Fin des négociations entre les enseignes de supermarchés et une partie de leurs fournisseurs de l'agro-industrie : Philippe Goetzmann, dirigeant du cabinet de conseil Philippe Goetzmann, spécialiste de l'industrie agroalimentaire est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-01-fevrier-2024-6746518
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00:00 6h21, les supermarchés sont l'une des bêtes noires des agriculteurs.
00:04 Depuis le début du mouvement, la grande distribution est régulièrement ciblée.
00:07 Les actions dans les magasins, les centrales d'achat ou les plateformes logistiques se multiplient.
00:11 Et dans le même temps, cette grande distribution vient de boucler hier soir les négociations
00:15 commerciales annuelles avec les industriels de l'agroalimentaire.
00:19 Négociations qui définissent en grande partie les prix en rayon.
00:22 Bonjour Philippe Gutsman.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous avez longtemps travaillé dans le groupe Auchan, tant que cadre dirigeant.
00:27 Aujourd'hui, vous dirigez votre propre cabinet de conseil qui accompagne ces grandes enseignes.
00:31 Quand Leclerc vend des côtelettes de porc à 1,91€, ça fait bondir Arnaud Rousseau,
00:36 le patron de la FNSEA.
00:38 Aucun agriculteur ne peut en vivre, dit-il, à ce prix-là.
00:41 Les supermarchés tirent trop les prix vers le bas ?
00:43 Alors, vous avez toujours des cas particuliers effectivement qui peuvent choquer et qui
00:48 sont parfois limites.
00:50 Cet exemple-là peut en être un.
00:52 Mais au global du marché français, quand on regarde les prix de l'alimentation et
00:56 quand on se compare ce qu'il faut faire avec nos voisins européens, l'alimentation
01:00 est plutôt plus chère que chez nos voisins européens.
01:03 C'est ça qui est assez frappant.
01:04 On discute beaucoup de prix trop bas en France, mais en réalité, le prix de l'alimentation
01:08 est plus élevé en France qu'en moyenne européenne et qu'en Allemagne, en Espagne,
01:12 en Italie, etc.
01:13 Quand vous dites prix de l'alimentation, c'est le prix en rayon pour les consommateurs
01:15 ou c'est le prix acheté aux producteurs ?
01:16 Non, c'est le prix payé par les consommateurs.
01:19 Les consommateurs payent en France l'alimentation plus chère que chez nos voisins.
01:23 Mais ça ne veut pas dire que le producteur est bien payé ?
01:26 Ça peut dire qu'il y a l'intermédiaire qui se fait des grosses marges ?
01:28 Bien entendu.
01:29 Mais précisément, votre question est tout à fait juste.
01:32 C'est que, évidemment, le premier réflexe, ça pourrait être de se dire que si c'est
01:34 plus cher, c'est parce que les intermédiaires, notamment les distributeurs, pourraient se
01:37 faire de grosses marges.
01:38 Mais ce n'est pas le cas.
01:39 Quand on mesure, également quand on compare avec les voisins européens, les distributeurs
01:43 en France ont plutôt des marges plus serrées et des résultats plus serrés que nos voisins
01:47 européens.
01:48 Et quand on écoute et quand on regarde les statistiques de l'industrie, produire en
01:52 France est souvent moins rentable que produire en Allemagne ou en Espagne.
01:56 Donc en fait, on a de mon point de vue non pas un problème de prix en France, on a un
02:00 problème de coût sur l'ensemble de la chaîne de valeur.
02:02 La chaîne alimentaire, du champ à l'assiette, est trop coûteuse.
02:07 Mais c'est un problème français plus large que l'agriculture.
02:09 On a un problème de coût de production.
02:11 Mais alors comment un agriculteur peut faire pour baisser ses coûts ? Parce qu'ils nous
02:13 disent tous, on les entend dans les nombreux reportages qu'on diffuse depuis une dizaine
02:17 de jours, ils nous disent "on ne peut pas renier davantage, on est vraiment à l'os".
02:21 Mais de toute façon, je pense que tous les acteurs économiques font le travail chez
02:24 eux.
02:25 Et donc évidemment, les agriculteurs le font aussi.
02:26 Il y a deux grands pavés pour baisser les coûts.
02:29 Un premier qui relève de la société, de l'État.
02:31 C'est que nous avons collectivement un poids fiscal, social et normatif, ils ont énormément
02:36 parlé des normes, qui génèrent des coûts extrêmement élevés.
02:39 La chaîne alimentaire est une chaîne qui est assise sur le foncier et sur le travail.
02:44 Or, le coût du travail en France est assez élevé par rapport à nos voisins et nous
02:49 imposons assez fortement le foncier.
02:51 Donc ça coûte très cher.
02:52 Et le surcroît de normes, au niveau européen, mais on en rajoute beaucoup en France, c'est
02:57 quelque chose qui coûte très cher à l'agriculture, mais à l'industrie.
02:59 Les impôts de production restent en France nettement plus élevés que chez nos voisins.
03:02 Mais les normes, ce n'est pas juste pour embêter les gens, c'est pour protéger aussi.
03:05 Non, non, évidemment, je suis d'accord.
03:06 Et je ne suis pas du tout contre les normes.
03:08 Ce qui par contre pose problème, c'est que ces normes renchérissent les coûts et que
03:12 les normes en France sont souvent plus contraignantes, donc plus coûteuses que chez un certain nombre
03:17 de nos voisins exotiques, mais nos voisins européens également.
03:20 Et donc, nous avons un problème de compétitivité.
