• il y a 9 mois
À l'occasion de la diffusion de "Femmes de la terre" mardi à 21h10 sur France 2, Sonia Devillers reçoit son réalisateur Édouard Bergeon ainsi que Marylène, sa mère, qui fut agricultrice. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-26-fevrier-2024-3155062

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Sonia De Villers, il est 7h49, vos invités ce matin sont une mère et son fils, lui signe
00:06 un documentaire sur les femmes agricultrices, elle l'a été toute sa vie, comme sa mère
00:13 et sa grand-mère avant elle.
00:14 Alors Nicolas, le film s'intitule « Les femmes de la terre », il est diffusé demain
00:17 soir à 21h sur France 2, généreux, poignant, exaltant, racontait le monde paysan au féminin,
00:23 c'est raconté la vie de la ferme de l'intérieur et retracé le combat de ces femmes pour être
00:28 reconnues et pour avoir des droits, vous êtes-vous déjà demandé en quelle année les agricultrices
00:33 ont eu un droit à un véritable congé maternité ?
00:36 Marie-Hélène Bergeon, bonjour !
00:38 Bonjour !
00:39 Voilà, vous avez pris votre retraite en 2020, vous avez reçu la médaille du mérite
00:45 agricole.
00:46 Oui, avec fierté quand même.
00:48 Oui absolument !
00:49 Mais je pense que toutes les agricultrices devraient l'avoir.
00:52 Et justement, en voyant le film de votre fils, dans lequel vous n'êtes pas interviewée
00:56 mais vous apparaissez à travers les photos, les archives, vous avez revu des images de
00:59 toutes les femmes de la famille ?
01:01 Oui, ça m'a beaucoup émue, je l'ai regardée hier soir, j'ai vu ma grand-mère, formidable,
01:08 ma maman, Olympe, Suzanne, et ma belle-mère Gisèle, qui ont énormément travaillé, qui
01:16 bossaient vraiment sans arrêt et sans beaucoup de vacances.
01:26 Elles avaient des enfants, beaucoup d'enfants à élever.
01:30 Par contre, à cette époque-là, il y avait souvent une grand-mère ou une bonne dans
01:36 les maisons.
01:37 Pour aider les femmes de la maison.
01:39 Parce que parmi les combats qu'on va raconter aussi, c'est de faire arriver des crèches
01:43 et même des écoles maternelles à la campagne.
01:45 Parce que tout ça, ça reposait sur les épaules des femmes.
01:48 Edouard Bergeon, bonjour !
01:49 Bonjour !
01:50 C'est pas bien de me faire ça !
01:53 Alors, en 2019, je rappelle à nos auditeurs, vous avez connu un immense succès au cinéma
01:59 avec une fiction qui s'appelle « Au nom de la terre », Guillaume Canet jouait un rôle
02:02 inspiré de l'histoire de votre père.
02:04 Un père qui s'empêtre dans les dettes, qui sombre dans la dépression et qui finalement
02:08 se donne la mort.
02:09 Ça c'est quand vous étiez adolescent.
02:11 Pourquoi avoir retourné la caméra de l'autre côté du couple et s'intéresser aux femmes
02:18 des agriculteurs ? Justement parce qu'elles sont un petit peu plus que cela, des femmes
02:22 d'agriculteurs.
02:23 Je voulais rendre hommage dans ce documentaire à ma mère, à mes grands-mères, à mes
02:27 arrières-grands-mères, à toutes les femmes de la terre qui portent les fermes.
02:31 On dit toujours que derrière chaque grand homme il y a une grande femme.
02:33 Là j'ai voulu inverser le point de vue.
02:36 Et dans ce documentaire-là, je suis allé rencontrer des pionnières qui se sont battues.
02:39 Le documentaire pourrait s'appeler « Les combattantes ».
02:41 Ah totalement !
02:42 Et je suis allé voir des combattantes aussi de la nouvelle génération.
02:45 Totalement !
02:46 Les pionnières, on va les citer.
02:47 C'est Anne-Marie Crelet, c'est Jeannette Gros, c'est Marie-Claude Picard, c'est
02:50 Marie-Paul Méchinaud, Christiane Lambert.
02:52 Absolument incroyable !
02:54 Oui, dans le documentaire, elles sont hyper poignantes.
02:58 Beaucoup d'anecdotes, mais déjà on revoit beaucoup d'images d'archives dans le documentaire
03:02 qui ressemblent étrangement à celles qu'on voit aujourd'hui.
03:04 Beaucoup de colère, beaucoup de combats.
03:06 En fait, elles ont fait bouger les choses.
03:08 À chaque fois, il y avait une grande femme dans chaque négociation.
03:10 Dans la crise du port, dans la crise du lait.
03:13 Il fallait faire vraiment avancer le statut.
03:16 Il n'y avait pas de statut en fait.
