Cette semaine, Sabrina Perquis reçoit Philippe Croizon pour revenir sur son parcours et son histoire singulière.
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00:00Bonjour à tous, très heureuse de vous retrouver sur Top Santé Télé, où chaque semaine une personnalité publique vient me confier son parcours santé.
00:07Aujourd'hui, j'ai surtout l'honneur de recevoir un homme inspirant, un homme qui donne envie de se battre.
00:11Philippe Croison, bonjour, merci d'être avec nous.
00:13Aventurier, chroniqueur, auteur de plusieurs livres et créateur aussi d'une super application, on reviendra dessus.
00:29Je suis vraiment ravie de vous recevoir. Philippe Croison, merci d'être là.
00:32Merci, bonjour.
00:33Le 5 mars 1994, à 25 ans, vous vivez un terrible accident. Est-ce que vous pouvez me raconter votre histoire ?
00:41Vous avez une heure ?
00:42Bien sûr, j'ai tout le temps qu'il vous faut.
00:44D'accord. Le 5 mars 1994, j'allais déménager puisqu'un petit bébé allait arriver. La famille allait s'agrandir. J'avais déjà un garçon, Jérémy, âgé de 7 ans.
00:52Et je voulais récupérer mon antenne de télévision. J'ai pris une échelle en aluminium que j'ai plaquée contre un pignon de la maison.
00:57Vous voyez ces grandes maisons tourangelles, très très hautes, avec ces soins d'ardoise bien pointus. Je me suis cordé à la cheminée pour ne pas tomber.
01:02J'avais prévu toute la sécurité. Et j'avais vu une ligne électrique derrière, mais je me suis dit, ça va passer, il n'y a pas de raison.
01:07Et je déboulonnais mon antenne. J'étais très très fort avec les mains. Et à un moment donné, pour avoir plus de force, j'ai posé mes deux tibias sur le barreau de l'échelle en aluminium,
01:14ce qui va créer un contact avec la Terre. Et là, 20 000 volts vont traverser mon corps. Le courant est rentré par les mains et est ressorti par les tibias.
01:20Et là où le courant est rentré et là où il est sorti, ça a brûlé. Enfin, c'était plus que brûlé, c'était carbonisé.
01:25Puisqu'à la régie d'électricité, ils ont cru que c'était une branche qui était tombée sur la ligne. Et pour faire sauter la branche, ils ont allumé trois fois le courant.
01:31Donc au premier impact, c'est un arrêt cardiaque. Deuxième impact, je reviens à moi. Troisième impact, je ne perdrai pas, je n'ai plus jamais connaissance.
01:37Et là, ils vont m'emmener à l'hôpital et pour me sauver la vie, il a fallu m'amputer des quatre membres.
01:41– Ça représente à peu près combien d'interventions ?
01:44– Beaucoup, c'est à peu près 100 heures de bloc opératoire en trois mois de temps.
01:48Donc, pour vous dire, ils m'ont découpé au fur et à mesure. Quand ils ne pouvaient pas sauver un membre, ils disaient à mes parents, à ma famille, à mon ex-femme,
01:54on est désolé, on ne peut pas sauver le bras droit. Quelques jours plus tard, on a tout tenté sur le bras gauche.
01:58Et quelques semaines plus tard, on leur dira, la jambe droite, malheureusement, elle n'est pas viable et ainsi de suite.
02:02– Ce n'est pas à vous qu'on s'adresse à ce moment-là pour expliquer les choses, c'est ça ?
02:05– Non, moi, je ne suis pas encore étanche, mon cerveau n'est pas encore allumé.
02:08C'est-à-dire qu'on m'a mis dans un coma artificiel pendant deux mois.
02:11On me réanime de temps en temps pour me dire, coucou, tout va bien, on est là.
02:14Mais mon cerveau n'a pas encore pris conscience de ce qui vient de se passer.
02:18Et c'est quand je vais me réveiller au bout de deux mois que là, le disque dur va vraiment se mettre en route.
02:22Et que là, effectivement, le réflexe humain est normal, c'est de crier et de hurler.
02:26– Vous avez pris connaissance à ce moment-là, vous avez compris tout de suite ?
02:29– Oui, c'est arrivé un soir, je pense que ce n'était pas programmé,
02:32je me suis réveillé peut-être un peu trop tôt par rapport à leurs idées,
02:35mais c'est la nuit, il y a plein de bip bip partout, j'ai des tuyaux dans tous les sens.
02:39Et derrière moi, il y a un robinet qui fuit.
02:41Et j'entends clouc, clouc, et j'ai soif.
