Le député LFI de la Somme François Ruffin estime que sur ces questions, la gauche a "un boulevard" face à l'extrême-droite et la majorité. Il revient aussi sur la polémique qui entoure la participation des insoumis à l'hommage national rendu aux victimes des attaques du 7 octobre.
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00:00 Sonia De Villere, votre invitée ce matin est députée LFI NUP de la Somme.
00:05 Et il publie aux éditions des Liens qui libèrent un livre intitulé « Maltravaille, le choix
00:10 des élites ». Le livre est petit et il est rouge.
00:14 Bonjour François Ruffin.
00:15 Bonjour.
00:16 Pourquoi le travail ?
00:17 Pourquoi ? Parce que déjà l'an dernier, pendant le conflit des retraites, quand on
00:21 allait dans les manifestations ou sur les ronds-points, on entendait non aux deux ans de plus, non
00:26 aux 64 ans, mais on entendait aussi beaucoup de mal-être, beaucoup de malaise au travail.
00:30 Et avec cette expression qui revenait en boucle qui était « on ne respire plus ». Donc
00:35 c'était du mal au dos, c'était du mal aux épaules, mais c'était aussi ça.
00:38 Et c'était des charistes qui, avec la commande vocale, étaient passés de 100 colis à 350
00:44 colis par jour.
00:45 Et avec, rentrant chez eux et disant à leur femme « ok, ok, ok », répondant comme
00:49 si ils étaient encore en commande vocale.
00:51 C'est des infirmières dont on use la vocation parce qu'elles n'ont pas le temps de prendre
00:57 un moment sur le lit d'une mamie, mais qu'elles sortent de la chambre en reculons avec la
01:03 pression du temps.
01:04 Et donc, tout ça, ça produit un grand mal-être, un grand malaise au travail qui a un coût
01:08 pour la société.
01:09 Qui a un coût.
01:10 Alors évidemment un coût, parce que tout ça se traduit en mal de dos, en anxiété,
01:16 en accident du travail, en maladie professionnelle.
01:18 C'est bien pire que tous les pays européens qui nous entourent en la matière.
01:22 On fait même bien pire, il faut voir que le travail s'est alourdi par rapport à
01:25 il y a 40 ans.
01:26 Et ça a un coût.
01:27 Ça a un coût pour la sécurité sociale, ça a un coût humain, évident.
01:30 Mais ça a un coût aussi parce que ce sont des secteurs entiers, par exemple, tout le
01:33 médicaux social, qui aujourd'hui se portent très mal et sont quasiment paralysés.
01:36 Comment vous différenciez du nouveau Premier ministre François Ruffin qui a prononcé
01:40 40 fois le mot « travail » dans son discours de politique générale et qui a consacré
01:46 une minute de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale à se préoccuper
01:51 des horaires des agentes de nettoyage ?
01:53 D'abord, vous savez, ils ont la valeur travail dans la bouche et en même temps…
01:59 En fait, toute la classe politique a la valeur travail dans la bouche.
02:02 Et depuis 40 ans, pas de problème, ils ont la valeur travail dans la bouche et depuis
02:04 40 ans, ils écrasent le travail.
02:06 C'est un choix de nos dirigeants politiques et économiques depuis 40 ans maintenant,
02:11 d'écraser le travail.
02:12 Alors ça se passe comment ? Ça se passe par… La première chose, ça a été les
02:16 délocalisations, qui est une recherche du mal-travail à l'autre bout du monde.
02:20 Et la France a fait bien pire que les pays qui nous entourent en la matière.
02:23 Ça a été le choix de la sous-traitance, qui est une maltraitance.
02:26 Et quand Gabriel Attal parle des femmes de ménage, il ne parle pas de la sous-traitance.
02:30 Ici, j'ai vu la femme de ménage dans l'entrée du couloir à France Inter.
02:33 C'est pas France Inter, c'est pas l'administration publique, c'est Attalions, c'est une entreprise
02:37 privée.
02:38 Donc si on ne règle pas les contrats de sous-traitance, on ne va pas s'en sortir.
02:41 Bon, c'est la question des cadences.
02:43 Mais quand je dis « on ne respire plus » aujourd'hui, c'est la question des cadences.
02:46 C'est la transformation de métiers qui avaient des statuts et des revenus en des
02:50 bouts de boulot.
02:51 Et ça, c'est la multiplication des contrats d'autant d'entrepreneurs.
02:53 C'est la thèse de votre livre, c'est-à-dire qu'on a privilégié le coût du travail,
02:57 c'est-à-dire une stratégie low-cost sur le travail, plutôt que le travail lui-même.
03:01 C'est-à-dire qu'il y a un choix des dirigeants économiques, mais c'est pas moi.
03:04 Vous savez, maintenant sur tout ça, il y a des constats scientifiques d'économistes,
03:08 de chercheurs, de sociologues du travail, et qui disent « voilà, depuis 40 ans, on
03:12 ne considère pas le travail comme un atout, mais on le considère comme un coût qui a
03:16 diminué et a écrasé ». Et avec, je le redis, des conséquences économiques qui
03:23 sont aujourd'hui importantes.