03:23 Ça, c'est un point très important.
03:24 Et donc au final, vous nous dites que les prix, finalement, en magasin sont plus élevés
03:28 que chez nos voisins.
03:29 Ça va continuer puisque là, les négociations se sont terminées cette nuit à minuit.
03:34 Est-ce que les prix vont continuer à augmenter ? Est-ce qu'il va encore y avoir de l'inflation ?
03:37 Alors, il y aura de l'inflation, mais je dirais probablement une inflation normale,
03:43 qui va durer à peu près ce qu'on connaissait dans les années avant cette crise inflationniste.
03:47 Parce que là, on a eu quand même 20% en deux ans.
03:50 Sur l'alimentation, on a eu 21% de hausse de prix en deux ans.
03:54 Il est permis de penser qu'on sera sur une inflation de l'ordre de 2%, mais avec de
03:58 grosses variations.
03:59 Il y a des catégories qui vont augmenter fort, d'autres qui vont probablement baisser
04:02 du fait des cours de matière première.
04:04 Mais on sera probablement autour de 2%.
04:05 Tout le monde dit que ces discussions, elles ont été très compliquées, vraiment particulièrement
04:09 cette année avec les grands industriels, les multinationales de l'agroalimentaire,
04:14 plus que d'habitude ?
04:15 Oui, parce que d'abord, c'est tous les ans compliqué.
04:18 C'est une forme de théâtre à chaque année.
04:20 C'est un bras de fer.
04:21 Simplement, cette année, il y a eu plusieurs effets.
04:24 D'abord, il y a eu l'inflation.
04:25 Et que quand on a une inflation très forte, forcément, l'amplitude de négociations est
04:30 plus forte et ça met de la tension.
04:32 Vous rajoutez à ça la décision du gouvernement d'anticiper le calendrier.
04:35 Et cette décision est arrivée au moment où, d'habitude, on commence à travailler
04:40 dans les négociations.
04:41 Et donc, ça n'a pas permis aux acteurs des deux côtés d'anticiper le travail comme
04:45 d'habitude.
04:46 Donc, ça s'est fait de façon plus précipitée, sans doute de façon un peu moins fine, moins
04:51 précise.
04:52 Et puis, vous rajoutez en bout de négociation le contexte social avec les agriculteurs qui
04:58 forcément rajoutent de la tension des deux parties.
05:00 Vous trouvez qu'ils exagèrent ?
05:03 Les agriculteurs ?
05:04 Non, non, non, je dis juste que le contexte de tension au dernier moment, forcément,
05:10 questionne les industriels comme les distributeurs sur la décision qu'ils sont amenés à
05:14 prendre.
05:15 Parce que cette grande distribution, elle est quand même ciblée depuis le début de
05:17 la crise par les agriculteurs, par les politiques aussi.
05:19 En gros, ils accusent les enseignes de ne pas respecter la loi EGalim, censée protéger
05:23 les prises agricoles, de la contourner via des centrales d'achat basées à l'étranger.
05:27 Elles ne respectent pas la loi EGalim, les enseignes ?
05:30 Alors, on verra bien.
05:31 Si jamais ils ne le respectent pas, vous savez, les enseignes sont par ailleurs, elles se
05:35 disent légalistes s'il y a des sanctions pour les distributeurs comme pour les industriels
05:41 d'ailleurs.
05:42 Cependant, ce qui est intéressant, c'est que nous avons une loi qui est tout à fait
05:45 originale.
05:46 On est les seuls à négocier de cette façon-là une fois par an, avec des contraintes réglementaires
05:49 qu'on est les seuls à appliquer.
05:50 Le fait qu'il y ait des centrales internationales, ça peut surprendre.
05:53 C'est en soi pas nouveau, mais de la même façon que vous avez en France des marques
05:57 françaises qui vendent en France des produits qu'ils fabriquent à l'étranger.
05:59 Donc, le fait de chercher à échapper à une loi qui est particulièrement contraignante
06:04 en France, tout le monde le pratique.
06:07 Et au final, Philippe Gotsman, est-ce qu'il est possible de contenter à la fois les agriculteurs
06:12 et les consommateurs ? De mieux payer les produits agricoles sans entraîner de hausse
06:16 de prix dans les supermarchés ?
06:17 En fait, oui, je pense que c'est possible par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure,
06:22 le fiscal, le social, le normatif.
06:24 Mais également, quelque chose qui est assez peu entendu, c'est que nous allons devoir,
06:28 je crois, aller vers une concentration légère du monde agricole comme du monde industriel.
06:34 On est un pays où on a une taille moyenne d'exploitation très faible par rapport à
06:38 nos voisins.
06:39 C'est la même chose au niveau industriel.
06:41 Et donc, nous avons un tissu qui ne génère pas suffisamment de valeur ajoutée, qui a
06:45 une capacité assez limitée à écraser tous les investissements nécessaires pour les
06:49 transitions qu'il va falloir faire, qui coûtent une fortune et qui nécessitent beaucoup de
06:52 montées en compétences.
06:53 Donc, le petit paysan avec sa petite ferme, pour vous, c'est un modèle dépassé ?
06:56 C'est un modèle qui va pouvoir vivre sur des produits à haute valeur ajoutée.
07:00 Mais pour l'alimentation de tous les jours et de tout le monde, ça ne peut pas tenir.
07:04 Philippe Götzmann, merci beaucoup.
07:06 Vous dirigez un cabinet de conseil qui porte votre nom, votre cabinet de conseil.
07:10 Et vous étiez l'invité du 5-7.