02:43Et je veux me lever.
02:45Et donc je cherche le bord du lit.
02:47Je veux m'appuyer sur mes jambes, je n'y arrive pas, je ne comprends pas.
02:49L'alarme se met en route, et là, une infirmière arrive et me dit
02:51non, c'est trop tôt, et elle me rendort.
02:53– D'accord, c'est l'alarme de surveillance qui a prévenu l'infirmière que vous essayiez de vous lever.
02:57– Voilà, que j'essayais de me lever, oui.
02:59– Et donc, le deuxième réveil, vous comprenez vraiment pourquoi on vous a rendormi ?
03:04– Oui, complètement.
03:05Là, je me réveille, il me reste encore une jambe, la jambe gauche,
03:08donc je m'accroche à elle, c'est peut-être mon côté très optimiste,
03:11je m'accroche à elle pour me dire que ça va me permettre de me sauver.
03:14Et quelques jours plus tard, une délégation de médecins rentre dans ma chambre,
03:16ils m'expliquent que la moelle osseuse est brûlée, que malheureusement, on ne pourra pas la sauver.
03:19On va l'enlever.
03:20Et là, je vais m'effondrer une bonne fois pour toutes.
03:22Je vais même demander pardon à la mort.
03:24Je veux dire, j'ai lutté contre toi le jour de l'accident,
03:26mais tu ne peux pas me laisser là aujourd'hui.
03:28Quelle va être ma vie sans bras et sans jambes ?
03:30J'ai vécu pendant 26 ans avec des… on ne peut pas imaginer avoir une vie sans ça.
03:33Donc, on a un réflexe normal, humain, c'est de vouloir partir.
03:36C'est de dire au revoir à la vie.
03:38Et là, il y a un long combat qui commence.
03:40– Alors, pardon de vous poser la question,
03:42mais j'entends très bien ce que vous me dites,
03:44parce que je connais bien le langage des médecins,
03:46mais on vous a annoncé des choses comme ça, sans filtre,
03:49il n'y avait pas un psychologue ou quelqu'un à côté ?
03:51– Non, s'il y avait un psy, de temps en temps,
03:53quand par exemple le médecin-chef venait et disait
03:55« Philippe, on n'a pas coupé un seau tout à l'heure au bloc »,
03:57bon ben, il était vraiment franco.
03:59Et le psy rentrait derrière, il dit « ça va ? »
04:02Ben non, ça ne va pas.
04:04Et voilà, ce n'est pas lui qui m'a vraiment aidé à ce moment-là.
04:08À partir du moment où je vais rentrer dans la dernière amputation,
04:10je vais commencer les fameuses 5 phases du deuil.
04:12Vous savez, les fameuses feuilles du deuil d'Elisabeth Kluper-Ross.
04:14La première phase, la négation.
04:16On refuse, on est d'accord.
04:17On dit « mais non, ce n'est pas moi ».
04:18Les fameux pourquoi ?
04:19Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ?
04:20Il n'y a pas de réponse au pourquoi.
04:22Les pourquoi, ils sont là pour nous harceler,
04:23pour nous piquer, pour essayer de nous réveiller.
04:25Après, il y a la phase de négociation.
04:27Une fois que le personnel des soignants est parti,
04:28que la famille est partie, vous êtes tout seul dans votre chambre,
04:30il y a un côté de votre cerveau qui dit
04:31« laisse tomber mon gars, c'est fini, arrête de lutter,
04:33pourquoi tu veux te battre ? »
04:34Et il y a l'autre côté qui dit
04:35« attends, peut-être que… peut-être que… »
04:38Ensuite vient la phase de dépression,
04:39puis la terrible phase de colère,
04:41et enfin la phase du retour à la vie et l'acceptation.
04:43Et moi, pour franchir ces 5 phases,
04:45il m'a fallu environ 7 ans.
04:477 ans de combat, où je me suis enfermé sur moi-même,
04:50et ma phase de colère est venue 7 ans après mon accident.
04:53Est-ce que vous avez reçu un soutien utile,
04:56par exemple du personnel hospitalier, des soignants ?
04:59Non, moi je n'ai que des bons souvenirs.
05:01Franchement, je n'ai que des bons souvenirs des soignants.
