Aujourd'hui dans "Punchline", Laurence Ferrari reçoit Raphaël Enthoven.
Retrouvez "Punchline" sur : http://www.europe1.fr/emissions/punchline
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00 - Punchline - 18h19h sur CNews et Europe 1
00:03 - Laurence Ferrari
00:04 18h37 de retour dans Punchline sur CNews et sur Europe 1
00:08 Louis de Ragnalella, Rachel Kahn, Alexandre Becquiaud
00:10 On a le plaisir d'accueillir Raphaël Entewel
00:12 Bonsoir à vous
00:13 - Bonsoir
00:14 - Philosophe et auteur de ce livre "L'esprit artificiel, une machine ne sera jamais philosophe"
00:19 aux éditions de l'Observatoire, on est bien d'accord avec vous
00:21 On va en faire la démonstration dans un instant évidemment à la lecture de votre livre
00:25 Peut-être un mot de l'actualité de cet hommage qui sera rendu demain à Robert Badinter
00:28 au ministère de la Justice
00:30 Hommage évidemment, éminemment justifié
00:33 mais qui provoque une polémique politicienne
00:35 avec Elisabeth Badinter qui demande à certains partis politiques
00:38 comme le Rassemblement National et la France Insoumise
00:40 de ne pas y participer
00:42 Demande qui n'est pas entendue du côté de la France Insoumise
00:44 Est-ce que vous le regrettez ?
00:46 Est-ce que l'hommage méritait mieux ?
00:48 - Tous les combats de Robert Badinter
00:50 ont été à peu près dirigés contre l'extrême droite
00:52 mais aussi également contre une certaine forme de compromission, de renoncement
00:56 voire d'antisémitisme
00:57 avec lequel l'extrême gauche en ce moment voisine en tout cas la France Insoumise
01:00 Donc c'était tout naturel qu'Elisabeth Badinter
01:03 à l'hommage qui est rendu à son mari
01:06 et qui par ailleurs est un grand homme de la nation
01:08 ne souhaite pas voir l'extrême droite ni l'extrême gauche
01:13 en tout cas cette extrême gauche-là
01:15 c'est-à-dire la France Insoumise
01:16 Ça me paraissait normal
01:18 que les gens y aillent quand même
01:21 Je trouve ça très gênant pour eux
01:24 Je suis très embarrassé pour eux
01:27 que les gens excipent de leur titre de député
01:31 pour se pointer là, vraiment dans l'endroit du monde
01:34 où ils ne sont pas les bienvenus
01:36 et qu'ils s'y risquent à deux reprises la même semaine
01:39 Je suis gêné pour eux
01:41 Il n'y a pas de commentaire à faire
01:43 Il y a juste à leur tourner le dos
01:45 - Vous parlez de la cérémonie de commémoration des victimes du Hamas
01:47 - Oui, des victimes du Hamas
01:49 où ils n'étaient pas invités non plus d'une certaine manière
01:51 Ils pouvaient y aller au titre de député
01:53 et ne pas être invités
01:55 C'est quand même ahurissant de s'asseoir à ce point
01:57 sur la volonté des familles, dans un cas les familles de victimes
01:59 et ici la famille de la veuve
02:01 C'est inouï
02:03 - Robert Badinter recouvrait un seul combat pour vous
02:05 l'abolition de la peine de mort ou bien d'autres combats ?
