Notre chroniqueuse s'interroge sur le sens de l'engagement chez nos responsables politiques. Renoncer, est-ce faillir ?
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00:00 Pâques est propice à la réflexion et à la méditation.
00:03 Les fêtes religieuses nous prémunissent contre la tentation du contrôle absolu et de la toute-puissance.
00:10 Elles invitent l'individu, croyant ou pas, à s'interroger sur la grandeur de la vocation humaine,
00:15 et plus singulièrement, sur sa propre vocation.
00:19 Ça vaut pour tous, y compris pour les responsables politiques.
00:23 À quoi pensent nos dirigeants ou futurs dirigeants en cette période pascale ?
00:28 C'est l'occasion pour eux de se questionner sur le sens de l'engagement.
00:32 Persuadés d'avoir un destin, beaucoup se rêvent en monarque présidentiel à l'Élysée,
00:38 mais combien savent vraiment étreindre la France pour la relever ?
00:43 Dans une France ébranlée par les coups de boutoir des islamistes, menacée par l'ampleur de la dette,
00:48 affaiblie par les revirements géopolitiques, minée par les divisions politiciennes,
00:52 effacée par le transfert de souveraineté européen,
00:56 les dirigeants sont-ils sûrs de leur capacité à freiner la chute de la nation ?
01:01 Dans un tel contexte, la fonction de président de la République
01:05 ne devrait pas être considérée comme le point culminant d'un parcours aussi brillant et fulgurant soit-il,
01:11 mais plutôt comme un sacerdoce avec quantité de problèmes de fond,
01:16 de lutte farouche et de grande solitude.
01:19 Je regrette que la candidature à la fonction suprême soit devenue une sorte de passage obligé
01:24 pour tout responsable en manque de notoriété.
01:27 Certains se déclarent candidats estimant que la France a besoin d'eux,
01:30 alors qu'ils ont surtout besoin d'une forte dose d'humilité.
01:34 Savent-ils au moins à quoi il faudra renoncer pour espérer embrasser un tel destin ?
01:40 "La gloire et le deuil éclatant du bonheur", a écrit Madame de Stael.
01:44 Pour la France, les candidats devraient ou devront faire le deuil d'une part d'eux-mêmes,
01:49 afin de consacrer la meilleure à ce qui les dépasse et qui n'a rien à voir
01:53 avec une présidence normale et avec des petits bonheurs ordinaires.
01:58 Mais avant d'arriver à cette étape, il faudra beaucoup réfléchir,
02:01 hésiter, douter, lutter et souvent contre soi d'ailleurs.
02:06 Il faut lire ou relire le traité du rebelle ou le recours au forêt d'Ernst Juncker
02:11 pour comprendre combien une retraite, même de courte durée,
02:15 peut élargir notre conception du monde, nous faire admettre l'insignifiance des choses
02:20 et contribuer aussi à forger une volonté de faire.
02:26 De Gaulle aimait se laisser happer par l'obscurité enveloppante des forêts gauloises
02:30 comme celle des Duys, de Clairvaux ou encore de la Chapelle.
02:34 Bismarck plongeait dans la même nostalgie contemplative et écrivait à ce sujet
02:39 "Mes décisions les plus importantes, je les ai prises dans la solitude de la forêt".
02:44 Alors combien de nos politiques contemporains s'imprègnent en profondeur de l'aprôté de tels décors
02:49 avant d'étaler leurs ambitions présidentielles ?
02:52 Pour accéder au trône, il faut avoir une furieuse volonté de faire une incursion remarquée dans l'histoire,
02:58 au risque d'ailleurs d'y laisser des plumes, d'y perdre sa santé et parfois sa famille.
03:04 Certains de nos présidents l'ont durement éprouvé.
03:07 On devrait donc être enclin à les comprendre.
03:09 Mais au lieu de cela, on aura tendance à dénoncer leur prétendue refus d'obstacle.
03:15 Or il me semble qu'au renoncer à être candidat à la présidentielle,
03:18 c'est au fond la véritable marque de courage aujourd'hui.
03:22 Pourquoi François Baroin a-t-il renoncé alors qu'il disposait, et dispose toujours, de nombreux atouts ?
03:28 Sans doute, l'ancien président des maires de France a-t-il privilégié le bonheur de sa famille,
03:33 et en particulier de ses enfants ?
03:35 Est-ce vraiment si terrible ?
03:37 Bien sûr, au-dessus de tout, il y a la France.
03:40 Mais une chose est sûre, le bonheur n'est pas à l'Élysée.