05:03Mais oui, moi je me souviens de ma grand-mère qui vient me voir,
05:05parce que ma grand-mère était un de mes amours de ma vie,
05:08elle m'a élevé quand j'étais petit,
05:09et même quand j'étais grand,
05:11et même quand j'étais raccourci,
05:13ma grand-mère a toujours été là,
05:14et elle est venue l'arrêter au stérile,
05:15elle m'a dit « allez mon petit garçon,
05:16je te ferai du fromage blanc et de la banane écrasée,
05:18comme quand t'étais petit. »
05:19Et je ne l'ai pas entendu à ce moment-là,
05:21et le lendemain,
05:22il y a des infirmières qui rentrent dans ma chambre,
05:24en milieu stérile, avec les casaques et tout,
05:26je ne voyais que leurs yeux.
05:27Et là, elles me ramènent quoi ?
05:28De la banane écrasée et du fromage blanc,
05:30comme me faisait ma grand-mère.
05:31C'est ça le personnel soignant pour moi,
05:33ce n'est pas de la compassion pure et dure,
05:37c'est juste de la bienveillance.
05:38C'est des gens que j'aime profondément,
05:40d'ailleurs je fais très souvent des conférences
05:42dans les milieux infirmières, aides-soignantes,
05:44parce que j'en dois tellement, mais tellement.
05:47Ils ont été merveilleux,
05:48et c'est elles qui sont en première ligne.
05:50C'est aides-soignantes et infirmières
05:51qui sont là en première ligne,
05:52et qui prennent le caractère du patient.
05:54Est-ce qu'il en a colère ?
05:55Est-ce qu'il en a la bienveillance ?
05:56Ça, derrière chaque porte, c'est un patient différent.
05:59Vous avez passé de nombreux mois
06:00dans les services de rééducation,
06:01alors on parlait des soignants,
06:02mais est-ce que vous avez par exemple
06:04rencontré des patients
06:05qui peut-être ont vécu des choses similaires,
06:08qui vous ont donné de la force,
06:10avec qui vous avez pu échanger ?
06:12Je pense que c'est plutôt l'inverse.
06:14C'est plutôt l'inverse.
06:15J'étais devenu la pile électrique,
06:17mais en même temps, on trouvait des charges de 20 000 volts,
06:18on ne peut pas faire autrement.
06:19Mais c'est vrai que j'ai passé deux ans
06:21en milieu hospitalier, en centre de rééducation.
06:23Deux années.
06:24Et c'est vrai que le médecin, le docteur Butry,
06:26je me souviens de son nom,
06:27venait me voir et me dit
06:28« Oh, Philippe ! »
06:29Il était d'origine asiatique.
06:30« Philippe, on a un patient qui vient de perdre une jambe
06:32avec une moto pour venir le voir dans sa chambre. »
06:34Et moi, j'arrivais,
06:35je n'avais pas de bras, pas de jambes.
06:36Je rentre dans la chambre du mec,
06:37je lui dis « Putain, t'as du bol, il t'en reste trois. »
06:39Et là, ça y est, c'était parti,
06:40c'était devenu un copain.
06:41Pour moi, le centre de rééducation,
06:42c'est de la franche camaraderie.
06:43C'est du retour à la vie.
06:44C'est du vrai vivre ensemble.
06:46C'est vraiment, vraiment du vivre ensemble.
06:48On a connu la mort.
06:50Donc, notre seul objectif,
06:51c'est de retourner vers la vie.
06:53Et de l'aimer le plus possible.
06:55Donc, pour moi, c'est ça le centre de rééducation.
06:56C'est de la franche camaraderie.
06:58– Et quand on parle d'aimer la vie,
06:59on peut se permettre de tout vivre dans tous les établissements.
07:02Est-ce qu'il y a un souvenir en particulier qui vous marque ?
07:05– Il n'y en a pas qu'un.
07:06Il y en a des dizaines.
07:07Pour décrire mes livres,
07:10j'ai plein de souvenirs.
07:12Il y a des gens qui n'avaient pas compris.
07:14Une fois, j'avais expliqué que j'étais content
07:16quand l'automne arrivait.
07:18– Oui.
07:19– Pourquoi j'étais content ?
07:20Parce qu'il y avait tous les jeunes
07:21qui se sont cassés la gueule en moto et en scooter.
07:23Parce qu'en général, dans le centre de rééducation,
07:25pour ceux qui sont amputés, c'est les fumeurs.
07:26C'est les papis et mamies avec le diabète et ainsi de suite.
07:29Et au printemps, à l'automne, par contre,
07:31c'est tous les jeunes qui se sont plantés la tronche
07:32et qui ont un bras en moins, une jambe en moins
07:34à cause de la moto, du scooter ou du métro, je ne sais quoi.
07:37Et là, ça crée une bande.
07:38Et moi, j'étais le seul à avoir un flot électrique.
