La guillotine une invention bien française

  • il y a 6 mois
Quarante ans après l'abolition de la peine de mort en France, votée le 18 septembre 1981, la guillotine reste dans l'imaginaire collectif comme l'instrument de la condamnation à mort. Cette machine, mise au point à la Révolution pour rendre une justice plus égale, était présentée comme un progrès. Au fil du temps, l'opinion s'est partagé au sujet de la peine de mort, la guillotine devenant l'objet de la cruauté de l'homme, un reliquat d'une archaïque manière de rendre la justice et alimentant les nombreux débats autour de la peine de mort et de son abolition.
Transcript
00:00 On lui a lié les mains derrière le dos avec la cordelette.
00:07 Presque sans hésiter, je suis les gardiens qui poussent le condamné et j'entre dans
00:16 la cour intérieure où se trouve la guillotine.
00:18 Tout va très vite.
00:22 Le corps est presque jeté à plat ventre.
00:25 Mais à ce moment-là, je me tourne, non pas par crainte de flancher, mais par une sorte
00:31 de pudeur instinctive, viscérale.
00:34 J'entends un bruit sourd.
00:36 Je me retourne.
00:37 Du sang, beaucoup de sang.
00:41 En une seconde, une vie a été tranchée.
00:44 J'ai une sorte de nausée que je contrôle.
00:47 J'ai en moi une révolte froide.
00:50 Ce récit de Monique Babelli, juge d'instruction présente à la prison des Boumettes lors
00:57 de la dernière exécution d'un condamné, a été rendu public à la demande de l'avocat
01:02 Robert Badinter.
01:04 Devenu ministre de la Justice en 1981, il porte devant l'Assemblée nationale le premier
01:11 grand débat du septennat de François Mitterrand, l'abolition de la peine de mort et donc
01:17 la disparition de la tristement célèbre Guillotine.
01:21 Demain, voyez-vous, demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice
01:35 qui tue.
01:36 Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, des exécutions
01:46 furtives à l'aube sous le denoir dans les prisons françaises.
01:52 Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
02:00 Demain, c'est l'abolition.
02:04 Législateur français, de tout mon cœur, je vous remercie.
02:10 L'histoire de la Guillotine commence au moment de la révolution.
02:40 En 1789.
02:41 Partout dans le monde, depuis la nuit des temps, les condamnés à mort sont exécutés
02:49 par toutes sortes de techniques barbares.
02:51 Mais la France, elle, se distingue.
02:54 Poussée par le courant humaniste et par les philosophes, elle veut en finir avec les
03:00 supplices en vigueur sous la monarchie tout en conservant la peine de mort qui est largement
03:06 approuvée par le peuple.
03:07 Comment la rendre acceptable ? C'est l'objectif de Joseph-Ignace Guillotin.
03:14 Médecin, député du Tiers-État, il propose d'en finir avec les archaïsmes de la justice.
03:22 Seuls les nobles avaient droit à être décapités et c'était à l'épée de justice.
03:27 Lui, il dit que voilà, si on est condamné à mort, on doit être exécuté selon un
03:31 procédé mécanique, le même pour tous.
03:33 Et puis il a une arrière-pensée en tant que médecin, c'est de rendre la mise à
03:37 mort la plus brève, la plus courte possible, la plus indolore possible.
03:42 L'idée va être approuvée, mais l'idée seulement.
03:45 Cette mécanique, on ne la connaît pas, lui-même ne l'a pas conçue, il n'est pas ingénieur,
03:50 il n'a jamais fabriqué une machine à décapiter.
03:54 Et en fait, c'est surtout pour se moquer de lui que ses adversaires politiques vont
03:58 donner le nom de Guillotin, vont donner son nom à cette machine qui va être construite.
04:03 Plusieurs projets sont soumis aux députés et c'est celui du docteur Antoine Louis,
04:12 chirurgien militaire qui est retenu en 1792.
04:16 Une lame en biseau, entre deux montants de bois, s'abat en une fraction de seconde
04:21 sur le coup du condamné.
04:22 On procède à des essais sur des cadavres et des animaux, ils sont concluants.
04:27 On estime à 18 000 le nombre de personnes qui ont eu la tête tranchée pendant la Révolution
04:33 française.
04:34 Dans les milieux bourgeois, aussi dans les milieux éduqués, il est bien vu d'assister
04:41 à une exécution, surtout, bien sûr, si on est aux premières loges.
04:45 À telle enceinte qu'à Paris, la préfecture de police distribuait de véritables cartons
04:50 d'invitations.
04:51 Ça, c'est un carton pour assister à une exécution, pour franchir le cordon de sécurité
04:55 et être aux premières loges.
04:56 Et alors, ce carton comportait un coin détachable avec un pointillé, celui-là n'a pas servi,
05:02 celui-là a servi, c'est-à-dire qu'on enlevait le coin pour vous laisser entrer.
05:06 Ça, c'est le carton d'une exécution à laquelle, eh bien, on a assisté.
05:10 Au XIXe siècle, la pratique ne change pas.
05:17 La guillotine est toujours appréciée par la population.
05:20 Mais une certaine répugnance commence à se ressentir dans les milieux politiques.
05:25 Elle devient de moins en moins supportable.
05:27 Dans un premier temps, on la fait migrer dans la périphérie des villes.
05:34 Puis, en 1870, on supprime l'échafaud, cette estrade sur laquelle doit monter le condamné
05:41 pour être vu de tous.
05:43 À partir de 1906, la France n'est pas très loin d'abolir véritablement la peine de
05:50 mort.
05:51 Pourquoi ? Parce que d'abord arrive à l'Élysée un personnage qui s'appelle Armand Fallière,
05:56 un personnage plutôt débonnaire, un avocat qui a toujours été abolitionniste.
06:02 Et en tant que président de la République, même si le président a peu de pouvoir sous
06:06 la Troisième République, il dispose d'une arme importante, c'est le droit de grâce.
06:10 On va inventer une manœuvre pour tenter d'introduire, pour tenter d'imposer le débat sur l'abolition.
06:16 Supprimer les crédits du bourreau et donc ainsi supprimer la guillotine, en catimini
06:20 en quelque sorte, sans qu'il y ait un grand débat.
