• il y a 8 mois

Le vendredi soir, Pierre de Vilno reçoit un invité pour revenir sur l’actualité. Ce soir Béatrice Brugère, magistrate, secrétaire générale de Unité Magistrats SNM-FO et auteure de « Justice, la colère qui monte » (Ed. de L'Observatoire, fév. 2024).
Retrouvez "Les invités d'Europe Soir week-end" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-europe1-week-end

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Transcription
00:00 Europe 1 soir Week-end. 18h-20h Pierre De Villeneuve.
00:04 Première invitée ce soir jusqu'à 20h, elle est magistrate, elle est secrétaire générale de unité magistrat SNMFO.
00:10 Bonsoir Béatrice Brugère.
00:11 Bonsoir.
00:12 Votre présence est importante ce soir tout particulièrement, pas parce que seulement vous voulez,
00:17 j'allais dire, retourner la table et refonder carrément la justice de ce pays,
00:22 c'est le thème d'ailleurs de votre livre "Justice, la colère qui monte" aux éditions de l'Observatoire,
00:26 mais aussi, et pardonnez-moi tout de suite d'emblée pour cet excès de genrisme,
00:31 mais parce que vous êtes une femme, les femmes que l'on célèbre les 8 mars de chaque année,
00:35 mais les femmes qui sont encore dans le monde stigmatisées, torturées, violées, battues, tuées.
00:40 Nous avons d'ailleurs une pensée toute particulière pour toutes les femmes otages du Hamas,
00:43 c'est leur 154ème jour de détention.
00:46 Et nous le disions sur Europe 1 ce matin à travers nos reportages Béatrice Brugère,
00:50 une femme en France n'est toujours pas en sécurité, que ce soit dans le métro, sur la voie publique,
00:54 parfois à son travail, et ses actes sont parfois, ou même trop souvent, impunis,
01:00 ou en tout cas pas assez sévèrement.
01:03 Oui, alors ce qui est assez positif sur ce constat qui est assez triste,
01:08 c'est quand même qu'il y a une prise de conscience réelle aujourd'hui,
01:11 notamment sur les violences faites aux femmes, puisque c'est quand même le sujet que vous évoquez à l'instant,
01:17 et sur une volonté réelle de mettre en place des processus pour améliorer notre justice par rapport à ça.
01:25 Alors, on peut toujours voir les choses vert à moitié vide, vert à moitié plein,
01:30 j'aime penser aujourd'hui, en cette journée...
01:33 Le vert à moitié vide, c'est le... c'est dans les féminicides.
01:36 Tout à fait, et en plus on a du mal à les contenir.
01:40 Oui, et même à les faire baisser.
01:41 Alors, ça mériterait sans doute aussi une analyse criminologique un peu plus poussée,
01:47 pour comprendre pourquoi il y a autant aussi de féminicides dans notre société.
01:51 C'est intéressant parce que c'est aussi un phénomène culturel,
01:54 pourquoi il y a cette explosion de féminicides.
01:58 Alors, c'est peut-être pas le lieu aujourd'hui, mais...
02:00 Culturel, ça veut dire que c'est réservé à une certaine...
02:03 Ça veut dire qu'il faudrait comprendre...
02:04 Culture, tradition de certains Français ?
02:06 Non, mais ce que je veux dire, ce qui m'intéresse aussi, c'est de comprendre,
02:09 c'est pas simplement constater.
02:11 Ce qui nous manque, en tout cas dans notre ministère, je trouve,
02:16 c'est cette analyse criminologique.
02:18 C'est-à-dire de comprendre, est-ce que c'est un phénomène nouveau ?
02:20 Est-ce qu'on ne l'avait pas vu ?
02:22 Est-ce qu'il est en train d'augmenter ?
02:23 Pourquoi il augmente ?
02:24 Et si on a cette capacité d'analyse, je pense que notre réponse sera aussi plus percutante.
02:30 Après, il y a d'autres enjeux qui sont, évidemment,
02:32 les enjeux des moyens, de la prise de conscience, de la volonté politique.
02:36 Moi, je trouve quand même qu'on a fait un grand pas en avant.
02:40 On a fait des choses.
02:41 Alors, on est encore loin du compte.
02:43 Si on se compare, parce que c'est toujours intéressant de se comparer,
02:46 l'Espagne est un modèle par rapport à nous,
02:49 où ils ont vraiment pris ça en main avant nous.
02:52 Et aujourd'hui, ils arrivent à faire baisser les féminicides.
02:55 Nous, on n'en est pas encore là.
02:57 Je pense que, et ça rejoint peut-être aussi à notre conversation que nous allons avoir à l'instant,
03:01 je pense qu'on a vraiment un problème d'organisation, de modernisation.
03:07 La simplification, c'est sur les mots du ministre devenu Premier ministre, Gabriel Attal.
03:13 Simplement, j'allais dire, la simplification, c'est pas si simple, comme dirait M. Delapalisse.