07:40Donc, ils s'accrochaient derrière moi, je faisais le petit train.
07:42Et on allait au bistrot, les deux colonnes,
07:43et on revenait, on n'était pas tout à fait frais.
07:45Mais c'était même les brancs cardiaques
07:46qui venaient nous récupérer au bistrot.
07:48Pour vous dire que, voilà, ça créait une ambiance.
07:50Pour ça que moi, j'ai…
07:52Les souvenirs négatifs sont partis de mon cerveau.
07:54Je n'ai gardé que ces bons souvenirs.
07:56Et je pense que le cerveau a cette capacité.
07:58– Absolument.
07:59– D'effacer la douleur, d'effacer ce qu'on a vécu,
08:01l'accident, la douleur, les amputations,
08:03et de garder seulement ce qui était bon, ce qu'on a bien vécu.
08:07– Aujourd'hui, quelle autonomie avez-vous ?
08:11– Je dirais que je suis autonome pratiquement à 90%.
08:14Il n'y a que pour faire la toilette.
08:16Aller aux toilettes à la maison, j'ai un toilet japonais.
08:18Ça lave, ça sèche et tout, c'est génial.
08:20Le toilet japonais, moi, c'est un truc génial.
08:22On n'est plus propre à la sortie qu'à l'entrée,
08:24donc c'est vraiment chouette.
08:25Donc non, je suis autonome.
08:27J'ai ma voiture où je suis 100% autonome,
08:29j'ai une maison où je suis autonome, j'ai de la domotique.
08:31Puis j'ai eu la chance aussi, entre guillemets,
08:33d'avoir une famille, des amis qui m'ont toujours soutenu.
08:36Mes parents, quand je suis sorti du centre de rééducation,
08:39ils ont créé une association pour que je ne manque de rien.
08:41Ma famille, mes amis m'ont fait la chose la plus importante dans ma vie,
08:43ils m'ont offert mon autonomie.
08:45– Une association ?
08:46– Oui, l'association Handicap 2000, exactement,
08:48qui est dans le département de la Vienne,
08:50et aujourd'hui on aide d'autres jeunes.
08:52On leur file du matériel pour le sport ou l'aménagement d'une voiture.
08:55On continue à travailler, à œuvrer pour offrir de l'autonomie.
08:59– Philippe, vous relevez des défis incroyables,
09:01depuis de nombreuses années maintenant, c'était quoi ?
09:03C'était une envie de prendre une revanche sur la vie ?
09:05– Même pas.
09:07Même pas, l'histoire de la traversée de la Manche, elle est complètement folle.
09:09Quand je me réveille après deux mois de coma,
09:11je décide de vivre pour mes deux garçons et pour moi,
09:13et je demande à une infirmière d'allumer la télévision.
09:16Et là je vois une jeune fille traverser la Manche à un âge, Marion Hans,
09:19c'est la deuxième Française à réussir la traversée de la Manche depuis 1875.
09:23Et moi je ne connais pas encore le phénomène du dépassement de soi,
09:25je n'ai pas encore été en centre de rééducation.
09:27Et je vois cette fille qui se bat contre les éléments,
09:29et son équipe qui l'encourage.
09:30Et moi je regarde la télé, je fais, waouh !
09:32Pourquoi pas moi un jour ?
09:34Pourquoi moi je ne traverse pas la Manche à un âge ?
09:36Et voilà, c'est entré dans ma petite tête.
09:38Et ce n'est pas un truc qui me harcelait, pas du tout.
09:40Mais j'en parlais comme ça de temps en temps sporadiquement à de la famille et des amis.
09:43Et un jour, je fais un plateau télé, des années plus tard,
09:46et la journaliste, je lui avais dit que je voulais traverser la Manche à un âge un jour,
09:49et là en plein plateau, elle me dit, à l'heure comme ça,
09:51vous allez traverser la Manche, comme si c'était une réalité.
09:53Et là, mon cerveau, il y a un vieux tiroir qui s'ouvre,
09:55plein de toilettes d'araignée, plein de poussière,
09:56il y a un mot qui sort de là-dedans, carrément à ma bouche,
09:58et je fais, oui !
09:59Et l'aventure était lancée.
10:00Super !
10:01Quand je vous écoute parler, c'est vrai que vous avez beaucoup d'auto-dérision,
10:05c'est quelque chose que j'applique aussi.
10:07Est-ce que c'est une façon de dédramatiser les choses ?
10:10Complètement !
10:11Vous savez, il y a eu plusieurs outils de résilience dans ma vie.
10:14Le premier outil de résilience, ma famille et mes amis.
