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Pour notre chroniqueuse, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen incarne la quintessence de la technocratie - ce qui ne l'empêche pas d'être une redoutable politique.

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Transcription
00:00 Sur un ton calme presque lénifiant, elle alerte sur une guerre totale.
00:04 Il faudra quelques minutes au parlementaire du Sénacle européen de Strasbourg
00:07 pour comprendre la portée des propos d'Ursula von der Leyen.
00:10 La phrase d'Emmanuel Macron sur l'hypothèse de troupes au sol en Ukraine
00:14 a éclipsé cette autre déclaration tout aussi saisissante tenue la même semaine.
00:18 "Une guerre en Europe n'est pas impossible,
00:20 nous devons y être préparés", a prévenu la présidente de la commission.
00:24 L'ancienne ministre de la Défense allemande,
00:25 habituellement adepte d'une communication cadenassée et millimétrée,
00:29 étonne et détonne ces dernières semaines,
00:31 en outreprassant selon certains le cadre de ses fonctions,
00:34 quand d'autres estiment au contraire qu'elle se doit de délier sa langue de bois.
00:37 Je me souviens avoir rencontré une toute autre chef de l'exécutif européen
00:41 il y a à peine 4 ans.
00:42 L'exercice de l'interview est le plus frustrant qui soit.
00:45 Les journalistes qui en ont la charge n'arrivent pas toujours à poser toutes leurs questions,
00:49 faute de temps, ni à obtenir les vraies réponses
00:51 à cause de la muraille d'éléments de langage érigés par la horde de communicants des invités.
00:55 En ce jour d'avril 2020, nous sommes en pleine crise Covid
00:58 et les entretiens se font à distance.
01:00 Pour des questions d'agenda surchargé,
01:02 j'accepte d'enregistrer Mme Ursula van der Leyen,
01:05 mais dans les conditions du direct.
01:07 L'échange sera donc entièrement restitué tel quel, sans la moindre coupe.
01:11 En attendant la mise au point des équipes techniques d'Europe 1,
01:14 je perçois à l'autre bout de la ligne une respiration saccadée.
01:17 Alors pour briser la glace de ce premier contact qui n'en est pas un,
01:20 puisque des centaines de kilomètres nous séparent,
01:22 elle à Bruxelles, moi à Paris,
01:24 j'entame une conversation sur les contraintes du confinement,
01:27 en faisant l'éloge du "c'était mieux avant".
01:29 Pour une fois que l'on pouvait dire que c'était mieux avant
01:31 sans se faire traiter d'affreux passéistes nostalgiques et donc réacs,
01:34 je n'allais pas m'en priver.
01:35 Toutefois, pour ne pas braquer mon invité avant l'entretien,
01:38 j'évite soigneusement de dire le fond de ma pensée
01:40 sur les injonctions de caporal-chef à nous tenir dans un périmètre de 150 bornes
01:44 et sur le ton péremptoire et faussement maternant de nos dirigeants.
01:48 Mes premiers mots en français ne suscitant aucune réaction,
01:51 bien je décide de poursuivre en anglais,
01:53 même si mon invité parle et apprécie la langue de Molière.
01:56 Peut-être ne m'avait-elle pas bien comprise.
01:58 Je poursuis donc sur les ordres et contre-ordres l'état devenu Big Mother,
02:02 tout en soulignant de la manière la plus sérieuse qui soit
02:05 la complexité de la tâche de nos dirigeants.
02:07 A l'autre bout de la ligne, la respiration se fait plus saccader,
02:10 sans le moindre mot.
02:11 Cela fait quand même près de 6 minutes que je parle dans le vide.
02:14 "Can you hear me, Mrs. Van der Leyen ? Is there a problem ?
02:17 I just wanted to discuss before our interview."
02:19 Une grosse voix m'interrompt.
02:21 Le conseiller de la présidente me rend bar sec,
02:23 m'expliquant qu'elle ne souhaite pas converser.
02:25 Ambiance.
02:26 Heureusement, je suis sauvée par la technique.
02:29 Tout est fait en prêt pour démarrer l'interview.