02:07 - Non, Robert Badinter c'est beaucoup de choses
02:09 Robert Badinter c'est la gloire du métier d'avocat
02:11 C'est la gloire du métier d'avocat
02:13 C'est la gloire de la plaidoirie
02:15 C'est aussi la défense des droits pour tous
02:17 des LGBT également
02:19 C'est une histoire française Robert Badinter
02:21 C'est un homme dont une partie de la famille a été massacrée pendant la guerre
02:25 C'est quelqu'un qui par exemple, pour vous donner un exemple
02:27 quand il était garde des Sceaux
02:29 Robert Badinter au moment de l'instruction du procès Barbie
02:32 reçoit de la part du président du tribunal de Lyon
02:34 copie de l'acte de déportation de son propre père signé par Klaus Barbie
02:39 et Badinter à ce moment là se dit
02:41 "La peine de mort a été abolie, mon père aurait été fier de moi"
02:43 C'est cet homme là dont nous parlons
02:45 C'est de ça que nous parlons
02:47 C'est de ces éminentes qualités humaines
02:49 qu'il incarnait mieux qu'un autre
02:51 C'est à ça que nous rendons hommage
02:53 Bon, écoutez, la présence inopportune de quelques grattes voix
02:57 Mais il y a d'autres combats qu'il menait
03:00 et qu'on a un peu plus passé sous silence
03:02 Le combat contre l'euthanasie
03:04 Il était pour, évidemment, la vie
03:06 Il l'a illustré tout au long de sa carrière
03:08 Il a dit "je ne veux pas lutter contre la peine de mort"
03:12 Il voyait une incohérence dans le fait de lutter contre la peine de mort
03:14 tout en luttant contre l'euthanasie
03:16 Moi c'est un argument auquel je souscris pas
03:18 dans la mesure où ce sont deux combats de nature extrêmement différentes
03:20 Quand vous combattez la peine de mort
03:22 et d'ailleurs Robert Badinter lui-même
03:24 dans les plédoiries, les différentes plédoiries
03:26 que ce soit Patrick Henry ou que ce soit le discours au Parlement
03:28 en septembre 81
03:30 les grands discours de Robert Badinter
03:32 n'invoquent jamais le caractère sacré de la vie
03:34 qui est systématiquement invoqué
03:36 à l'appui du combat contre l'euthanasie
03:38 - Alexandre Devecu, vous voulez vous couper la parole ?
03:40 - Je sais, je sais
03:42 - On va parler de l'éthique scientifique
03:44 - Non mais ce que je veux dire c'est que
03:46 là, on peut tout à fait
03:48 en cohérence
03:50 lutter contre la peine de mort
03:52 et défendre le droit de mourir
03:54 dans la dignité, ce n'est pas là
03:56 contradictoire
03:58 - J'ai lu ce qu'a écrit Robert Badinter sur le sujet
04:02 il le fait effectivement pas au nom du droit à la vie
04:04 mais il le fait pour d'autres raisons
04:06 il explique que ce n'est pas l'Etat
04:08 de donner la mort, que c'est toujours compliqué
04:10 quand l'Etat donne la mort
04:12 parce que c'est quelque chose
04:14 qui peut donner lieu à des dérives
04:16 c'était l'un de ses arguments
04:18 il y avait un autre argument assez intéressant
04:20 où il expliquait que la loi n'était pas seulement
04:22 punitive, elle devait être
04:24 expressive
04:26 justement exprimer nos valeurs fondamentales
04:28 et il trouvait que c'était
04:30 compliqué de mettre dans une même constitution
04:32 effectivement qu'on s'opposait
04:34 à la peine de mort et qu'on luttait
04:36 pour le geste de l'euthanasie
04:38 il trouvait que ça ne rentrait pas dans le cadre
04:40 de nos valeurs fondamentales
04:42 et que maintenant on peut effectivement défendre
04:44 les deux positions
04:46 - J'insiste sur le fait qu'on peut en cohérence
04:48 défendre ces deux positions
04:50 ce n'est pas contradictoire
04:52 parce qu'il ne s'agit pas de sacraliser la vie