10:16Le deuxième, l'amour.
10:17L'amour, ma chérie !
10:18Oui, mes fils, ça fait partie de la famille, des amis.
10:20Mais le deuxième outil de résilience, l'amour, ma chérie,
10:23Susanna, qui m'a offert des palmes, pas des ailes.
10:25Le troisième, ça a été l'humour.
10:27L'humour, d'ailleurs, mon livre, Pas de bras, pas de chocolat,
10:30sort là, le 20 mars, en version poche.
10:33Pas de bras, pas de chocolat, on peut rire de tout.
10:35C'était vraiment...
10:36C'est un livre où on rigole vraiment de tout,
10:38où je me mets vraiment du handicap, à fond, les gamelles.
10:40Et voilà.
10:41Et mon quatrième outil de résilience, celui qui m'a permis d'être là avec vous aujourd'hui,
10:44celui qui m'a permis d'accepter mon nouveau chemin corporel,
10:46et surtout celui qui m'a fait comprendre une chose importante.
10:48Pourquoi demander un coup de main, on doit le vivre comme un moment de déshonneur ?
10:51Vivez-le comme un moment de partage.
10:53Moi, sans les coups de mains, je n'aurais jamais réussi mes aventures.
10:55Que ce soit la traversée de la Manche, croiser les 5 continents,
10:57être pilote sur le Dakar.
10:58C'est grâce à l'équipe.
10:59C'est grâce aux gens qui se sont mis autour de moi pour réaliser cette aventure.
11:01Les gens vous suivent tout de suite ?
11:03Ah non, il y en a plein qui disent non.
11:04Mais ça ne m'arrête pas.
11:05Non, non, ça ne m'arrête pas.
11:07Il faut qu'il y en ait un qui dise oui.
11:08Il n'y a pas tout le monde qu'il y en a un qui a dit oui, ça y est, c'est parti.
11:10Et donc, ce quatrième outil d'exigence, c'est le sport.
11:12Qu'est-ce qui fait qu'on vous dit non, en fait ?
11:14C'est la peur du handicap.
11:16Est-ce que vous pensez que c'est encore la barrière du handicap ?
11:18La peur du handicap ?
11:19Ah mais complètement.
11:20Complètement, il y a la peur.
11:22Le handicap, il a toujours été maltraité dans notre société.
11:24Toujours.
11:25Je dirais que c'est culturel.
11:27Contrairement aux pays anglo-saxons.
11:29Il faudrait remonter à la Première Guerre Mondiale.
11:31Première, Deuxième Guerre Mondiale, on a caché nos blessés de guerre.
11:33Aujourd'hui encore, on cache nos blessés de guerre.
11:35On voit que les soldats qui sont morts, qui vont aux Invalides.
11:37Alors contrairement aux anglo-saxons,
11:39ou même un soldat qui arrive avec une balle dans les fesses,
11:42ben c'est un héros.
11:43Donc depuis la Première Guerre Mondiale, dans ces pays-là,
11:45il a fallu que la cité soit accessible
11:47pour ces héros qui revenaient du conflit.
11:49Contrairement à nous.
11:50Nous, on a créé des sanatoriums.
11:51On les a mis dans les centres.
11:52On les a cachés.
11:53Et c'est seulement depuis 2005,
11:55depuis la loi de 2005,
11:56où on commence à exister.
11:57Où les enfants vont à l'école ordinaire.
11:59Et aujourd'hui, ils arrivent sur le marché de l'emploi,
12:01ils vivent du fruit de leur travail,
12:02ils vont être autonomes.
12:03Ils vont plus vivre au crochet de la société.
12:05Et ça, c'est bien.
12:06– Je voudrais qu'on revienne un petit peu sur votre vie familiale,
12:09et plus particulièrement sur votre vie de couple.
12:11Est-ce que votre accident, il a eu un impact sur tout ça ?
12:13– Ben largement, oui, bien sûr.
12:15Excusez-moi pour ce que je vais dire,
12:17mais quand je suis rentré chez moi, après deux ans d'hospitalisation,
12:20c'est ce que j'explique dans mes conférences,
12:21je dis le plus dur, c'est pas l'accident.
12:23À part peut-être quand j'ai reçu ma facture EDF,
12:25mais bon, c'est un autre détail.
12:26Le plus dur, c'est pas l'accident.
12:28– C'est le retour à la maison.
12:29– Mais c'est le retour à la maison.
12:30– Bien sûr.
12:31– Mais il n'y a rien de pire que le retour à la maison,
12:32surtout quand il n'est pas préparé.