03:18 Alors, c'est non seulement pas si simple, mais surtout,
03:21 et c'est ça qui est peut-être parfois un peu négatif, pour ne pas dire même dramatique,
03:26 c'est qu'on n'y arrive pas, c'est-à-dire qu'on ne sait pas faire.
03:28 Au pays de Descartes, on a un problème de méthodologie.
03:31 C'est-à-dire que quand on dit "on va simplifier",
03:34 d'ailleurs, maintenant, toutes les lois quasiment pénales ou civiles,
03:37 s'appellent, c'est assez étonnant, "lois de simplification".
03:41 Et quand on regarde de très près, en réalité, non seulement on ne simplifie pas, mais on complexifie.
03:47 - Oui, et en tout cas, moi, ce que je retiens de votre livre qui est passionnant,
03:52 c'est la punition, la sanction, l'autorité, c'est le point d'achoppement,
03:57 j'ai l'impression, de ce livre, et à la fin, c'est le juge qui décide.
04:01 Ce juge, Béatrice Brugère, qui est-il ? Qui est-elle ?
04:05 Quel dogme habite ce juge ? Quel est le portrait robot du JAP,
04:09 qui finalement est celui qui finit par appliquer les peines, aujourd'hui, en France ?
04:13 - Alors, d'abord, et ça c'est assez intéressant,
04:17 tous les pays n'ont pas ce juge ou cette juge que vous venez d'évoquer,
04:21 et je vais lui donner son nom en entier, c'est le juge de l'application des peines.
04:25 C'est un juge qui a été créé en France,
04:29 et qui existe aussi un peu en Italie, mais les autres pays européens n'ont pas ça.
04:33 Et au départ, ce juge qui a été créé, c'était pour faire de l'exécution des peines,
04:37 et individualiser, puisque vous savez que c'est un dogme chez nous,
04:41 l'individualisation des peines, et c'est très bien, mais au fur et à mesure,
04:45 et sous, j'allais dire, les coups de boutoir, d'une forme d'idéologie,
04:49 c'est devenu un droit à l'aménagement. Et en fait, ce juge de l'application des peines,
04:54 c'est quasiment un troisième tour aujourd'hui de juridiction.
04:58 - Donc c'est la loterie ? - Alors, c'est pas la loterie, mais c'est ce qui explique...
05:02 - C'est-à-dire qu'on rabat les cartes ? - On recommence, quasiment on recommence.
05:06 - On peut très bien s'attendre à autre chose ? - Et en fait, ce que ne comprennent pas, et à juste titre,
05:10 les citoyens, c'est qu'en fait, la peine prononcée est rarement la peine exécutée,
05:15 quand elle est exécutée. Donc, cette distorsion,
05:19 qui n'est pas que symbolique, puisqu'en fait, il y a des enjeux réels
05:23 entre ce que l'on prononce et ce que l'on exécute, est parfois extrêmement importante.
05:28 Alors là-dessus, il faut rajouter une autre difficulté, qui est la difficulté aussi typiquement française,
05:33 c'est qu'aujourd'hui, on a sous-investi les prisons depuis des années,
05:37 et on le paye. Comment on le paye ? D'abord, on manque de places de prison,
05:41 donc on est en sous-équipement carcéral. Et ça, c'est une réalité qui est palpable,
05:45 puisqu'en fait, si on se compare par rapport aux pays européens, qui sont à peu près
05:49 sur le même mode que nous en termes d'organisation, on voit très bien
05:53 qu'on manque de places de prison. Et donc, comme on manque
05:57 de places de prison, ça impacte aussi cette politique
06:01 d'aménagement de peine. Comment ? En faisant de la régulation,
06:05 sans le dire, c'est-à-dire qu'on met en place des mécanismes
06:09 pour faire en sorte de faire entrer le moins possible et le plus tard possible
06:13 les gens en détention, à l'exception de la comparation immédiate que vous avez évoqué tout à l'heure,
06:17 qui est, voilà, tout à fait sur cette affaire,
06:21 qui est encore un mode d'exécution rapide et qui marche
06:25 parce que c'est tout de suite. Voilà, vous sortez de l'audience, comparation immédiate,
06:29 en général, vous avez une détention et c'est efficace, c'est visible.
06:33 Mais pour les autres modes, c'est-à-dire la plus grande partie des choses,
06:37 en réalité, on fait tout pour mettre le plus tard possible en prison. Une fois qu'on est en prison,
06:41 il y a un aménagement et on fait tout pour le faire sortir
06:45 le plus vite. Pourquoi ? Parce qu'on n'a plus de place en prison.
06:49 - Le temps nous manque, Béatrice Brougère. Je voulais qu'on
06:53 aborde un autre sujet qui est celui de l'école,
06:57 l'éducation, parce que c'est le chantier de tout candidat sérieux
07:01 à la présidentielle en 2027. Vous allez voir, ils vont tous avoir
07:05 l'école, l'école, l'école, l'école en premier lieu. Vous parlez des mineurs dans votre livre.
