Flécher l'épargne européenne vers le financement de l'économie réelle européenne est en réalité plus complexe qu'il n'y paraît. Laure Delahousse, directrice générale de l'AFG, fait deux constats : cette épargne n'est pas forcément investie dans les entreprises européennes, car elle est souvent orientée vers des projets à court terme. De plus, même lorsque l'épargne est investie dans des entreprises, ce ne sont pas nécessairement des entreprises européennes. Par ailleurs, lorsque l'épargne est investie en actions, d'autres marchés, comme ceux des États-Unis ou de l'Asie, sont également très attractifs.
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00:00Et nous enchaînons à présent avec enjeu patrimoine, avec un questionnement
00:08comment mieux diriger l'épargne longue européenne vers le financement de
00:12l'économie européenne, de l'économie réelle européenne. Pour cela nous avons
00:16le plaisir de recevoir sur le plateau de Smart Patrimoine Laure Delahousse.
00:20Bonjour Laure Delahousse. Bonjour Nicolas. Vous êtes directrice générale de l'AFG,
00:24l'association française de la gestion financière et c'est vrai que c'est un
00:27questionnement régulier, très régulier aujourd'hui, ce sujet de fléchage de
00:32l'épargne européenne vers le financement de l'économie européenne.
00:35Alors ça peut paraître évident mais en fait c'est plus complexe que ça.
00:38On a du mal à faire en sorte que quand on cherche à investir son argent, on aille
00:45l'investir forcément dans le financement de l'économie européenne.
00:47Exactement. En fait on constate deux sujets, en fait au niveau français comme
00:52au niveau européen. C'est quand on a une épargne qui est abondante, une épargne
00:56financière qui est aussi abondante mais une épargne qui n'est pas forcément investie
01:02dans les entreprises européennes parce qu'on a un modèle en France et en Europe
01:08de protection sociale qui est très liée à ce mode de financement et finalement une
01:12épargne qui est relativement abondante mais qui est surtout investie à court terme et
01:15pas forcément dirigée vers les entreprises. Et même, le deuxième sujet c'est que même
01:20si elle s'investit dans les entreprises, on voit que de moins en moins elle va se
01:23loger dans les entreprises européennes. Et donc il y a un sujet finalement d'autonomie
01:29financière, de financement de ces entreprises. À un moment on a besoin justement d'investissement
01:34où les entreprises elles ont besoin d'investir parce qu'il y a ces grandes transitions,
01:37la transition énergétique, écologique et puis la transition digitale qu'il va falloir financer.
01:42Alors avant d'aller là-dessus, je voudrais juste rebondir sur un point. Vous dites même
01:46quand elles vont vers les entreprises, elles ne vont pas vers les entreprises européennes,
01:49ça veut dire qu'on va investir dans d'autres parties du monde, c'est ça ?
01:52Exactement. Et en fait, ce qu'on constate c'est que d'une part, cette épargne qui n'est pas investie
01:57à très long terme, quatre fois moins qu'aux Etats-Unis quand même, par rapport aux Etats-Unis
02:00où ils ont les 401k, les IRA qui ont remplacé un peu les fonds de pension traditionnels,
02:05on a une épargne qui est plutôt à court terme, moyen terme, beaucoup en dépôt, beaucoup sur
02:11des formules garanties et donc peu dans les actions. Et quand elles sont investies dans
02:15les actions, on a une attractivité finalement d'autres marchés financiers qui sont les Etats-Unis,
02:21l'Asie, etc. Et donc finalement, on constate que seulement un petit tiers des fonds actions
02:27qui sont commercialisés en Europe sont investis en l'Union Européenne. Alors en France, c'est un peu
02:33différent puisque nous, par exemple, nos membres, nos adhérents, donc les sociétés de gestion,
02:38investissent à plus de 70% en Europe, dont la moitié en France. Mais c'est très atypique par rapport
02:44à l'ensemble de l'Union Européenne où il y a un tiers seulement qui est investi grosso modo en
02:49Europe. Tout le reste, en fait, va financer d'autres continents, ce qui est bien, mais ce qui pose
02:53le problème du financement de nos propres entreprises. Et ça, ça s'explique aussi, si je ne dis pas de
02:57bêtises, par la typologie des sociétés de gestion. En France, on a la chance d'avoir beaucoup de
03:02sociétés de gestion françaises, donc qui sont associées à l'économie française ou européenne,
03:06mais dans d'autres pays européens, on a plutôt des mastodontes de la gestion financière, mais
03:10qui ne sont pas forcément européens pour le coup. Or, le fait, c'est vrai, comme vous l'avez dit,
03:14on a la chance en France d'avoir 4 acteurs de leaders parmi les 25 premiers mondiaux, donc c'était
03:20une exception française et dont on est très fiers. On a aussi une multitude de petits acteurs. Et
03:25pourquoi c'est important d'avoir cette gestion d'actifs très présente sur le terrain ? Parce
03:30qu'on connaît le terrain, on connaît les PME où il faut investir, on est des investisseurs fidèles,
03:34c'est-à-dire qu'en cas de turbulence, on reste fidèle à l'investissement dans l'Union Européenne
03:38parce qu'on connaît ce marché, on connaît le marché local. Et donc, en effet, il y a ce qu'on
03:42appelle un biais d'allocation géographique fort entre un gestionnaire de l'Union Européenne et
03:49d'autres gestionnaires d'autres zones géographiques. Donc, c'est une chance, en fait, d'avoir une
03:54épargne abondante, c'est une chance d'avoir une gestion d'actifs forte en Europe, en particulier
04:00en France. Maintenant, il faut que les deux matchent et qu'on arrive donc à flécher l'épargne, en tout
04:05cas une partie de cette épargne, davantage qu'aujourd'hui, vers les entreprises européennes.