04:54 dans le cadre de la lutte
04:56 contre la peine de mort
04:58 c'est pas ça qui est en jeu, c'est l'enjeu de lutter
05:00 contre la peine de mort, comme le disait si bien Robert Badinter
05:02 c'est de ne pas confondre la justice avec la vengeance
05:04 la justice ne peut pas être
05:06 une affaire de vengeance, on ne peut pas légiférer sur de la vengeance
05:08 c'est pas sérieux, c'est dangereux
05:10 c'est la fin du contrat social d'une certaine manière
05:12 il y a quelque chose d'anti-démocratique là-dedans
05:14 donc c'était au nom d'arguments démocratiques
05:16 des arguments savamment exposés
05:18 par Camus et par Victor Hugo
05:20 avant lui, que Badinter
05:22 luttait contre la peine de mort, c'était pas au nom des arguments
05:24 qui sont en général brandis
05:26 par les adversaires de l'euthanasie
05:28 - On va en venir à votre... à moins que Rachel Gann
05:30 ait une question à vous poser sur l'actualité
05:32 ou en embrayant sur l'intelligence artificielle
05:34 - Intelligence artificielle
05:36 - Le livre est absolument passionnant
05:38 il raconte pourquoi l'intelligence artificielle
05:40 est nulle en philosophie, c'est une très très bonne nouvelle
05:42 pourquoi elle est au fond
05:44 incapable de réfléchir
05:46 vous l'avez testée à plusieurs reprises cette intelligence artificielle
05:48 - Je l'ai même affrontée
05:50 on a passé le bac ensemble
05:52 et on a pu vérifier à cette occasion
05:54 qu'il n'y avait pas de match, si vous voulez
05:56 - Vous avez eu 20 sur 20, elle a eu 11 sur 20
05:58 - Oui mais elle a été surnotée, moi aussi d'ailleurs
06:00 il n'y avait pas de match parce que
06:02 quand vous demandez à l'intelligence artificielle
06:06 dans la philosophie, le sujet c'était
06:08 "le bonheur est-il affaire de raison ?"
06:10 c'est une bonne question, c'est génial
06:12 comme toutes les questions qu'on pose en terminale, en philo
06:14 eh bien, qu'a fait la machine ?
06:16 elle a pris toutes les théories du bonheur, elle les a rangées dans des tiroirs adéquats
06:18 elle a classé ça indifféremment en trois parties
06:20 elle aurait pu mettre la troisième partie avant la première
06:22 ça n'avait aucune importance
06:24 le tout n'était ni fait ni à faire
06:26 il manquait, à sa copie
06:28 ce petit pas de côté qu'on doit faire
06:30 qu'on apprend à faire en terminale
06:32 qui consiste à trouver une problématique
06:34 "le bonheur est-il affaire de raison ?"
06:36 vous avez ce sujet sous les yeux, vous réfléchissez un peu
06:38 vous regardez le sujet, vous vous dites "le bonheur c'est un sentiment"
06:40 "comment un sentiment peut-il être affaire de raison ?"
06:42 et là vous avez le problème
06:44 ce petit mouvement qui consiste à réfléchir
06:46 cette atome de pensée qu'on appelle
06:48 une problématique, la machine est à des années lumières
06:50 elle passe à côté
06:52 complètement, donc il n'y a pas
06:54 si vous voulez, il n'y a pas l'essentiel
06:56 c'est-à-dire il n'y a pas de réflexion
06:58 donc il y a compilation considérable
07:00 imposante d'un savoir, la machine a rédigé sa copie
07:02 en 45 secondes, moi j'ai mis une heure et quart
07:04 donc bien sûr
07:06 elle écrit plus vite que moi, elle a aussi
07:08 meilleure mémoire, je suis sûr qu'elle avait plus de connaissances
07:10 ça c'est certain, mais en revanche
07:12 sa copie était nulle
07:14 c'était pas de la philo, parce que la philo
07:16 c'est pas la transmission d'un savoir, pas d'abord
07:18 c'est d'abord la transmission d'une méthode
07:20 et c'est une méthode qui n'est transmissible
07:22 que par le colloque d'un élève et d'un prof
