• il y a 11 mois
L'historienne de l'art spécialiste des questions olfactives Clara Muller nous raconte un projet fou, ODEUROPA, ambitieuse quête scientifique qui vise à l'élaboration d’une base de données répertoriant les odeurs et parfums que l’on aurait pu sentir en Europe entre le XVIe et le début du XXe siècle.

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 France Inter, jusqu'ici tout va bien.
00:06 Avec Maria Mazoret à la fleur d'oranger.
00:08 Marine Bausson à la cannelle.
00:09 Marie-Lyssa au musc.
00:11 Non merci, Marine, je dis non, je ne voulais pas le musc.
00:14 Et Christopher Sheldrake qui ne se parfume pas quand il fait son travail de nez.
00:19 Christopher Sheldrake, est-ce qu'il y a des odeurs du passé lointain que vous seriez très curieux de sentir ?
00:24 Vous dire ça, j'aimerais bien savoir comment ça sentait.
00:28 Ah, ça c'est une vraie question difficile.
00:33 Je ne vois pas trop là.
00:35 Ok, je vous laisse réfléchir.
00:37 Vous avez un peu de temps.
00:38 Tu lances avec ça, beaucoup de défis.
00:43 Ça se trouve, il n'y en aura pas.
00:44 Ça se trouve, vous n'êtes pas curieux.
00:45 Non, mais je comprends la question quand même.
00:46 Mais il faut beaucoup d'imagination et je me suis concentré sur d'autres sujets.
00:52 Je comprends.
00:53 Ça veut dire que ta question a été nulle.
00:55 Vous reposez la question dans quelques minutes, Christopher Sheldrake.
00:59 Si je vous pose la question, c'est parce qu'aujourd'hui, on se demande si la préhistoire sentait le fauve.
01:04 C'est l'heure de la question de Maya Mazorette, introduite aujourd'hui par Jul.
01:08 Jul.
01:09 Je bug.
01:10 Ça s'appelle Jul.
01:11 Ça sent bon.
01:24 La préhistoire sentait-elle vraiment le fauve ? Difficile d'imaginer les choses autrement.
01:32 Pour moi, l'odeur de la préhistoire, c'est un mélange de peau de bête, de vieux barbecue
01:35 et de mauvaise haleine.
01:36 Aujourd'hui, ça nous semble repoussant.
01:38 Mais vous n'avez pas l'air de tant que ça, puisque manifestement, cette odeur de fauve
01:41 n'a pas empêché Homo sapiens de se reproduire pendant 300 000 ans avant d'inventer le
01:45 bain de bouche au menthol et la brossette interdentaire.
01:48 Et d'ailleurs, vous avez remarqué ce qui se passe depuis qu'on a démocratisé le
01:51 concept de détartrage ? La fréquence des rapports sexuels décline.
01:55 On n'a jamais aussi peu fait l'amour.
01:56 Ça peut être une coïncidence, ça peut être une corrélation, mais ça peut aussi
01:59 être une causalité.
02:00 Je dis ça, je dis rien.
02:01 À ce titre, on peut se demander si c'est la préhistoire qui sentait le fauve ou si
02:04 c'est notre présent qui sent plus rien et qui au passage ne désire plus grand-chose.
02:08 Difficile de faire l'amour comme des bêtes quand on neutralise le fauve en nous à coup
02:13 de douche, de déo et autres parfums.
02:14 Où est ta panthère intérieure, Marine ?
02:16 Et toi, Marie, où est ton lynx ?
02:19 Il est là.
02:20 Il est juste là.
02:21 Il ne demande qu'à surgir.
02:22 Ça fait envie.
02:24 En tout cas, notre complexe de supériorité envale les odeurs du passé.
02:27 À mon avis, il camoufle un fond de jalousie quand on accuse la préhistoire de sentir
02:31 le fauve.
02:32 Et c'est nos fantasmes qu'on projette, le fantasme d'un monde plus sale qui était
02:35 aussi un monde meilleur.
02:36 Maïa, aujourd'hui, tu reçois Clara Muller.
02:38 Bonjour, Clara Muller.
02:39 Bonjour.
02:40 Vous êtes historienne de l'art, spécialiste de la question olfactive, commissaire de l'exposition
02:45 et membre du collectif Né.
02:46 Et si on vous invite aujourd'hui, c'est parce que vous avez écrit sur un projet un
02:49 peu particulier qui s'appelle le projet Odeur au Pas.
02:52 Super jeu de mot.
02:53 Est-ce que vous pouvez nous raconter ce que c'est ?
02:55 Oui.
02:56 Alors, le projet Odeur au Pas était un projet de recherche pluridisciplinaire qui a été
03:00 financé pour trois ans par l'Union européenne et qui était destiné à constituer une archive
03:05 olfactive de l'Europe sur ses quatre derniers siècles.
