• il y a 6 mois
Anne Fulda reçoit Claire Castillon pour son livre «Géographie de la peur» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 -Bienvenue à l'heure des livres, Claire Castillon.
00:02 On vous connaît, vous avez déjà écrit de nombreux livres,
00:05 une vingtaine. Votre spécificité,
00:07 c'est que vous écrivez pour les adultes
00:09 et aussi pour les plus jeunes.
00:11 Vous venez d'ailleurs de publier un livre
00:14 qui s'appelle "Géographie de la peur",
00:16 qui est paru chez Gallimard Jeunesse,
00:18 un très beau roman sensible et juste
00:20 et qui est tout à fait lisible également par des adultes.
00:23 Alors, vous écrivez, "J'habite une cage invisible
00:27 "dont j'ai moi-même dessiné les contours
00:30 "afin de me protéger de mon cerveau.
00:32 "La moindre émotion le retourne contre moi.
00:34 "Je souffre d'agoraphobie, doublée d'un tag,
00:36 "mais pas un tag sur un mur de fac,
00:38 "non, un tag qui signifie que mon cerveau me maltraite."
00:41 Dès les premières pages de votre roman,
00:43 ce n'est pas vous qui parlez, c'est votre héroïne,
00:46 vous annoncez la couleur.
00:48 Vous vous êtes laissée dans la peau de Maureen, 19 ans,
00:52 qui souffre donc d'un trouble anxieux généralisé.
00:56 Évidemment, on a envie de vous demander
00:58 pourquoi vous avez choisi ce sujet
01:01 qui vous touche particulièrement.
01:03 Est-ce que c'est pour ça ?
01:04 -Oui, je pense que ça fait très longtemps
01:06 que j'ai envie de raconter l'agoraphobie,
01:08 parce que c'est un sujet...
01:10 C'est un très bon sujet de roman,
01:12 c'est un sujet de livre,
01:14 et c'est comment percevoir le monde
01:16 à travers ce voile d'angoisse
01:18 que j'ai connu quand j'étais plus jeune,
01:20 mais qui était vraiment une sorte de...
01:24 Oui, de dessin du monde et de redessin perpétuel.
01:27 Je ne savais pas comment le vivre
01:30 et j'ai mis beaucoup de temps à réussir à l'écrire,
01:33 parce que c'est vraiment raconter l'invisible.
01:37 En fait, personne ne comprend quand on dit
01:39 "Dehors, ça fait peur, les murs manchent, c'est très bizarre."
01:43 Et donc, l'écrire, c'est à nouveau,
01:47 comme dans plein de thèmes et de romans,
01:49 c'est se servir des mots pour décrire l'indescriptible.
01:52 Et ça, ça me plaisait comme projet littéraire.
01:56 Oui, parce que cette agoraphobie,
01:58 quelle que soit la personne qu'elle touche,
02:01 en fait, elle met en marge de la société.
02:03 Elle vous place dans un lieu un peu à part.
02:07 C'est extrêmement compliqué.
02:09 Vous l'avez vécu comme ça, comme un handicap, en fait ?
02:13 Oui, je pense que c'est vraiment une position extérieure à tout.
02:18 C'est une position qu'on ne choisit pas,
02:20 mais dans laquelle on se retranche.
02:22 Et puis, parce qu'on n'a pas le choix, en fait.
02:24 On n'arrive pas, par exemple, à sortir, à aller à un rendez-vous,
02:27 à aller dans le métro, à aller dans la rue.
02:29 Et donc, obligatoirement, ça coupe certains liens
02:32 avec d'autres personnes.
02:34 Et ça rend le monde
02:36 plus proche du décor que de la réalité, en fait.
02:40 Hostile ?
02:41 Enfin, pas vraiment.
02:42 Oui, si, si, parce que je pense qu'on a très peur des autres,
02:46 encore plus, sans doute, parce que la bizarrerie
02:49 de celui qui n'est pas capable de se mêler aux autres
02:52 est forcément montré du doigt,
02:54 alors qu'en fait, c'est une extrême timidité, peut-être.