07:24 - Rachel Kahn, peut-être une question
07:26 là-dessus sur l'intelligence artificielle
07:28 - Non mais j'ai lu
07:30 attentivement votre ouvrage
07:32 et je me disais
07:34 en creux, est-ce que
07:36 alors, l'intelligence artificielle
07:38 ça mobilise beaucoup de scientifiques
07:40 actuellement
07:42 et beaucoup de personnes ont peur
07:44 d'être dépassées par cette intelligence artificielle
07:46 je me disais que c'était
07:48 en creux une ode à la vie
07:50 cet ouvrage
07:52 et notamment une ode
07:54 à nos absents
07:56 parce que finalement
07:58 l'intelligence artificielle c'est cette immatérialité
08:00 et j'ai ressenti cela
08:02 à la lecture de votre livre
08:04 - Il n'y a que vous pour poser
08:06 une question aussi juste
08:08 c'est un livre sur le deuil
08:10 c'est un livre sur le deuil
08:12 je n'ai jamais fait cette réponse puisqu'on ne m'a jamais posé cette question
08:14 depuis que je parle de ce livre, mais vous avez raison
08:16 c'est un livre sur le deuil
08:18 c'est un livre dont le chapitre central qui a l'air à annexe
08:20 est un chapitre sur la culture
08:22 des mausolées, ce que j'appelle les mausolées
08:24 c'est-à-dire la compilation des datas
08:26 que le mort a laissé
08:28 la compilation des données, des traces que le mort a laissé
08:30 nous fabriquons des mausolées à la gloire des morts
08:32 des mausolées qui sont irriguées par la mémoire aimante
08:34 des gens qui les ont connues
08:36 mais qui s'assècheront le jour où cette mémoire
08:38 elle-même disparaîtra
08:40 et je compare ça avec la chance
08:42 qu'il y a d'avoir des morts qui ont écrit des livres
08:44 où ils ont mis un peu d'eux-mêmes
08:46 et où par conséquent on a l'impression
08:48 quand on les relit, d'être en véritable discussion
08:50 avec leur esprit
08:52 précisément, ça permet de qualifier ce que c'est
08:54 d'un esprit en réalité
08:56 c'est-à-dire, c'est plus qu'un souvenir
08:58 et c'est moins qu'un fantôme
09:00 mais ça reste une instance de discussion
09:02 donc plus qu'un mausolée
09:04 plus qu'une trace, un livre
09:06 quand on laisse un livre de soi-même, on ne laisse pas
09:08 qu'une trace, on laisse une trace féconde
09:10 on laisse une trace avec laquelle on peut discuter
09:12 mais vous avez tout à fait raison, c'est un livre sur les disparus
09:14 Et l'IA
09:16 l'intelligence artificielle se nourrit de ça
09:18 de ces ouvrages, de ces auteurs
09:20 l'IA, si vous voulez
09:22 nous avons tous peur de mourir
09:24 bien sûr, et nous avons parfois
09:26 la tentation de régler le problème en transférant
09:28 la totalité de ce que nous sommes dans des entités
09:30 prévues à cet effet. C'est le syndrome de
09:32 Tushiro, l'ami d'Albator
09:34 ceux qui ont mon âge s'en souviendront
09:36 Hélas, nous nous en souvenons
09:38 Capitaine au coeur d'or
09:40 L'ami d'Albator qui se téléporte tout entier
09:42 qui téléporte son esprit dans le vaisseau d'Albator
09:44 et qui reste
09:46 lui-même malgré cela
09:48 bon, alors c'est pas possible, parce que nous ne pouvons pas
09:50 muter en silicium
09:52 la totalité des traces que vous avez
09:54 laissées de vous-même, la totalité
09:56 de vos datas, la totalité des réponses que vous
09:58 pourriez faire, n'épuisent pas
10:00 ce que vous êtes. Dans le livre
10:02 je prends l'exemple d'un épisode de cette
10:04 série remarquable, Black Mirror
10:06 c'est un épisode où une dame
10:08 perd son fiancé d'un accident de voiture
10:10 et alors qu'est-ce qu'elle envoie ? Elle envoie toutes les données
10:12 du fiancé, plus un peu de
10:14 codes génétiques, un cheveu, etc.
