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L'autrice Christine Angot était l'invitée de Sonia Devillers mardi 18 mars. Elle vient de publier "La Nuit sur commande" (Stock). Elle y raconte sa nuit passée à la Bourse de commerce à Paris. À travers cette expérience, elle analyse l'art comme un enjeu social.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invité publie « La Nuit sur Commande » aux éditions
00:06Stock.
00:07C'est une collection littéraire, le principe est très simple, un artiste choisit un musée
00:11dans lequel il passe la nuit, il en tire un livre.
00:15Mon invité a choisi la Bourse de Commerce, un édifice spectaculaire du 18ème siècle
00:20au cœur de Paris, transformé en musée par François Pinault, un des hommes les plus
00:24riches au monde.
00:25Sa collection d'art est évaluée à 1,5 milliard d'euros.
00:29Bonjour Christine Angot, vous auriez pu parler d'œuvres d'art, d'un tableau
00:34de Fragonard qui vous envoûte, d'une toile de Van Gogh qui vous enchante, d'une statue
00:40de Sainte-Thérèse d'Avila qui vous transperce, mais cette émotion-là n'est pas vraiment
00:45votre sujet.
00:46Vous avez choisi l'art comme enjeu de pouvoir et d'argent, pourquoi ?
00:52D'abord parce que je ne suis ni historienne d'art, ni critique d'art, il y a des gens
01:01qui savent faire ça, moi je ne sais pas faire ça.
01:05En revanche, je peux faire autre chose, c'est-à-dire que dans un musée, je sais ce que c'est
01:13qu'un musée, je connais les musées depuis que j'ai quatre ans, depuis que j'allais
01:19à l'école et que je passais devant le musée pour aller à l'école.
01:23Donc de toute façon, qu'on soit historien d'art ou pas, on a tous un rapport quotidien
01:32à l'art, on a tous un rapport personnel à l'art.
01:36On ne peut jamais entrer dans un musée et avoir un rapport à l'art, ça c'est une
01:41chose individuelle, c'est de tous les jours.
01:43Et vous en faites de ce rapport à l'art un marqueur social, c'est-à-dire que ce
01:51texte est l'occasion d'une réflexion assez crue sur votre propre trajectoire sociale,
01:56sur votre ascension sociale.
01:57De la petite fille de Châteauroux qui n'a connu que le musée municipal, à l'écrivaine
02:03parisienne qui a fréquenté les vernissages les plus huppés et qui regarde d'ailleurs
02:08derrière elle avec beaucoup d'acuité.
02:10Deux parcours s'entremêlent alors.
02:12Le premier, arriver à vivre de son art.
02:15Pour vous, être publié, être lu, être payé, en vivre.
02:19Ça a été si long, si difficile, Christine Angot, que vous dites on écrit pour rien,
02:25on écrit sans raison.
02:26Ah oui, sans autre raison que… Vous savez, c'est la définition de l'amour, le désir
02:39qui s'impose à soi et donc contre lequel on lutte, parce que c'est quelque chose
02:45qui prend le pouvoir sur soi-même.
02:47Donc, c'est pas très facile, on croit toujours qu'il n'y a que la société autour qui
02:56vous empêche de faire ce que vous avez à faire quand vous êtes écrivain ou quand
03:01vous êtes artiste, mais il y a aussi soi-même, il faut s'accorder une grande liberté.
03:07Et l'autre grande question de ce livre, l'autre grande question qui est liée à
03:12l'art contemporain, c'est comment on se fait une place dans la bourgeoisie ? C'est
03:18comment on se fait une place à Paris ? C'est Balzac ?
03:22Oui, tout à fait.
03:23Tout à fait, parce que l'art, c'est à la fois le milieu de l'art, il est à la
03:33fois constitué par des gens qui l'aiment, qui l'aiment sincèrement, qui aiment sincèrement
03:39l'art, vraiment, ou qui aiment sincèrement la littérature, c'est sûr, il n'y a pas
03:44de débat là-dessus.
03:45Et en même temps, à partir du moment où ça se constitue en milieu et ça se constitue
03:51en milieu, il y a les mêmes rapports de force et les mêmes chefs et les mêmes sous-chefs
03:59et les mêmes esclaves et les mêmes dames de compagnie que dans n'importe quel cours.
04:06Puisqu'en plus, ce milieu, par le fait qu'il est associé à l'art, est présenté et se
04:15présente comme une aristocratie.
04:18Une aristocratie, qu'il est associé à l'art, Christine Angot, à l'art et à l'argent.
04:22Bien sûr.
04:23Parce que dans ce livre où vous nous emmenez… Pour certains, pas pour tout le monde.
04:26Pour certains, pour une élite que vous décrivez et que vous avez fréquentée.
04:30Les Boltanski, les Messagers, les Sophie Call, les Jean-Michel Othoniel, tous ces gens que
04:34vous avez fréquentés, ces vernissages où on croise Isabelle Huppert, où on croise
04:38des photographes de mode, où on croise des ministres, des banquiers d'affaires.
04:41Il y a vraiment dix mois qui tu fréquentes, je te dirais combien tu vaux, socialement.