04:10Et alors, comment on fait concrètement, c'est même le thème de cette émission, comment on peut mieux
04:13diriger l'épargne longue européenne vers l'économie européenne ?
04:16Évidemment que la fiscalité, on ne va pas imposer aux Européens d'aller investir uniquement en Europe.
04:20Ce n'est pas possible, il faut une diversification des portefeuilles, etc. Mais en revanche, on peut
04:24réfléchir quand il y a une incitation fiscale, donc une dépense de l'État, une dépense des États dans
04:29l'Union Européenne, pour financer, pour encourager l'épargne et l'épargne longue en particulier,
04:33on peut réfléchir à diriger une partie de cette épargne vers l'Union Européenne, pour que les États
04:41qui ont cette dépense fiscale en face, ils aient un bénéfice en contrepartie de cette dépense, et donc
04:48un investissement plus vers les entreprises de l'Union Européenne. C'est ce constat que je faisais
04:53sur l'investissement pas assez investi en Union Européenne, et le besoin de l'investir davantage
05:00en Union Européenne. On a deux rapports récents au niveau français et au niveau européen, qui ont fait ce
05:04constat, et qui font des propositions. Le rapport l'État au niveau européen, et le rapport noyé au
05:10niveau français, qui proposent tous les deux, davantage de créer, alors pour le rapport l'État,
05:17créer un nouveau produit d'épargne au niveau européen, fléché vers les entreprises européennes,
05:21fléché vers les PME, les grandes entreprises de l'Union Européenne.
05:24Ce qui existe assez peu aujourd'hui des produits d'épargne européenne, il y a un produit de retraite.
05:28Celui qu'on a créé, il n'a pas fonctionné autant qu'on voulait. Et donc ça c'est l'approche plutôt du
05:35rapport l'État, mais en fait, en y réfléchissant au niveau français, donc dans la task force qui était
05:40autour de monsieur Noyer, une autre idée a émergé, qu'on soutient beaucoup à l'AFG, qui est celle de
05:46labelliser des produits nationaux d'épargne existant, qui investissent davantage en Union
05:51Européenne. En France, on pourrait penser au PEA naturellement, à l'épargne salariale, à l'épargne
05:57retraite, à l'assurance vie, pour lesquels on pourrait mettre une incitation plus importante,
06:03supplémentaire, en orientant, en disant, par exemple, il doit y avoir 50%, 60% de cette épargne,
06:10de votre épargne, qui doit être investie dans les entreprises de l'Union Européenne.
06:14Au niveau politique, on a aussi beaucoup entendu, il y a quelques mois maintenant, l'exécutif français
06:20a milité pour une union des marchés de capitaux, avec cette idée derrière que mutualiser les
06:27marchés européens pourrait créer plus d'attractivité, puisque les marchés seraient plus gros,
06:33pourraient financer plus d'entreprises, ou en tout cas aller plus haut dans le financement des
06:37entreprises. Est-ce que c'est la position de l'AFG également ?
06:40Alors, l'union de marchés capitaux, l'UMC, c'est quelque chose qui paraît très abstrait.
06:43Je pense que, enfin, nous on préfère parler...
06:45Et dont on parle depuis longtemps d'ailleurs.
06:46Et dont on parle depuis très longtemps, puisque c'est une V2 ou une V3 de la première version
06:50de l'union des marchés de capitaux. Et on voit que ça ne fonctionne pas.
06:52En fait, l'union des marchés de capitaux, c'est l'idée de mettre en commun, en effet, des capitaux.
