• il y a 8 mois
Où en est l’investissement socialement responsable (ISR) ? Retour sur une dynamique de montée en puissance de l’ISR et de standardisation, avec une influence du régulateur européen. La finance durable est-elle rentable, et inversement une entreprise peut-elle être leader à long terme sans tenir compte de l’ESG ? La France a-t-elle perdu son avance ? Le point avec Léa Dunand-Chatellet, gérante et directrice de l'investissement responsable chez DNCA Finance.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:06 L'invité de ce Smart Impact, c'est Léa Dunant-Châtelet, bonjour.
00:10 Bonjour Thomas.
00:10 Bienvenue, vous êtes gérante et directrice de l'investissement responsable
00:13 dans la société de gestion d'actifs des NCA Finance.
00:15 Question toute simple pour commencer, en quoi consiste votre métier ?
00:18 Alors mon métier, assez complexe à définir, mais très simplement,
00:22 c'est d'investir dans des entreprises qui sont cotées en bourse,
00:25 donc c'est plutôt des entreprises matures
00:27 qui ont justement des démarches vis-à-vis du développement durable,
00:30 soit à travers les produits et services qu'elles commercialisent,
00:32 donc qui vont contribuer à travers ces produits au développement durable,
00:36 ça peut être la santé, ça peut être les énergies renouvelables,
00:38 et qui évidemment vont avoir des pratiques, des bonnes pratiques
00:41 vis-à-vis de leurs parties prenantes, que sont les salariés, les actionnaires,
00:45 l'environnement de manière générale, voilà.
00:47 Donc c'est une vision holistique de l'entreprise
00:48 qui intègre les critères extra-financiers dans les choix de gestion.
00:51 D'accord, avec donc évidemment la question des labels,
00:56 de la fiabilité des informations en question,
00:59 ça suppose des grilles d'analyse qui sont validées par des organismes indépendants,
01:05 ça je trouve que c'est très important dans votre démarche.
01:07 Tout à fait, alors les grilles d'analyse aujourd'hui ne sont pas validées en tant que telles,
01:10 c'est-à-dire qu'il n'y a pas de modèle standardisé,
01:12 donc c'est vrai que chacun y va un petit peu de sa recette.
01:14 Ça peut être un peu compliqué, on peut avoir une recette
01:17 qui favorise un bilan un peu plus vert qu'il ne l'est vraiment.
01:21 Oui, j'aime bien le terme bilan parce qu'en réalité, même dans l'analyse financière,
01:25 chacun y va aussi de son analyse,
01:26 donc c'est la beauté de notre métier,
01:27 c'est-à-dire qu'il y a une part qualitative, subjective qui est importante
01:32 et ça d'ailleurs, ça ramène au terrain,
01:34 c'est-à-dire qu'il faut connaître les entreprises, les management,
01:36 aller les visiter pour pouvoir faire cette analyse-là.
01:38 En revanche, là où vous avez raison, c'est que ça fait 2-3 ans
01:41 qu'on a une standardisation qui se crée,
01:43 parce qu'elle est nécessaire pour crédibiliser justement les fonds ISR
01:46 et qui vient du régulateur européen principalement,
01:49 avec plutôt des cadres, soit comme la taxonomie,
01:52 qui vont essayer de un peu mieux baliser quelles sont les activités vertes
01:55 de celles qui ne le sont pas vraiment,
01:57 et puis des cadres vraiment de transparence vis-à-vis des investisseurs
02:01 pour pas qu'on puisse se revendiquer fonds ISR ou durables n'importe comment.
02:05 - Oui, alors justement la taxonomie, réglementation européenne,
02:08 ces réglementations qu'on voit évoluer,
02:10 pour vous c'est un facilitateur d'activité d'une certaine façon ?
02:14 - Alors c'est... - C'est pas tant que ça.
02:15 - Oui, non, et puis j'ai tendance à penser en plus que ça touche à peu près
02:18 tous les secteurs aujourd'hui, tout le monde est ultra-régulé.
02:20 C'était nécessaire, ça c'est évident, ça allait un peu dans tous les sens,
02:24 il fallait quand même donner un cadre un peu plus strict
02:26 et redonner ces lettres de noblesse à ce métier de la gestion en investissement durable
02:32 qui quand même perdait de la vitesse pour des questions de crédibilité.
02:35 Tout le monde en fait et donc on parle de greenwashing, ça c'est sûr, ça aide.
02:38 En revanche, un cadre contraint bâti en très peu de temps,
02:42 mais comme dans beaucoup, beaucoup de secteurs aujourd'hui,
02:45 ça suppose des révolutions internes dans le métier de la gestion d'actifs
02:49 qui sont complexes à mettre en oeuvre,
02:51 des compétences qui n'existent pas forcément
02:53 dans tous les métiers au-delà du gérant lui-même,
02:55 les risques, ceux qui passent les ordres, le juridique.
02:59 Et donc un temps d'adaptation où en plus les horizons ne sont pas tous les mêmes.
