• l’année dernière
Alors que vient de sortir la dernière étude PISA qui compare le niveau des élèves en mathématiques selon les nationalités, la "Jeune femme scientifique de l'année " nous confie sa passion pour les équations et l'auto-censure des jeunes filles qui continue encore de peser sur le milieu scientifique.

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 On commence avec un exercice.
00:07 Est-ce que vous pensez que c'est plutôt un métier pour les filles, un métier pour
00:09 les garçons ou un métier pour les deux ?
00:11 Électricien.
00:12 C'est un métier pour les filles ou pour les garçons à ton avis ?
00:15 Pour les garçons.
00:16 Qu'est-ce qui te fait penser que c'est plus pour les garçons ?
00:19 Parce que les filles elles peuvent s'électrocuter.
00:21 Les femmes sont-elles trop douces pour les sciences dures ? Pour commencer à décortiquer
00:27 le sujet, je propose de vous familiariser avec un truc formidable qui s'appelle…
00:32 La menace du stéréotype.
00:36 Vous jouez vraiment très très bien, j'adore.
00:40 La menace du stéréotype, c'est une notion qui explique pourquoi certains groupes sociaux
00:44 contre-performent dans certaines matières et par exemple contre-performent en maths.
00:48 Des expériences ont été menées depuis 1995, entre autres sur les noirs et les maths,
00:52 les blancs et le sport, les seniors et la mémoire.
00:54 Et pour vous donner un exemple de comment ça marche, je vais choisir justement les
00:57 filles et les maths.
00:58 Si vous faites passer un test de maths normal à une classe mixte, les élèves auront
01:02 grosso modo les mêmes résultats.
01:03 Mais si vous dites aux filles qu'elles ont tendance à être moins fortes que les
01:06 garçons ou si vous leur dites que leurs résultats vont servir à analyser les performances
01:10 des filles comparées à celles des garçons, c'est des paralyses et elles font moins
01:13 bien.
01:14 Comment t'expliques ça, Maya Mazoret ?
01:15 Les chercheurs l'expliquent tout simplement par l'insécurité.
01:17 Non seulement il y a le découragement de faire un test alors qu'on est mise par
01:20 avance en situation d'échec, mais il y a aussi l'intimidation de porter sur ses
01:23 épaules le poids de toute une partie de la population.
01:25 Pour le dire plus simplement, un garçon nul en maths, il est nul en maths.
01:29 Une fille nul en maths, c'est une fille.
01:31 Et outre que le double standard est parfaitement débile, c'est très contre-productif pour
01:35 la motivation vu que l'enfant n'a plus la responsabilité face à ses performances.
01:38 J'arrive pas à le dire.
01:40 Si je continue avec le même exemple, quand un garçon est nul en maths, on lui dit de
01:44 retourner réviser.
01:45 Mais quand une fille est nul en maths, on lui dit que c'est perdu d'avance.
01:48 Et c'est terrible parce qu'on voit bien que parfois ça part d'une bonne intention.
01:50 On croit réconforter une fille en lui disant que c'est pas sa faute si elle a échoué.
01:54 Et pourtant ce réconfort-là ressemble beaucoup à du sabotage.
01:57 Et au fait, si on arrêtait de saboter les filles ?
01:59 - Emaia, aujourd'hui tu reçois Virginie Erlacher.
02:02 - Bonjour Virginie Erlacher.
02:03 - Bonsoir, merci beaucoup pour l'invitation.
02:05 - Mais vous êtes la bienvenue.
02:07 Et puis vous, vous êtes ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts, professeure
02:11 et chercheuse à l'école des ponts Paris Tech.
02:13 Vous venez d'être récompensée fin novembre par le prix Irène Joliot-Curie de la jeune
02:17 femme scientifique décernée par le ministère de l'enseignement et de la recherche.
02:20 Je commence directement par la question qui tue.
02:22 Il paraît que les femmes sont biologiquement moins fortes que les hommes en maths parce
02:25 que notre cerveau il est comme ça.
02:27 - Alors absolument pas.
02:28 Donc pour ceux qui en douteraient encore, je vous invite à lire le livre de Catherine Vidal.
02:32 "Est-ce que les filles ont un cerveau fait pour les maths ?"
02:34 C'est une neurobiologiste et elle montre que les études scientifiques prouvent qu'il n'y
02:38 a pas de raison.
02:39 Les filles et les garçons ont des cerveaux identiquement faits pour les mathématiques.
02:42 - Mais alors comment ça se fait ?
02:43 - Si c'est les femmes qui ont fait ce test, ça m'arrive.
02:44 Enfin, on n'y croit pas quoi.
02:45 - Mais comment ça se fait qu'on continue d'entendre que les femmes sont bonnes pour
02:50 le verbal et les hommes sont bons pour le spatial et la mécanique par exemple ?