06:57Mais le rôle des bourses est important. Mais ce qui est plus important, c'est cet épargne,
07:03comment on l'investit ? Donc plutôt que de parler d'union des marchés de capitaux,
07:07nous on préfère parler d'union pour l'épargne et l'investissement, de façon à bien montrer l'objectif.
07:13L'UMC, c'est un moyen. L'objectif, c'est quoi ? L'objectif, c'est que notre épargne, elle puisse
07:19aller davantage financer, en particulier en fonds propres, les entreprises de l'Union européenne.
07:24Puisque les enjeux de financement des transitions, ils vont se faire, bien sûr, grâce aux financements
07:30bancaires. Bien sûr, les financements publics vont jouer leur part. Mais ça ne sera pas suffisant.
07:36Donc il faut des investissements en fonds propres. Et l'épargne, c'est 30 000 milliards au niveau
07:39européen dont je parlais tout à l'heure, ont un rôle à jouer. Il faut les mobiliser davantage
07:44pour aller accompagner nos entreprises.
07:4630 000 milliards, donc, au niveau de l'épargne européenne, financière, auquel font face, effectivement,
07:53des enjeux, vous l'avez dit tout à l'heure, de transition écologique et de transition numérique
07:57des entreprises européennes, et qui, elles aussi, ont besoin de capitaux énormes pour assurer
08:01cette transformation.
08:02On parle de 1 000 milliards par an au niveau européen. Et donc, c'est énorme. Et donc, c'est pour ça
08:07évidemment que les financements publics, les financements bancaires ne suffiront pas, surtout que
08:12c'est des investissements de très long terme. Et donc, c'est là où les investissements en fonds propres
08:16ou en mobilisation longue d'entreprises ont tout leur sens.
08:20Et alors, comment on incite plus aujourd'hui, finalement, ça passe aussi par la pédagogie,
08:25peut-être la prise de conscience des épargnants ?
08:27Bien sûr, il y a une question d'éducation financière. Et je vais reprendre ce que je disais un peu
08:32au début de notre entretien, c'est-à-dire qu'on a deux modèles. On a un modèle dans le monde.
08:37On a un modèle plutôt anglo-saxon avec peu de couverture, un modèle de protection sociale qui est très
08:43responsabilisant, on va dire, donc avec une nécessité dès le plus jeune âge de l'entrée dans la vie active
08:48d'investir et d'aller se constituer une épargne pour sa retraite, même pour l'éducation de ses enfants,
08:53les college funds, les 400 AK. Ce qu'on n'a pas en France et en Europe, enfin on l'a dans certains pays.
08:59Aux Pays-Bas, par exemple, il y a des fonds de pension qui sont très forts. Et donc, développer
09:05l'épargne longue, ça va en même temps que développer l'éducation financière. Aujourd'hui, et dans tous les
09:10pays européens, la plupart des pays européens, c'est vrai pour l'Allemagne aussi, on a une espèce d'aversion
09:14au risque immédiat et on ne se rend pas compte que sur le long terme, les actions, ça fait x5, x10 par rapport
09:21à un livret A, par exemple. Mais ça, on n'a pas cette conscience.
09:24Cette vision de long terme, on ne l'a pas quelque part ?
09:26Cette vision de long terme, on ne l'a pas. On a la vision d'une épargne de précaution, donc je sécurise,
09:30c'est mon bas de laine, c'est mon matelas, mais je n'ai pas le réflexe de dire, cette épargne, je peux en faire
09:35quelque chose, je peux en faire quelque chose de dynamique qui va, dans 10 ans, dans 15 ans, au moment de ma retraite
09:41ou avant, me permettre d'avoir plus et de battre l'inflation. Parce que quand j'investis à long terme, évidemment,
09:49mon objectif, c'est d'aller au-delà de l'inflation. Et pour ça, il faut investir, diversifier, investir une partie
09:54en actions.
09:55Et en plus, dans le contexte actuel de hausses des taux pratiques, alors la BCE vient de baisser ses taux,
09:59mais on a connu avant ça des hausses de taux qui ont amené un certain nombre de professionnels de la gestion
10:03de patrimoine de dire, retournez vers l'obligataire. Alors dans l'obligataire, il y a aussi l'obligataire d'entreprise,
10:07donc ça finance quand même les entreprises, mais ça n'a pas amené à se poser la question d'aller vers des investissements
10:12de plus long terme, sachant qu'on a vu la revalorisation des fonds euros ou autres.
10:16Alors, on a aussi ce qu'on a vu lorsque le PER a été créé et s'est développé beaucoup avec la réforme Pacte,
10:25on a mis en place aussi ce qu'on appelle la gestion pilotée. Et donc la gestion pilotée, ce qui permet d'investir
10:30lorsque vous êtes très loin de l'échéance de votre épargne, par exemple pour l'épargne retraite, la retraite,
10:35vous investissez majoritairement 80% en actions lorsque vous êtes à 20 ans de la retraite, jusqu'à 10.