10:16 à une entreprise et trois jours plus tard, elle récupère un
10:18 fiancé tout neuf, plus beau
10:20 d'ailleurs, parce que les photos qu'on met en ligne
10:22 sont plutôt avantageuses, donc
10:24 tout neuf, sexuellement infatigable
10:26 doté du même humour, de la même mémoire
10:28 sauf que, au moment où elle lui dit quelque chose
10:30 qui aurait dû énerver son fiancé, il répond
10:32 gentiment. Et à cet instant
10:34 elle comprend que la présence de
10:36 cet ersatz parfait
10:38 ne fait qu'augmenter le sentiment de l'absence
10:40 au lieu de le combler.
10:42 Nous ne pouvons pas fabriquer de la vie
10:44 en accumulant de la donnée
10:46 c'est une illusion de le penser et on en est
10:48 aussi loin qu'à l'époque de Pygmalion
10:50 on a toujours rêvé qu'on allait créer
10:52 des créatures, qu'on allait fabriquer
10:54 des créatures, on n'a jamais réussi.
10:56 Et en réalité, Raphaël Enthoven, nous ne laisserons aucune
10:58 trace, ce ne sont n'est des
11:00 traces écrites, nous des artistes.
11:02 Nous laissons des traces, mais la compilation des traces
11:04 que vous laissez est à
11:06 vous-même ce qu'un amas
11:08 de cendres est au feu qu'il a causé.
11:10 Louis de Regnalen, question.
11:12 Je voulais rebondir par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure
11:14 quand vous avez fait cette espèce de compétition
11:16 face à la machine, vous sous-entendez
11:18 et je voulais simplement avoir votre avis, que
11:20 l'homme ne sera jamais dépassé par la machine.
11:22 Est-ce que c'est vraiment ça que vous pensiez ou pas ?
11:24 Non, pas ça, je pense qu'il y a de l'irréductiblement
11:26 humain et que la machine
11:28 ne peut pas synthétiser. Je pense que la vie humaine
11:30 est une étoffe que la machine ne peut pas synthétiser
11:32 pour le dire simplement. Donc il y a
11:34 de l'irréductiblement humain, autrement dit
11:36 qu'une machine ne peut pas devenir vivante.
11:38 Mais ça ne veut pas dire qu'un humain
11:40 ne peut pas devenir machine. Bien sûr, mais est-ce que
11:42 ça veut dire aussi... - C'est le transhumanisme, ça. - Non.
11:44 Est-ce que ça veut dire que l'intelligence artificielle
11:46 pourrait dépasser l'homme sur un certain
11:48 nombre de choses ? - L'intelligence artificielle dépasse
11:50 l'homme, déjà.
11:52 Nos machines sont plus fortes que nous
11:54 depuis toujours, c'est leur raison d'être.
11:56 Un marteau est plus solide que le...
11:58 Non, c'est pas un danger. Le marteau est plus solide
12:00 que le point. Quand Kasparov perd aux échecs
12:02 contre Deep Blue, il perd contre une usine.
12:04 Une usine est plus forte qu'un joueur d'échecs.
12:06 Un robot est plus fort qu'un catcheur.
12:08 Ça ne met pas le muscle en crise.
12:10 C'est pas une crise du muscle que le
12:12 métal soit plus solide que le muscle. - Je vous pose cette
12:14 question parce qu'il y a des débats en ce moment autour de la
12:16 régulation de l'intelligence artificielle.
12:18 Est-ce que vous pensez que c'est le rôle
12:20 des États de réguler l'intelligence
12:22 artificielle pour ne pas que
12:24 la bête, la machine dépasse
12:26 l'homme, en fait ? - Il y a plusieurs questions. Non, je pense que
12:28 que la machine dépasse l'homme est un faux problème.