03:17 Je raconte l'invisibilité à aujourd'hui, ces femmes qui sont à part entière, portent
03:22 l'agriculture et actrices de la transition agricole et écologique.
03:25 Alors justement, Marie-Hélène, vous aviez dit à votre maman "jamais je n'épouserai
03:29 un paysan".
03:30 Vous l'avez dit.
03:31 Ça je l'ai dit.
03:32 À ma maman, à ma famille, mes frères et soeurs.
03:33 Vous êtes mariée en quelle année ?
03:34 En 1979.
03:35 Parce que mes parents ont été agriculteurs pendant 9 ans, le temps d'un bail.
03:41 Avant, papa était salarié agricole.
03:43 Et après, il a géré un château.
03:46 Et là, ils étaient plus heureux.
03:47 Pendant les 9 ans, ils habitaient dans une maison qui ne leur appartenait pas.
03:52 Donc ils ne pouvaient pas faire de travaux.
03:54 Et on était 5 enfants.
03:56 Et là, c'était une maison très rustique, sans chauffage.
04:02 Les sols étaient très difficiles à…
04:05 Bah justement, Edouard raconte ça dans son film "Edouard Bergeon".
04:08 C'est-à-dire, vous racontez la mécanisation progressive de l'agriculture en France.
04:12 Mais quand est-ce que le seuil de la modernisation a franchi la porte de la ferme ?
04:17 Pas des champs, pas le tracteur, pas la moissonneuse, le lave-linge ?
04:21 C'est arrivé quand les femmes, on a eu besoin d'elles.
04:24 Quand la TVA est arrivée en 68, elles avaient des…
04:27 Voilà, c'est des tâches que les agriculteurs ne voulaient pas faire ou ne savaient pas faire.
04:31 Et celles qui étaient allées à l'école, elles se sont mises dans les bureaux.
04:35 Et là, elles ont vu combien la ferme rapportait.
04:36 Qu'elles pouvaient aussi demander à moderniser leur exploitation agricole.
04:41 Parce qu'en fait, c'était toujours l'homme qui décidait.
04:43 C'était toujours les dépenses de la ferme avant les dépenses de la maison.
04:46 - Oui, c'est ça.
04:46 Parce que ça, franchement, Marilène, pour ma génération,
04:50 on a du mal à imaginer que la révolution sociale,
04:53 ça a été l'application en 1968 de la TVA sur le monde agricole.
04:57 Qui fait qu'il y a eu une montagne de paperasses à remplir du jour au lendemain.
05:01 Et que c'est les femmes…
05:02 - C'est plus tard, c'était plutôt au moment de la Pâques.
05:06 Avant, j'ai vu mon père avec un livre de comptes.
05:09 Jusqu'à… je ne sais plus quand il a arrêté d'être agriculteur.
05:13 - Et toi, tu es devenue co-exploitante quand tu faisais la comptabilité ?
05:16 Tu faisais les salaires ? Tu faisais tout ?
05:17 - On allait signer les emprunts, mais on n'était rien.
05:20 Et quelque part, on était fiers en sortant de la banque.
05:23 Mais en même temps, on avait peur.
05:26 Parce qu'il fallait quand même être sûr de pouvoir les payer.
05:29 Et ça, selon la météo, selon les prix qu'on ne connaît jamais,
05:35 c'était quelquefois laborieux.
05:37 Et nous, quand on a eu l'incendie, n'en parlons pas.
05:40 Et c'est le gros problème, je dirais, en agriculture.
05:42 Quand il y a un incendie ou actuellement des inondations,
05:48 ou des gèles importants, les banques ne réagissent pas.
05:52 Elles vous envoient les avis d'échéance comme si de rien n'était.
05:55 Et la MSA aussi.
05:57 Et moi, j'ai toujours défendu ce…
06:01 J'ai demandé déjà à ce que ce soit appliqué,
06:04 qu'on puisse se faire des réunions quand on va mal.
06:06 C'est quand même le banquier qui le voit en premier.
06:09 Faire une réunion avec la MSA, les gros fournisseurs,
06:12 où il y a des dettes parce que ça bloque tous les paiements.
06:15 - Les dettes, les dettes, les dettes.
06:16 - Voilà. Et qu'on se mette autour d'une table
06:19 pour trouver des solutions, des échéanciers.
06:22 Ça ne se fait pas.
06:23 - Mais Marilène, quand vous dites "on allait à la banque"
06:25 et on signait, nous les femmes, on signait les emprunts.
06:28 Les emprunts à court terme, les emprunts à long terme.
06:31 Vous avez signé des emprunts chaque année.
06:32 - Oui, oui, les courts termes, chaque année, les avances aux cultures.
06:35 - Et quand vous dites "on n'était rien",
06:37 c'est-à-dire, vous aviez quoi comme statut, Marilène ?
06:39 - Conjointe d'exploitant.