03:04 On n'a pas encore de données d'entreprise,
03:06 mais il faut qu'on reporte sur des données qu'on n'a pas.
03:09 Voilà, mais le régulateur devait mettre un petit peu un point d'or là-dessus.
03:12 Ça fait longtemps que les sociétés de gestion d'actifs ont des postes comme les vôtres,
03:18 dédiés à l'ISR, à l'investissement ISR.
03:20 Je dirais, moi j'ai commencé il y a 20 ans et en fait,
03:24 ça s'est accéléré dans les années 2010.
03:25 Donc je dirais que depuis les années 2010, en Europe et en particulier en France,
03:29 quasiment tout le monde a, au moins de la recherche extra-financière
03:33 et peut-être effectivement un responsable pour ça et une équipe.
03:36 Ça a commencé dans les années 80, mais c'était embryonnaire.
03:39 L'accélération, elle date d'il y a 15 ans.
03:41 Et est-ce que parmi vos clients, cette demande de fonds responsables,
03:46 vous la voyez vraiment progresser régulièrement ?
03:50 Parce que c'est parfois un peu un leurre.
03:52 Oui, alors on a différentes typologies de clients.
03:54 On est obligé de passer par là pour comprendre un peu justement cet aspect sociétal.
03:57 On a le client final, vous et moi, à travers sa banque, son assurance.
04:01 On a le client institutionnel qui va gérer de l'épargne retraite, des mutuelles par exemple.
04:09 Et puis ensuite, il y a les fonds propres de ces institutionnels,
04:11 les fonds propres des banques, des assureurs.
04:13 Donc ce n'est pas du tout les mêmes attentes.
04:15 Je dirais que chez le client final, vous et moi,
04:18 là on a un changement sociétal très fort depuis 5-6 ans.
04:22 C'est-à-dire que vous allez dans les grands salons dédiés justement à ces clients,
04:26 vous vous rendez compte que tout le monde lève la main
04:27 quand on parle de développement durable et d'ISR.
04:29 Là où il y a franchement 5 ans, personne n'en avait rien à faire.
04:32 Par contre, il y a encore une confrontation de compréhension
04:35 entre la performance financière et la performance extra-financière.
04:39 On est sur des horizons de temps longs
04:41 et on peut avoir par moment des périodes qui sont défavorables à ces fonds.
04:45 C'est ce qui s'est passé depuis 2-3 ans.
04:47 Du coup, tout le monde part en courant.
04:48 "Non, en fait, ça ne performe pas, fini."
04:51 Bon, ça, ça va être une éducation qu'il va falloir maintenir.
04:55 Côté institutionnel, on y va alors de deux manières.
04:58 Soit avec des convictions très fortes.
04:59 Vous avez des acteurs institutionnels qui sont engagés là-dedans.
05:02 On voit même leur pub à la télé en général, c'est très clair.
05:05 Et puis vous avez ceux qui y vont parce que le régulateur l'impose.
05:07 En réalité, il y a une vraie marche forcée.
05:10 Et de toute façon, tout va arriver de ce pool-là,
05:12 épargne salariale, retraite, etc., qui sont en fait obligés d'y aller.
05:17 La question de la rentabilité, vous avez commencé à l'évoquer.
05:19 Alors là aussi, j'imagine que la réponse, elle ne peut pas être unique et trop simple.
05:25 Mais plus ou moins rentable, est-ce que c'est la première question qu'on vous pose ?
05:31 C'est la première question qu'on pose.
05:32 Alors moi, j'y réponds de plusieurs manières.
05:33 La première, de manière assez pragmatique.
05:36 Peut-on imaginer aujourd'hui qu'une entreprise qui ne respecte pas les normes,
05:41 qu'elle soit comptable, environnementale,
05:42 qui ne va pas correctement traiter ses salariés, va surperformer ?
05:46 Peut-être à court terme, parce qu'il y a un effet d'aubaine,
05:49 mais en réalité, les entreprises qui sont leaders aujourd'hui,
05:52 ce sont des entreprises qui ont été innovantes à tous les niveaux,
05:55 y compris ceux du développement durable.
05:57 En fait, il faut imaginer le développement durable
05:58 comme quelque chose de cœur stratégique.
06:00 À partir de là, la question de la performance ne se pose plus.
06:03 Néanmoins, effectivement, vous avez des bancs contraires, parfois en bourse,
06:07 qui font que ce ne sont pas les secteurs du développement durable naturel
06:10 qui vont surperformer.
06:12 Une reprise de cycle post-Covid, c'est plutôt favorable aux transports aériens,
06:16 aux énergies fossiles.
06:17 Et si vous faites de l'ISR à peu près...
06:20 - On voit avec les dividendes versés par... - Absolument.
06:22 - ... tous les grands groupes des énergies fossiles en ce moment.
06:25 - Tout à fait. Et c'est pour ça que c'est important de dire,
06:27 vous investissez dans un monde qui a 3, 5, 15 ans d'horizon.
06:31 Et une année où ça ne va pas, franchement, ça arrive à tout le monde.
