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Catherine Frot, actrice dans le film "Un homme heureux" de Tristan Séguéla qui sort en salle ce mercredi, est l'invitée du 7h50. Elle est également actuellement au théâtre de la Michodière (Paris) pour "Lorsque l’enfant paraît" mise en scène par Michel Fau. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-15-fevrier-2023-7733650

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00:00 Bonjour à vous Catherine Fraud ! Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Catherine Fraud, quand vous avez lu le scénario d'Un homme heureux, le film de Tristan Ségala
00:07 qui sort aujourd'hui en salle et dans lequel vous faites un duo incroyable avec Fabrice
00:10 Lucchini, vous vous êtes dit quoi en tout premier ? Quand vous avez lu que vous étiez
00:14 une mère de famille de trois enfants, mariée à un maire conservateur d'une petite ville
00:17 du Nord, qui décide soudainement à plus de 50 ans de faire son coming out trans et
00:21 de devenir l'homme qu'elle a toujours été, vous vous êtes dit quoi ? C'est pour moi
00:25 ou vous avez hésité ?
00:26 Je me suis dit que le challenge de devenir un homme à l'écran, tout de suite ça m'a
00:36 plu beaucoup.
00:37 Mais j'ai eu un doute, j'ai demandé à faire un peu des essais pendant une journée, des
00:41 essais très sérieux pour voir à l'image ce que ça donnait.
00:44 Parce que je n'ai pas un physique particulièrement androgyne, donc je me suis dit qu'il faut
00:47 quand même que ça se tienne, il faut qu'il y ait un minimum de crédibilité et tout
00:51 ça.
00:52 Et vous avez été convaincue ?
00:53 J'ai été convaincue, absolument.
00:55 Vous dites même que vous vous préférez en homme dans le film.
00:58 Dans le film oui, je me préfère en homme.
01:00 Mais d'une certaine façon c'est normal le trajet de ce personnage, c'est de passer
01:06 de femme à homme et quelque part c'est la lumière, elle est heureuse, ce personnage
01:12 est heureux de devenir un homme.
01:14 Donc il est beau, il est beau.
01:16 En fait elle lui explique, Edith, à son mari, elle lui explique que toute sa vie c'était
01:20 un déguisement.
01:21 Elle était déguisée quand elle était femme, quand elle était mère, quand elle était
01:23 épouse, mais que depuis toujours elle sent qu'elle n'est pas née dans le bon corps.
01:27 Voilà, c'est le principe de la transidentité.
01:30 On est quand même sur un registre de comédie.
01:32 Alors c'est ce que je voulais vous dire.
01:33 C'est la toile de fond.
01:34 C'est la toile de fond parce qu'il y a la réaction, et ça c'est assez drôle, de
01:38 votre époux Fabrice Lucchini, donc je rappelle un maire de droite, anti-PMA, anti-mariage
01:43 pour tous, et sa réaction est violente.
01:45 Il pète un plomb, tu es folle, arrête ton délire, je divorce pour vice sur la marchandise.
01:49 Et puis il pense à son mandat de maire, il pense à sa carrière, il a peur que ce
01:53 soit entaché.
01:54 En fait il pense à lui.
01:55 Et nous on rit.
01:56 Oui, parce que c'est vraiment conçu comme un vaudeville quand même.
02:00 Et donc on a les ingrédients pour ça.
02:03 Et en même temps, c'est une ode à l'amour.
02:06 Il y a une tendresse profonde dans le film, c'est-à-dire c'est le droit à la différence
02:10 tout à coup.
02:11 Le regard de ce mari, on va dire profondément réactionnaire, sur cet événement, pour
02:18 lui c'est… Alors ses sources de comédie, évidemment c'est Fabrice Lucchini qui devient
02:22 l'Auguste et moi je suis un peu le clown blanc.
02:24 Moi je suis déterminé, je vais au bout de ma transition qui est pour moi en tant qu'actrice
02:29 une transformation où je me suis régalé.
02:31 L'idée c'est d'utiliser la comédie, le rire, la tendresse pour évoquer un sujet
02:35 de société sensible comme la transsexualité.
02:38 Vous pensez que la comédie permet de faire passer des choses, de dire plus de choses ?
02:42 Je pense que c'est le principe de Molière à la base, ou de Fedeau.
02:46 C'est les comportements humains.
02:47 Les comportements humains, évidemment, je trouve qu'en passant par la comédie, c'est
02:54 beau.