02:53 - C'est triste à dire mais ce sont des préjugés, des stéréotypes qui continuent à courir
02:59 de nos jours alors qu'ils n'ont pas lieu d'être.
03:00 - Il y a encore aujourd'hui beaucoup de stéréotypes sur les femmes à les maths parce qu'on a
03:03 aussi l'impression d'en parler, d'être dans une société qui a vocation à être égalitaire
03:08 par exemple ?
03:09 - Alors ça dépend à quel niveau.
03:11 Vous voyez par exemple en tant que chercheuse dans le milieu de la recherche, alors j'ai
03:14 peut-être eu de la chance, je touche du bois, mais je n'ai jamais eu de problème quant
03:17 au fait d'être une femme comme chercheuse en mathématiques.
03:20 Alors peut-être que je le dois aussi à mes anciennes qui se sont battues, ça n'a pas
03:24 toujours été le cas, mais de ce point de vue-là j'ai beaucoup de chance.
03:27 Par contre il y a beaucoup de filles, de jeunes filles avec qui je discute, qui s'autocensurent,
03:31 qui ont très peur et qui se disent "oui mais les maths c'est peut-être pas fait pour moi,
03:35 c'est plus fait pour les garçons, j'ai peur d'aller dans des voies où il y a plus de
03:39 garçons que de filles, j'ai peur de ne pas réussir" et c'est malheureux parce qu'il
03:43 n'y a pas de raison à ça.
03:44 Donc on intériorise les stéréotypes qu'on le veuille ou non quelque part ?
03:47 Je pense que ça dépend beaucoup des messages qui sont donnés par les proches en premier
03:52 lieu et par les enseignants.
03:53 J'ai eu cette grande chance et ça devrait être normal et tout le monde devrait pouvoir
03:58 en profiter.
03:59 J'ai grandi dans un milieu où les études c'était pareil pour moi comme pour mon frère,
04:05 nos parents nous encourageaient à suivre notre voie comme on le voulait mais de manière
04:09 égale et j'ai profité aussi de l'encouragement des enseignants que j'ai pu avoir au cours
04:13 de mon parcours.
04:14 Vous saviez jeune que vous aviez une passion pour les maths ? Vous avez eu une sorte d'épanie
04:17 ?
04:18 Toute jeune non, j'aimais l'école, j'aimais un peu tout, dont les maths mais je n'avais
04:23 pas de préférence particulière.
04:24 Je pense qu'il y a eu un déclic qui s'est fait en première S.
04:27 J'ai eu un professeur de mathématiques qui m'a vraiment fait aimer les maths et
04:31 je pense qu'il m'a fait un petit peu découvrir ce à quoi ressemblent les maths telles que
04:35 je les fais aujourd'hui.
04:36 Je pense que le goût s'est développé à partir de là.
04:39 Vous pensez qu'il faudrait que les professeurs soient peut-être plus proactifs pour lutter
04:41 contre les stéréotypes ?
04:42 Je pense en tout cas qu'ils ont un rôle clé à jouer et qu'effectivement de ce point
04:46 de vue-là, si eux ne le font pas, ça va être difficile.
04:50 Je ne pense pas que les enseignants en grande majorité véhiculent des stéréoptiques,
04:55 c'est pas du tout ce que je veux dire.
04:56 Mais je pense qu'effectivement, jouer un rôle actif pour encourager les jeunes filles
05:00 dont ils décernent qu'elles auraient une appétence pour aller vers les sciences, ne
05:05 pas hésiter à les encourager activement pour qu'elles n'aient pas peur tout simplement.
05:08 Et pour lutter contre les stéréotypes, est-ce que l'encouragement c'est le seul moyen
05:12 ou alors est-ce qu'il faudra changer les représentations en général ?
05:15 Alors je pense que déjà c'est essentiel parce que si on vous dit "ah non, vous n'êtes
05:18 pas fait pour telle matière, telle chose", naturellement vous n'avez pas envie d'y
05:23 aller.
05:24 C'est tout simplement.
05:25 Après, il y a beaucoup d'actions mais je dirais à un niveau peut-être un peu tardif
05:31 en faveur des femmes pour la recherche.
05:33 Par exemple, de mon côté, en tant que femme chercheuse, j'avais le droit de candidater
05:37 à certains projets de recherche un petit peu plus tard que mes collègues masculins
05:41 parce que j'avais eu des enfants.
05:43 Il y a des extensions, il y a des aides de ce point de vue-là.
05:45 Mais je pense que ce genre d'aide, ce genre de discours devrait arriver beaucoup plus
05:49 en amont.
05:50 On observe que dès le collège, les jeunes filles ont déjà, statistiquement bien sûr,
05:54 ont déjà des peurs et des préjugés quant au fait de faire des sciences et des maths
06:00 en particulier.
