Mona Achache présente "Little Girl Blue", qui raconte la vie de sa mère Carole, incarnée par Marion Cotillard

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L'actrice Marion Cotillard et la réalisatrice Mona Achache sont les invitées de Sonia Devillers. Leur film "Little Girl Blue" sort en salles mercredi 15 novembre prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-07-novembre-2023-4270027

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00:00 Il est 7h49, Sonia De Villers, vos invités ce matin sont la réalisatrice et l'interprète
00:06 du film « Little Girl Blue » qui sort la semaine prochaine.
00:10 Mi-documentaire, mi-fiction, Nicolas, pour retracer la dinguerie, les errances, les souffrances
00:15 d'une écrivaine française qui a grandi avec le tout pari littéraire.
00:18 Elle s'appelait Carole Achache, elle s'est suicidée en 2016, sans laisser de mots au
00:23 beau milieu de ses livres.
00:24 Mais quel était ce fantôme qui la hantait ? Cette femme, c'est votre mère, Mona Achache.
00:29 Bonjour.
00:30 Cette femme, c'est le personnage que vous interprétez Marion Cotillard.
00:34 Bonjour.
00:35 Mona Achache, 25 caisses de lettres, de photos, d'enregistrements, de vieux agendas.
00:41 Ça suffit pour comprendre pourquoi quelqu'un qu'on aime s'est donné la mort ?
00:46 Oui, il y avait cette absence de mots et au fond de sa cave, ces 25 caisses pleines d'archives
00:52 de photos que je ne voulais pas ouvrir au départ et qui me poursuivaient comme on a
00:56 besoin d'en découdre avec nos histoires familiales.
00:59 J'ai trouvé des photos qui m'ont donné des points.
01:04 Des photos où elle était magnifique, libre, très en contradiction avec ce délabrement
01:07 physique qu'elle a eu.
01:08 J'ai eu besoin de comprendre et j'ai trouvé sa voix qui était comme un élément documentaire
01:13 très fort où elle témoignait des ambivalences de son enfance.
01:16 J'ai eu envie de lui donner un corps, de la faire revivre le temps d'une fiction dont
01:22 elle serait l'héroïne de sa propre vie.
01:24 C'est là que Marion est arrivée.
01:25 Le corps c'est ça, le corps c'est Marion Cotillard.
01:28 Ça vous est déjà arrivé Marion Cotillard de commencer un film comme ça en enfilant
01:34 un à un chaque vêtement, chaque bijou, chaque accessoire du personnage ? Insolite non ?
01:39 Oui, c'est vrai que c'est un projet complètement inédit.
01:43 Même le scénario avait une forme que je n'avais jamais lue.
01:47 C'est-à-dire que c'était assez documenté, il y avait beaucoup de photos et il y avait
01:52 effectivement quand Mona parle d'une voix, il y avait ces références aux enregistrements
01:58 qu'elle a trouvées parce que Carole a enregistré beaucoup de conversations, même
02:06 presque d'interviews de personnes de son entourage pour essayer de comprendre pourquoi
02:14 une enfant qui venait d'un milieu si intellectuel avec une mère qui fréquentait Violette
02:24 Leduc, Marguerite Duras et notamment évidemment Jean Genet et William Faulkner.
02:31 Comment venant d'un milieu où elle aurait pu tout avoir et où elle avait à l'intérieur
02:39 d'elle tout, elle se détruit en fait.
02:44 Elle se détruit.
02:45 Au cœur du drame de la vie de votre mère, Mona Achach, il y a donc Jean Genet.
02:49 Jean Genet c'est un immense écrivain.
02:52 On lui doit de grandes pièces de théâtre, on lui doit Les Bonnes, on lui doit Les Paravents
02:56 par exemple, on lui doit ce roman éblouissant qu'est Notre-Dame des Fleurs.
03:01 Elle avait 11 ans.
03:03 Oui, elle avait 11 ans quand elle devient la petite élue privilégiée, c'est comme
03:08 ça qu'elle le dit, elle dit aussi j'avais un chien de ma chienne contre-genée et à
03:11 la fois il m'a forgé une forme d'intelligence.
03:14 C'est mon ambivalence et c'est ça qui était fascinant à explorer aussi, c'est
03:21 comment moi aussi je me sens l'héritière très heureuse et très traumatisée d'un
03:25 milieu indissociable de ces contradictions dans lequel ma mère, petite enfant, s'est
03:32 retrouvée mêlée, elle a été un peu le dommage collatéral de cet homme, de son entourage.
03:39 Jean Genet était homosexuel.
03:43 Oui.
03:44 Jean Genet détestait les femmes.
03:46 Tout à fait.
03:47 C'est votre mère qui le dit.
03:49 Oui, ma grand-mère le disait et puis il y avait cette chose un peu androgyne.
03:53 Cette petite fille de 11 ans qui était prépubère.
03:56 Androgyne de ma mère où il a pu mettre en scène aussi une relation entre ma mère et
04:04 son amant de l'époque.
04:05 Mais voilà, moi ce qui m'a intéressée, à la lumière aussi de tout ce qui se discute
04:10 en ce moment, c'est tout le contexte autour.