06:22 En 1908, on n'est pas très loin d'un vote majoritaire en faveur de l'abolition.
06:28 Le président est pour, le chef du gouvernement est pour, la majorité est plutôt pour.
06:32 Malheureusement, il y a à ce moment-là un crime assez abominable, un triste individu
06:37 du nom de Soleillan qui entraîne une jeune voisine et qui la tue, dissimule le cadavre
06:44 de façon sordide.
06:45 Et on assiste en quelques semaines à un retournement de l'opinion.
06:49 À partir de là, les parlementaires les moins convaincus, les plus indécis vont finalement
06:54 voter pour le maintien de la peine de mort.
06:56 Le tournant, c'est la grande guerre.
06:57 Le tournant, c'est 1914.
06:59 Pourquoi ? Parce que la France entre dans une période de guerre presque continuelle.
07:04 Quand elle est en guerre, la France, quand elle est en guerre mentalement, à quoi ça
07:07 sert de se battre franchement pour sauver une ou deux mauvaises têtes de criminels
07:12 alors qu'il y a des centaines de milliers de bons Français honnêtes qui meurent sur
07:16 les champs de bataille pour défendre leur pays ?
07:18 En fait, il n'y a pas de débat parlementaire sur la peine de mort depuis 1909.
07:23 Il faudra attendre véritablement 1979-1981 pour qu'il y ait un débat parlementaire.
07:30 C'est ainsi que 500 têtes continuent de tomber.
07:34 Comme aucune loi ne régit l'organisation des exécutions, un rituel s'est établi
07:41 qui varie très peu dans le temps.
07:43 Lorsqu'une condamnation à mort est prononcée, lorsque les différents recours ont été
07:48 rejetés, la justice, comme on dit, suit son cours.
07:55 C'est le compte à rebours qui se met en place.
07:58 Il sait qu'il n'a plus que quelques heures, voire quelques minutes à la fin du 19e siècle
08:04 avant de mourir.
08:05 Et c'est un moment qui est extrêmement scruté par les témoins parce que c'est
08:10 véritablement le moment où la justice s'imprime dans le corps du condamné.
08:14 On va également ensuite l'amener au greffe, c'est-à-dire une pièce de la prison où
08:20 on va le mettre pour la première fois en présence de l'exécuteur qui n'a pas le
08:26 droit de venir dans la cellule pour le réveiller, qui l'attend au greffe.
08:29 Ce qui est intéressant à noter, c'est qu'une fois que les gardiens ont amené le
08:35 condamné au greffe, c'est l'exécuteur en chef qui signe une levée d'écrou.
08:45 Et c'est, on dit en termes de la profession de bourreau, à ce moment-là, le condamné
08:53 m'appartient.
08:54 Et puis, il y a ce qu'on appelle la toilette qui est faite à ce moment-là par des aides
09:00 de l'exécuteur qui va consister à couper les cheveux au XIXe siècle, à couper ensuite
09:07 plutôt simplement le col de la chemise, à l'échancrer celle-ci, à dénuder les
09:11 épaules.
09:12 Ensuite, on peut laisser quelques minutes au condamné pour se restaurer, manger au
09:20 XIXe siècle.
09:21 Par la suite, on se contentera d'un verre de cordial, d'un verre d'alcool et de
09:26 quelques cigarettes, dire quelques mots encore au prêtre, lui recommander des choses à
09:35 transmettre à la famille ou à l'avocat.
09:37 Et enfin, on va l'amener devant la guillotine.
09:41 La guillotine, elle est montée en 30-45 minutes.
09:45 Et puis, à l'aube, vers 4 heures du matin, souvent, on va chercher le condamné dans
09:53 sa cellule et entre le moment où on va le chercher dans sa cellule et où il est exécuté,
09:59 grosso modo, il y a une demi-heure.
10:02 C'est au petit matin, toujours en public, devant les portes des prisons, que se déroulent
10:13 les exécutions.
10:14 Mais en 1939, juste avant la déclaration de guerre, l'affaire Eugène Weinmann va
10:22 bouleverser la pratique.
10:23 Cet Allemand, né en 1908 à Francfort, dans une famille aisée, plonge très jeune dans
10:34 la délinquance.
10:35 Il multiplie les séjours en prison dans son pays.
10:38 Narcissique, mythomane, habité par un sentiment de toute puissance, il sait jouer de son physique
10:45 avenant.
10:46 À Francfort, il séduit une riche héritière qui l'enlève pour rançonner sa famille.
10:52 Arrêté, emprisonné, il rencontre deux truands français.
10:57 Le trio arrive à Paris.
10:59 Il arrive en pleine exposition universelle, en 1937.
11:09 Et là, il est toujours à l'affût d'un mauvais coup et il va commettre l'irréparable.
11:16 La première personne qu'il a tuée, c'est Jeanne de Coven, une jeune danseuse américaine
11:22 venue en France pour découvrir l'exposition universelle de 1937.
11:26 Cette jeune femme, il a pour idée de la kidnapper et de lui demander une rançon.
11:33 Deux jours après, le voilà qui arrive, qui va chercher Jeanne de Coven à son hôtel.
11:37 Jeanne de Coven part avec lui et on ne la reverra plus jamais.
11:41 Il est pris d'un moment de folie, il lui saute à la gorge et il l'étrangle.
11:48 Il dira lui-même que cette première expérience d'avoir donné la mort lui est apparue comme
11:56 très facile.
11:57 Et à partir de là, il tuera les autres personnes d'une balle dans la nuque.
12:01 Les autres crimes vont être commis tout simplement pour payer son loyer.
12:05 C'est des sommes dérisoires.
12:09 Quand il est effectivement arrêté le 9 décembre 1937, son arrestation représente un soulagement
12:17 très certainement pour lui parce qu'il va dire à la veille de sa mort qu'il est
12:22 content de ne pas vieillir.
12:23 La presse annonce l'arrestation du criminel.
12:32 À la Selsac, dans la ville à la Boulzy, après un combat au cours duquel l'inspecteur
12:44 chef Frank Borgnes et les deux inspecteurs Soignant et Bourquin sont blessés, le monstre
12:52 va être arrêté.
12:54 À la prison Saint-Pierre de Versailles, il occupe la même cellule que Landru 15 ans
13:01 plus tôt.