03:07 Donc, on collaborait des historiens, des linguistes, des historiens de l'art, des parfumeurs,
03:13 des chimistes, des spécialistes de l'intelligence artificielle pour élaborer une vaste base
03:18 de données répertoriant les odeurs et les parfums qu'on aurait pu sentir en Europe
03:21 entre le XVIe siècle et le début du XXe siècle.
03:24 Donc, c'est du patrimoine olfactif, en fait.
03:26 C'est une forme de patrimoine olfactif, mais pas seulement.
03:29 En fait, l'intérêt de cette question d'archiver les odeurs, ce n'est pas seulement de savoir
03:34 ce que sentaient telles rues de Londres en 1700 ou les aisselles de tels personnages
03:39 historiques.
03:40 C'est dommage !
03:41 En fait, les odeurs et les manières dont elles sont perçues sont aussi des indices
03:45 vers autre chose.
03:46 Elles ont des liens profonds, on l'a mentionné rapidement, avec l'histoire de la médecine,
03:50 des pratiques d'hygiène, de l'étiquette sociale, des pratiques religieuses, avec l'histoire
03:55 des pratiques industrielles, des voies commerciales, de la colonisation, du racisme, du sexisme
04:01 et j'en passe.
04:02 - Est-ce qu'il faudrait classer les odeurs ?
04:03 - Est-ce qu'il faudrait classer les odeurs ?
04:06 C'est une bonne question.
04:07 En 2018, pour l'instant, les savoir-faire liés aux parfums en pays de grâce ont été
04:13 inscrits à l'UNESCO sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
04:17 Mais les odeurs elles-mêmes ne tombent ni sous la définition d'un patrimoine matériel,
04:21 ni sous la définition d'un patrimoine immatériel.
04:24 C'est en partie pour ça qu'en 2021, la France a adopté une loi qui crée une nouvelle catégorie
04:30 de patrimoine, le patrimoine sensoriel, et en l'occurrence le patrimoine sensoriel des
04:33 campagnes, c'est-à-dire les sons et les odeurs de la vie rurale, qu'il nous faudrait préserver
04:39 parce qu'elles font partie, et je cite, de l'identité culturelle des territoires.
04:42 - Et pour celle du passé, comment est-ce qu'on fait pour retrouver ces odeurs ?
04:45 - Dans le cas d'Oropa, les chercheurs se sont basés sur divers ouvrages et documents dont
04:53 ont été extraites des informations sensorielles, donc des formules, des recettes, des descriptions
04:59 en tout genre, et également sur des images numérisées.
05:03 Une intelligence artificielle a été entraînée pour repérer dans ces textes et dans ces
05:07 images tout ce qui pourrait toucher à l'odorat et aux odeurs.
05:11 - Donc une intelligence artificielle qui n'a pas de nez se retrouve à faire réémerger
05:16 notre patrimoine olfactif.
05:17 C'est un peu bizarre, non ?
05:18 - C'est bizarre, non, pas si on considère la nature des sources, qui ne sont pas des
05:23 odeurs en elles-mêmes, mais bien des textes et des images.
05:26 Et donc l'intelligence artificielle sert à retrouver les mentions olfactives dans ces
05:30 textes et ces images.
05:31 - Donc ça repose beaucoup sur les mots, en fait.
05:32 - Ça repose beaucoup sur les mots, sur les descriptions qu'on en fait aussi.
05:37 Et moi je peux vous dire que je fais ce travail de chercher les mentions olfactives dans l'œuvre
05:44 d'un auteur ou d'une autrice en particulier pour mes travaux de recherche.
05:46 C'est extrêmement fastidieux, et si j'avais une intelligence artificielle qui me permettait
05:50 de traiter des milliers de documents à la fois, je serais quand même ravie.
05:53 - Le cliché des auteurs du passé, c'est que ça sentait mauvais, en fait.
05:58 C'est vrai, c'est pas vrai, c'est qu'on se trompe.
06:00 - J'étais pas là.
06:01 - C'est des stéréotypes.
06:02 Ah oui, mais vous êtes une experte.
06:04 - Les odeurs du passé sentaient mauvais ou bon, je ne sais pas.
06:09 En tout cas, elles étaient perçues différemment par les odorats du passé et par les nez du
06:14 passé.
06:15 - Donc vous recherchez aussi la manière dont ces odeurs étaient perçues.
06:17 C'est une des choses auxquelles se sont consacrées les chercheurs d'odoropas ou des historiens
06:22 du sensible, comme Alain Corbin, vous avez mentionné le miasme à la jonquille tout
06:25 à l'heure.
06:26 C'est effectivement de comprendre comment ces odeurs étaient utilisées, quels en
06:31 étaient les usages, mais aussi comment elles étaient interprétées et à quoi elles servaient.