12:30 Parce que la machine est conçue
12:32 pour dépasser l'homme et que, par ailleurs,
12:34 la machine n'est pas humaine. Donc, c'est une
12:36 fausse compétition, si vous voulez. La machine est plus
12:38 forte que nous, un chariot porte plus de choses que notre
12:40 dos. C'est la même chose. Donc, la machine
12:42 dépasse l'homme. Non, la question
12:44 c'est de savoir dans quelle
12:46 mesure ces outils
12:48 phagocytent nos esprits,
12:50 nuisent à notre façon de penser.
12:52 Et ça, c'est un enjeu de santé publique.
12:54 L'apocalypse cognitive, la livraison
12:56 de nos cerveaux, comme dit Gérald Bronner,
12:58 à une information dérégulée
13:00 est en soi un problème de santé
13:02 publique et c'est là qu'il faut intervenir.
13:04 Comment ça ? Je ne sais pas.
13:06 Je ne suis pas
13:08 aux affaires, ce n'est pas à moi de le faire.
13:10 Mais, effectivement, c'est un problème de santé publique.
13:12 La question n'est pas de savoir si une
13:14 machine va devenir humaine, on en est aussi loin
13:16 qu'il y a 3000 ans, mais de savoir
13:18 comment éviter que les humains se machinisent.
13:20 Et ça, c'est une autre affaire.
13:22 Ça, on le met en scène, ce n'est pas simplement le transhumanisme.
13:24 C'est les temps modernes.
13:26 L'ouvrier qui continue de visser
13:28 des boulons imaginaires alors qu'il est
13:30 sorti de la chaîne, c'est l'ouvrier
13:32 qui porte en lui les traces de
13:34 la machine qui se robotise un peu.
13:36 Et effectivement, ça, c'est un danger.
13:38 Mais c'est un danger dont notre responsabilité est seule.
13:40 Alors, Alexandre de Huckep, après, j'en poserai une.
13:42 J'ai une remarque, c'est peut-être pire que les temps modernes
13:44 puisque l'homme pourrait être
13:46 totalement évacué du processus de production.
13:48 C'est un des risques, c'est
13:50 la question du travail. On nous dit qu'avec
13:52 Schumpeter, il y a toujours de la destruction
13:54 créatrice, c'est-à-dire qu'on créera une nouvelle technologie,
13:56 ça va détruire certains métiers
13:58 mais en créer d'autres, mais là, on voit beaucoup de destruction
14:00 en prévision et peu de création.
14:02 Donc, c'est comment faire
14:04 marcher une société dans laquelle
14:06 le travail aura en grande partie
14:08 disparu. - Vous évoquez aussi
14:10 la victoire de l'inanimé. Vous dites
14:12 qu'il est de notre responsabilité
14:14 à chacun d'entre nous de ne pas devenir
14:16 des esclaves de nos téléphones portables
14:18 et alors là, c'est
14:20 un vaste programme, ou de nos ordinateurs.
14:22 Aujourd'hui, nous sommes devenus des esclaves.
14:24 - Vous savez, c'est un copain américain un peu mélancolique
14:26 que j'aime beaucoup, qui se reconnaîtra,
14:28 qui un jour, je le vois regarder son téléphone, son iPhone
14:30 et je lui dis "mais pourquoi t'as l'air triste en regardant ton téléphone ?"
14:32 et il me répond en anglais, il me dit
14:34 "the problem is, it doesn't love you back."
14:36 Il ne t'aime pas en retour. Je ne reçois pas
14:38 d'amour de mon téléphone. Et c'était pour lui une vraie révélation.
14:40 C'est-à-dire de comprendre que sa
14:42 machine ne l'aimait pas. De comprendre
14:44 qu'il pouvait aimer sa machine, mais que cette affection-là
14:46 n'était pas réticroque. - Mais les réseaux sociaux
14:48 vous aiment, justement ? C'est bien pour ça que les
14:50 adolescents sont vissés à leurs téléphones portables ?