04:14 C'est la complicité de ma grand-mère qui avait une passion folle pour Genet, qui lui
04:19 aurait tout donné, y compris sa fille, et c'est d'essayer de démêler ces liens
04:26 destructeurs qui gravitaient autour de cet homme qui fascinait tout le monde.
04:32 Alors, il y a, vous l'avez dit Marion Cotillard, beaucoup d'enregistrements.
04:36 Il y en a un qui sert à Mona Hachache de fil rouge.
04:39 C'est une interview qui s'est produite ici, à France Inter.
04:42 C'est la voix de Kathleen Evin, qui a été une grande voix de France Inter et d'ailleurs
04:47 on l'embrasse, Kathleen Evin, si elle nous écoute.
04:49 Et Mona Hachache vous fait rejouer cette interview.
04:52 Et à un moment, on entend "Putain, mais j'ai jamais rien fait, j'ai jamais fait
05:00 un truc aussi dur de ma vie".
05:01 Et là c'est Marion Cotillard qui parle, tellement c'est dur de remimer.
05:05 En fait, oui, alors dans le film, on s'est servi de tous ces enregistrements, parce que
05:12 c'était important qu'il y ait la voix de Carole, cette femme qui a raconté son
05:16 histoire, qui a raconté tout son désastre, qui a raconté ses traumatismes et qui n'a
05:20 jamais été entendue.
05:21 Et comme vous l'aviez dit au début, elle se suicide en 2016, juste avant le mouvement
05:26 "La Révolution Me Too".
05:28 Elle n'assistera pas donc à ses oreilles qui s'ouvrent et à cette nouvelle écoute,
05:37 disons.
05:38 Et donc c'était important d'avoir sa voix.
05:42 Donc voilà, il y a ces parties où je fais en fait un playback sur tous les enregistrements
05:47 que...
05:48 - Et c'est très difficile à faire.
05:49 - Et effectivement, c'est très difficile à faire.
05:52 Et effectivement, il y a cette scène, enfin ce moment qui est monté.
05:57 Je ne pense pas être la meilleure personne pour en parler, parce que c'est vrai que
06:01 moi, quand j'ai vu le film et que j'ai vu que tout le processus de travail accompagnait
06:06 l'histoire de la relation entre Mona, sa mère, Carole Achache, Carole Achache et sa
06:16 propre mère Momo, j'étais très déstabilisée.
06:20 J'avais presque honte qu'on montre ça de moi.
06:24 Pas moi galérant, mais...
06:25 - Ce n'est pas vous galérant, Marnie Cotillard.
06:29 C'est une sorte de mise à nu du travail de l'actrice.
06:31 - C'est sûr, c'est sûr.
06:32 - C'est important.
06:33 - J'avais cette idée du sacré du cinéma aussi.
06:37 Et j'avais envie de montrer le chemin de besogne aussi de Marion pour y parcourir.
06:42 Ce chemin de travail, ce n'est pas simple de réfléchir nos histoires à quelque endroit
06:49 que ce soit, y compris elle en tant qu'actrice.
06:51 Et je trouvais ça beau que le film témoigne de ce travail.
06:56 - Mona Achache, pourquoi votre mère disait-elle des femmes de votre famille qu'elles étaient
07:01 maudites ?
07:02 - Maintenant, je me dis que c'est une vision passive des choses.
07:07 Et ce travail que j'ai fait avec Marion m'a permis de comprendre que ce travail autour
07:13 de mon histoire, c'est un conditionnement.
07:15 C'était une manière de réfléchir, de ne pas parvenir à sortir de ce que lui infligeait
07:21 sa lignée.
07:22 Dans ma famille, il y a des abus à répétition de ma grand-mère à ma mère à moi.
07:27 Il y a cette idée que quoi qu'on fasse, les choses sont répétées et répétées.
07:34 C'est ce qui l'amenait à dire qu'on était maudite.
07:36 C'est comme la mythologie.
07:37 Il y avait cette idée "il faut souffrir pour être belle".
07:39 C'était une phrase qu'elle disait beaucoup.
07:42 - Souffrir, c'est-à-dire être violée, être abusée sexuellement ?
07:45 - Oui, c'est comme un rite initiatique.
07:47 Le film aussi réfléchit plus largement à la construction de la femme.
07:52 C'est merveilleux et c'est un désastre aussi.
07:54 C'est complexe.
07:55 Je viens d'une famille, mais comme tant d'autres, où il y a cette idée qu'être une femme,
08:00 c'est aussi traverser des épreuves, souvent liées à des abus.
08:06 Il faut passer par là.
08:07 Et moi, je viens de là.
08:09 - Et Marion Cotillard, à force d'incarner cette femme clé dans cette famille, c'est-à-dire
08:15 la mère de Mona et la fille de Monique Lange, vous avez fini par vous emmêler de leurs
08:22 histoires de mère et de fille.
08:23 Vous avez fini par donner votre avis, par jouer un rôle ?
08:27 - Il n'y a pas à donner un avis.
08:30 Je m'en suis mêlée et c'est ce qui m'a touchée quand j'ai lu le scénario.
08:35 Je m'en suis mêlée parce que j'avais envie d'accompagner Mona dans ce processus de guérison
08:44 en fait.
08:45 - Et de retrouvaille.
08:46 - Et de retrouvaille avec sa mère.
08:49 - Merci beaucoup à toutes les deux, Marion Cotillard et Mona Hachache.

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