06:35 Et il ne faut pas que ça devienne un prétexte pour dire que ça ne performe pas.
06:38 Et les études et les 10 dernières années de performance de ces fonds
06:41 montrent que ça performe bien.
06:43 - La France, on se situe comment dans ce mouvement de développement
06:48 des fonds d'investissement duroyain ?
06:50 - On perd notre avance. - Je ne sais pas, oui.
06:51 - Ah oui, c'est tout à fait ça. Et on la perd.
06:55 Alors, vis-à-vis des autres acteurs européens, des autres pays européens,
06:58 on a été pionnier, les Français, de ce point de vue-là,
07:01 avec une approche qui était triptique.
07:03 L'environnement, le social et la gouvernance avaient la même importance.
07:07 Vous alliez dans les pays nordiques, c'était plutôt l'environnement.
07:09 Vous alliez vers les pays du sud, c'était plutôt le social.
07:11 Les anglo-saxons, plutôt la gouvernance.
07:13 Nous, on avait cette approche qui prenait en compte les trois aspects en même temps.
07:17 Et on était en avance en Europe.
07:18 On perd de l'avance par rapport au reste de l'Europe, d'une part,
07:22 parce que l'Europe s'uniformise. Très bonne nouvelle.
07:24 Mais on perd surtout de l'avance par rapport aux États-Unis,
07:26 sur les données, la comptabilité extra-financière,
07:29 où, comme à leur habitude, lorsque les Américains prennent un sujet à bras-le-corps,
07:34 eh bien, ils vont très très vite.
07:35 Et ils n'ont pas besoin de se mettre tous d'accord.
07:38 - C'est plus facile tout seul qu'à 27. - Exactement.
07:40 - Mais justement, sur cette comptabilité extra-financière,
07:42 il y a un enjeu qui est majeur.
07:44 C'est qui l'a définie et qui l'impose au monde, d'une certaine façon.
07:47 Est-ce que ce combat-là, il est déjà perdu ?
07:49 - Oui, quasiment. Mais par contre, il est sain de toute façon.
07:52 Qui que ce soit qui le gagne, il fallait faire une comptabilité extra-financière.
07:55 Et il faut paralléliser ça avec les normes comptables financières
07:59 qui datent de la fin des années 90.
08:00 En fait, c'est assez récent.
08:02 Avant, chacun calculait sa marge, faisait des points dans son bilan très spécifique.
08:08 Et puis, on a dit non, stop.
08:09 Maintenant, on va vous donner un cadre qui soit pour tout le monde le même,
08:11 qu'on puisse comparer.
08:12 On fait la même chose sur l'extra-financier 30 ans plus tard,
08:15 plus tôt aux Etats-Unis.
08:16 - L'enjeu réputationnel, vous avez en partie répondu à cette question,
08:20 mais je veux bien qu'on détaille ça.
08:22 Ce n'est pas nouveau, mais c'est encore plus un enjeu financier ?
08:25 - Alors, plus que jamais.
08:26 C'est-à-dire que, et ça, c'est le grand enseignement.
08:28 D'abord, vous avez des faillites liées à des enjeux extra-financiers.
08:32 Or, P.A. n'aurait pas fait faillite s'il n'y avait pas eu ce scandale.
08:36 C'est-à-dire que l'équilibre financier de la société était assuré,
08:39 sa rentabilité également, donc les aspects financiers étaient bien présents.
08:42 Ce qui crée la faillite d'Or, P.A. c'est le défaut de confiance d'une part,
08:46 la remise en question des normes du marché dans ce secteur-là,
08:49 et le fait finalement qu'on a probablement surpricé,
08:53 survalorisé une rentabilité qui n'était pas pérenne.
08:57 Et vous allez à la faillite.
08:58 Donc, ça veut dire que vous avez des entreprises sur un scandale extra-financier
09:02 qui perdent 100% de leur valeur.
09:04 Et il n'y en a pas eu qu'une.
09:05 On a eu Wirecard, Enron était le premier exemple dans les années 2000, le plus flagrant.
09:10 Aujourd'hui, une controverse, c'est 30 à 40% de baisse sur les marchés.
09:13 C'est bien plus qu'un profit warning financier en réalité.
09:17 Et malheureusement, il se trouve que la plupart de ces controverses-là,
09:20 elles vont en général jamais permettre à l'entreprise de revenir sur ses niveaux
09:25 précédant la controverse.
09:26 Ça veut dire que vous impactez définitivement la réputation d'une entreprise
09:31 et ça se voit dans son cours de bourse.
09:33 Ça, c'est une révolution.
09:34 Parce que tous ceux qui n'y croyaient plus vont y prêter attention
09:38 parce qu'il y a une réalité boursière.
09:40 Et ça, c'est un levier de transformation évidemment très efficace.
09:43 Merci beaucoup, Eliane Châtelet.
09:46 À bientôt sur Bsmart.
09:47 On passe à notre débat, comment lutter contre la précarité alimentaire.

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