10:41Et puis ensuite, petit à petit, on a un investissement davantage vers des supports sécurisés, obligations,
10:46et à la fin, monétaires et même produits garantis. Et donc, tous ces réflexes d'éducation financière,
10:52épargner régulièrement, épargner, investir en fonction de mon horizon de placement, donc beaucoup en actions
10:58lorsque je suis loin de mon horizon, et puis peu à la fin, ça n'est pas encore complètement rentré dans les mœurs.
11:03Après, on peut penser à plein d'autres propositions. L'épargne salariale est un très bon exemple,
11:08et d'ailleurs, on réfléchit, dans le rapport noyé, justement, à généraliser ces dispositifs, à le proposer
11:13dans d'autres pays européens, de façon à ce que, par exemple, une entreprise, je ne sais pas quoi, allemande,
11:19puisse proposer à tous ses salariés en Europe un système d'épargne salariale avec un partage de la valeur,
11:24un intéressement-participation de type européen, qui alimente des plans d'épargne, qui soient des plans d'épargne
11:30à 5 ans ou pour la retraite, investis majoritairement dans l'Union Européenne. C'est un sujet sur lequel
11:36on travaille beaucoup à l'AFG. Par exemple, ça peut être aussi... Donc, quand je parlais de label européen,
11:42en Italie, par exemple, il existe le PIR, qui est un produit de type PEA, donc booster un peu la fiscalité sur ce produit.
11:52On peut aussi réfléchir à des abondements automatiques de produits d'épargne investis dans l'Union Européenne.
12:00Il y a beaucoup d'idées qui sont en train de travailler. L'objectif étant vraiment celui de changer les habitudes
12:06pour une partie de ces 30 000 milliards, davantage les orienter vers les actions et en particulier vers les actions
12:12de l'Union Européenne.
12:13Justement, rapidement, on reçoit aussi beaucoup de professionnels du private equity sur ce plateau.
12:18Et certains nous disent qu'avant, on pouvait sortir en introduisant l'entreprise en bourse.
12:24Aujourd'hui, l'IPO est de moins en moins une solution parce que ça fonctionne moins.
12:28Pourquoi est-ce que ça cale en 2023-2024 ?
12:31Il y a un sujet de demande. C'est-à-dire qu'il y a peu d'épargnes à long terme. Or, investir dans des PME,
12:39ça ne se fait pas pour 6 mois. C'est un investissement long. Et donc, on en revient toujours au sujet de développer
12:45l'épargne à long terme, l'épargne retraite, par exemple, qui va aller plus naturellement s'investir dans des PME cotés.
12:52Et donc, à l'AFG, on a lancé il y a quelques mois l'initiative PME 2030 de façon à faire des propositions
13:00pour justement dynamiser cette classe d'actifs. Et puis, il y a un problème d'offre aussi, donc demande pas assez
13:06d'épargne longue, et problème d'offre aussi où, en effet, il y a de moins en moins d'entreprises qui vont à la cote
13:14parce que c'est lourd, parce que ça demande un effort de reporting qui est très lourd.
13:21Et aussi parce que, justement, le private equity a eu un afflux de souscription assez fort de la part d'institutionnels
13:28qui recherchaient un rendement plus élevé en période de taux bas et une certaine stabilité qu'on ne retrouve pas
13:34avec les entreprises cotées. Et donc, finalement, ces entreprises qui, naturellement, se seraient introduites en bourse
13:38assez tôt, elles sont restées dans le giron du private equity, ce qui est très bien. Mais je pense qu'il va y avoir
13:44un rééquilibrage, et on a besoin de la cotation parce que le private equity peut accompagner les entreprises
13:49jusqu'à un certain stade, mais à un moment, si on veut vraiment adresser un marché mondial, vraiment grossir,
13:54faire passer notre stade d'entreprise licorne à des entreprises internationales, il va falloir passer par la cotation.
14:02Et la cotation européenne.
14:03Exactement, ça se passe en Europe. Et pour ça, il faut qu'on ait les fonds nécessaires pour attirer ces entreprises
14:10sur les marchés européens pour leur introduction en bourse et après pour leur accompagnement.
14:15Merci beaucoup, Laure Delahousse, de nous avoir accompagnées dans Smart Patrimoine.
14:18Je rappelle que vous êtes directrice générale de l'AFG. Merci beaucoup.
14:21Merci à vous, Nicolas.
14:22Et quant à nous, on se retrouve tout de suite dans l'œil du CGP.