Député de la Somme, François Ruffin présente son film "Au boulot !", coréalisé avec Gilles Perret. Manifeste sur la déconnexion des classes supérieures, il y confronte l'avocate Sarah Saldmann, qui pourfend "l'assistanat" sur les plateaux télé, à la vie quotidienne de salariés au Smic. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-04-novembre-2024-4374473
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00:00L'édito politique Patrick Cohen, face au ravage du trafic de drogue, Bruno Retailleau
00:05annonce un nouvel arsenal législatif.
00:08Pour durcir encore la réponse sécuritaire, discours souvent entendu d'une guerre sans
00:12merci amenée contre les trafics et les narcotrafiquants, mais ce qui est stupéfiant dans cette politique
00:18anti-stupéfiant, pardon, c'est qu'aucun ministre de l'intérieur, jamais, ne s'interroge
00:22sur les échecs de ses prédécesseurs.
00:24Chacun espère que la volonté, les moyens, la fermeté, les coups de menton lui permettront
00:28de faire mieux, jusqu'à ce que le suivant constate que la situation est pire, les trafics
00:32toujours plus florissants et plus violents.
00:34Or, le constat d'échec tient en deux phrases, malgré plus de 50 ans de prohibitions et
00:39de chasse aux trafiquants, nous sommes devenus les champions d'Europe de la consommation
00:43de cannabis, 5 millions d'usagers annuels, 1 million de fumeurs quotidiens, avec des
00:48mineurs deux fois plus atteints que la moyenne européenne.
00:51Échec sécuritaire, échec judiciaire, échec de santé publique.
00:55Que pensez-vous, Patrick, que la France devrait réfléchir à la légalisation du cannabis ?
01:00Déjà fait, les réflexions ont eu lieu, mai 2021, après un an et demi de travail,
01:05plus de 200 auditions et une consultation citoyenne de 250 000 personnes, les députés
01:10de la Mission d'information sur le cannabis concluent à la nécessité d'une légalisation
01:14encadrée et régulée.
01:16Janvier 2023, le Conseil économique, social et environnemental aboutit au même constat
01:21et aux mêmes conclusions, la prohibition nourrit les trafics et la criminalité, les
01:26policiers, épuisés, découragés par une guerre sans fin, ont le sentiment de vider
01:30la mer avec une cuillère, le budget alloué aux forces de l'ordre pour la lutte anti-drogue,
01:34qui a doublé en dix ans pour dépasser le milliard d'euros, serait mieux utilisé
01:38à des politiques de prévention, idée radicalement contre-intuitive, c'est en la légalisant
01:44que les jeunes seraient mieux protégés de la drogue.
01:47Trop contre-intuitif, peut-être ?
01:48Oui, sûrement, pour les ministres de l'Intérieur dont la première hantise est de se faire
01:51traiter de laxistes, le prédécesseur de Bruno Rotaillot, Gérald Darmanin, évoquait
01:55la légalisation comme une « lâcheté intellectuelle », il citait aussi ce slogan vieux de presque
02:0140 ans inventé par le photographe et réalisateur Jean-Marie Perrier pour une série de spot
02:05télé « La drogue, c'est de la merde », alors disait Darmanin, on ne va pas légaliser
02:10cette merde.
02:11Mais que peut-on lui répondre ?
02:12Que le cannabis est chez l'adulte moins dangereux que l'alcool et le tabac, c'est
02:15un fait médical, il est moins mortel et rend moins dépendant, ce qui n'est pas vrai
02:20chez les adolescents, c'est là qu'il y a péril, d'où l'idée que l'État
02:24prenne le contrôle de la vente de cannabis plutôt que de la laisser au dealer.
02:28Le temps me manque pour évoquer les exemples étrangers, Canada, Allemagne, pas tous probants,
02:33pas tous transposables, personne ne prétend un effet magique sur la consommation, la criminalité
02:38et la violence, mais en France, ce débat est toujours refermé avant d'avoir été
02:42mené.
02:44Une devise Shadock signée Jacques Rouxel qui convient parfaitement aux politiques anti-drogue,
02:49il vaut mieux pomper d'arrache-pied, même s'il ne se passe rien, que de risquer qu'il
02:53se passe quelque chose de pire en ne pompons pas.
02:55Patrick Cohen !
02:56Sonia De Villers, votre invitée ce matin, est députée de la Somme et co-réalisateur
03:00du film « Au boulot » qui sort mercredi.
03:03Alors, vous affrontez une jeune femme avocate, Sarah Salman, sur le plateau des grosses têtes
03:09de RMC.
03:10Les grandes gueules !