13:02 Après un an d'instruction, le procès devant la cour d'assises de Senehwaz s'ouvre en
13:07 mars 1939.
13:09 Eugène Weidmann et sa bande sont accusés de six meurtres avec préméditation.
13:16 Le procès, c'est le spectacle du siècle.
13:19 Les plus grandes personnalités y sont Cocteau, Collette qui va en tant que journaliste,
13:25 il y a Maurice Chevalier, et il y a le plus beau de tous et celui qui donne le plus envie
13:32 de l'écouter, il y a le superbe Weidmann.
13:35 Toutes les femmes le regardent, qu'est-ce qu'il est beau, quel beau monstre, c'est
13:38 pas possible.
13:39 Collette dit "c'est très malvenu de vouloir couper une si belle tête".
13:44 Versailles connaît ce matin une vive animation.
13:46 Devant le palais de justice, une foule curieuse et avide d'émotions fortes se presse pour
13:52 assister au procès de Weidmann et de sa bande.
13:53 Six crimes affreux commis en quatre mois vont être évoqués successivement dans l'enceinte
14:00 d'une cour d'assises qui, depuis l'affaire Landru, n'avait pas connu de débat criminel
14:05 d'une telle ampleur.
14:06 L'air là est déprimé, le criminel est peu locas et semble ne pas se faire d'illusions
14:17 sur le sort qu'il attend.
14:19 Le verdict ne fait pas de doute.
14:21 Si ses complices sauvent leur tête, pour Weidmann, c'est la mort.
14:26 Tous les recours sont rejetés, la grâce présidentielle est refusée.
14:31 L'exécution est prévue pour le 17 juin à 3h50 du matin.
14:36 A la lumière des projecteurs, sur le trottoir devant la prison, le bourreau Jules Defourneau,
14:43 pour qui c'est la première exécution, positionne mal la machine.
14:47 La lame refuse de descendre.
14:50 Il faut tout démonter, le temps passe.
14:52 A 4h40, lorsque tout est prêt, il fait jour.
14:57 Christopher Lee, le comédien britannique, futur Dracula dans les films d'horreur, se
15:06 trouve dans l'assistance.
15:07 Les portes s'ouvraient du prison, il est sorti, chemise blanche, pantalons, je crois
15:15 les pieds nus, je ne me rappelle pas très bien, mais je crois.
15:19 Les mains ligotées, la chemise déchirée, avec un homme sur chaque bras, tout était
15:27 arrangé.
15:28 Il avait le panier, la bascule, la lunette, tout ça, la lame, tout ça, incroyable.
15:33 Et puis, heureusement, je n'ai pas vu, j'ai tourné la tête, j'ai entendu la descente
15:42 de la lame.
15:43 Parce qu'il y a du bruit, vous savez.
15:49 Et puis, peut-être c'est l'imagination, je ne sais pas.
15:54 Et puis, quand je regardais de nouveau, le panier est parti et ils étaient en train
16:03 de démonter la machine.
16:04 C'est la première et seule exécution jamais filmée en France.
16:10 Et là, ce sont des cris de joie, on sable champagne, on danse, des dames même trempent
16:33 leurs mouchoirs dans le son du supplicié en disant que c'est bon pour la fertilité.
16:39 Cette exécution va donner lieu à de tels débordements, et on considère la prise de
16:44 vue comme un de ces débordements à l'époque, que là, la décision est prise de cesser
16:49 les exécutions publiques.
16:50 Ce qui fragilise le principal argument des partisans de la peine de mort, l'exemplarité.
16:56 La peine de mort ne peut plus, si jamais elle l'a été, être exemplaire dans la mesure
17:00 où elle n'est plus vue, elle n'est plus publique, elle est simplement sue par une
17:04 brève dans les journaux.
17:06 Même dissimulé dans l'enceinte des prisons, le cérémoniel des exécutions reste inchangé.
17:12 Personnels pénitentiaires, greffiers, avocats, magistrats, prêtres, chacun joue son rôle
17:19 dans la discrétion.
17:20 Seul le bourreau focalise l'attention du public et de la presse.
17:26 Les bourreaux ont toujours été à la fois craints, détestés et secrètement admirés.
17:39 Les bourreaux, c'est d'abord une affaire de famille.
17:42 C'est toujours comme ça.
17:44 Il y a eu des dynasties.
17:45 Il y a eu la fameuse dynastie Samson.
17:48 L'autre grande, grande dynastie, ce sont les Deblers.
17:51 C'était payé au mois, non pas par exécution comme pourrait l'imaginer.
17:56 Il n'y avait pas non plus de...
17:58 Certains ont dit une prime qu'on aurait appelée une prime de panier.
18:01 Bon, il venait tous les mois, l'exécuteur, à la direction des affaires criminelles et
18:07 des grâces, chercher son enveloppe pour lui et ses aides.
18:10 Il avait un premier aide et deux autres.
18:12 Autour de la guillotine, ils étaient quatre en général.
18:15 Bon, et j'ai fait le calcul.
18:18 Aujourd'hui, un exécuteur gagnerait à peu près en chef 3500 euros par mois.
18:24 Son premier aide, 2500 et les autres 1500 par mois.
18:30 Des hommes comme Anatole Debler, qui commence à exécuter en 1885 et qui achève en 1939,
18:37 qui a fait tomber près de 400 têtes, soit au titre de bourreau en chef ou d'adjoint,
18:42 dans ses carnets d'exécution, une note de façon très administrative, le nom du condamné,
18:50 la date de l'exécution.
18:51 En revanche, il met peu de notation personnelle.
18:55 Mais moi, je fais l'hypothèse que finalement, c'est la nature même de ces carnets qui
19:01 nous informent sur la façon dont le bourreau affronte son travail, la difficulté de ce
19:08 travail.
19:09 Il le routinise d'une certaine façon.
19:11 Il le rend administratif.
19:13 Il prend une forme de distance par rapport à celui-ci.
19:16 Oui, alors c'est assez particulier.
19:19 Ce n'est pas évident de tuer de sang-froid un être humain.
19:22 Et moi, ce que j'ai pu lire dans les travaux que j'ai effectués et ce que je peux retirer
19:31 des entretiens que j'ai eus avec l'exécuteur, c'est qu'en réalité, j'ai eu le sentiment
19:38 qu'il se raccrochait, pour supporter la situation, à des éléments techniques, à des procédures,
19:46 à des gestes, à des rituels.