12:33Les premiers jours, la première semaine, même les premiers mois,
12:35la famille, les amis sont là.
12:36Mais après, tout le monde reprend sa vie, c'est normal.
12:38C'est pas eux qui ont eu un accident.
12:40Et là, je suis rentré, excusez-moi pour ce que je vais dire,
12:42j'explique dans mon troisième livre, Plus fort la vie,
12:44je suis rentré dans ma phase gros con, dans ma phase où tout m'est dû.
12:47Et là, je suis rentré dans la dépression, dans la colère,
12:49où tout s'est mélangé.
12:50Et j'ai cru que mon infirmière et mon aide-soignante étaient mon épouse.
12:53Et là, j'ai fait une erreur stratégique et au bout de 7 ans,
12:55elle a tenu le choc 7 ans, j'ai vraiment été nul.
12:57Et au bout de 7 ans, elle est partie.
12:59Et c'est là où j'ai demandé un coup de main au psy pour me reconstruire.
13:02– Alors, je fais ma curieuse, mais quand vous dites,
13:04j'ai confondu ma femme avec mes soignantes, c'est-à-dire ?
13:08– Parce que pour moi, c'était, j'ai besoin d'un verre d'eau.
13:10– Vous portiez plus attention sur ces femmes-là que sur votre épouse ?
13:13– Ah non, du tout, du tout, du tout.
13:15C'est que pendant 2 ans, j'étais au milieu hospitalier,
13:17j'appuyais sur une sonnette, tout arrivait.
13:20J'étais dans un coco, j'étais bien.
13:23Et quand je suis rentré à la maison, la sonnette, c'était mon épouse.
13:26– D'accord, c'était le rôle de la femme et de la soignante.
13:29– Exactement, c'est ce qu'on explique avec Susanna, ma chérie.
13:31Elle a écrit un livre qui s'appelle
13:32« Ma vie pour deux dans l'ombre du héroïne-femme »
13:34où les menthes et les dentes se situent.
13:38Et là, c'est là où il faut faire attention dans la vie de couple,
13:41que les dentes ne prennent pas le dessus de les menthes.
13:44Et ouais, et c'est là l'erreur stratégique.
13:46– Alors, vous vous êtes séparés.
13:48Aujourd'hui, vous êtes venu avec Susanna, votre charmante épouse.
13:52Comment vous l'avez rencontrée ?
13:53– Je l'ai rencontrée de la manière la plus moderne qui existe aujourd'hui,
13:58Internet, sur Mythique, si on peut le nommer.
14:02Et donc, voilà, j'ai mis une photo, mais avec ma tête.
14:05Le reste, c'était la pochette surprise.
14:07Et je me suis ramassé plein de râteaux,
14:09plein de râteaux pendant des mois et des mois et des mois.
14:11– Vous avez fait quoi, des dates ?
14:12– Ouais, et un jour, j'ai vu passer la fiche de Susanna,
14:15il n'y avait pas de photo.
14:16Je lui ai envoyé un petit message, on ne sait jamais, sur un malentendu.
14:18Et là, elle me répond, je lui avais marqué un message complètement stupide.
14:22Je lui ai dit, écoute, comme tu le vois sur la photo,
14:24j'ai les cheveux dans le vent, le vent était trop fort, je ne les avais pas retrouvés.
14:26Je lui ai dit, mon gars, si elle répond à ça, t'es le roi du monde, t'es un champion.
14:29Et elle m'a répondu vers un message aussi stupide,
14:31elle m'a dit, écoute, si le vent souffle vers moi, je te les ramène.
14:34Et ça fait 18 ans qu'on est ensemble.
14:36Vous voyez, Susanna, elle a trois filles, moi j'ai deux garçons.
14:38On est aussi papi et mamie trois fois.
14:40On a aussi un chien borne, trois chats, un cochon d'âne et un poisson rouge.
14:43Ça veut bien dire que tout est possible.
14:45Justement, quand on parle de tout est possible, j'ose vous poser la question,
14:48parce que souvent, les personnes en situation de handicap
14:51pensent que c'est difficile de trouver l'amour et d'avoir une intimité presque normale.
14:58Mais parce que c'est nos peurs.
14:59C'est juste la peur. Ils ont juste peur.
15:01Ils ont la doute.
15:03Vous savez, en général, quand on a un objectif à atteindre,
15:05la peur et le doute, ils vont bien ensemble.
15:07Ils se tiennent la main.
15:08Ils vont bien vous pourrir la vie pour ne pas y arriver.