03:11Ah oui, oui, c'est vrai, les grandes gueules, pas les grosses têtes, c'est vrai, ça c'est RTL.
03:15Pardon.
03:16Elle n'a pas de mots assez durs, cette Sarah Salman, pour déglinguer les assistés, ces
03:20fainéants qui ne bougent pas leur cul du canapé, qui préfèrent se faire rincer aux
03:23allocs plutôt que de travailler chiche, vous lui proposez de l'emmener auprès des gens
03:27qui bossent durs, pour pas un rond, qui en bavent et qui souvent en sont fiers.
03:32Bonjour François Ruffin !
03:33Bonjour !
03:34A l'écran, vous jouez les contrastes d'un palace parisien à manger des crocs que Monsieur
03:38a la truffe le lendemain en usine de poissons à emballer du macro-fumé ou à courir derrière
03:43un livreur de colis.
03:44Vous passez d'une soirée privée dans une boutique de l'avenue Montaigne, avec des
03:49clientes refaites au collagène, flûte de champagne à la main, au quotidien d'un agriculteur
03:53qui sort son troupeau de vaches, les deux pieds dans la boue, vous n'auriez pas peur
03:57des caricatures ?
03:58Non, mais j'ai un plaisir à ça, vous savez on fait un film, et moi je fais un film d'abord
04:05pour les rires, pour les larmes, j'espère que vous avez vu tout ça, pour de l'émotion,
04:08j'y vais pour offrir de la joie, et en particulier dans le temps de morosité que traverse le
04:13pays, voire dans le temps de dépression, vous savez, et je pense venir apporter dans
04:18ce temps-là un objet, qui est un objet politique aussi, mais un objet de fantaisie, vous savez
04:22c'est Bobby Lapointe qui chantait « j'ai fantaisie de mettre dans ma vie un petit brin
04:27de fantaisie, youpi, youpi », donc moi si je fais des films, c'est d'abord pour
04:31mettre dans ma vie un petit brin de fantaisie et pour en mettre dans la vie du spectateur
04:34aussi.
04:35Qui ressemble cette jeune femme avocate couverte de bijoux qui passe sa vie entre les plateaux
04:40télé et les boutiques de luxe où elle dépense des sons folles ? Elle incarne qui ? Elle
04:43représente qui en France ?
04:45Vous savez, autant on peut regarder Sarah Salmane comme étant folklorique, ça c'est
04:49une chose, autant les préjugés de Sarah Salmane, je les prends très au sérieux.
04:52Ces préjugés sur « les gens qui prennent des vraies maladies sont des feignants », « les
04:56chômeurs c'est des assistés qui ne veulent pas leurver leur derrière du canapé », si
04:59jamais ce n'était que les préjugés de Sarah Salmane, on serait tranquille, même
05:03si ce n'étaient que les préjugés de la grande bourgeoisie.
05:05Mais aujourd'hui, ce sont des préjugés qui sont très ancrés dans les classes populaires
05:08elles-mêmes.
05:09Quand on est amené à mener campagne en terre ouvrière, c'est presque ce à quoi on doit
05:13se confronter.
05:14Donc c'est ça la droite ? Prendre une Sarah Salmane qui trépigne à l'idée de pouvoir
05:18s'offrir une montre à 54 000 euros, c'est ça la droite aujourd'hui ?
05:21Ce n'est pas seulement la droite, vous savez, d'abord c'est elle, c'est la grande bourgeoisie,
05:26certes d'une part, mais c'est quelque chose qui peut être poreux bien au-delà dans la
05:29société.
05:30Déminer les préjugés de Sarah Salmane, ça contribue aussi à déminer les préjugés
05:34auprès du reste du pays.
05:35Ensuite, vous savez, moi je dirais presque que c'est Sarah Salmane qui m'a choisi.
05:38Parce que…
05:39Parce que quoi ? Parce que vous aviez proposé à d'autres gens ?
05:41Oui, dès que je suis entré comme député à l'Assemblée nationale, j'ai déposé
05:44des amendements vie ma vie, j'ai dit aux ministres de l'éducation « commencez par
05:48aller dans un collège rep », j'ai dit aux ministres de la santé « commencez par aller
05:51en ESSEPAD », j'ai dit aux ministres de la justice « commencez par aller en prison
05:57», comme stagiaire toujours, mais la première qui a mordu à l'hameçon, c'est Sarah Salmane.
06:03Et évidemment…
06:04Donc vous prenez une bête médiatique qui est déjà, parce qu'il faut que les gens
06:06le sachent, chroniqueuse chez les GGDRMC, qui est aussi régulièrement chez Hanouna,
06:14pratiquement sociétaire chez CNews, c'est ça ? Donc c'est une bête médiatique,
06:17c'est quelqu'un qui court derrière les caméras ?
