Xerfi Canal a reçu Romain Zerbib, professeur HDR, ICD Business School, Directeur de la publication de Management & Data Science, pour parler des stratégies de survie face à l'intelligence artificielle.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:08 Bonjour Romain Zerbib.
00:10 Bonjour Jean-Philippe.
00:11 Romain Zerbib, vous êtes professeur à ICD Business School, groupe IGS.
00:15 Vous êtes directeur de la publication d'une revue
00:17 qu'il faut absolument que les managers lisent,
00:19 Management and Data Science,
00:21 qui est une revue où les papiers sont courts, brefs,
00:24 et apportent du neuf.
00:27 Là, on va parler ensemble d'un papier que vous avez publié avec Olivier Mamavi,
00:31 Paris School of Business, consacré à l'IA.
00:35 Le point, c'est quelle stratégie de survie.
00:38 C'est ça qui m'a beaucoup intéressé, c'est que vous posez le problème par la survie.
00:41 C'est-à-dire que vous dites, l'IA, il faut arrêter de se dire,
00:44 est-ce que ça va changer ? Est-ce que si ? Est-ce que ça ?
00:46 Vous dites non, pour les organisations, c'est une question de survie
00:49 de se poser le sujet, la question de leur réaction face à l'IA.
00:53 Alors peut-être votre typologie d'abord d'organisation face à l'IA.
00:57 Oui, merci beaucoup Jean-Philippe.
00:59 Avec Olivier, effectivement, on a proposé une typologie des organisations
01:03 suivant leur position face à l'IA.
01:06 Et on a abouti à quatre catégories très schématiques.
01:10 La première sont les natives. Au fond, ce sont les organisations
01:13 qui sont nées dans un contexte d'IA, qui sont très familières
01:16 des algorithmes et de l'automatisation.
01:18 Ensuite, on a les pionnières, qui sont des entreprises
01:21 qui, par le passé, ont réussi le virage en direction de l'IA.
01:24 Elles ont parfaitement intégré cette variable dans leur modèle d'affaires
01:27 et leur processus, et elles sont intégrées complètement à cette révolution.
01:31 On a ensuite les entreprises émergentes, qui sont des organisations
01:34 plus prudentes, qui avancent graduellement en direction de l'IA
01:38 par le biais de projets ciblés. Et puis on a enfin les réticentes
01:41 qui sont au cœur de ce papier, qui sont donc des entreprises
01:44 qui rencontrent de grandes difficultés à s'adapter à l'IA,
01:47 et qui, parfois même, ne sont pas tout à fait indifférentes
01:50 à cette révolution.
01:52 Alors évidemment, c'est ça la grande question.
01:54 Quels sont les obstacles face à l'IA qui pourraient mettre en péril
01:57 potentiellement les fameuses réticentes ?
02:00 La résistance de certaines organisations face aux changements induits
02:03 par l'IA peut d'abord s'expliquer en raison de leur histoire,
02:06 de leur culture, au fond de leur trajectoire.
02:09 Et parfois même une trajectoire paradoxalement remarquable,
02:12 dans la mesure où les succès, au fil du temps, peuvent rigidifier
02:15 les processus et rendre l'organisation moins disposée,
02:18 moins apte progressivement à assumer les efforts
02:22 que nécessite ce changement.
02:24 Et on aboutit à une situation où, en fait,
02:27 les signes avant-coureurs de désynchronisation entre la dynamique
02:30 de l'organisation et les nouvelles règles du jeu
02:33 se retrouvent comme masquées et ensevelies sous les vestiges
02:36 d'un passé glorieux. Et un tel phénomène se manifeste le plus couramment
02:39 par un sentiment de supériorité vis-à-vis de la concurrence,
02:42 par des locaux magnifiques, un chiffre d'affaires rassurant.
02:45 Or, une telle ambiance de confiance excessive peut nourrir
02:48 une dangereuse myopie stratégique qui est source
02:51 d'inertie organisationnelle.
02:54 Le deuxième élément qui peut compliquer le changement
02:57 de ces entreprises, il est plus à proprement dit politique,
03:00 dans la mesure où le fait d'introduire la variable IA dans l'analyse
03:03 des dynamiques concurrentielles peut profondément
03:06 perturber les certitudes et les perspectives de l'entreprise.
03:09 Chose que certains acteurs au sein de l'organisation
03:12 peuvent être réticents à accepter. D'abord parce que ça induit
03:15 de nouvelles pratiques. Ça peut suggérer une nouvelle hiérarchie
03:18 des compétences jugées essentielles au sein de l'organisation.
03:21 Et puis ça remet en cause tout un ensemble de positions
03:24 et de rentes au sein de l'entreprise. Et puis enfin, il y a la dimension
03:27 technique. C'est la capacité de l'entreprise à pouvoir
03:30 assurer ce changement. Il est très complexe.
03:33 D'abord parce que l'IA et ses infrastructures ne se déploient pas
03:36 dans le vide. Il faut qu'elles soient alignées avec la stratégie.
03:39 Il faut qu'elles soient en harmonie avec les process et l'organisation.
03:42 Il y a des enjeux techniques, éthiques. Je pense à la confidentialité
03:45 des données. Donc on le voit, c'est un changement qui en plus présente
03:48 des difficultés très importantes. Et déjà pour des entreprises
03:51 réticentes, ça aggrave l'inertie.
03:54 C'est redoutable et notamment cette idée
03:57 que si on a trop bien réussi dans le passé, on a d'autant plus
04:00 de mal à s'adapter. Pourquoi changer ?
04:03 C'est le problème du bon élève. En termes de conséquences.
04:06 Alors les entreprises qui tardent
04:09 à se mettre en mouvement, d'abord elles risquent
04:12 de se retrouver en prise avec des processus qui perdent
04:15 graduellement en efficacité opérationnelle, en potentiel
04:18 de production de valeur, par rapport à des acteurs qui eux vont
04:21 s'approprier tous les moyens à leur disposition pour optimiser
04:24 et personnaliser leurs opérations.
04:27 Ensuite, cette dégradation de la compétitivité
04:30 peut s'accompagner d'un recul relatif en termes d'innovation
04:33 puisque l'IA, en permettant d'automatiser les tâches routinières,
04:36 peut débloquer des ressources pour des activités à plus haute
04:39 valeur ajoutée. Il y a également une dimension RH
04:42 qui n'est pas à négliger. Les acteurs compétents sur le marché vont
04:45 chercher des entreprises à la pointe, au sein desquelles ils vont pouvoir
04:48 renforcer leurs compétences, muscler leur employabilité.
04:51 Si l'entreprise n'est pas attractive vis-à-vis des meilleurs talents,
04:54 elle va cultiver un entre-soi qui va générer un cocktail
04:57 explosif pour l'avenir de l'entreprise.
05:00 Et puis enfin, il y a l'expérience client. L'IA permet
05:03 une compréhension approfondie des comportements de consommation,
05:06 laquelle compréhension permet une personnalisation,
05:09 voire une anticipation des demandes. Et en fait, tout ça forge
05:12 de nouvelles attentes, des nouvelles exigences qui bientôt,
05:15 si ce n'est déjà le cas, ne tolèreront plus
05:18 les approches impersonnelles. Donc l'entreprise risque de s'auto-évincer
05:21 du marché avec des pratiques désuètes.
05:24 Merci à vous, Romain. Merci, Jean-Philippe.
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