Notre chroniqueur nous raconte une histoire d’amour avec ses engueulades, ses ruptures. Comme dans les films de Sautet ou de Berri.
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00:00 Comme il existe des jours de marché à Paris ou à Romorantin, il y avait des jours d'engueulade dans leur couple.
00:05 Il ne s'envoyait jamais des noms d'oiseaux, il ne disait rien qui fut si blessant que les mots résonnent longtemps après une dispute.
00:11 Il s'engueulait vivement, mais en aucun cas pour une pécadille. Il s'engueulait toujours pour la même raison.
00:17 Le lecteur ne connaîtra pas le motif, un peu de mystère ne nuit pas aux histoires d'amour ni aux contes de fées.
00:22 L'homme trouvait le sujet futile, la femme jugeait la cause essentielle, ils n'étaient pas d'accord.
00:27 Ce samedi-là, ils s'engueulaient si fort qu'ils étaient au bord de la rupture.
00:31 La femme négociait, selon la formule, avec la main sur la poignée de porte.
00:35 Elle était comme ça, une porcelaine de sentiments, construite d'une pièce.
00:39 L'homme louvoyait entre le beurre, l'argent du beurre et la crémière.
00:43 L'homme était comme ça et avec lui nombre de kidams, paraît-il.
00:47 Le genre masculin, même le flou, le flottant ou le vague, le mot lâcheté résume l'affaire.
00:53 La femme dit c'est fini, elle raccrocha, c'était une algarade au téléphone. L'homme parut soulagé, il pensait à Bond et Barrat.
00:59 Un peu comme Yves Montand quand Romy Schneider le quitte dans César et Rosalie.
01:03 L'homme avait vu des films, beaucoup de films, revu des films, toujours les mêmes.
01:08 Au point que souvent il pensait à une scène de sautet, de lelouche, de truffaut, de béric, en n'importe quel événement surgissait dans sa vie.
01:15 Il se passe à plusieurs minutes avant que l'homme ne reprie son téléphone.
01:18 Elle ne répondait pas, elle ne répondait plus, il connaissait cette stratégie, il laissa un puis deux puis trois puis quatre puis cinq messages vocaux.
01:26 Il envoya des textos. "Tu as écouté mes messages ?" Elle dit que non, que ce n'était plus la peine, qu'elle savait tout ça, que cette fois c'était la fin.
01:34 Il bâtit la campagne des photos du smartphone qu'il larguait en rafales sur le téléphone de son amour d'amour.
01:40 Il l'appelait ainsi "mon amour d'amour".
01:43 Des photos de vacances, des photos de dîner, des photos de sourire, des photos où ils avaient l'air heureux,
01:48 des photos par dizaines qu'ils avaient prises ensemble, la main allongée pour que le selfie soit net,
01:53 des photos qu'on refait lorsqu'on n'est pas content.
01:56 Elle est moche celle-là, on en refait une autre.
01:59 La femme n'était jamais moche.
02:00 Elle éclatait sur l'écran avec son sourire en clavier de piano, ses cheveux en bataille et cette lumière qu'elle dégageait,
02:07 comme le premier soir où ils avaient dîné ensemble.
02:10 Tout était allé vite entre eux, il avait l'intuition qu'il ne fallait pas traîner dans une histoire d'amour.
02:15 Il se méfiait des Isabelle, des Sophie ou des Géraldine qui racontaient qu'au début, Jean-Pierre ne leur plaisait pas du tout,
02:21 qu'elle le trouvait comme ci ou comme ça, qu'il avait fallu du temps pour qu'elle soit séduite.
02:27 Il pensait tout le contraire.
02:28 Il aimait la magie des commencements, qu'il fallait une électricité, une énergie, un coup de foudre en somme qui renverse la table.
02:35 Ils s'étaient vus pour la première fois à 20h, un 5 août et ils ne s'étaient plus quittés.
02:40 Cette évidence décrivait leur histoire.
02:43 L'homme disait souvent que le cœur avait sa raison, que la raison ne connaissait pas.
02:47 Il disait aussi que les histoires d'amour sont plus faciles quand elles reposent sur des intérêts, quels qu'ils fussent.
02:54 Des intérêts bien compris, une sorte de marché ou de pacte que s'elle parfois un homme et une femme, ils deviennent associés à 50/50.
03:03 Eux, c'était autre chose.
03:04 Ils n'avaient pas intérêt à être ensemble.
03:06 Ils s'aimaient.