03:24 Un ancien ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui est de droite, avait chiffré rien que
03:28 le stress à 4% du PIB.
03:30 Donc on est sur des sommes qui sont absolument aujourd'hui gigantesques.
03:33 Regardez, un chiffre.
03:34 Je vous demande de retenir un chiffre.
03:36 100 000.
03:37 Parce que c'était le point de départ de mon enquête sur le maltravail.
03:40 On me parlait d'inaptitude.
03:41 De plus en plus de gens me disaient « dans ma boîte, il y a des collègues qui partent
03:45 pour inaptitude ». Je me demandais si c'était vrai.
03:48 Donc j'ai demandé le rapport à l'accident du travail, maladie professionnelle, à le
03:51 faire pour éclaircir ce point-là.
03:53 On a aujourd'hui plus de 100 000 départs pour inaptitude vers Pôle emploi par an.
03:58 Je ne sais pas si on se rend compte.
03:59 100 000, ça veut dire que c'est plus… enfin c'est ma ville qui serait licenciée
04:04 d'un seul coup, Damien.
04:05 C'est toute la construction automobile qui, chaque année, partirait broyer psychiquement
04:10 ou physiquement.
04:11 Et alors là où on voit la complicité du ministère du Travail, la complicité de
04:14 nos dirigeants, c'est que j'ai des échanges épistolaires avec eux comme rapporteur de
04:19 la branche ATMP.
04:20 Et ils me répondent « il n'y a pas de hausse ». C'est faux.
04:23 En 10 ans, ça a doublé.
04:25 En 10 ans, on est passé de 50 000 personnes qui sortent broyer du marché du travail à
04:31 100 000 par an.
04:32 Et on nous dit « il n'y a pas de problème ». C'est le gros souci.
04:36 On ne peut pas traiter ça politiquement si on refuse de le voir.
04:39 Et comment vous expliquez que plus les Français souffrent au travail, ou bien que plus leur
04:46 souffrance soit peu entendue, mal entendue, mal comprise ou alors carrément niée, plus
04:54 ils se tournent vers le rassemblement national.
04:56 Parmi les électeurs de Marine Le Pen, 60% se disent pas assez reconnus professionnellement.
05:01 Comment vous expliquez qu'ils se tournent vers Marine Le Pen ?
05:04 D'abord, le maltravail n'est pas une fatalité.
05:06 C'était un choix.
05:07 Je le redis, c'était un choix.
05:08 Et disons-le, c'est un choix qui rapporte gros.
05:11 Pourquoi on ne règle pas ce problème ?
05:12 Parce que c'est un choix qui rapporte gros.
05:14 Parce que ça supposerait un partage du pouvoir à l'intérieur de l'entreprise et de faire
05:18 que les salariés puissent discuter de comment ils s'organisent, comment ils sont pressurisés.
05:22 D'ailleurs, vous les appelez à aller se syndiquer.
05:23 Vous dites « syndiquez-vous, syndiquez-vous, syndiquez-vous ».
05:26 C'est l'outil qu'on a aujourd'hui pour s'impliquer dans le monde du travail,
05:30 c'est le syndicat.
05:31 Et d'ailleurs, vous précisez au passage que grâce au syndicat, 3 Français sur 4
05:37 sont restés mobilisés tout au long de la bataille des retraites.
05:40 Les syndicats sont un outil.
05:41 Moi, ce que j'en appelle, c'est qu'il y a des solutions qui sont classiques en la
05:44 matière des préventeurs, des médecins du travail, de l'inspection du travail, la
05:47 reconnaissance des troubles psychiques en maladie professionnelle parce que c'est une
05:50 épidémie.
05:51 Pourquoi Marine Le Pen ? Pourquoi est-ce qu'il se tourne vers le Rassemblement National ?
05:55 Pourquoi je m'intéresse au travail ? C'était votre première question.
05:57 Et c'est bien pour cette raison-là aussi.
05:58 Pourquoi ? Parce que je vois comment, dans un coin comme le mien, la Picardie, le Rassemblement
06:03 National, le Front National, en vérité, s'est installé par le travail.
06:06 S'est installé par le travail méprisé, le travail délocalisé qui fait qu'on a
06:10 du ressentiment dans l'entreprise qui bascule en ressentiment public.
06:14 Et si ça ne s'est pas pris en charge avec une transformation de la colère en espoir,
06:18 eh bien ça reste du côté du Rassemblement National.
06:20 Alors que, et c'est là que je pense qu'on a une chance, on a un boulevard devant nous.
06:25 Pourquoi ? Parce que le Rassemblement National, au fond, est nul sur les questions de travail.
06:28 Il n'a rien à dire sur l'intérim, il n'a rien à dire sur les CDD, il n'a rien
06:32 à dire sur les auto-entrepreneurs, il n'a rien à dire sur l'univers du travail aujourd'hui.