19:48 Un petit peu comme les urgentistes dans la médecine de catastrophe.
19:52 Parce que c'est tellement effrayant tout ce qui se passe, qu'on se réfugie derrière
19:57 les procédures pour supporter la situation.
20:00 Mais au fond, les bourreaux, si je m'en tiens à celui que j'ai connu, M. Obrecht,
20:09 ce n'étaient pas des espèces d'horribles personnages, etc.
20:13 C'étaient des Français moyens.
20:14 Il est pourtant des condamnés à mort pour lesquels le bourreau et son équipe éprouvent
20:22 une réelle aversion à exercer leur office.
20:25 Ce sont les femmes.
20:26 Les exécutions de femmes, techniquement, ne sont pas censées différer de celles des
20:36 hommes.
20:37 Cependant, les exécuteurs disent très nettement que les femmes n'ont pas l'habitude de
20:45 les manipuler.
20:46 Parce que c'est quand même faire violence à une femme, et que ça ne rentre pas dans
20:53 l'éthos masculin de l'époque, surtout l'éthos des exécuteurs, qui se veulent
20:58 des instruments de la justice, et qui, là, ont l'impression d'être ramenés vraiment
21:02 à leur rôle de brute.
21:04 D'ailleurs, les exécutions de femmes sont rares.
21:07 Elles ne représentent que 7% de l'ensemble des condamnés à mort.
21:13 Aucune femme n'est exécutée pour crime de droit commun entre 1887 et 1941.
21:20 Après la guerre, elles ne sont qu'une poignée à passer sous le coup de prêt.
21:25 Germaine Loa Godefroy va entrer dans l'histoire criminelle.
21:30 Elle est la dernière Française guillotinée le 21 avril 1949, derrière les murs de la
21:38 prison d'Angers, dans le Maine-et-Loire.
21:44 Germaine vit à Bauger, dans la Sarthe.
21:49 Réputée travailleuse, mais volage, elle dirige avec son mari Albert un négoce de
21:54 charbon.
21:55 Un jour, elle tombe amoureuse de Raymond Boulissière, un jeune employé, au point de vouloir supprimer
22:02 son mari pour vivre avec lui.
22:04 Le 10 décembre 1947, à 22h30, Germaine assène à Albert 20 coups de feuilles de boucher
22:16 pour 20 ans de mariage.
22:18 Sa version d'un cambriolage n'est pas crédible aux yeux des enquêteurs.
22:23 Elle passe aux aveux.
22:25 Le crime de Germaine Loa est une double transgression.
22:31 D'abord parce qu'elle a exercé la violence alors que normalement la violence est masculine.
22:35 Et puis aussi parce qu'elle a tué son mari, son époux.
22:39 Elle a renversé en quelque sorte la hiérarchie conjugale.
22:43 Parce que la femme, par le mariage, est soumise à son mari et c'est une transgression qui
22:49 est sévèrement réprimée.
22:50 D'ailleurs, c'est assez frappant de constater, si on regarde les annales judiciaires, qu'en
22:54 réalité, il y a beaucoup plus d'hommes qui tuent leur épouse que d'épouses qui tuent
22:59 leur mari.
23:00 Et pourtant, les hommes qui tuent leur femme ne sont quasiment jamais condamnés à mort.
23:05 Alors que les femmes qui tuent leur époux, elles, au contraire, elles sont quasiment
23:08 toutes condamnées à mort de façon systématique.
23:10 L'instruction est expédiée et le procès fixé au 26 novembre 1948 ne dure qu'une
23:19 seule journée.
23:20 La culpabilité de Germaine Leloy-Gauthroy et de son amant, Raymond Boulissière, ne
23:26 fait aucun doute.
23:27 Germaine n'a pas une attitude qui lui permettrait de susciter la sympathie du jury.
23:38 Tout au contraire, même, on sait bien que dans la cour d'assises, c'est un peu une
23:43 loterie finalement.
23:44 Et c'est vrai que beaucoup de choses reposent sur la personnalité de l'accusé.
23:47 Il se montre très froid, très passif, sans réaction, comme l'a été Germaine.
23:52 Et là, il y aura toutes les chances que cet accusé soit condamné à mort.
23:55 Et c'est effectivement ce qui se passe pour Germaine.
23:58 Après 1949, il n'y aura plus d'exécution de femmes.
24:03 Il y a des femmes qui continuent à être condamnées à mort, mais on en revient à
24:07 cette abolition de fait qui avait existé pendant la plus grande partie de la Troisième République,
24:12 c'est-à-dire que les présidents successifs, après Vincent Auriol, vont accorder systématiquement
24:18 la grâce pour les femmes.
24:19 Mais la guillotine n'en reste pas moins active pour les hommes.
24:23 Une machine reste à Paris, les deux autres sillonnent la France au gré des décapitations,
24:30 une cinquantaine jusqu'à la tuerie de Clairvaux en 1971.
24:34 - Claude Buffet, 38 ans, réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre.
24:42 Roger Bontemps, 35 ans, 20 ans de réclusion pour attaque à main armée.
24:47 C'est pour cela que Buffet et Bontemps se trouvent à la centrale de Clairvaux, le 21
24:53 septembre 1971, où ils purgent leur peine.
24:56 Les deux hommes se sont fait admettre à l'infirmerie.
25:00 Ils prennent en otage, sous la menace de leur couteau, Guy Girardot, un gardien, et Nicole
25:07 Comte, une infirmière.
25:09 C'est le branle-bas de combat à la prison, à la chancellerie et au ministère de l'Intérieur.
25:14 Le responsable de la police judiciaire de Reims, Charles Pellegrini, est le premier
25:20 sur les lieux.
25:21 - Très tard dans la soirée, même au début de la nuit, on vous passe Paris, c'était
25:26 le garde des Sceaux, René Pleven, directement au téléphone.
25:30 Donc, monsieur le commissaire, oui, monsieur.
25:33 Et donc, combien avons-nous de chances de sauver les otages ?
25:36 Pas beaucoup, monsieur le président, pas beaucoup.
25:38 Mais dites-moi un pourcentage.