02:31 Ce sera 15 minutes de phrases sous-pesées au trébuchet
02:34 et d'éléments de langage forgés dans un bois d'ébène.
02:36 On m'expliquera plus tard que par crainte de dire un mot de travers,
02:40 la patronne de l'exécutif européen n'échange pas la moindre syllabe
02:44 avant un entretien.
02:45 Alors ce n'est qu'une anecdote bien sûr,
02:46 mais elle dit quelque chose du caractère contenu et secret
02:49 de Mme Van der Leyen.
02:50 Celle qui s'est imposée comme le visage de l'UE
02:53 occupe un poste qui lui va comme un gant.
02:55 À la tête d'un vaisseau amiral,
02:56 elle incarne la quintessence de la technocratie pesante et inhibante.
03:00 Mais ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas une habile politique.
03:04 Après avoir enchaîné les postes les plus en vue en Allemagne,
03:06 UVDL, son surnom, est sortie par le haut du gouvernement
03:10 en atterrissant sans que personne ne s'y attende
03:13 à la présidence de la commission dont elle brigue désormais un second mandat.
03:16 Sans être désobligeante à son égard,
03:18 on ne peut pas dire que sa cordialité saute aux yeux
03:20 et que son charisme électrise les foules.
03:23 Toutefois, elle a su se rendre indispensable
03:25 en enjambant les pires crises comme de simples "et".
03:28 Brexit, Covid, guerre en Ukraine, rivalité avec la Chine.
03:33 Et voilà qu'elle se paye même le luxe de vouloir passer
03:35 pour le pompier du brasier de la crise agricole européenne
03:39 alors qu'elle en a craqué l'allumette
03:40 en défendant bec et ongle le fameux Green Deal.
03:43 Autour d'elle, on lue une femme de caractère,
03:45 mère de 7 enfants, à qui on ne la fait pas.
03:48 Elle a l'habitude de ne rien céder,
03:50 lâche un ancien conseiller sur le ton de la confidence,
03:52 comme s'il révélait un secret défense.
03:55 Impossible d'en savoir plus.
03:56 Rien sur les portes dérobées
03:58 et les secrets inavoués de la présidente.
04:01 Tout juste saura-t-on qu'elle n'est pas portée à l'indulgence
04:03 et qu'il ne faut surtout pas déranger
04:05 l'agencement militaire des dossiers sur son bureau.
04:07 Bon, me voilà prévenue.
04:09 Compte tenu du chaleureux échange que nous avions initié,
04:11 je n'espérais pas une invitation au 13ème étage du Bellarémont,
04:15 siège de l'institution bruxelloise où se trouve son dentre.
04:18 C'est pas demain la veille qu'Ursula von der Leyen fendra l'armure,
04:21 ni qu'elle tiendra un discours enflammé sur l'âme de l'Europe.
04:25 Ses envolées, elle les réserve aux populistes de tout poil et de tout pays.
04:28 Mais se rend-elle compte que la résurgence des irrédentismes
04:32 se nourrit en grande partie de sa politique à la tête de la Commission ?
04:35 Les peuples attachés à leur appartenance culturelle veulent une Europe forte,
04:38 qui respecte l'histoire de chaque nation.
04:41 Une majorité de Français préfèrent entendre parler
04:43 des hauteneuf immémorial de leur pays
04:45 plutôt que de se voir infliger l'énumération des normes européennes.
04:49 On ne s'adresse pas à un grouillement d'âmes
04:51 avec des statistiques et un patois insipide.
04:54 Dans les discours comme en interview, il faut aller au-delà des éléments de langage
04:58 pour toucher les cœurs et espérer convaincre les esprits.
05:00 Surtout, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer le risque d'un conflit global en Europe.
05:05 Madame von der Leyen est bien partie pour un second mandat, c'est sûr.
05:09 Elle résiste à tout. C'est la dame de Titane.
05:12 Il est vrai que ce métal résiste à toutes sortes de corrosion.
05:15 Mais résiste-t-il à l'attachement des peuples à l'enveloppe charnelle de leur pays,
05:19 à savoir la nation ?
05:20 Merci.
05:21 Voilà. Merci, merci.
05:23 [SILENCE]

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