tout, il se
04:03passe qu'à un moment donné on se heurte au réel. Le réel ne prend jamais personne par surprise. Et
04:09donc qu'est-ce qu'on fait ? On sort de son chapeau la responsabilité sociale et environnementale des
04:19entreprises. Là aussi, sans se poser la question fondamentale, est-ce qu'on peut être totalement
04:26efficace et responsable ? Moi je pense que non, il faut faire des choix. À un moment donné,
04:31entre être responsable et être efficace totalement, il faut faire des choix. Et ce
04:39choix-là, Jacques Ellul en a parlé, c'est une sorte d'éthique de la non-puissance. Il y a un prix
04:44à payer. Donc on occulte totalement ce fait et on va dans des discussions philosophiques etc. Alors
04:53que le vrai enjeu c'est une lutte entre l'intelligence de rapte et l'intelligence sceptique.
05:00Il y a un vrai sujet philosophique, politique etc. Voilà. On invitera notamment à aller lire le
05:07chapitre 16, l'homme comme matériel humain, l'affaire Orpéa et le réel en embuscade,
05:13ou encore le 17, comment l'autorité s'affaisse dans les organisations au profit de la peur.
05:17C'est absolument passionnant. Merci Ibrahima. Merci Jean-Philippe.

Recommandations