25:40 10 à 15%.
25:43 C'est bien, donnez la sceau.
25:45 Donc, autre temps, autre meurtre, Clairvaux, maison centrale de Fort, détenu autrement
25:51 dangereux.
25:52 Et les ordres du ministère de la Justice étaient « on ne sort pas d'une maison
25:57 centrale de Fort ».
26:00 On a mis une charge très importante sur la porte de l'infirmerie.
26:08 L'explosion était violente.
26:09 On s'était mis un peu en retrait sur l'escalier, mais ça a bien soufflé et on est rentrés.
26:15 Il y avait le surveillant Girardot qui avait été égorgé, son sang avait giclé jusqu'au
26:21 plafond, et Mme Comte qui a agonisé dans la pièce à côté.
26:24 Le procès pour séquestration et double crime s'ouvre le 17 juin 1972 à 3 dans l'aube.
26:34 Buffet est défendu par maître Thierry Lévy et bon temps par maître Robert Badinter.
26:40 Claude Buffet se distingue d'entrée.
26:43 Comme vous l'ont dit mes avocats, maître Thierry Lévy et maître Croce, ont dit que
26:49 je réclamerai la peine de mort.
26:50 C'est ce que vous m'avez fait.
26:52 Et vous me la donnerez.
26:54 Mardi, quand j'ai quitté le palais de justice, dans les fourgons, la foule réclamait
27:01 un mort fumier.
27:02 Si elle savait qu'on roule, elle me rendait service.
27:06 Le verdict tombe deux jours plus tard.
27:11 En conséquence, la cour et le jury, après en avoir délibéré en commun à la majorité
27:17 et sans désemparer, condamnent Buffet-Claude et bon temps Roger à la peine de mort.
27:21 Silence, silence, expulsez cet individu.
27:26 Expulsez cet individu qui s'est levé pour applaudir.
27:29 C'est honteux.
27:30 Robert Badinter, l'avocat de bon temps, est en première ligne, car il apparaît que
27:42 son client n'a pas tué.
27:44 Et il multiplie les recours en vingt, car finalement, Georges Pompidou rejette la grâce
27:50 pour les deux hommes.
27:51 Ils sont transférés à Paris, dans la maison d'arrêt de la santé, et le 28 novembre
27:58 1972, Buffet et bon temps sont exécutés à l'aube dans la petite cour prévue à
28:05 cet effet.
28:06 Cette double exécution marque les esprits.
28:09 Pour plusieurs raisons, elle devient mythique.
28:12 D'abord la personnalité de Buffet, qui a dit tout le temps il faut me condamner à
28:18 mort parce que je recommencerai, c'est pas courant dans les cours d'assises.
28:21 Deuxièmement, bon temps, je pense qu'il a sans doute pas tué madame Comte.
28:29 Honnêtement, j'en ai lu tellement, mais je pense.
28:32 Mais il avait été condamné pour un délit qui aujourd'hui lui vaudrait tout au plus
28:36 un an de prison, il avait braqué un chauffeur de taxi avec un pistolet factice.
28:40 Mais il avait été envoûté par Buffet, qui n'avait qu'un leitmotiv, nous sommes
28:45 deux, on l'a fait à deux et on partira à deux.
28:48 Elle est aussi devenue mythique parce que Badinter était l'avocat de bon temps, je
28:53 crois qu'il a fait une plaidoirie remarquable contre la peine de mort, etc.
28:57 Je suis devenu après cette exécution un militant, un militant de l'abolition.
29:03 Je me dis absolument, je ne peux pas aussi longtemps que je le devrais, je me battrai
29:11 contre la peine de mort.
29:12 C'est incompatible avec tout ce que je crois être la justice.
29:16 Dans ces années 70, la cause abolitionniste progresse.
29:23 Après l'affaire Buffet-Bontemps, dix condamnés à mort seront graciés par les présidents
29:28 Pompidou et Giscard d'Estaing, mais l'assassinat d'une enfant va relancer le débat.
29:34 Le 3 juin 1974, Maria Dolores Rambla, 8 ans, qui joue avec son petit frère devant chez
29:42 elle, citée "Sainte Agnès à Marseille, dans les bouches du Rhône", est enlevée
29:47 par Christian Ranucci.
29:49 L'affaire Ranucci est au fond assez simple.
29:54 On ne sait pas pourquoi il dit que c'est pour l'emmener faire une promenade.
29:58 C'est possible.
29:59 Une petite fille, la petite Dolores Rambla, il l'enlève, il lui demande de monter dans
30:07 sa voiture.
30:08 Et puis, à un carrefour, Ranucci, avec la petite dans la voiture, a un accident.
30:12 Pas grave, mais quand même, de la tôle froissée, il heurte une autre voiture.
30:17 Il prend la fuite.
30:18 L'autre voiture, elle roule quand même, et il la poursuit.
30:22 Et il voit la voiture s'arrêter.
30:24 Le conducteur de cette voiture descend, portant, on ne sait pas si c'était un bébé ou si
30:30 c'était un enfant, un jeune enfant, ou une poupée, je ne sais pas quoi, mais il s'enfonce
30:35 dans un petit bois qui était là.
30:38 Christian Ranucci, le propriétaire de la voiture, un coupé Peugeot 304, est identifié.
30:46 La gendarmerie est mobilisée.
30:49 Des chiens suivent une piste qui mène à une champignonnière.
30:53 - On cherche et on trouve le cadavre de la petite qui a été tuée à coups de couteau
31:00 et ventrée.
31:01 C'est évidemment abominable.
31:03 Le 5 juin 1974, Ranucci est arrêté chez lui à Nice.
31:10 Le lendemain, après 18 heures de garde à vue, il passe aux aveux.
31:14 Pourtant, les témoins de l'enlèvement ne l'ont pas reconnu.
31:18 Et ils n'ont pas davantage identifié son véhicule comme étant celui du ravisseur.
31:23 Six mois plus tard, Ranucci se rétracte.
31:27 Il affirme ne pas se souvenir d'avoir enlevé ni tué Marie Dolores Rambla, mais il reconnaît
31:34 avoir indiqué l'endroit où était l'arme du crime, le couteau taché de sang.
31:38 Le procès est fixé au 9 mars 1976.