06:35 Mais ça fait combien d'années que la gauche est dans l'opposition ? Ça fait combien
06:39 d'années que Jean-Luc Mélenchon est dans l'opposition ?
06:41 Je peux vous parler ? Pour moi, ça fait 40 ans que je suis dans l'opposition, je pense
06:45 que je suis né dans l'opposition.
06:46 Pourquoi est-ce que les ouvriers ont-ils placé la candidate du Rassemblement National en
06:50 tête avec 68% de leur suffrage ? 68% des suffrages ouvriers ! Pourquoi est-ce qu'ils
06:56 s'intéressent à Marine Le Pen et pas à Jean-Luc Mélenchon ?
07:00 Personne n'a plus conscience que moi de cette difficulté aujourd'hui dans le pays.
07:05 Personne ne se bagarre plus que moi pour récupérer un électorat populaire.
07:08 Maintenant, ça ne se fait pas en claquant les doigts, ni pour Jean-Luc Mélenchon, ni
07:11 pour moi.
07:12 Quand on a un Front National qui est installé depuis le milieu des années 80 et qu'en
07:16 vérité on a une gauche qui a été une gauche d'accompagnement, qui a par exemple accepté
07:21 les allergismes européens sans que ça pose de difficultés, dans un coin comme le mien,
07:25 quand on a élargi avec généralisité à la Slovaquie, à la Roumanie, ainsi de suite,
07:30 ça a produit la délocalisation de Whirlpool, de Newell, de Magneti, Marelli et je peux
07:34 vous en citer 15 autres à la suite.
07:35 Justement, en ce moment, vous entretenez une relation épistolaire très intéressante
07:40 avec Raphaël Glucksmann qui sera le probable candidat du Parti Socialiste aux élections
07:45 européennes et vous vous opposez notamment sur la question de l'Ukraine.
07:49 Lui, il dit, de toutes ses forces, il faut que l'Ukraine entre dans l'Union Européenne
07:54 et vous, vous lui rappelez de toutes vos forces les délocalisations, pardonnez-moi, dont
08:00 votre région a souffert et le million d'emplois industriels qui ont été détruits.
08:03 D'abord, les échanges que j'ai avec Raphaël Glucksmann se déroulent autrement que via
08:08 l'étalage des rancœurs sur Twitter et il y a un désaccord.
08:11 C'est ça que je voulais dire, c'était fort intéressant.
08:12 Il y a un désaccord qui est posé sur la table.
08:14 Moi, ce qui ne me va pas du tout, c'est quand Raphaël Glucksmann dit, si vous êtes
08:18 hostile à l'entrée de l'Ukraine dans l'Union Européenne, votez pour le RN.
08:22 On leur a fait déjà cette cadeau comme ça, ça va.
08:24 Donc, quand il y a un pays comme l'Ukraine, de 45 millions d'habitants, avec un salaire
08:30 minimum qui est sous les 200 euros et une agro-industrie, je pense que ça pose des
08:35 questions et qu'on ne peut pas juste dire en termes de géopolitique et de générosité,
08:39 c'est nécessaire.
08:40 Vous savez, la générosité, je l'ai dit, ce sont les ouvriers de mon coin qui l'ont
08:45 payé sur les élargissements européens.
08:47 Mais qu'est-ce que vous faites de la guerre ?
08:48 Ce ne sont pas les idiotorialistes qui sont ici, ce ne sont pas les journalistes qui ont
08:54 payé, ce ne sont pas les députés qui ont payé ça.
08:56 Qu'est-ce que vous faites de la guerre ? Qu'est-ce que vous faites de la guerre en
08:59 Ukraine ?
09:00 Vous êtes bourgeois de s'occuper de l'Ukraine et des victimes de l'Ukraine ?
09:02 Pas du tout.
09:03 Par contre, dire qu'il doit y avoir automatiquement une entrée de l'Ukraine dans l'Union Européenne
09:06 sans se poser les questions des conséquences que ça va pouvoir avoir sur notre agriculture
09:10 et notre industrie, non.
09:12 Il doit y avoir la possibilité d'interroger ça, de se demander à quelles conditions
09:15 ce doit être fait, qu'est-ce qu'on met comme préalable à ça.
09:19 Ça peut être un basculement de plus pour notre industrie.
09:22 Une dernière toute petite question.
09:24 Il y a un hommage qui sera rendu demain pour les 42 victimes françaises des attaques
09:28 du 7 octobre perpétrées par le Hamas.
09:30 Il sera présidé par Emmanuel Macron.
09:32 Est-ce que la France insoumise y a sa place ?
09:34 Je pense que ce sont des moments quand la nation pleure ses morts, où l'on devrait
09:40 pouvoir se rassembler sans polémiques politiques.
09:43 Maintenant, j'entends autre chose.
09:45 J'entends que des parents qui pleurent leurs enfants ont tous les droits.
09:48 Merci.
09:49 Merci à vous.