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Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique de l’Institut français de la mode, est "L'invité éco" de franceinfo, vendredi 16 février 2024.

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Transcription
00:00 L'invité éco, Camille Revel.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous, nous parlons vêtements, chaussures, lingerie, textiles ce soir avec notre invité.
00:10 Bonsoir Gilles Damainviel.
00:11 Bonsoir.
00:12 Vous êtes directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode.
00:15 Merci d'être avec nous.
00:16 Vous venez de présenter un bilan du marché pour 2023.
00:20 Avant qu'on parle des perspectives 2023, année complexe pour le prêt-à-porter.
00:24 Année difficile depuis déjà plusieurs années.
00:27 En effet, il y a un segment qui est particulièrement vulnérable, c'est celui du milieu de gamme.
00:31 Et de nombreuses enseignes historiques françaises ont connu des difficultés importantes.
00:36 Et c'est vrai qu'on termine l'année à -1,3 en valeur.
00:40 Donc année difficile en effet.
00:42 Et en volume pour les ventes ?
00:44 En volume en effet, recul des ventes de 4%.
00:47 Donc il y a à peu près 2,8% de hausse de prix.
00:51 La hausse des prix est moins importante que par le passé, mais elle est toujours là.
00:55 Et les prix restent élevés en effet.
00:58 Et si on fait le détail, habillement, chaussures, etc.
01:01 Qu'est-ce que ça donne ? Je crois que la chaussure perd 4,9%, c'est ça ?
01:05 La chaussure est plus affectée que le vêtement.
01:09 La chaussure est un marché compliqué aussi pour certaines enseignes
01:13 qui doivent faire face à la montée en puissance des enseignes de sport.
01:17 Ce sont des problématiques qui sont assez voisines de celles du vêtement.
01:20 Et comment vous vous expliquez ces difficultés ?
01:22 C'est l'inflation d'abord qui a modifié les habitudes des consommateurs ?
01:25 On a rogné sur le budget consommation/habillement ?
01:28 Alors il y a des effets qui sont des effets aggravants et plus récents
01:32 comme évidemment la crise sanitaire avec la fermeture des magasins.
01:35 L'inflation en effet a conduit à revoir les arbitrages pour les consommateurs.
01:40 Pour faire face à de fortes hausses des prix dans certains postes budgétaires,
01:44 on va malheureusement se servir de la mode comme une sorte de variable d'ajustement.
01:48 Et puis ce qu'on constate quand même c'est que le mal est plus profond.
01:53 On a constaté depuis déjà plusieurs années des mouvements qui sont à l'oeuvre
01:57 et qui fragilisent certaines entreprises.
02:00 Donc il y a des éléments aggravants qui sont récents
02:03 mais le mouvement qu'on peut citer autour de 2016 est bien en avant la crise sanitaire.
02:09 C'est-à-dire ? C'est quoi ? C'est l'essor de géants d'internet ?
02:12 De l'ultra fast fashion ? Cette mode très rapide consommable
02:15 avec des collections renouvelées très très rapidement ?
02:18 On pense forcément aux chinois, à Xi'in, il y a aussi Temu, il y a aussi Asos.
02:23 Il y en a un paquet de géants comme ça qui ont émergé.
02:26 C'est ça qui change ?
02:27 Alors l'arrivée, vous avez raison, de nouveaux acteurs a eu un impact très négatif.
02:31 Vous parlez des derniers Temu, Xi'in.
02:35 Mais il y a toujours eu des arrivées de nouveaux acteurs qui ont rendu le marché plus complexe.
02:41 Le marché n'est plus porteur déjà depuis 2007-2008.
02:45 On est arrivé à un marché à maturité.
02:47 Et puis on a toujours eu des vagues comme ça successives dans les années 90.
02:51 Zara, H&M, il y a eu plus récemment Primark dans les années 2000.
02:55 Donc ces nouveaux géants sont arrivés, ont pris des parts de marché dans un marché qui n'était plus porteur.
03:01 Et donc c'est compliqué de réagir quand on est une enseigne historique.
03:05 On pense évidemment à Camailleux dont la fermeture a beaucoup marqué les esprits en fin d'année 2022.
03:11 Et puis il y a aussi un autre phénomène, c'est la consommation réduite.
03:14 La seconde main, ça aussi c'est quelque chose qui prend de l'essor dans les habitudes des Français ?
03:20 On pourrait résumer en disant qu'on consomme autrement.
03:22 Les consommateurs consomment autrement.
03:24 On a un rapport au vêtement qui a beaucoup changé.
03:27 On parle parfois de sobriété.
03:29 Et c'est vrai que beaucoup de consommateurs consomment moins mais mieux.
03:32 La seconde main est montée en puissance.
03:35 La seconde main c'est aussi une façon d'acheter des vêtements moins chers.
03:39 Et ça c'est très important puisque dans un contexte de crise avec de l'inflation,
03:43 un pouvoir d'achat qui est fragilisé pour les classes moyennes,
03:47 la seconde main est aussi une possibilité qu'il leur est offerte d'acheter des produits beaucoup moins chers.