31:43 Mais deux semaines avant son ouverture, un crime particulièrement horrible bouleverse
31:49 l'opinion.
31:50 - La France a peur.
31:53 Je crois qu'on peut le dire aussi nettement.
31:54 La France connaît la panique.
31:57 Depuis qu'hier soir, une vingtaine de minutes après la fin de ce journal, on lui a appris
32:00 cette horreur.
32:01 Un enfant est mort, assassiné.
32:04 La France a peur.
32:06 Chaque mère, chaque père a la gorge nouée quand ils pensent à ce qui s'est passé
32:10 à Troyes.
32:11 Quand ils pensent à cet assassin de 23 ans.
32:14 Une relation des parents du petit Philippe, un petit commerçant bien mis, qui a fait
32:18 croire jusqu'au bout aux parents que l'enfant était vivant.
32:20 - Patrick Henry a commis ce crime horrible qui consiste à tuer l'enfant.
32:27 Il l'a étranglé.
32:28 Il a mis le cadavre ensuite sous le lit de la chambre d'hôtel où il habitait.
32:33 Et après l'avoir tué, il a continué à demander une rançon aux parents.
32:38 C'est dans cette ambiance incandescente que débute le procès Ranucci devant la cour
32:45 d'assises des Bouches-du-Rhône.
32:48 Parmi les neuf jurés tirés au sort, une seule femme, Geneviève Donadimi, qui est aussi
32:55 la plus jeune.
32:56 - Lorsque Christian Ranucci arrive, il est vêtu d'un costume bleu flashy, mais bleu
33:05 vraiment flashy.
33:06 Il a une soupule blanc et sur ce soupule blanc, on distingue une croix, une grande croix.
33:15 Dans les débats, Christian Ranucci est arrogant.
33:18 Il est arrogant.
33:20 Il est désagréable.
33:24 On dirait qu'il regarde ceux qui sont là, les neuf jurés, de manière très vannicative.
33:33 L'air de dire, mais vous êtes là, vous allez me juger alors que vous ne savez même
33:40 pas ce que j'ai fait.
33:41 Vous allez me juger sur des idées.
33:45 Il était très, très, très arrogant.
33:50 - Ranucci emploie un ton péremptoire, cassant, prétentieux même.
33:55 Il y a à un moment donné une altercation qui fait mémoire entre lui et le commissaire
34:01 de police qui avait conduit l'enquête.
34:03 Le commissaire Alessandra, je crois, de mémoire, où Ranucci lui dit je vous briserai, je vous
34:10 casserai, je briserai votre carrière.
34:12 Et là, Alessandra lui répond, vous êtes un monstre.
34:16 Une fois de plus, le procès est expédié en deux jours.
34:20 Paul Lombard défend Ranucci et Gilbert Collard représente la famille de la victime, les
34:27 Ramblas.
34:28 - Maître Collard ne réclame pas la peine de mort, mais il quand même, il fait bien
34:36 référence à ce meurtre qui a eu lieu, à la cruauté de ce meurtre, à la tristesse,
34:44 enfin tristesse, même plus que tristesse, au désespoir des parents de cette petite
34:50 fille qui a été assassinée et qui demande une peine juste par rapport à l'horreur
34:58 de ce crime.
34:59 - Donc moi, j'étais d'abord convaincu que cette affaire ne méritait pas la peine de
35:05 mort à supposer que l'on fut pour la peine de mort.
35:08 Mais moi, j'étais contre la peine de mort parce que c'est pour moi un châtiment archaïque,
35:12 ignoble et donc je ne la soutiendrai pas.
35:14 Mais la culpabilité, pour moi, à la lecture du dossier, ne fait aucun doute.
35:20 - Paul Lombard plaidera et dira que, dans le cadre de sa plaidoirie, qu'il a trois ennemis.
35:28 Le premier ennemi, c'est la partie civile, Gilbert Collard.
35:31 Le deuxième ennemi, c'est l'avocat général.
35:34 Et le troisième ennemi, il dira, en s'adressant à Christian Ranucci, mon troisième ennemi,
35:40 c'est vous.
35:41 - Parce que c'est vrai qu'au moment du procès, il a eu une attitude très désagréable,
35:47 je dirais même détestable.
35:48 - Le verdict tombe le 10 mars.
35:52 Les jurés n'ont mis que deux heures pour se prononcer.
35:55 Ils ont été sensibles au climat délétère qui a entouré les débats et à l'opinion
36:02 publique chauffée à blanc.
36:03 - Qu'est-ce qui a pu jouer sur l'opinion publique ?
36:06 Tout joue sur une opinion publique.
36:09 Tout joue.
36:11 Tout.
36:12 Parce que l'opinion publique, elle est émotive.
36:15 Donc on ne peut pas dire que, dans quelle proportion, on n'en sait rien.
36:18 Mais on ne peut pas dire que la phrase de Jiquel, "la France a peur", n'a pas eu d'effet.
36:24 Allez savoir dans la mémoire, dans l'émotion, dans le psychisme d'un juré, quel impact
36:32 ce genre de réflexion, de phrase, d'alerte peut avoir.
36:36 Nul ne le sait.
36:38 - Mais la peine de mort, c'est quand vous avez devant vous un jeune homme qui a une vingtaine
36:45 d'années et que vous avez la possibilité, vous avez même le droit, vous avez le droit
36:55 de lui faire couper la tête.
36:56 C'est ça, la peine de mort ? C'est ça ?
37:01 Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, a désormais en main le destin
37:07 de Christian Ranucci.
37:08 Le 26 juillet 1976, il refuse d'accorder sa grâce.
37:14 Jean Le Canuet, ministre de la Justice, justifie la décision du chef de l'État.
37:22 Personnellement, j'espère que cet acte sera exemplaire et que ceux qui croyaient pouvoir
37:34 commettre des crimes aussi odieux et échapper aux plus grands d'échattement, mesurons
37:41 maintenant le risque qu'ils en ont.
37:45 Le 28 juillet, Christian Ranucci est réveillé à 4 heures du matin dans sa cellule des
37:53 Beaumet.
37:54 Il proteste de son innocence une fois de plus, refuse de boire le verre d'alcool, mais accepte
38:01 une dernière cigarette.
38:02 Les gardiens ont posé des tapis sur le parcours pour ne pas alerter les autres prisonniers.