15:10Donc il faut arriver à faire exploser cette peur, ce doute, pour atteindre son objectif.
15:15Et moi aujourd'hui, ils sont toujours là.
15:17Quand j'ai une idée, un rêve, un objectif, la peur et le doute arrivent tout de suite.
15:20Mais je les regarde, je dis, voilà, pourquoi vous êtes là ?
15:23C'est quoi la raison ?
15:24Et j'essaie de les combattre.
15:25J'essaie de trouver des solutions pour essayer de les faire partir.
15:28Et donc c'est comme ça que je fonctionne.
15:30Et je vous dis, après, sur Meetic, ça a duré dix mois.
15:33Dix mois avant que je rencontre Susanna.
15:35Donc j'en ai eu des échecs, j'en ai eu des râteaux.
15:37Mais au bout de dix mois, j'ai rencontré Susanna.
15:39– À quel moment vous lui avez expliqué que vous étiez en situation d'encas ?
15:42– Dès le deuxième message.
15:44J'en avais tellement ras-le-bol de me ramasser des râteaux.
15:46J'en avais un message d'un kilomètre de long, l'accident, la reconstruction.
15:49En panique, elle m'a dit, je cherche plus des amis.
15:51C'est la suite de rencontre quand même.
15:53Et puis après, on est passés au téléphone.
15:56On a passé des nuits et des nuits au téléphone.
15:58Et même, la première fois où on s'est dit je t'aime, c'était au téléphone.
16:01Sans s'être rencontré avant.
16:03Et un jour, elle est venue à la maison.
16:04Elle m'a fait un gros bisou avec un énorme bouquet de fleurs, des roses rouges.
16:06Je ne sais pas, le garçon qui fait ça normalement ?
16:08– Si, normalement, je crois.
16:09– Et elle m'a dit, écoute, je crois bien que je t'aime.
16:10Et je lui ai dit, ça tombe bien parce que je crois bien que moi aussi.
16:12Et je vous dis, ça fait 18 ans qu'on est ensemble.
16:14– Mais c'est beau !
16:15– Tout est possible.
16:16– C'est magnifique. En tout cas, vous êtes un très beau couple.
16:18Vous êtes l'exemple du dépassement de soi et du symbole de la résilience.
16:21Comment vous réagissez quand vous rencontrez des personnes
16:24qui s'adressent à vous en vous disant, j'ai pas la force de me battre,
16:27j'ai plus la force d'y arriver ?
16:29– Ça, malheureusement, je reçois beaucoup, beaucoup de messages dans ce sens.
16:32Et je leur dis, je ne suis malheureusement pas psy,
16:34et je ne peux pas répondre à tout le monde, ce n'est pas possible.
16:35J'ai écrit des livres, servez-vous-en.
16:37Mais je leur dis surtout, osez.
16:39Osez parler, osez communiquer, osez demander un coup de main.
16:42Osez demander un coup de main.
16:43Allez voir un psy, ou quelqu'un que vous aimez dans votre famille,
16:45ou un voisin, ou je ne sais rien, quelqu'un qui vous apprécie.
16:47Mais allez parler, quoi.
16:48Ne restez pas seul dans votre coin, dans votre maison.
16:55Ça, c'est la phrase la plus importante.
16:56– Dans quelques semaines, Paris s'apprête à accueillir
16:58les Jeux Olympiques et Paralympiques.
17:01Est-ce que vous pensez qu'on est prêt au niveau des dispositifs
17:06pour accueillir tout le monde ?
17:07– Mais bien sûr, et puis ils seront prêts.
17:09Mais bien sûr qu'ils seront prêts.
17:10Il y a peut-être encore des trucs à régler,
17:11mais j'en suis convaincu qu'ils seront prêts.
17:13Moi, je pense qu'il faut arrêter de critiquer.
17:15Il faut être fier de notre pays, fier d'avoir les Jeux Olympiques,
17:17fier d'avoir les Jeux Paralympiques.
17:18Il faut arrêter toutes ces critiques minables, sur une affiche, sur un truc,
17:21parce qu'il n'y a pas le drapeau, l'autre, il a enlevé la croix.
17:23Mais c'est du grand n'importe quoi.
17:24Les gens, ils n'ont que ça à foutre de critiquer,
17:26ils s'emmerdent dans leur vie.
17:27Ils disent peut-être qu'il y a le moindre truc, je vais critiquer le truc.
17:29Mais non, soyez heureux d'avoir ça en France, bon sang de bonsoir.
17:31– Voilà, on va les vivre ces Jeux Olympiques.
17:32– C'est une fierté.
