Notre chroniqueur a pleuré comme tout le monde au dernier tour de chant de Michel Sardou, mais ne croit pas une seconde à ses adieux.
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00:00 Personne n'est naturel avec lui. Anne-Marie Sardou veille sur son grand homme quelques heures avant qu'une dernière fois il monte sur scène. Il est 20h.
00:08 Samedi 16 mars dans le quartier de la Défense, Anne-Marie est habillée de rouge, Michel paraîtra en noir.
00:14 Elle sera la spectatrice du dernier jour comme Fernand dans son fauteuil fut le spectateur du premier soir.
00:21 Fernand, le père illustre à qui Michel rend hommage quand il chante encore et toujours, aujourd'hui peut-être, à ceux qui cherchent à percer ce coffre-fort,
00:30 fermé à triple tour, qu'ils sachent qu'il n'existe pas de petit Sardou illustré, qu'ils écoutent son tour de chant à l'aréna, ils trouveront des indices.
00:40 « Je ne suis pas l'homme de mes chansons, voilà » affirme-t-il dans « Salut », « ce n'est pas un aveu, c'est un mensonge.
00:45 Tout homme qui écrit un livre, ce livre c'est lui, personne mieux que Victor Hugo n'a résumé l'homme qui prend la plume de toute œuvre,
00:52 qu'elle soit achétive ou illustre, se dégage une figure, celle de l'écrivain, c'est sa punition.
00:58 S'il est petit, c'est sa récompense, s'il est grand. Sardou est l'écrivain des amours d'un soir ou d'une vie, il est aussi l'épistolier du temps qui passe.
01:08 On vient de marier le dernier, dit l'essentiel avec légèreté, l'amour et le temps, Eros et Thanatos inspirent le plus vaste répertoire de la chanson française.
01:18 Qu'en réussissent quelques coups de gueule, des ricains au bac G en passant par « Je suis pour » le France ou les deux écoles,
01:24 Sardou irrite les camarades bourgeois d'une nouvelle observateur versure Jean Daniel qui le classe parmi les thuriféreurs de la réaction.
01:33 Personne n'est naturel avec lui, la gloire bâtit des frontières invisibles, elle isole Sardou, Delon, Halidé, même combat.
01:41 L'autre soir, devant sa loge, après le concert, chacun racontait sa petite histoire, ma grand-mère ceci, mon grand-père cela,
01:48 j'imagine qu'il en a ras-le-bol d'entendre les confidences des uns et des autres, reste Anne-Marie et les femmes qui ont traversé sa vie.
01:56 Elles seules savent, elles savent que le fantôme de Fernand plane les soirs de récital à Toulon, ville où il s'est éteint le 31 janvier 1976
02:07 et Anne-Marie sait que Michel ne chante jamais comme il chante d'habitude ce soir-là.
02:12 Anne-Marie sait tout et quelques amis aussi sans doute, quelques amis du temps d'avant.
02:18 Les autres, enfants compris, ne sont peut-être que des spectateurs.
02:23 Monument, c'est le premier mot qui me vient à l'esprit au moment d'évoquer les adieux à la scène,
02:29 les seconds en six ans du chanteur aux 322 chansons, aux dizaines de tubes, aux 60 ans de carrière monuments comme la tour Eiffel,
02:37 à Paris ou la cathédrale Sainte-Cécile à Albi.
02:40 Sardou dit stop et même si je n'y crois pas, même si je sais qu'il aura 80 ans en 2027,
02:46 que 4 fois 20 ans ça se fête, à Bercy ou à l'Olympia et non pas dans une maison de retraite,
02:52 fut-elle au soleil du midi avec piscine et jacuzzi.
02:56 Eh bien je fais comme tout le monde, je pleure, enfin presque.
02:59 Comment ne pas frissonner quand il enchaîne devant 23 000 fans un florilège de 20 chansons qu'il balaye en 10 minutes.
03:07 Il y a pèle-mêle tout ce que nous avons tant aimé, tout ce que j'ai chanté depuis la première fois.
03:13 J'avais 7 ans quand j'écoutais l'album enregistré à l'Olympia en 1971.
03:18 20 tubes qui ont traversé les soirées étudiantes, les mariages, les communions, les bar mitzvahs et parfois les enterrements.
03:26 Sardou reprend "Salut" en chantant 10 ans plus tôt les vieux mariés pour terminer avec la maladie d'amour.
03:33 Sardou est la bande-son des enfants nés sous de Gaulle.