07:09 En alertant sur leur état de santé, sur leur peur, sur les harcèlements,
07:13 sur les réseaux sociaux. En fait, avec les mineurs, c'est à nouveau la confrontation
07:17 parce que certains parlent de l'idée d'un abaissement de la majorité pénale, d'autres disent
07:21 les services sociaux débordent, les services de l'enfance s'exclusent. Qu'est-ce qu'on fait et par où on commence ?
07:25 - Les mineurs, vous avez raison, en tout cas, c'est mon point de vue,
07:29 c'est un sujet capital, pour ne pas faire un jeu de mots, c'est un sujet majeur. On a aussi,
07:33 il faut le dire, et c'est triste parce que derrière, c'est des
07:37 personnes fragiles qu'on doit protéger,
07:41 on a un effondrement aujourd'hui de la protection des mineurs en France.
07:45 Tous nos services de protection,
07:49 je parle judiciaire, n'arrivent pas à faire face
07:53 aux enjeux. Donc ça, c'est un vrai sujet. C'est-à-dire que vous enlevez des mineurs,
07:57 parfois d'un milieu familial qui est en effet peu protecteur, ou ils sont en danger,
08:01 et on a du mal à les protéger sous main de justice.
08:05 Donc c'est incohérent et c'est surtout dramatique. Donc les mineurs doivent être
08:09 sur le plan de la protection, j'allais dire, doivent être déclarés
08:13 quasiment une cause nationale, et vous le savez, puisque en fait, c'est un impact
08:17 sur les écoles, les familles, etc. - Mais quand ils font des faits graves, on devrait
08:21 abaisser leur majorité, donc paradoxalement. - Et sur la partie pénale,
08:25 qui est parfois liée d'ailleurs, parce que quand ils sont souvent eux-mêmes victimes,
08:29 souvent ils sont hauteurs, vous avez raison, je pense que là,
08:33 on n'est pas non plus adapté. C'est-à-dire qu'on arrive trop
08:37 tard, et à mon avis, à contre-temps et à contre-sens.
08:41 - Donc c'est la double peine. - C'est un peu la double peine, et on voit très bien
08:45 que toutes les réformes, et on n'arrête pas de réformer le code pénal des mineurs,
08:49 en réalité, ne résout pas l'histoire. Donc, il faut
08:53 s'interroger maintenant, un, sur notre manière de
08:57 réformer, de la méthode, deux, peut-être sur notre déconnexion avec la
09:01 réalité de ce qui se passe sur le terrain, trois, je pense que parfois
09:05 on est à contre-sens de ce qu'il faut faire. Je vous donne un exemple précis.
09:09 On a un pédopsychiatre, parce qu'il y a aussi un gros problème
09:13 de psychiatrie, qui s'appelle Maurice Berger. Il dit, en fait, si vous voulez
09:17 agir sur les mineurs, c'est très vite, tout de suite, y compris au niveau pénal.
09:21 Or, nous, c'est trop lent, et du coup, les mineurs
09:25 ont un sentiment d'impunité, et ne sont pas punis comme il faudrait
09:29 au bon moment. Voilà. Donc, les cabinets des juges des enfants le savent
09:33 débordent de dossiers, donc c'est pas faute de travailler, mais c'est faute
09:37 de pouvoir donner une réponse adéquate. Je pense qu'il faut changer d'urgence
09:41 le logiciel, et en faire une priorité nationale. - Merci beaucoup, Béatrice Brugère. Beaucoup d'autres
09:45 sujets, évidemment, dans votre livre, qui en regorge, puisque c'est une synthèse de ce qui faudrait
09:49 faire. En tout cas, vous donnez des pistes dans "Justice, la colère qui monte", plaidoyer pour
09:53 une refondation aux éditions de l'Observatoire. Merci d'avoir été avec nous. - Merci de votre invitation.
09:57 - Je vous signale que de vous retrouver dès demain matin, dès 6h, l'Eneic Meunier
10:01 pour la matinale week-end, 6h-9h. L'interview console, l'interview
10:05 culture, l'immobilier, la gastronomie, la découverte, tout est au programme
10:09 et demain à 6h40, l'Eneic reçoit Pascal Canfin
10:13 député Renew, président de la commission Environnement, et à
10:17 8h10, la porte-parole du gouvernement, Priska Thévenot. Et nous, dans un instant,
10:21 on se retrouve pour parler des Etats-Unis. Biden sort de
10:25 Ségon et attaque Fort Trump. La campagne commence aux Etats-Unis après la Super Tuesday.
10:29 Le discours sur l'Etat de l'Union et pour en parler, le tout dernier
10:33 ambassadeur de France en poste à Washington, Philippe Étienne. A tout de suite sur Enfin.
10:37 [Musique]

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