02:55 Moi j'y crois.
02:56 Il faut dire que c'est un film qui montre la transition de genre dans une version heureuse,
03:00 épanouissante.
03:01 Le film s'appelle "Un homme heureux".
03:02 Et d'ailleurs vous avez montré le film, je crois, devant un groupe de personnes trans
03:08 qui ont aimé le film et qui sont sorties en disant cette phrase "Pour une fois qu'on
03:11 ne parle pas de nous dans la douleur".
03:12 Voilà.
03:13 Parce que oui, effectivement, on a vu beaucoup de choses, on a essayé d'expliquer aux gens
03:18 beaucoup de choses parce que c'est vrai que c'est un trajet difficile.
03:21 Ces histoires de transition, c'est très difficile, administrativement, médicalement.
03:25 Mais ce n'est pas le sujet du film.
03:26 Là, on est dans des jeux de rôle.
03:29 On est dans des jeux de masque, quasiment.
03:31 Pour être dans la comédie, ça s'exprime autrement.
03:35 Et là, il y a une fraîcheur de propos et d'amusement.
03:40 Et vous avez raison de dire que c'est une histoire d'amour aussi, au fond.
03:43 C'est ça qui est...
03:44 Moi, c'est ce qui m'a le plus touchée dans le film.
03:46 C'est que vous vous aimez vraiment avec Fabrice Luchini.
03:48 Vous ne voulez pas le quitter.
03:50 Vous le désirez toujours, même si vous faites votre transition.
03:53 Et lui, bon, ça va être plus compliqué.
03:56 Et puis on verra à la fin.
03:57 Il va avoir un chemin terrifiant à faire aussi.
03:59 Et alors là, on a les visages de Luchini hilarants, de désespoir.
04:05 Et même Philippe Catherine aussi, qui est génial.
04:08 Il est génial.
04:09 Philippe Catherine, c'est l'adjoint Homer, c'est son dire-com, son directeur de cabinet
04:13 qui est à mourir de rire.
04:16 Le producteur du film, Mathieu Taro, dit qu'au fond, c'est un film qui montre qu'on doit
04:20 aimer l'autre comme il est et pas comme on a envie qu'il soit.
04:23 Voilà, c'est jusqu'où on peut aller par amour.
04:26 Et vous, vous pouvez aller jusqu'où par amour, Catherine Frood ?
04:30 Moi, j'ai déjà l'amour de mon métier.
04:33 C'est déjà beaucoup.
04:34 Je me sens un peu exploratrice, si vous voulez.
04:36 J'ai plaisir à aller vers des choses un peu délicates, à faire un peu particulières.
04:41 C'est pour ça que je viens du théâtre aussi.
04:44 Le film tient surtout sur votre duo comique, à vous et à Fabrice Lucchini.
04:49 Parlez-nous de Fabrice Lucchini, Catherine Frood.
04:51 Vous avez deux heures.
04:52 Moi, je l'ai déjà vu en scène.
04:56 Je suis fortement impressionnée par ce qu'il a inventé.
04:58 Depuis qu'il a parlé de Céline, il a lu toute sa façon d'être un conteur et un farceur
05:05 en même temps.
05:06 Je suis très impressionnée.
05:11 Vous aviez envie de tourner avec lui ? Lui aussi avait surtout envie.
05:15 D'ailleurs, lui avait plus envie que vous de tourner avec vous.
05:18 Mais vous ne trouviez aucun scénario crédible qui vous amusait ou qui vous plaisait ?
05:22 Oui, on a même cherché pour le théâtre à un moment donné.
05:25 Il m'avait invité.
05:26 Il est venu me voir jouer aussi.
05:28 Donc, ça faisait deux ou trois ans que ça traînait, l'idée de…
05:32 Et on a trouvé par Mathieu Tarot ce scénario.
05:36 En fait, il est très crédible en maire, Fabrice Luchini.
05:38 Je pense qu'il a raté sa carrière parce qu'il était très bon dans Alice et le maire.
05:41 Il est bon en maire conservateur d'une petite ville de droite.
05:45 Il devrait changer de métier, non ?
05:47 Oui.
05:48 C'est un film d'ailleurs qui taquine les hommes politiques sur tout le monde de la
05:51 communication politique.
05:52 Les fausses vidéos dans la cuisine avec la femme en train de faire la cuisine.
05:57 Les réseaux sociaux, comment draguer les jeunes sur TikTok.