03:44 Jacques Delors a souvent expliqué qu'il a réussi, de son point de vue,
03:47 à relever de nombreux défis pour le pays,
03:49 et à pleinement s'épanouir dans le cadre de différentes missions,
03:53 sans avoir comme prétention de diriger la nation.
03:56 Et aujourd'hui ?
03:58 Qu'en est-il par exemple d'Édouard Philippe ?
04:00 Dans le huis clos de sa conscience, hésite-t-il encore ?
04:04 Et que pense l'ancien Premier ministre de la notion de renoncement ?
04:08 "Je veux être candidat", a-t-il annoncé le 21 mars dernier à Nouméa,
04:13 en référence à ses ambitions nationales ?
04:16 Étrange formulation.
04:17 Il a préféré parler de son désir de candidature,
04:20 posant un énième petit caillou blanc sur le chemin de son annonce à venir.
04:24 En général, les fauves politiques ne prennent pas autant de précautions
04:28 et sautent à pieds joints dans la mare électorale.
04:31 Mais, Édouard Philippe est-il comme les autres ?
04:33 Le passionné de boxe se révèle être un maître de l'esquive.
04:37 Rien ne sert de se dévoiler trop tôt.
04:40 Il sait que les dagues sortiront du fourreau au moment même
04:43 où sa candidature sera définitivement actée.
04:47 Le plus tard Philippe entrera sur le ring, le moins il prendra deux coups.
04:51 Alors simple calcul tactique de sa part,
04:53 ou bien question plus profonde de tempérament ?
04:56 Bien sûr, le maire du Havre vit par et pour la politique depuis des années.
05:01 Mais il sait aussi qu'il y a une vie en dehors.
05:04 Il a d'ailleurs quitté un temps la politique pour le privé,
05:06 lorsque son mentor Alain Juppé fut condamné en 2004
05:10 dans l'affaire dite "des emplois fictifs du RPR".
05:14 Plus que tout autre, il sait donc que la machine peut s'enrayer.
05:18 Lui arrive-t-il alors de penser à ce jour de décembre 94,
05:22 lorsque malgré des sondages flatteurs,
05:24 l'ex-président de la Commission européenne
05:27 a renoncé à la présidentielle lors de l'émission 7/7 ?
05:31 Déçu, un certain nombre de Français lui ont reproché sa décision.
05:35 Et jusqu'à la fin de sa vie,
05:36 on l'interrogera encore et encore sur son renoncement.
05:40 Pourtant, une atrophie d'envie ne devrait pas être appréhendée comme une tare.
05:44 En Occident, le renoncement est perçu comme un recul,
05:48 voire une défaite en race campagne.
05:50 À l'inverse, d'autres cultures nous apprennent à voir les choses différemment.
05:54 Laissez-moi vous conter une courte histoire
05:57 tirée du grand texte sacré hindou, le Bhagavata Gita.
06:01 Une somme magnifique,
06:02 elle-même contenue dans une œuvre colossale, le Mahabhrata.
06:06 Ce grand livre sacré met en scène un terrible conflit
06:09 entre deux tribus d'une même famille.
06:12 Tandis que s'approche le moment fatidique des combats,
06:15 le grand guerrier, Arjuna,
06:17 décide de consulter son cocher, qui n'est autre que le dieu Krishna.
06:22 Arjuna lui expose son dilemme de la façon suivante.
06:25 Son devoir de guerrier le pousse, bien sûr, à se battre,
06:28 quitte à éliminer sa famille et donc tous ses cousins.
06:31 Tandis que son sens de la famille, justement, le retient de commettre l'irréparable.
06:36 Face à pareille situation, Krishna lui enseigne les bienfaits d'une action
06:41 dont la récompense n'est pas immédiate.
06:44 Renoncer pour privilégier une autre manière d'agir et de vivre.
06:48 Eh bien, c'est l'une des leçons, et même des grandes leçons du Mahabhrata.
06:52 Choisir une autre voie n'est donc pas une reculade.
06:56 Mais sans doute, Édouard Philippe estime-t-il déjà
06:58 que tout est réuni pour son accession à l'Élysée en 2027.
07:02 Reste à ne pas commettre la même erreur que Juppé,
07:05 qui a voulu devenir président sans avoir ni l'envie, ni la force de faire campagne.
07:10 Finalement, il aura eu une défaite tranquille.
07:14 Son fidèle lieutenant sait qu'il n'est pas possible de boxer en ne faisant qu'esquiver.
07:19 Quand donnera-t-il alors son premier « hypercute » ?
07:21 On le saura rapidement.
07:23 En attendant, méditons un peu en cette période sur le renoncement,
07:27 le courage et au fond, l'insignifiance des choses.
07:31 Joyeux Spaak à tous !
07:32 [Musique]