04:47Mais alors ce qui est assez intéressant, c'est que ces personnes-là peuvent aussi
04:58avoir un goût pour celui qui est un peu décalé quand même, celui qui débarque, celui qui…
05:09Par exemple, à un moment, oui, c'est sûr que ça a été ça, celui qui pourrait être
05:17pris comme quelqu'un de naïf.
05:19Mais il ne faut pas confondre être naïf et arriver quelque part et regarder ce qui
05:25se passe.
05:26Pas tout à fait la même chose.
05:27Répondre à une demande sociale, se plier aux volontés de ceux qui ont le pouvoir,
05:32touchez-vous à ce qu'il y a de plus douloureux et de plus honteux.
05:36L'inceste que vous a fait subir votre père dans votre enfance et plus tard quand vous
05:40étiez une jeune femme.
05:41Ce livre est une commande.
05:43Il réactive l'angoisse, il réactive l'horreur d'être l'objet d'un individu qui vous
05:51commande, qui passe commande.
05:55Tout à fait.
05:57Donc, il y a aussi le fait qu'à partir du moment où on aborde ces questions-là,
06:05en n'ignorant pas la question du pouvoir, forcément il y a d'autres éléments où
06:10on a subi soi-même le pouvoir, en l'occurrence moi, l'ultra-pouvoir de mon père, c'est
06:20sûr.
06:21Pour ce qui est, et où donc ça évidemment ça s'invite, puisque si on parle de pouvoir,
06:27parlons de tout.
06:28Et sachons bien que tout ça est associé.
06:30Les choses ne sont pas pires les unes que les autres.
06:33Ça marche ensemble tout ça et pas ailleurs.
06:36Bien entendu que là, on reste dans une commande éditoriale et que la commande n'est pas
06:44l'ordre non plus.
06:46Donc, si on accepte une commande en matière artistique ou littéraire, on est libre quand
06:54même.
06:55Il ne faut pas qu'on oublie ça.
06:57C'est ça.
06:58C'est-à-dire qu'on ne revit pas ce que vous avez vécu vous quand vous étiez plus
07:03jeune.
07:04C'est-à-dire, comme vous le dites, vous savez qu'il vaut mieux s'exécuter pour
07:08s'en débarrasser parce qu'il n'y a pas d'autres échappatoires.
07:11Il n'y en a pas.
07:12Il n'y en a pas.
07:13Et puis ce livre est une commande de nuit.
07:16Passer la nuit quelque part et accomplir quelque chose la nuit sur commande.
07:21Or vous, Christine Angot, c'est la nuit que vous affrontez les fantômes.
07:25Encore aujourd'hui, quand la nuit approche, pour ne pas que tout ressurgisse, vous devez
07:36vous préparer.
07:37Et justement, qu'est-ce que vous faites pour vous préparer quand la nuit approche ?
07:41Vous éloignez toute forme de demande.
07:43Vous ne pouvez pas répondre à une demande quand la nuit approche.
07:47C'est vrai.
07:48Ni même à un coup de fil la plupart du temps.
07:50Oui, c'est sûr.
07:54Je ne sais pas comment dire.
07:56Oui, en fait, le mot nuit est associé au mot commande pour moi, mais pas seulement
08:05pour moi.
08:06Parce que je pense que le rapprochement entre le mot nuit et le mot commande peut évoquer
08:14aussi quelque chose de la sexualité, la prostitution, etc.
08:21Ça peut se faire la journée, mais c'est quand même plutôt la nuit.
08:25En réalité, vous n'avez pas eu besoin de passer la nuit dans ce musée désert et
08:32magnifique rénové par un très grand architecte qui s'appelle Tadao Ando.
08:38Vous y êtes allé avec votre fille, c'était le grand plaisir de passer un moment avec
08:42votre fille.
08:43Mais voilà, vous avez levé le camp à une heure du matin, ni l'envie ni le besoin
08:47de rester là.
08:49Ainsi, la vie n'aurait-elle plus besoin d'être vécue pour être écrite ?
08:53C'est quand vous écrivez que vous vous sentez vivre ?
08:58Attention, quand je sors du musée, je n'arrête pas de vivre.
09:04De toute façon, c'est encore la vie.
09:08Mais ce n'est pas qu'il faut s'arrêter de vivre pour écrire, pas du tout.
09:14C'est juste qu'être en train d'écrire, c'est être présent, être totalement présent
09:29à ce qu'on essaye de faire et du coup ne plus du tout être présent au reste, absolument
09:37pas.
09:38Donc faire semblant un peu.
09:39Vous vivez avec quelqu'un, il passe dans la pièce, vous le voyez et vous pouvez même
09:45lui répondre.
09:46S'il vous demande par exemple s'il voulait qu'il rapporte du pain, vous pouvez lui dire
09:50oui ou non.
09:51Mais c'est comme si vous faisiez semblant, je ne sais pas comment dire, on ne peut pas
09:57être aux deux endroits en même temps, c'est vraiment, il y a deux espaces et donc vous
10:02vous dédoublez forcément.
10:04Et dans ce livre, vous êtes pleinement.
10:06Christine Angot, « La nuit sur commande » est publié chez Stock.
10:10C'est un livre d'une grande profondeur, d'une grande richesse, d'une grande complexité.
10:14Il est écrit dans une langue tellement simple, tellement percutante.
10:18Il est écrit.
10:19Merci beaucoup.
10:20Merci Sonia.
10:217h59.

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