14:52 - Non, les réseaux sociaux vous enferment dans vos désirs.
14:54 Donc, donnent l'impression de célébrer le débat
14:56 et fabriquent en réalité des communautés homogènes.
14:58 Donc, compromettent le débat tout en
15:00 donnant l'air de le célébrer.
15:02 Les réseaux sociaux vous enferment dans vos
15:04 propres désirs ou vous rapprochent des gens
15:06 qui pensent comme vous. Mais
15:08 le choix de vous approcher des gens qui pensent
15:10 comme vous, ou le choix de ne chercher que la compagnie
15:12 de vos semblables, relève
15:14 encore de la responsabilité individuelle.
15:16 L'asservissement auquel
15:18 nous nous livrons devant nos écrans comme sur
15:20 les réseaux sociaux est un asservissement dont
15:22 nous sommes les artisans, dont nous sommes
15:24 responsables, quand bien même les
15:26 outils seraient conçus pour nous hypnotiser.
15:28 - Non, ce ne sont pas les algorithmes qui sont
15:30 responsables de ça. - C'est très paradoxal.
15:32 Je pense que nous tous,
15:34 ici, nous nous définirions
15:36 comme plus... Comment dire ?
15:38 Nous sommes plus vastes que ce que nous consommons.
15:40 Et vous, et moi, etc.
15:42 - Merci. - Encore heureux.
15:44 Nous ne sommes pas réductibles à ce que nous consommons.
15:46 Nous avons tous le souci de penser
15:48 que nous sommes plus intéressants que ça.
15:50 Comment peut-on à la fois dire qu'on est plus vastes que ce qu'on
15:52 consomme, et considérer qu'un
15:54 algorithme qui nous enferme dans nos consommations
15:56 nous dépouille de notre identité
15:58 profonde ? On ne peut pas dire une chose et son
16:00 contraire. On ne peut pas être plus vastes
16:02 que nos traces, nos datas, nos
16:04 consommations ou nos achats, tout en considérant qu'un
16:06 algorithme nous vole notre identité.
16:08 - La drogue vole votre identité.
16:10 Elle est interdite.
16:12 Par exemple, vous faites le choix librement de consommer
16:14 de la drogue. Je ne parle pas de vous, pardon, mais
16:16 ça peut arriver. - Je sens, camarade, que vous ne vous êtes
16:18 jamais drogué. - À certaines personnes,
16:20 elles le font librement, mais ensuite,
16:22 elles sont quand même esclaves de la drogue, et la drogue
16:24 est interdite. - Les remarques de mon
16:26 ami sobre sont sans pertinence.
16:28 - Comment on traduit ça pour
16:30 nos adolescents, cher Raphaël Lenthoven ?
16:32 Vous êtes père de famille. Comment on leur explique
16:34 qu'il ne faut pas être esclave de
16:36 nos machines ? - Moi, je ne sais pas. Vous savez,
16:38 j'ai tellement d'enfants que
16:40 je ne peux pas être autoritaire. Je n'ai pas le temps.
16:42 Je suis contraint au libéralisme
16:44 par le nombre, donc je suis obligé de
16:46 parier sur les vertus de la liberté.
16:48 Jusqu'ici, je dois dire, j'ai eu de la chance.
16:50 Voilà, je touche du bois.
16:52 J'ai eu de la chance,
16:54 mais je n'ai pas de conseil à donner.
16:56 Aucun parent n'a aucun conseil à donner, à mon avis.
16:58 Quand on est parent, on fait ce qu'on peut. - Ça n'a pas rapport à la victoire de l'inanimé.
17:00 - Mais oui, mais la victoire de l'inanimé, qu'est-ce que
17:02 vous voulez ? Ce n'est pas parce que l'inanimé l'emporte
17:04 que l'inanimé est vivant. C'est ça que je dis, moi.