17:33Mais oui, il faut les vivre.
17:34Et il faut les vivre à travers toute la France.
17:36Il faut en être heureux, vraiment.
17:37Et ça va changer notre image du handicap.
17:40Enfin, on va nous prendre vraiment pour des personnes capables autrement.
17:42Je suis une personne capable autrement.
17:44Il s'appelle Martine, il s'appelle Joseph, il s'appelle Youssef.
17:47Et accessoirement, c'est une personne handicapée.
17:49Mais c'est d'abord quelqu'un.
17:50Et ça, les Jeux Paralympiques vont le montrer, j'en suis sûr.
17:52– Merci pour ce message.
17:53Le 22 janvier dernier, vous avez lancé une application qui est top.
17:57Very Important Parking pour Very Important Person.
18:01Vous trouvez plus facilement des places avec cette application, c'est ça ?
18:06– Mais pas que.
18:07Au départ, on est parti avec mon ami Thierry Garraud,
18:09de se dire on va déclarer les places de parking PMR dans toute la France.
18:13Ça y est, on a atteint l'objectif.
18:14Et là, maintenant, on a déclaré aussi tous les toilettes PMR,
18:17on a déclaré tous les commerces, les pharmacies, les boulangeries,
18:19et ainsi de suite.
18:20Et là, on va en avoir encore plein d'autres.
18:21On va mettre les plages accessibles avec Andy Plage.
18:24Donc voilà, on veut être le ouest de l'accessibilité universelle.
18:27Parce que l'accessibilité, elle n'est pas que pour nous.
18:29Elle est à la fois aussi pour les parents avec des poussettes,
18:31la personne qui avait que des béquilles,
18:32temporairement parce qu'il a une jambe dans le plat,
18:34pour les personnes âgées.
18:35Mais bien sûr, on est en pleine silver economy avec les personnes âgées.
18:38Ils ont besoin d'accessibilité.
18:39Donc, very important de parking.
18:41Allez les télécharger.
18:42Elle est aujourd'hui sur le site internet.
18:44Et elle est vraiment pour tout le monde.
18:45Et ça, c'est vraiment important.
18:46C'est du partage.
18:47Et en plus, elle est gratuite.
18:48– Aujourd'hui, Philippe, quand vous regardez en arrière,
18:51qu'est-ce que c'est votre plus grande fierté ?
18:54– Je dirais que ma plus grande fierté,
18:56ça restera jamais la traversée de la Manche à la nage.
18:58Quand je me retourne, enfin, imaginez, j'avais 40 ans,
19:00j'étais gras comme un lardon, j'avais jamais fait sport de ma vie.
19:03J'ai monté une équipe, je leur ai filé le paquet,
19:05je leur ai dit transformez-moi.
19:081% des gens n'y croyaient pas, il y a 1% qui y a cru,
19:10c'est mon équipe et moi.
19:11Et on a montré à ces 99% de pessimistes que tout était possible.
19:14Mais tout est possible, et ça je le dis aux jeunes,
19:16quand je vais dans les collèges ou dans les lycées,
19:17tout est possible grâce au travail.
19:19Travail.
19:20T'as un rêve, t'as un objectif, bosse.
19:21Dur.
19:2235 heures de natation par semaine, 6 heures de gainage,
19:244000 km de natation en 2 ans.
19:26La première fois qu'ils m'ont mis dans l'eau, j'ai coulé.
19:27Je n'avais pas été dans le bon sens, je ne savais pas nager.
19:29Je ne leur avais pas dit, je voulais leur faire la surprise.
19:31Et on est arrivé au bout avec l'équipe.
19:32On a traversé la Manche en 13h26.
19:34Ça veut bien dire que tout est possible.
19:35Et ma joie ultime, intense,
19:37c'est que tout ce qu'on vient de se raconter là maintenant,
19:39c'est en écriture pour le cinéma.
19:41Donc en 2025 ou 2026, il y aura un film au cinéma
19:43sur l'accident, Susanna et la traversée de la Manche.
19:47Personnellement, je serai là avec vous.
19:49Cool, on sera ensemble.
19:50Avec grand plaisir.
19:51Merci beaucoup, merci pour tout ce que vous véhiculez.
19:54On vous souhaite de continuer de briller.
19:56On prendra évidemment de vos nouvelles,
19:57j'espère que vous reviendrez me voir.
19:59Avec plaisir.
20:00Merci pour votre témoignage très inspirant.
20:02Je suis sûre qu'il donnera beaucoup de force
20:04à tous nos téléspectateurs.
20:05Merci.
20:06Merci Philippe.