03:08 Voilà tout.
03:09 C'est forcément plus compliqué.
03:11 Ce samedi-là, elle ne l'aimait plus.
03:13 Il se sentit perdu.
03:15 Les photos envoyées ne l'attendrissaient plus.
03:18 Il écrivit des messages si simples qu'il aurait souri s'il les avait lus chez un autre.
03:23 Je ne suis rien sans toi.
03:24 Je suis perdu.
03:25 Tu es ma dernière histoire.
03:27 On ne déclame pas du racine quand on est malheureux.
03:30 Les heures passaient.
03:31 Elle était très flexible.
03:33 Il prenait conscience qu'il y avait dans sa vie les enfants, les parents, le job, les amis, la vie en un mot, que tout ça était important, bien sûr, et même très important, évidemment.
03:43 Mais que tout ça n'avait pas la même saveur avec elle que sans.
03:46 Il prenait conscience qu'elle était tout.
03:48 Il eut peur.
03:50 Peur de souffrir.
03:51 Peur du manque.
03:52 Peur de l'absence.
03:54 Peur de cette dépendance.
03:56 L'homme n'aimait pas souffrir.
03:58 L'existence avait été douce.
04:00 Il n'était pas habitué.
04:02 Il avait eu de la chance.
04:03 Beaucoup de chance.
04:05 Il téléphonait à nouveau, mais à la quatrième sonnerie, la messagerie vocale récitait la même annonce.
04:10 Il envoyait encore un texto pour lui écrire que rarement il avait énoncé des choses aussi précises.
04:16 Elle répondit, c'est la première fois, effectivement.
04:19 Elle mentait sans doute ou elle ne se souvenait plus.
04:22 Toutes ces années, il lui avait dit qu'il l'aimait.
04:25 Mais l'essentiel n'est pas là.
04:26 Elle avait renoué le fil.
04:29 Ses mots ôtaient un poids de trois tonnes sur tout son être.
04:33 Il revenait à la vie, comme un noyé à qui le maître sauveteur fait du bouche à bouche.
04:38 Quelques minutes plus tard, il lui dit de vive voix,
04:41 la chose la plus folle, la plus définitive, la plus invraisemblable.
04:46 Je t'aime.
04:48 Je vous raconte cette histoire parce que je devine qu'elle est l'histoire de tout le monde.
04:54 Enfin de beaucoup.
04:56 On me l'a rapporté.
04:59 À moins que je ne l'ai vécu moi-même.
05:02 En rêve.
05:03 En réalité.
05:04 Qui sait ?
05:06 J'ai un peu voyagé en amour.
05:08 Il y a les traversées au long cours, les sauts de puce qu'on fait à côté de chez soi,
05:12 les expéditions lointaines et les rencontres touristiques.
05:15 J'ai aimé les préludes.
05:17 Et puis un jour, on arrive à destination.
05:19 Voilà neuf ans que mon amoureuse m'appelle pro.
05:23 Pour une raison que je ne m'explique pas, je suis sensible à cette caresse
05:27 qui nomme l'amant d'une vie par son nom de famille.
05:31 Quand j'avais 15 ans, que mon cœur battait la chamade ou la grenadine,
05:35 que je me prenais pour le jeune Werther,
05:37 j'imaginais que les vieux de 50 ans vivaient leur vie serein,
05:41 toute passion éteinte, guérit des impermanences des sentiments.
05:46 Un jour je t'aime, un jour je ne t'aime plus, est un parcours d'adolescence.
05:49 Heureusement, pensais-je, la cinquantaine éteint les feux.
05:53 Elle annonce les chaussons, la bolle d'eau fleurie, les questions pour un champion.
05:58 J'aurai 60 ans, le 9 septembre.
06:01 Je suis cerné par des messieurs grisonnants qui regardent déjeuner
06:05 et par des femmes botoxées qui attendent le prince charmant.
06:09 Je conseille aux grisonnants d'éviter la trottinette
06:14 et aux botoxées d'arrêter les injections.
06:18 C'est dimanche, c'est la fin de l'hiver.
06:23 Je bulle avec mon amoureuse.
06:28 Je suis un professionnel de la bulle.
06:30 Je suis un paresseux, contrarié.
06:33 Je la regarde qui sèche ses cheveux dans la salle de bain.
06:40 Je prends une photo.
06:42 Qui sait, un jour, peut-être, lui enverrai-je.
06:47 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
06:50 [Musique]