06:18Oui, et donc on l'amène devant une autre caméra et on la fait bouger.
06:22Bon, mais je dirais que c'est pas le sujet.
06:25Le sujet qu'on a depuis le début avec mon collègue Gilles Perret, on avait le film
06:28avant Sarah Salmane, c'était « Notre France », « Notre France humaine et fraternelle ».
06:32Vous savez…
06:33Le sujet c'est de faire peut-être se parler de France qui ne se parle plus, qui ne se
06:36rencontre plus, qui n'ont jamais même l'occasion d'échanger.
06:39Donc le sujet c'est quand même de faire tomber ces préjugés à elle.
06:42Et ça produit quoi ? Ça produit de la colère, parce que quand les gens entendent qu'il
06:45y a des vestes à 2 980 euros, qu'il y a des sacs à 20 000 euros, qu'il y a des
06:50montres à 50 000, voire que le croque-monsieur il est à 54 euros, ça suscite de la colère
06:54chez les gens qui travaillent de manière ordinaire.
06:56Mais ça suscite évidemment quelque chose qui est de l'ordre de la revanche sociale.
07:00C'est Louisa l'auxiliaire de vie qui fait nettoyer les toilettes à Sarah Salmane, on
07:05la voit porter des seaux d'alimentation pour vaches, bon ben voilà, il y a autre
07:10chose qui est de l'ordre de la revanche sociale.
07:11Les gens qui pour moi sont les héros du film, Louisa, Nathalie, Sylvain, Ilyas, Mohamed,
07:17ce sont des gens qui sont parlés, qui sont parlés par les politiques, qui sont parlés
07:20par les médias, mais qui en général ne parlent pas, qui n'ont pas de droit de réponse.
07:24Et là pour une fois, on a quelqu'un qui descend de son plateau de télé ou de son
07:27plateau radio, qui descend de son piédestal, se met des gars à la égale et ça offre
07:32un droit de réponse.
07:33Et dans ce renversement carnavalesque, parce qu'il y a de ça…
07:36Mais j'espère bien qu'il y a de la farce, qu'il y a du carnaval, qu'il y a de la
07:39joie.
07:40Non mais il y a de ça, parce que là vous êtes là, vous vous frottez les mains, vous
07:42voyez là Sarah Salmane avec sa montre très chère et ses bracelets en brillant qui nettoient
07:47les chiottes à quatre pattes, il n'y a pas quelque chose de fantastiquement démagogique ?
07:51Non, ce n'est pas démagogique, vous savez…
07:54Non mais vous ne proposez rien en même temps, François Ruffin, dans ce film.
07:58Vous savez ce que je propose, alors vous voulez que je vous dise tout ce que je propose pour
08:01le travail.
08:02Je propose simplement que dans notre pays, les Français, tous les habitants de notre
08:07pays doivent pouvoir vivre de leur travail, bien en vivre et non pas en survivre.
08:10Et bien le vivre.
08:11Et ça pose la question aussi de la déclaration des droits de l'homme qui dit « les distinctions
08:15sociales ne peuvent reposer que sur l'utilité commune ». Comment ça se fait que dans notre
08:18pays, on a des chroniqueurs télé, des conseillères d'influenceurs qui peuvent imaginer se payer
08:24en effet des sacs à 20 000 euros, pendant qu'on a des auxiliaires de vie qui galèrent
08:28simplement pour leur survie ?
08:30Maintenant, je le redis, nous on fait un film, d'accord ? On fait un film et vous savez,
08:35on a cette conviction avec Gilles Perret que l'émotion est un moteur, émotion ça veut
08:38dire mise en mouvement.
08:39Le cinéma c'est l'art du mouvement et donc dans un temps, je le redis, de dépression
08:44comme le nôtre.
08:45Si on parvient à donner aux gens, comme dirait Johnny, l'envie d'avoir envie, c'est déjà
08:48pas mal.
08:49Ce que je veux dire c'est que la Sarah Salzman, ses préjugés ne tiennent pas trois secondes.
08:53Elle pleure, nous aussi, parce que c'est vrai qu'il y a plein d'émotions, il y a des personnages
08:57fantastiques dans ce film, ses préjugés ne tiennent pas deux secondes.
09:01Pourquoi ? Parce qu'en réalité, elle n'a aucune espèce de culture politique.
09:04Moi ma question c'est est-ce que vous n'allez pas droit à la facilité, à une facilité
09:09un peu démagogique, voire un peu populiste ? Parce que l'ultralibéralisme…
09:13La définition du populisme dans le dictionnaire, c'est « courant littéraire s'appliquant
09:19à décrire avec réalisme la vie des gens du peuple ».