06:01 Donc ça veut dire qu'il faudrait commencer encore avant à les sensibiliser ?
06:03 Et même avant, le plus tôt serait le mieux.
06:05 Et pour les faire rêver sur les maths, vous leur dites quoi ?
06:09 Ah, moi je leur dis que c'est formidable !
06:11 C'est quoi ?
06:14 Déjà, peut-être contrairement à ce que certains…
06:19 Alors, effectivement, c'est un jeu de l'esprit extrêmement beau, il y a une dimension esthétique
06:23 qui est formidable mais aussi c'est très très utile dans la vie de tous les jours.
06:27 Et je pense que les gens n'ont pas forcément conscience de ça.
06:29 Je pense que les gens ont une image du chercheur en mathématiques, enfermé dans son bureau,
06:34 à gratter tout seul toute la journée.
06:35 Les gens comme Marion Montré par exemple ?
06:37 C'est pas tout à fait.
06:39 Ma réalité, c'est sûr qu'il y a des moments où on doit travailler seul avec les
06:43 équations, c'est sûr.
06:44 Mais on passe beaucoup de notre temps à discuter avec nos collègues, à échanger
06:47 nos idées ensemble autour d'un tableau pour résoudre un problème.
06:50 Donc il y a une dimension collaborative qui est très forte.
06:54 C'est un aspect que j'aime beaucoup dans ce métier.
06:56 Et en plus, ça sert à beaucoup beaucoup de choses.
06:59 C'est pas juste pour rendre la monnaie au supermarché ?
07:01 Ah non, non, non.
07:02 Sinon, j'en aurais pas fait mon métier.
07:05 Non, non, non.
07:06 Par exemple, rien que si vous regardez votre moteur de recherche Google sur Internet, le
07:12 fait que vous puissiez avoir accès très rapidement à l'information que vous souhaitez,
07:15 il y a des algorithmes très puissants derrière et il y a des maths pour faire ça.
07:19 Vous êtes intervenue auprès de classes de collège dans le cadre du projet mathématiques
07:23 non féminin.
07:24 C'est important pour vous de jouer le rôle de modèle ?
07:26 Alors, je ne sais pas si je joue le rôle de modèle.
07:28 Mais enfin, dire que c'est possible d'être une femme en science et d'avoir une carrière
07:34 épanouie, dire que c'est possible, qu'il n'y a pas de raison que les femmes y arrivent
07:38 moins que les hommes, a priori, c'est un message qui me semble important de véhiculer,
07:42 oui.
07:43 On en profite pour célébrer Anne Lhuillier qui vient de recevoir le prix Nobel de physique.
07:46 Absolument, félicitations à elle.
07:47 Qui est une femme, oui.
07:48 On a des scientifiques incroyables en France.
07:51 Marion Montaigne, ça vous ferait plaisir de disséquer le cerveau de Virginie ?
07:53 Moi, je ne suis pas sûre, vous êtes d'accord ?
07:57 Non, je la laissais tranquille.
07:59 Non, vous avez du chloroforme.
08:01 Mais j'ai ce qu'on parlait de ça.
08:04 Il y avait cette idée, à un moment, que les femmes avaient une plus petite tête, donc
08:07 un plus petit cerveau par exemple.
08:09 Ou le corps caleux qui séparait.
08:10 Oui, il y a encore du chemin à faire.
08:13 Je veux dire, en tout cas, il y a eu énormément de progrès.
08:15 Dans le sens où, par exemple, avec mes collègues, j'ai peut-être eu de la chance, mais avec
08:20 mes collègues, je n'ai jamais eu le moins de problèmes.
08:21 Je suis un chercheur au même petit truc.
08:23 Et est-ce que vous avez déjà débouché le champagne devant un graphique ?
08:26 Déboucher le champagne ? Peut-être pas.
08:29 Hurler de joie.
08:30 Après, des soutenances de thèse, ça oui.
08:33 On les fait dignement, maintenant que la crise Covid est passée.
08:37 Et pour terminer, le nom de votre thèse pour nous faire rêver un petit peu, c'est quoi ?
08:40 Pour qu'on ne comprenne vraiment rien pendant 45 secondes.
08:43 De ma thèse, c'était "Méthodes mathématiques pour les problèmes en quantification d'incertitude
08:48 et en science des matériaux".
08:50 Ah, facile.
08:51 Ce n'était pas si incompréhensible que ça.
08:53 Je vous remercie beaucoup Virginie Erlacher.
08:55 Merci à vous.
08:56 Et donc, je rappelle que vous êtes lauréate du prix Irène Joliot-Curie de la jeune femme
09:00 scientifique, décernée par le ministère de l'Enseignement et de la Recherche.
09:03 *Générique*

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