17:06 Je ne dis que ça. La victoire de l'inanimé
17:08 ne signifie pas que l'inanimé est vivant.
17:10 Ça signifie juste qu'on s'y est livré corps et âme.
17:12 - Rachel Kahn, vaste programme.
17:14 - Vaste programme et en même temps,
17:16 j'aime beaucoup, en fait,
17:18 on est entre deux pôles, c'est-à-dire
17:20 d'un côté la liberté et de l'autre
17:22 l'esclavage. Et c'est vrai que
17:24 ce que vous disiez est intéressant. Par rapport
17:26 aux réseaux sociaux, ça me faisait penser à certaines
17:28 ou certains qui luttent
17:30 contre l'esclavagisme et la
17:32 décolonisation en étant toute la journée
17:34 sur les réseaux sociaux, donc en prise
17:36 avec l'esclavage. - Les nouveaux
17:38 esclavages, c'est ça. - Oui, mais
17:40 c'est un esclavage, c'est de la
17:42 servitude volontaire. - Volontaire. - C'est un
17:44 esclavage auquel nous nous livrons gaiement,
17:46 auquel nous nous livrons délibérément
17:48 avant de dire "c'est la faute des machines",
17:50 ce qui est un système absurde.
17:52 Interrogeons-nous sur les raisons
17:54 pour lesquelles nous nous livrons pieds et points
17:56 aux réseaux sociaux et aux outils de leur diffusion
17:58 plutôt que... Voilà. - La prochaine étape,
18:00 c'est, vous le dites,
18:02 donner une conscience aux machines.
18:04 Elle arrivera, cette étape. - Non, pas du tout.
18:06 - Non, pas du tout. On en est aussi
18:08 loin que de faire du feu avec de l'eau
18:10 ou de faire de la vie avec du scotch.
18:12 On ne fabrique pas de la conscience
18:14 en amalgamant des parties ou en juxtaposant
18:16 des informations.
18:18 On ne fait pas de l'esprit avec des
18:20 atomes et on ne fait pas de la conscience
18:22 avec du silicium. Encore une fois,
18:24 ce qui est intéressant, c'est d'avoir
18:26 envie de le penser. C'est d'avoir
18:28 envie de le penser et de le redouter, en plus.
18:30 On redoute quelque chose dont on est
18:32 parfaitement incapable. Pour moi,
18:34 la question n'est pas de savoir quand nous fabriquerons
18:36 des objets conscients, mais, encore une fois,
18:38 d'où nous vient la crainte
18:40 que ça va arriver. Et cette crainte-là,
18:42 qui est vieille comme l'humanité...
18:44 - Ancestrale. - Mais c'est une crainte
18:46 ancestrale. On l'a toujours mise en scène,
18:48 de Pygmalion jusqu'à Lya en passant par
18:50 Terminator, Pinocchio, le Golem, ce que vous voulez.
18:52 On n'a pas arrêté de le mettre en scène.
18:54 C'est une crainte qui renseigne sur le désir
18:56 qu'on a de se prendre pour Dieu.
18:58 C'est une crainte dans laquelle beaucoup plus d'orgueil que
19:00 d'humilité entre. À mon sens,
19:02 en tout cas. - Merci beaucoup, Raphaël Hendoven.
19:04 - Avec plaisir. - L'esprit artificiel,
19:06 une machine ne sera jamais philosophe,
19:08 aux éditions de l'Observatoire. Merci, Alexandre Devecchio.
19:10 - Merci. - Rachel Gann, Louis de Ragnel.
19:12 Merci à vous, chers amis auditeurs. Sur Europe 1,
19:14 vous retrouvez dans un instant Hélène Zellany pour
19:16 Europe 1 soir, et sur CNews, Christine Kelly
19:18 pour Facein l'Info. Bonne soirée à vous, sur nos deux antennes,
19:20 et à demain.
19:22 À 9h19, Punchline sur CNews et Europe 1.