03:36 Il est le chanteur du samedi soir, de la télévision en couleur, des Carpentiers, des chemises à jabot Bleu Ciel, des doigts et cloclos, Johnny, Sheila, Sylvie, etc.
03:45 Sardou est la bande-son d'un adolescent d'autrefois.
03:48 Tu voulais m'épouser.
03:50 Quelle drôle d'idée.
03:51 Tu n'avais pas 15 ans.
03:53 Me rappelle un visage et plus encore qu'un visage, un tourbillon.
03:57 Tu voulais faire l'amour.
03:58 Comment fait-on l'amour ?
04:00 J'avais 13 ans.
04:01 Elle avait 13 ans.
04:02 10 ans plus tôt, passait plusieurs fois par jour durant l'été 1977 sur Europe 1.
04:08 Elle s'appelait Véronique.
04:10 Je n'étais pas un géant.
04:12 Il était le plus doué d'entre nous, m'a dit Julien Clerc il y a quelques jours.
04:16 Sardou possède une voix de ténor que le temps a modulée en tessiture de bariton, une voix qui monte dans les aigus et attrape le la majeur que le plus grand navire de guerre.
04:27 Le courage de me couler.
04:29 Annette Charlot, dite Madame Charlot enseignait le chant à toute la scène française des années 70, 80, 90, au 189, rue Ordeneur dans le 18e arrondissement.
04:40 Elle avait coutume de dire que Sardou était son meilleur élève.
04:43 Il chante sans note bleue.
04:45 Il est le plus doué de la bande.
04:47 Il n'est pas que ça, pas seulement l'interprète des mots écrits par les autres.
04:50 Il est un auteur.
04:51 Il affirme qu'il invente.
04:53 Je vous ai dit que je ne le croyais pas.
04:55 Il joue le détachement, comme si toute ressemblance avec des faits et des personnages n'était que pure coïncidence.
05:02 C'est bien commode pour éviter les casse-pieds qui demanderaient des clés pour cet Alexandrin.
05:09 Et si j'aimais les femmes juste par couverture.
05:14 Le 45 tours, si j'étais sort en 1980, Jacques Reveau a composé la mélodie.
05:19 Ce n'est pas chanson la plus connue de Sardou.
05:22 C'est l'une que j'écoute le plus souvent.
05:25 Je n'ai eu besoin pour dormir d'autre chose que du corbeau à de rose de ma première guitare.
05:30 Superbe ça.
05:31 Je vais le redire.
05:32 Je n'ai jamais eu besoin pour dormir d'autre chose que du corbeau à de rose de ma première guitare.
05:37 Et qui parle ? Sardou ou Sardou ?
05:41 Sardou a écrit des textes il y a 50 ans qu'aucun parolier n'oserait aujourd'hui mettre en musique.
05:46 « Je vais t'aimer » est un hymne au désir.
05:48 L'époque préfère le consentement.
05:49 « À faire palir tous les marquis de Sade » affiche une testostérone que les nouvelles dames patronaies se récusent.
05:56 « À faire rougir les putains de la rade » sent le stupre.
06:00 Ces puritaines ont l'odorat d'hélicas.
06:03 Sardou brocade chaque soir Sandrine Rousseau, cheffe de file des précieuses déconstruites.
06:09 Puis il entame pour la centième fois, pour la millième fois, la romance des amants que la nuit n'épuise pas.
06:16 À se croire mort et faire l'amour encore.
06:19 Parfois une chanson est un roman et le chanteur un romancier.
06:22 Moriac écrirait 200 pages.
06:24 Sardou dit 50 phrases.
06:26 Le surveillant général installe une atmosphère, plante un décor, dessine des personnages jusqu'à la croupe incendiaire.
06:32 D'un professeur de droit, se pensionna.
06:36 D'un autre âge est entré dans la postérité.
06:39 Sardou vient du Sud, un pays où les conteurs ont mêlé une nuit pour ensorceler les enfants et les enfants des enfants.
06:47 Il était une fois musulman, il était une fois verdun.
06:50 Quand il avait 30 ou 35 ans, Sardou disait à ses amis qu'il arrêterait à 40, qu'il planterait sa tente sur un rocher et qu'il regarderait passer les voiliers.
07:00 J'ai lu dans le Parisien l'autre semaine quasiment les mêmes mots.
07:04 A ceci près qu'il a ajouté vouloir parler aux dauphins.
07:07 Cet été, me voilà rassuré.
07:10 Il reviendra.
07:12 Rendez-vous en 2027.
07:15 Je ne suis pas un comédien.