02:57 Vous dites que vous avez mis 30 ans à raconter,
03:00 à arriver à trouver les mots justes, en fait,
03:03 à décrire les bons mots.
03:05 C'est à la fois décrire et en même temps à oser.
03:09 Et à prendre la distance.
03:10 Parce que j'avais très peur de...
03:12 Pour moi, réécrire ces choses-là,
03:14 c'était savoir que j'allais en partie les revivre,
03:17 et ça, c'était intolérable.
03:19 Je déteste cette impression.
03:21 Donc, j'ai passé mon temps à me dire que je n'écrirais jamais.
03:25 Et soudain, je l'ai fait en me disant,
03:27 "En effet, c'est dommage de ne pas raconter cette étrangeté au monde
03:30 quand tous mes livres depuis toujours parlent de ça aussi."
03:34 Oui.
03:35 Alors, comment êtes-vous sortie de cette agoraphobie ?
03:38 Parce qu'on en sort.
03:40 Vous en êtes sortie ?
03:42 Oui, je pense que... Personnellement, je m'en suis sortie.
03:44 Il y a des traces qui sont aujourd'hui que je trouve positives,
03:48 parce qu'en général, ça ressurgit quand ça ne va pas.
03:51 Quand quelque chose ne va pas dans ma vie, ça arrive.
03:53 Je sais ce qu'il faut régler.
03:55 Et ça, c'est assez magique.
03:56 À l'époque où ça n'était pas magique, il a fallu...
04:00 Et à l'époque aussi où on ne trouvait rien sur Internet dans ce domaine,
04:04 il a fallu que j'imagine, en fait.
04:06 Que j'imagine que pour sortir, il fallait, par exemple,
04:10 faire un travail d'hôtesse, avoir un uniforme,
04:12 être capable d'affronter les autres,
04:14 mais pas quand j'étais moi-même, etc.
04:17 Ça demande des exercices, des épreuves.
04:19 Ça demande ce qu'elle appelle dans le livre des expositions,
04:23 "au danger".
04:24 "Aujourd'hui, je ne réussirai pas à faire 10 pas dehors."
04:27 On y passe la journée, mais on y arrive.
04:29 C'est une permanente mise à l'épreuve.
04:33 Oui.
04:34 Avec aussi parfois l'aide de l'entourage,
04:37 des proches ou de personnes extérieures,
04:39 peut-être pas l'entourage.
04:41 Oui, je pense que tout ce qui est psychologique peut aider.
04:45 Pour les proches qui ne souffrent pas de ça,
04:47 c'est impossible à comprendre.
04:48 Les gens n'ont jamais compris ce qu'on décrit.
04:51 C'est très bizarre de dire...
04:54 "Si je vous assure, c'est flou devant mes yeux."
04:56 À la limite, on vous envoie chez un ophtalmologue,
04:59 mais personne ne peut comprendre que ce flou est totalement...
05:03 est plus que mental.
05:05 Pour celui qui est à l'intérieur,
05:08 c'est l'impression d'un monde qui a fermé autour de soi.
05:11 Depuis toujours, vous avez une attirance naturelle
05:15 vers les personnages un peu fragiles, cabossés,
05:19 tout en nuances.
05:20 C'est les plus intéressants ?
05:23 À écrire, je pense, oui,
05:26 parce que je pense que cette fragilité-là,
05:28 à les visiter, qui parfois est une force,
05:31 ça, j'en suis sûre, me passionne.
05:34 Et j'aime les lire, ces personnages-là.
05:37 J'aime les rencontrer dans la vie aussi.
05:41 Je vous conseille de lire "Géographie de la peur".
05:44 C'est paru chez Gallimard Jeunesse. Merci.
05:47 Merci.
05:48 (Générique)
05:51 ---
05:53 [SILENCE]

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