38:09 Christian Ranucci reste silencieux.
38:12 Selon ses avocats, ses dernières paroles auraient été « réhabilitez-moi ».
38:28 Il est guillotiné à 4h13.
38:32 Je me souviens des bruits horribles qui brusquement viennent saigner de silence.
38:44 Un premier bruit, sourd, c'est le corps du supplicié que l'on met en place.
38:53 Un second bruit de catastrophe, c'est le couteau qui s'abat.
38:59 Et puis, peut-être le plus atroce, le bruit du saut d'eau que l'on lance sur la machine
39:13 pour laver le sang d'un jeune homme.
39:15 Dans son livre « Le pull au verre rouge », best-seller paru en 1978, Gilles Perrault
39:23 met en doute la culpabilité de Christian Ranucci.
39:26 Il reprend l'enquête point par point, mettant en avant des éléments occultés, des pistes
39:32 oubliées, des témoignages à décharge passés sous silence.
39:35 L'enquête, elle a été menée par le commissaire Alessandra de la Sûreté urbaine de Marseille.
39:47 Que me dit le commissaire Alessandra ? L'unique fois où je l'ai rencontré après, il a
39:53 refusé de me rencontrer.
39:54 Il me dit quand on le 28 juillet, on a appris qu'il avait été guillotiné Ranucci.
40:04 On a tous eu la gueule de bois.
40:07 Ça veut bien dire ce que ça veut dire.
40:10 C'est-à-dire que tout le monde croyait qu'il serait gracié.
40:14 Lorsque j'ai lu le livre de le pulvaire rouge, je n'ai pas pensé à l'erreur judiciaire
40:24 parce qu'on nous avait démontré que c'était vraiment lui le coupable.
40:31 Par contre, j'ai relevé des éléments qui auraient dû être émis au moment du procès,
40:42 des éléments peut-être à décharge.
40:44 Et ça, ça m'a beaucoup contrariée.
40:49 Il y a huit témoins.
40:52 Tous ont été présentés pour un tapissage.
41:02 On leur a présenté Christian Ranucci.
41:05 Aucun ne l'a reconnu.
41:07 Le petit frère de Marie Dolores n'a pas reconnu non plus Ranucci.
41:12 De même que le garagiste Spinelli, témoin-clé qui a assisté à l'enlèvement.
41:18 Il se trouve que la voiture dans laquelle est montée l'enfant n'était pas la Peugeot
41:23 de Ranucci, mais une Simca.
41:27 Sur procès verbal, l'inspecteur Porte, celui qui a reçu les soi-disant aveux de Christian
41:37 Ranucci, va lui faire dire "mais vous savez, j'ai vu ça à 40 mètres et puis de trois
41:45 quarts arrière, ces deux véhicules se ressemblent, j'ai pu confondre".
41:49 Il le fait signer à Spinelli et Spinelli dit "mais pas du tout, non, non, mais je suis
41:56 dans la carrosserie depuis 20 ans, croyez pas que je me confonde de voiture comme ça".
42:02 Selon Gilles Perrault, des pièces du dossier Ranucci n'ont pas été suffisamment prises
42:07 en compte lors de l'instruction.
42:09 Notamment le couteau et un pullover rouge trouvé par la police sur les lieux du crime.
42:15 Erreur ou négligence qui ouvre la porte aux circonstances atténuantes.
42:21 Le juge Michel qui va assister à l'exécution de Ranucci.
42:29 Le juge Michel disait, a dit "le dossier Ranucci c'est un bâton merdeux, l'enquête
42:42 de police est à chier, l'instruction judiciaire est à chier, mais Ranucci était coupable".
42:52 J'ai toujours dit que Ranucci n'avait pas été victime d'une erreur judiciaire
42:57 mais d'une erreur de justice.
42:59 Parce que jamais il n'aurait dû être condamné à mort.
43:02 Combien depuis qui ont fait pire vivent ?
43:05 Christian Ranucci de sa propre bouche avait dit, ou il l'avait écrit "j'ai tiré
43:15 le ticket perdant sans avoir jamais joué à la loterie".
43:19 Et il avait eu conscience que de bout en bout il n'avait pas eu de chance.
43:23 Et de bout en bout le sort s'est acharné sur lui.
43:26 Le sort s'acharne souvent sur certains condamnés.
43:29 Et l'histoire judiciaire démontre aisément que la peine de mort, le châtiment suprême,
43:35 relève bien souvent de l'adversité, des circonstances, de la chance.
43:41 D'abord ça dépend de l'endroit où vous êtes jugé.
43:44 La cour de Rennes par exemple, dans les années 70-80, ne condamne jamais à la peine de mort.
43:53 Sans doute parce que les magistrats, le procureur y est hostile.
43:56 Alors que la cour d'Aix-en-Provence, la cour de Lille par exemple, sont beaucoup plus sévères.
44:01 Ensuite vous avez le procureur, le talent du procureur qui se fait fort d'obtenir
44:06 la tête comme un challenge, comme un défi de l'accusé.
44:09 Et puis vous avez aussi le talent de l'avocat.
44:11 Il y a aussi les circonstances, si l'affaire a fait du bruit, si l'opinion publique s'est
44:17 manifestée, s'il y a la pression de cette opinion publique, la pression de la presse.
44:20 Donc il y a tout un tas de circonstances qui font qu'il n'y a pas d'équité dans cette histoire.
44:27 Aujourd'hui, les avocats qui avant 1981 ont défendu des accusés contre qui la peine
44:37 capitale était demandée ne sont plus qu'une poignée.
44:40 Pour eux, l'attente du verdict reste le moment le plus éprouvant de leur carrière.
44:46 Moi j'ai plaidé six fois dans des affaires où non seulement la peine de mort était
44:53 encourue mais où elle était requise formellement par un avocat général.
44:57 Et quand on attendait le résultat, on attendait les questions, les réponses aux questions.
45:04 Et il y avait toutes les questions posées au juré sur les faits.
45:07 Monsieur untel a-t-il fait ceci, a-t-il fait cela ? Et puis il y avait une dernière question.
45:12 Et une seule qui était intéressante quand la peine de mort était encourue, c'était
45:16 « existe-t-il des circonstances atténuantes ? ». Et là, il y avait un moment terrible
45:21 que le président, quand il était un peu cruel, faisait attendre sa réponse.