06:01 Il y a tout ça aussi dans le film.
06:03 Ça raconte notre époque aussi.
06:05 Le côté people, le côté "on va chercher les petits".
06:09 Voilà, c'est sûr.
06:10 Ça vous plaît, ça vous les réseaux sociaux ?
06:12 Oui, moyennement.
06:13 J'ai une fille de 25 ans, donc je me mets sur Instagram, si vous voulez, pour la voir.
06:19 Parce qu'elle est loin.
06:20 Mais c'est tout.
06:21 Mais c'est tout.
06:22 Je ne vais pas tellement plus loin.
06:24 J'ai toujours eu envie que les films que je faisais fonctionnent auprès du public.
06:28 Je ne me satisfais pas d'un film dit d'auteur.
06:30 Pour moi, la qualité peut être commerciale.
06:32 C'est quelque chose qui est très important pour vous.
06:34 D'ailleurs, c'est ce qui fait de vous une des actrices préférées des Français.
06:40 C'est gentil.
06:41 Bankable, comme on dit.
06:43 Oui, mais ça c'est vrai.
06:44 Le côté bankable, ce n'est pas le côté le plus drôle.
06:47 Ce n'est pas très poétique ce mot, déjà, pour commencer.
06:49 Et moi, je cherche effectivement à ce que les choses fonctionnent.
06:53 C'est-à-dire à ce qu'il y ait du public.
06:54 Ça a toujours été un peu mon envie première.
06:59 Mais j'essaye d'être dans des choses un peu commerciales, évidemment.
07:03 Mais toujours un peu raffinées.
07:05 Et ça nous permet de dire que le cinéma va beaucoup mieux depuis le début de l'année,
07:08 depuis le mois de janvier, qui a atteint quasiment son niveau d'entrée d'avant le Covid.
07:14 Oui, je crois que ça y est.
07:15 Les gens ont envie de sortir, ça me paraît évident.
07:18 Et le théâtre aussi.
07:19 Le théâtre aussi, là j'y suis.
07:21 C'est ce que j'allais vous dire.
07:22 Vous êtes en ce moment au théâtre aussi.
07:23 Lorsque L'Enfant parait, mise en scène de Michel Faux au théâtre de la Michaudière à Paris,
07:27 c'est plein.
07:28 Là aussi, ça a été plus difficile le théâtre, mais les gens reviennent.
07:31 Ah oui, les gens reviennent.
07:32 Puis là, j'entends qu'il y a plein de choses qui fonctionnent.
07:34 C'est-à-dire que dès qu'il y a un succès, ça en entraîne d'autres.
07:37 Les gens, ça leur donne envie d'aller plus loin, d'aller voir d'autres choses.
07:40 Vous citez souvent une phrase de Louis Jouvet sur le théâtre.
07:43 Vous pouvez nous la dire ?
07:44 Bon, d'accord.
07:45 C'est Jouvet quand il est sur scène, au moment où le rideau va se lever, où il doit jouer
07:52 son personnage, au moment où ça commence, il écrit, il dit ça.
07:56 « Tous ces yeux » - c'est le public évidemment - « Tous ces yeux qui vous regardent, cette
08:01 vie intense et muette que l'on ressent en soi par ses regards, cela donne une intimité,
08:08 une volupté, comme un rêve.
08:11 On en vient à douter de sa propre existence, on en est transformé. »
08:16 C'est très beau.
08:18 C'est ça aussi que vous ressentez quand vous en êtes à douter de votre propre existence,
08:23 quand vous avez les yeux du public ?
08:25 Il y a quelque chose comme ça.
08:27 Il dit aussi une autre phrase, Jouvet, je crois que vous la connaissez.
08:30 « On fait du théâtre parce qu'on a l'impression de n'avoir jamais été soi-même et qu'enfin
08:34 on va pouvoir l'être.
08:36 »
08:37 Oh là là, c'est trop beau ça.
08:38 C'est merveilleux.
08:39 C'est le trouble de l'incarnation d'un personnage, évidemment.
08:44 Ça vous va comme...
08:45 Ah oui, ça me va totalement.
08:46 Fro, « Luchini » dans un film de Tristan Seguella qui sort aujourd'hui.
08:51 « Un homme heureux », allez au cinéma, ça repart et c'est très bien, on avait
08:54 de le fêter avec vous Catherine Fraud. Merci et belle journée.

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