06:34 - Mais ça c'est hyper compliqué parce que déjà il y a des odeurs qu'on a perdues
06:37 et par-dessus il y a des émotions qui ne sont plus forcément celles d'aujourd'hui.
06:40 Ça fait beaucoup d'étapes avant d'arriver jusqu'à nous.
06:42 - Ça fait beaucoup d'étapes, mais tout regard vers le passé est lacunaire.
06:46 On se base sur nos sources textuelles, sur nos sources visuelles, on se base sur les
06:51 artefacts qu'on a pu retrouver et ensuite on peut faire des suppositions sur ce qu'on
06:55 ne sait pas à partir de ce qu'on sait et ça c'est toujours la recherche de toute
06:57 façon.
06:58 - Et comment est-ce que le public va découvrir ce qu'il va ressentir de ce projet Odeuropa?
07:02 - Alors le projet est achevé, le projet s'est terminé le 31 décembre, donc aujourd'hui
07:07 il y a plusieurs ressources en ligne pour accéder à la base de données qui a été
07:12 créée par Odeuropa.
07:14 Il y a d'une part une encyclopédie en ligne qui rassemble des articles universitaires
07:21 et d'autre part un outil qui s'appelle l'explorateur d'odeurs qui est accessible en français
07:25 et qui répertorie plus de 2 millions d'évocations olfactives sur des centaines de sources odorantes.
07:32 Et là ce qui est absolument fascinant c'est que vous pouvez par exemple y découvrir tous
07:37 les adjectifs qui ont été utilisés depuis 1560 dans 7 langues européennes pour décrire
07:42 l'odeur de l'asphalte, les émotions que cette odeur a suscité, les lieux où elle
07:45 a été rencontrée.
07:46 Et ça, ce travail a été fait pour des centaines d'odeurs qui vont vraiment de l'odeur
07:50 de la pomme d'ambre à celle du ver de terre.
07:53 - Et vous avez l'impression qu'il y a une curiosité plus forte du public depuis le
07:56 Covid et la peur de perdre notre odeur à ?
07:58 - Je pense que ça a été temporaire, que cette curiosité a été temporaire, qu'aujourd'hui
08:05 l'odorat est retourné un petit peu dans l'ombre, à tort je crois.
08:08 - On devrait faire plus attention dans la vie de tous les jours ?
08:11 - Oui, je pense qu'on devrait faire plus attention.
08:14 - L'éducation olfactive ?
08:15 - L'éducation olfactive c'est très intéressant parce qu'on ne la reçoit pas aujourd'hui.
08:20 Et moi dans mon travail de recherche d'historienne de l'art, je tombe sur des appels du 19ème
08:23 siècle de médecins, d'auteurs, d'artistes qui nous appellent à éduquer notre nez en
08:28 considérant déjà qu'on bénéficierait grandement d'un nez plus éduqué.
08:32 Et c'est aussi ce qu'on fait avec la revue Nez avec laquelle je collabore, c'est d'essayer
08:35 de promouvoir…
08:36 - C'est une super revue !
08:37 - Merci ! L'idée c'est de promouvoir une culture olfactive au sens large.
08:41 - Est-ce que vous pensez que c'est parce qu'on a un peu la culture de l'intellectualisation
08:46 et que le monde du sensible finalement, le monde des émotions, des sensations comme
08:49 ça finalement, ça ne nous paraît pas suffisamment légitime pour qu'on s'y intéresse ?
08:55 - Je ne pense pas.
08:56 Je pense que surtout depuis une trentaine d'années, l'intérêt pour le sensible
09:02 grandit largement.
09:03 On voit une avidité du public pour les expériences sensorielles mais aussi dans le champ des
09:07 sciences humaines, la recherche, les anglo-saxons appellent ça les "sensories studies".
09:11 Et ça, ça touche l'anthropologie, l'histoire, l'histoire de l'art, la sociologie, la
09:14 linguistique.
09:15 Et donc toutes ces approches sensibles des sciences humaines je pense montrent au contraire
09:18 un intérêt de nouveau en tout cas grandissant pour le sensible.
09:21 - Ah bah très bien ! L'intérêt pour le sensible, on repart avec ça.
09:25 Je vous remercie infiniment Clara Muller.
09:26 - Merci.
09:27 - Vous animerez la table ronde "Parfum, art et technologie" le 15 février à l'Institut
09:31 du Monde Arabe dans le cadre de l'exposition Parfums d'Orient.
09:33 Je précise là juste pour le dire que les commissaires d'exposition de Parfums d'Orient
09:38 c'est Agnès Carayon et Anna Boghanny mais on ne l'a pas dit depuis le début, ça me
09:41 semblait important.
09:42 Maya je te laisse finir.
09:43 - C'est tout à fait important et on retrouve aussi Clara Muller à la Paris Perfume Week
09:48 du 21 au 24 mars 2024.
09:50 *Générique*

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