45:25 Et sa réponse quand c'était oui, ça voulait dire « il existe des circonstances atténuantes,
45:28 il n'y aura pas d'exécution ». Et à ce moment-là, même si le type était condamné
45:32 à perpète, ce qui était toujours le cas, on était sur un petit nuage.
45:39 Ces circonstances atténuantes, la cour d'assises des Bouches-du-Rhône ne les accordera pas
45:44 à Amida Djandoubi.
45:46 Ce jeune Tunisien, arrivé en 1968 à Marseille, est ouvrier agricole.
45:52 Sa vie bascule lorsqu'il perd une jambe dans un accident du travail.
45:57 Il se sent diminué, devient irascible, violent.
46:01 Sur fond de prostitution, il se livre sur une jeune femme à des actes de torture, de
46:08 viol avant de l'étrangler.
46:10 L'affaire Amida Djandoubi est parasitée par une autre affaire, celle de Patrick Henry,
46:14 qui vient d'être jugée à trois et qui n'a pas été condamnée à mort, à la surprise
46:18 générale, alors que toute l'opinion réclamait la mort, la mort pour Patrick Henry.
46:22 Assassin ! Assassin !
46:31 Si le 20 janvier 1977, Patrick Henry a sauvé sa tête devant la cour d'assises de l'aube,
46:38 il le doit uniquement à son avocat, ténor du barreau, Robert Badinter.
46:43 Et on peut se souvenir de l'extraordinaire plaidoirie de maître Badinter, qui n'avait
46:50 qu'une chose à plaider et il l'a fait, l'horreur de la guillotine.
46:55 Je le revois encore, s'adressant au jury un par un.
46:59 Vous monsieur, si le jeune homme qui est là est condamné à mort, c'est vous qui
47:05 l'aurez coupé vivant en deux.
47:07 C'était donc la condamnation à mort qui était en question et les jurés ont condamné
47:12 la peine de mort.
47:13 Donc c'était important, c'était significatif, ça ne pouvait pas être décisif.
47:18 On n'abolit pas une disposition légale, quand on connaît le relativisme judiciaire,
47:25 simplement dans un grand procès.
47:27 On marque un point essentiel, mais c'est tout.
47:30 La preuve de cette réalité judiciaire est apportée à peine un mois plus tard.
47:35 Le balancier de la justice va une dernière fois pencher en faveur d'une loi moribonde,
47:41 mais encore vivante.
47:42 Et là, à ce moment-là, est jugée Ameda Djandoubi.
47:46 Et les jurés sont dans cette ambiance, et donc une ambiance implacable.
47:51 Et puis il faut dire aussi qu'Ameda Djandoubi ne se comporte pas comme devrait se comporter
47:56 un accusé repentant.
47:58 Il conteste sur des petits points, il a ce masque impassible.
48:04 Il reste froid, très froid.
48:05 Et ça, ça déplaît énormément aux jurés.
48:07 Le châtiment suprême ne fait pas de doute une fois de plus.
48:11 Le verdict tombe après deux jours d'audience dans l'indifférence générale.
48:15 On ne relève que quelques articles dans les journaux locaux et dans le quotidien Le Monde.
48:21 L'exécution a lieu le 10 septembre à 4h40 du matin.
48:24 On a installé la guillotine sous un préau, dissimulée, comme si on en avait honte, comme
48:30 si on voulait la cacher.
48:31 Dans sa lettre, Monique Mabelli, la juge d'instruction, relate les derniers instants d'Ameda Djandoubi.
48:42 Le cortège s'arrête auprès d'une table.
48:45 On assied le condamné sur une chaise.
48:47 Un gardien lui donne une cigarette.
48:50 Il fume sa cigarette, qui est presque terminée.
48:52 Et on lui en donne une autre.
48:55 Il fume lentement.
48:56 À ce moment, je vois qu'il commence vraiment à réaliser que c'est fini.
49:00 Que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette.
49:05 Quand il en demande une troisième, là cette fois-ci, le bourreau dit "Ah non, c'est
49:10 fini, on a perdu assez de temps".
49:12 En fait, ça paraît inhumain, mais il a l'œil fixé sur sa montre.
49:18 Il ne veut surtout pas que le soleil se lève et qu'on puisse voir l'exécution.
49:22 Nul ne le sait encore, mais Ameda Djandoubi est le dernier guillotiné d'Europe occidentale.
49:30 Pourtant, l'Église, le Conseil de l'Europe et le Parlement européen avaient émis le
49:36 vœu que la France règle cette pratique de son code pénal.
49:40 Il faut attendre la campagne présidentielle de 1981.
49:46 Elle oppose Valéry Giscard d'Estaing à François Mitterrand, qui d'entrée se prononce.
49:51 Je n'ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire.
49:56 Une opinion majoritaire est pour la peine de mort.
49:59 Eh bien moi, je suis candidat à la présidence de la République et je demande une majorité
50:04 de suffrage aux Français, mais je ne la demande pas dans le secret de ma pensée.
50:10 Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattache
50:16 mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation.
50:22 Je ne suis pas favorable à la peine de mort.
50:25 François Mitterrand est élu.
50:29 Le 18 septembre 1981, après deux jours de débat, le projet de loi si longtemps attendu
50:37 est soumis au vote des députés.
50:39 Sur l'ensemble du projet de loi portant abolition de la peine de mort contre 117 pour
50:49 363, l'Assemblée nationale a adopté.
50:53 19h28, l'Assemblée nationale vient d'abolir la peine de mort par 363 voix contre 117.
51:03 Les députés debout applaudissent.
51:05 À compter de ce jour, la machine du bon docteur Guillotin disparaît de l'arsenal judiciaire.
51:17 Les trois dernières deviennent des pièces de musée.
51:20 C'en est fini de la guillotine, instrument des gouvernements qui en ont usé au gré des
51:27 circonstances et des humeurs de l'opinion publique.
51:30 Après deux siècles, la France, pays des droits de l'homme, a enfin effacé une part
51:37 sombre de son histoire, le châtiment suprême.
51:41 (Musique)
52:01 (Musique)
52:30 Sous-titrage Société Radio-Canada

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