03:51 Pour revenir sur l'ultra fast fashion, je lisais dans le bilan de l'Institut français de la mode
03:56 que le milieu de gamme est trois fois plus cher.
03:59 Vous prenez l'exemple de Trois Jeans.
04:02 Comment ces marques-là ont fait pour tenir, notamment dans le contexte qui a été celui de 2023 avec l'inflation,
04:07 face à de tels arguments ?
04:09 Est-ce qu'il y a quand même une résistance dans l'esprit du consommateur ?
04:13 En fait c'est très important.
04:15 Nous avons choisi d'étudier les prix parce qu'on pense que l'écart,
04:18 le grand écart entre les tout petits prix et les prix plus premiums voire du luxe,
04:22 cet écart-là s'est beaucoup agrandi.
04:25 Il y a une vingtaine d'années, le milieu de gamme était beaucoup plus attractif,
04:30 plus compétitif en termes de prix lorsqu'il se positionnait par rapport au commerce multimarque indépendant.
04:35 Aujourd'hui, il peut apparaître pour certains consommateurs comme trop cher
04:40 par rapport à la qualité qui est proposée.
04:43 Et en effet, quand on a des prix qui sont trois fois moins chers,
04:46 c'est compliqué parce que le prix est un driver, un moteur très important pour l'achat.
04:51 C'est un tableau assez sombre qu'on est en train de dresser pour le prêt-à-porter milieu de gamme.
04:56 Gilles Damainviel, vous avez évoqué effectivement des fermetures, des redressements judiciaires, des liquidations.
05:01 Est-ce qu'il y a quand même encore un espoir pour le prêt-à-porter français ?
05:04 Bien sûr, et merci de me donner l'occasion d'en parler.
05:06 Il y a un chemin, il y a beaucoup d'entreprises dont on parle moins et qui s'en sortent très bien.
05:12 Il y a cette exigence d'éco-responsabilité, il y a beaucoup d'entreprises qui capitalisent sur l'atout du Made in France
05:19 en proposant des produits certes plus chers, mais de meilleure qualité.
05:23 Il faut être riche pour acheter pas cher parce qu'en fond, quand on achète un vêtement de meilleure qualité,
05:29 on s'y retrouve, on peut le conserver plus longtemps.
05:31 Et je crois qu'il y a un chemin positif qu'il faut avoir en tête.
05:34 Il y a beaucoup d'entreprises, on pourrait en citer certaines,
05:37 mais il y a beaucoup d'entreprises qui ont des activités commerciales plutôt bien orientées.
05:43 C'est vrai, ce ne sont pas les volumes qu'avec Amaieux, mais je crois que c'est le marché qui est comme ça aujourd'hui.
05:48 Il y a une multitude d'acteurs, des positionnements prix qui sont très diverses
05:53 et il y a certaines entreprises, peut-être sur des positionnements plus premium, c'est clair, qui arrivent à s'en sortir.
06:00 Est-ce que les soldes, ça fonctionne toujours aujourd'hui ?
06:04 Et les promotions géantes type Black Friday, est-ce que ça donne envie aux consommateurs ?
06:09 On a assisté à une multiplication, non pas des soldes, parce que les soldes sont réglementés,
06:13 mais des promotions, et vous citez le Black Friday en effet.
06:16 Donc on a la possibilité, quand on est consommateur, d'acheter des vêtements à prix barré toute l'année.
06:22 Donc la conséquence de ça, c'est que l'intérêt pour les soldes s'émousse, c'est très clair.
06:27 Vous savez que des députés veulent s'attaquer à la fast fashion, cette mode rapide, voire jetable, on pourrait presque dire.
06:33 Il y a une proposition de loi dans Député LR qui propose un système de bonus/malus,
06:37 dont le groupe Horizon veut aussi pénaliser cette fast fashion financièrement, interdire la publicité de ses enseignes.
06:43 Qu'est-ce que vous pensez de ces initiatives politiques ?
06:45 Alors je pense que c'est une bonne chose de réglementer.
06:50 Moi je suis contre le libéralisme du renard dans le poulailler.
06:53 Il faut des règles, évidemment, il faut que ces règles soient les mêmes pour tout le monde.
06:57 Mais quand on met en place des nouvelles règles, ce qui est important, et ça va être le cas j'espère,
07:02 il faut de la concertation avec tous les acteurs, parce que quand on va définir la fast fashion, ça va être compliqué.
07:08 On a dans le viseur Shein, Temu, mais il ne faut pas oublier que la fast fashion est beaucoup plus ancienne que ça.
07:15 Il y a des acteurs français positionnés sur des premiers prix, comme Kiyabi par exemple, qui figure dans le top 15 des enseignes préférées.
07:23 Vous avez Célio aussi dans notre étude qui figure dans le top 15 des enseignes les plus fréquentées.
07:28 Donc il faut faire attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
07:31 Et pour ça, je crois qu'il faut parler aux professionnels, aux institutions, aux écoles et puis aux fédérations bien sûr.
07:39 - Discutons. Merci beaucoup Gilles Damingiel. - Je vous en prie.
07:41 Vous êtes directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode et vous êtes l'invité Echo de France Info.

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