06:42 - Femme de paysan, femme d'agriculteur.
06:43 - Je crois que la génération d'avant, elle le dit dans le documentaire,
06:47 je ne sais plus, rien.
06:48 - Sans profession.
06:49 - Voilà, sans profession.
06:51 - À partir de quand vous avez eu un statut, Marilène ?
06:53 - En 1998.
06:55 Parce que mon mari était malade, dépressif.
06:57 Sinon, je ne sais pas si je l'aurais eu à ce moment-là.
07:00 - Il faut attendre 2010, vraiment.
07:01 On le voit d'ailleurs dans l'archive, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Agriculture,
07:04 annonce l'égalité du statut par le GAEC,
07:07 en gros le Groupement Agricole,
07:09 où chaque associé peut être à parts égales, mais c'est 2010.
07:12 Vous parliez du congé maternité tout à l'heure,
07:14 2019, pour avoir vraiment l'égalité par rapport aux autres salariés.
07:19 Pour rebondir à ce que dit maman,
07:21 moi je me rappelle, j'avais 6 ans, 7 ans,
07:22 je l'accompagnais au Crédit Agricole, désolé de le citer,
07:25 je les voyais sortir vraiment éprouvés.
07:29 Je les voyais signer.
07:31 D'ailleurs je l'avais refait cette scène dans mon film,
07:35 et je voyais qu'elle était caution solidaire en fait.
07:37 Elle n'avait pas de statut ma mère, mais elle était caution solidaire des prêts.
07:39 Comme toutes ces femmes de la terre.
07:41 C'est pour ça que c'est un doc d'utilité publique.
07:44 Je suis très heureux que France 2 ait pris ce doc,
07:47 parce que c'est un doc d'utilité publique.
07:48 On refait l'histoire de France au travers.
07:50 - On refait complètement l'histoire de France.
07:52 Et on raconte comment, au fur et à mesure de cette mécanisation,
07:57 les pionnières, celles qu'on a citées tout à l'heure, disent
08:01 "En fait, les femmes ont abandonné les engins aux hommes,
08:04 et elles n'auraient pas dû".
08:06 Vous les avez conduits, vous ces moissonneuses batteuses, Marilène ?
08:09 - Juste pour le fun.
08:12 Pour faire une photo.
08:14 Non, moi j'avais énormément de travail au bureau.
08:17 Quand on a changé de production, on a fait les chevraux.
08:20 Là ça demandait un travail énorme.
08:22 Je faisais ma comptabilité jusqu'au bilan.
08:24 Il y avait beaucoup d'écriture comptable, puisqu'on a fait
08:27 20 000 à 30 000 chevraux par hiver, et 1 000 poulets fermiers par mois.
08:32 Donc à chaque fois, chaque livraison, chaque achat d'aliments,
08:37 on ne s'en rend pas compte quand on n'est pas dans l'agriculture.
08:40 - Non mais c'est formidable, parce que ce travail-là de comptabilité,
08:43 de paperasse, c'est les femmes.
08:45 Ça a donné un rôle central, social et économique,
08:49 central aux femmes dans le monde paysan.
08:51 - Les chevraux demandaient du personnel saisonnier tous les hivers.
08:55 On prenait des apprentis, on faisait beaucoup de social,
08:58 plus que la MSA.
08:59 - Je me rappelle la révolution de la Pâques, où elle faisait des dessins.
09:04 Il fallait faire des dessins, des chants avant les satellites.
09:06 C'était fou !
09:07 - Marilène, un dernier mot.
09:08 Vous m'avez dit tout à l'heure, je voudrais parler au nom
09:11 de toutes mes amies écritrices.
09:13 Parce que ça a été dur, parce qu'on manquait d'argent tout le temps.
09:16 - Oui, oui.
09:17 Enfin, manquer d'argent...
09:19 Oui, après, j'ai eu une vie différente à cause du décèdement de Marie.
09:24 Là, j'ai fait plein de dossiers pour avoir des aides qui m'ont été données quand même.
09:29 Mais avant, oui, on vivait chichement.
09:33 On ne partait jamais en vacances, par exemple.
09:35 Et je pense à toutes mes amies agricultrices, éleveuses surtout.
09:39 Paulette, Valérie, les Valéries.
09:42 - Les Valéries !
09:44 - Et plein d'autres, ma cousine Claudine, Yvette,
09:47 des femmes qui ont beaucoup, beaucoup travaillé.
09:49 - Alors, le film "Les femmes de la terre" diffusé demain soir,
09:52 21h sur France 2, suivi d'un débat.
09:54 Et puis, vous avez un nouveau grand film de fiction qui sort au cinéma le 27 mars, Édouard Bergeon.
09:58 Merci Marie-Véronique.
09:59 - Merci beaucoup à vous.
10:00 - Et merci Sonia, il est 7h.
10:02 - On se sent moins invisibles.

Recommandations