Anne Fulda reçoit Célia Cuordifede pour son livre «Ceux qui restent» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Célia Kurdifez.
00:02 Vous êtes une journaliste indépendante,
00:04 vous avez travaillé pour de nombreux médias,
00:06 et vous venez de publier "Ce qui reste",
00:09 un livre qui est paru aux éditions du Rocher,
00:12 et un livre qui est intéressant
00:13 parce que, alors que les débats sur l'immigration
00:15 reviennent à nouveau sur le devant de la scène,
00:17 en fait, ils ne disparaissent que rarement,
00:20 il se place d'un point de vue original,
00:22 puisqu'il se place du point de vue de l'émigration
00:25 et de "Ce qui reste".
00:27 Alors, vous l'écrivez d'emblée, jamais le rythme et l'ampleur
00:31 des déplacements forcés à travers le monde
00:33 n'ont été aussi soutenus.
00:35 Fin 2020, 208,4 millions de personnes
00:38 étaient déplacées ou réfugiées,
00:40 selon le Haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies,
00:43 donc un chiffre qui n'arrête pas de croître,
00:46 et qui est évidemment accru par les conflits à travers le monde.
00:50 Alors, d'abord, pourquoi avoir choisi justement ce sujet
00:53 et cet angle particulier ?
00:55 Eh bien, on parle souvent de l'immigration
00:58 à travers ceux qui arrivent jusqu'à nous, et à juste titre,
01:02 mais on parle un petit peu moins de ceux qui restent,
01:05 alors que pour eux, les conséquences économiques et sociales
01:10 sont considérables, elles existent,
01:12 et ils ont aussi beaucoup de choses à dire,
01:14 ils pensent aussi beaucoup de choses
01:16 de ces émigrations plus ou moins massives
01:19 en fonction des pays dont on parle,
01:21 et parfois, ils ont un rôle à jouer aussi dans cette émigration.
01:27 - Alors, vous avez fait des reportages
01:31 avec de nombreux entretiens,
01:32 vous avez choisi cinq pays,
01:33 le Sénégal, l'Afghanistan, le Guatemala, le Liban et la Tunisie,
01:37 des pays qui ont des réalités économiques et politiques
01:40 totalement différentes.
01:42 Pourquoi le choix de ces pays-là ?
01:44 - Alors, le Sénégal, c'est parce que c'est dans ce pays
01:46 que j'ai commencé à travailler sur la crise migratoire en 2017.
01:51 Donc, c'est de là que tout a commencé,
01:53 que j'ai rencontré les premières familles de proches démigrés.
01:56 Le Guatemala, avec la particularité que c'est un pays
01:59 où c'est beaucoup les enfants qui émigrent vers le nord,
02:02 donc vers les États-Unis,
02:03 à peu près 60 000 par an, d'après les douanes américaines,
02:06 donc c'était pour aller à la rencontre des parents.
02:08 L'Afghanistan, avec la particularité
02:11 que les talibans sont revenus au pouvoir le 15 août 2021.
02:15 La Tunisie, parce que 27 pays d'Afrique
02:19 aujourd'hui condamnent l'homosexualité,
02:21 les personnes LGBT,
02:23 mais c'est le seul pays, en réalité, d'Afrique
02:25 où il y a possibilité de faire des reportages
02:28 en sécurisant les interviewés,
02:31 parce qu'il existe des associations, justement,
02:32 qui protègent les personnes LGBT.
02:34 Donc, c'était surtout pour mettre en sécurité les interviewés.
02:37 Et le Liban, avec la particularité
02:40 que c'est le seul pays au monde
02:43 qui a plus de Libanais à l'extérieur du pays
02:45 qu'à l'intérieur, donc il y a 15 millions de personnes
02:48 de la diaspora libanaise
02:49 contre 5 millions à l'intérieur du pays.
02:51 Et je trouvais ça intéressant d'aller voir
02:52 les 5 millions de Libanais qui restent à l'intérieur.
02:55 - Alors, c'est difficile de dresser un fil continu
02:59 entre ces réalités, parce que, selon les pays,
03:02 évidemment, on part pour des raisons différentes.
03:04 Ça peut être des guerres,
03:05 ça peut être des conditions économiques difficiles,
03:08 des conditions climatiques extrêmement difficiles.
03:11 Finalement, c'est quoi le point commun
03:14 entre ces émigrations ?
03:18 - Le point commun, je dirais,
03:19 même s'il y a énormément de réalités différentes,
03:21 comme vous venez de le dire,
03:23 je dirais que c'est la souffrance,
03:24 parce qu'il y a beaucoup de profils différents
03:27 dans les familles que j'ai rencontrées,
03:29 mais il y a celles qui ont des nouvelles de leurs proches,
03:32 qui savent où est-ce qu'il est arrivé,
03:34 dans quel pays il est, enfin, il ou elle.
03:37 Et il y a ceux dont le proche est porté disparu
03:40 ou est mort aussi sur le chemin de l'exil.
03:43 Mais pour les deux, à chaque fois,
03:46 il y a énormément de souffrance,
03:47 parce qu'il y a des séparations,
03:49 parfois, à tout jamais, jusqu'à la fin de leur vie.
03:52 Je dirais que ce qui les relie, c'est la souffrance.
03:55 - Oui, parce que les conséquences de ces départs
03:58 sont très différentes selon les personnes.
04:00 Parfois, elles sont positives,
04:01 parce que ça peut être aussi des revenus supplémentaires.
04:06 Et parfois, elles sont négatives,
04:08 parce que c'est aussi parfois, pas en majorité,
04:11 mais aussi des cerveaux ou des bras qui partent.
04:14 - Oui, c'est ça.
04:16 Par exemple, au Sénégal, c'est plutôt les hommes forts
04:18 de la famille qui s'en vont.
04:20 Les femmes, elles restent en s'occupant de tout le foyer.
04:24 Et quand l'homme disparaît en mer
04:27 ou sur un autre chemin de l'exil,
04:30 c'est tout l'espoir de la famille qui s'écroule aussi.
04:33 Et donc, du coup, la femme va devoir mettre
04:37 deux fois plus d'énergie pour sortir son foyer de la galère,
04:41 alors que le mari lui avait promis autre chose
04:45 et tout s'effondre.
04:46 - Alors, dernière question,
04:47 en quoi ces entretiens, cette enquête que vous avez menée
04:52 peut servir au débat d'aujourd'hui sur l'immigration ?
04:55 D'avoir justement ce point de vue du côté d'où on part ?
04:58 - Eh bien, aller à la rencontre de ceux qui restent,
05:01 ça permet déjà, je pense, de mieux cerner la réalité
05:05 que les personnes ont quittée.
05:06 On parlait du Sénégal à l'instant,
05:08 mais aussi de voir que parfois, on a aussi des responsabilités
05:11 quand on voit que les pêcheurs sénégalais s'en vont
05:14 parce que leurs eaux sont complètement dépouillées
05:17 par des bateaux de pêche européens, russes, chinois.
05:20 On comprend mieux aussi pourquoi il y a des départs.
05:22 Et aussi, aller à la rencontre de ceux qui restent
05:26 permet de retracer beaucoup de portraits de ceux qui sont partis
05:31 et parfois qui ont disparu et qui n'arriveront jamais jusqu'à nous.
05:35 - En tout cas, c'est à lire.
05:36 Ça s'appelle donc "Ceux qui restent".
05:38 Ça donne un éclairage différent sur un débat
05:42 qui est loin d'être fini.
05:44 Et c'est paru aux éditions du Rocher.
05:46 Merci beaucoup, Célia Kurdifeld.
05:48 - Merci à vous.
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