09:21Donc vous le revendiquez, je suis populiste.
09:23Je revendique en tout cas cette manière d'être populiste, c'est-à-dire de décrire avec
09:26réalisme la vie des gens du peuple.
09:28Et vous avez des films documentaires qui mettent en héros un chariste, un manutentionnaire,
09:33un ouvrier de l'industrie agroalimentaire, une auxiliaire de vie, ils sont rares.
09:37Donc il y a quelque chose qui est de l'ordre d'un manifeste politique dans ce film.
09:40Alors justement, parlons de politique, le libéralisme, l'ultralibéralisme si vous
09:44voulez, c'est pas seulement du grand n'importe quoi, de gens obsédés à l'idée de s'offrir
09:50une montre à 54 000 balles, d'accord, et complètement incultes.
09:55C'est aussi une doctrine du ment argumenté, du ment documenté.
09:59Est-ce que vous ne cédez pas à la facilité en la faisant venir, elle, en usine, plutôt
10:04que n'importe qui d'autre qui chiffre du chômage, chiffre des inégalités sociales
10:10à l'appui, va vous démontrer par A plus B qu'il faut supprimer l'impôt, libérer
10:16l'investissement, prendre des mesures ?
10:18Madame de Villers, j'ai des tas d'endroits pour faire des discours, j'ai la tribune
10:21de l'Assemblée Nationale, j'ai les médias éventuellement, là je fais un film, d'accord,
10:24et qu'est-ce que c'est l'objet d'un film ? C'est de venir montrer aux gens que peut-être
10:29qu'ils vont être plus mis en mouvement, non pas en se bagarrant contre l'ultracapitalisme,
10:33contre le néolibéralisme, contre la précarité en général, mais en leur montrant des voix,
10:37des vies, des visages, de Louisa, de Nathalie, de Sylvain, et que ça leur donne envie de
10:41se bagarrer pour eux.
10:42Et je vous le dis, pour moi il y a quelque chose qui est de l'ordre d'un manifeste
10:46politique, pourquoi ?
10:47Pourquoi vous vous êtes fâché avec Sarah Salmane ? Pourquoi est-ce qu'elle disparaît
10:50du film ?
10:51On s'est fâché avec Sarah Salmane parce que je lui disais que je ne peux pas être
10:54humaniste ici, ne pas l'être là-bas, à Gaza, et que pour moi il y a une vie vaut
10:59une vie, les larmes d'une mère palestinienne valent les marques, les larmes d'une mère
11:02israélienne.
11:03Donc à dix minutes de la fin du film, votre personnage disparaît, motif dit hors-champ
11:10par Gilles Perret, votre co-réalisateur, ce qu'elle dit de Gaza est absolument atroce.
11:15Et moi ce que je ne comprends pas, c'est quel lien il y a entre Gaza et ses préjugés
11:21sur la cistana et la fainéantise.
11:23C'est peut-être une manière de voir les choses de haut, avec un manque d'empathie,
11:26et donc là on rétablit de l'empathie ici, mais moi je le redis, je fais aussi un film
11:30qui est un manifeste politique, en quel sens ? En le sens que je considère que la gauche
11:34doit remettre au cœur la question du travail, d'un travail qui est valorisé, qui permet
11:38aux gens d'en vivre.
11:39Et enfin, la volonté d'avoir…
11:40Donc Sarah Salman est discréditée dans le film pour ses positions sur Gaza et sur la
11:45politique israélienne.
11:46En fait elle a la place dans le film de se justifier sur tout, mais pas là-dessus, parce
11:51qu'en fait elle a disparu.
11:52Donc vous diffusez seulement trois extraits de trois secondes de ses propos sur CNews,
11:57et elle n'est plus là pour s'expliquer.
11:58Parce que le sujet pour vous c'est Sarah Salman, mais pour moi ça n'est pas Sarah
12:01Salman, pour Gilles ça n'est pas Sarah Salman, et pour les 15 000 spectateurs qui
12:04ont vu le film aujourd'hui, le sujet c'est Nathalie, Sylvain et Louisa, qu'on ne voit
12:08jamais dans ce plateau de radio ici sur France Inter, et qu'on ne voit jamais ailleurs
12:12non plus.
12:13Le sujet c'est eux.
12:14Le sujet c'est comment ça se fait que, voilà, faire rentrer à l'écran et montrer
12:17en grand à l'écran des gens qui sont grands tous les jours, rendre extraordinaires les
12:23vies des gens dont on dit ordinaires, dont Emmanuel Macron disait qu'ils ne sont rien
12:27au boulot, ça sort mercredi au cinéma.